Ils ne devraient pas tarder à me l’emmener. Ma cabine est nickel, rangée, immaculée… Je me suis débrouillé pour que le petit bureau occupe le centre de la pièce. Une chaise de chaque côté. Le bois nu du fameux bureau pour tout accessoire. Première fois que je mène un interrogatoire.
Bah, j’ai bien le fil rouge, les grandes lignes… mais pour le reste il va falloir y aller en tâtonnant. Si je me fie à la petite pendule au dessus de mon lit, ils devraient m’emmener le traitre dans une trentaine de minutes. Une taupe dans la baraque. Une révo’ dans la place. Même moi, pour le coup, ça me coupe la chicque.
-Ca t’angoisse pas un poil, de t’imaginer en train de commander ton propre bâtiment ?
- Pas vraiment. Y a bien un genre de loi sociologique qui énonce que les hauts échelons sont presque systématiquement occupés par des incompétents, non ?
- T’est sûre de ça ?
- Bien sur. Le gars compétent… il se la ferme et fait son boulot, ses actions parlent pour lui. Mais le types nul… le gros branleur, tu vois… ben lui comme il sait pas faire, il parle. Il parle beaucoup pour masquer son incapacité chronique. Puis, comme il sait pas non plus de quoi il cause, il cause fort. Alors forcément il impressionne. Il se fait remarquer.
- Mais c’est des sacrées responsabilités, quand même. Moi, j’me sentirais pas capable. Rien que d’y penser, je me sens toute chose.
- De toute manière, les officiers feront le trois quart du boulot pour ma pomme. Suffit juste d’avoir un bon coup de poignet.
- De poignet ?
- Hm-hm. Pour tamponner les documents. C’est tout un art, de tamponner les documents. Si tu veux mon avis, la signature, c’est du passé. L’avenir de la bureautique, c’est le tampon.
- Tu m’épates. Je sais vraiment pas comment tu fais pour être aussi optimiste. Jamais j’aurais le cran de ne serait-ce que d’avoir ton ambition…
-Figure-toi que je ne prendrais pas un seul homme à bord. Nada.
- Mais… comment tu feras, alors ? Il te faut bien un équipage, non ?
- Pas dit le contraire. J’précise juste que se sera un équipage de jeunes femmes.
- Ben là alors… pourquoi donc ?
- Plaisir personnel. Puis c’est quand même plus classe, faut l’avouer. Avoue, non ?
- J’saurais pas trop dire…pas facile de se prononcer sur ces choses là.
- Puis jupettes obligatoires. Impossible de transiger sur ça. Un minimum de prestige.
- De… prestige ? Je ne te suis plus.
- La mini-jupette en coton bleu, ça claque.
- Pourquoi tu rougies ?
- Ferme-là et écoute, bon sein ! Pardon, bon sang. Je parle dans le vide, je parle dans le vide, et après faut qu’je m’répète.
- Pardon…s’cuse moi.
- J’ai même déjà pensé au nom de l’équipage…
- Ha voui ? Tu veux me dire ?
- Les callipyges.
-… Ca fait référence à quoi, au juste ? On dirait un nom d’ile.
- Ouai, voilà. Un nom d’ile. Ont peut dire ça. Puis sinon, toujours dans le cadre de l’uniforme… je me dis qu’une petite chemise de soie blanche, ça collerait bien dans l’esprit. Tu fais sauter les deux derniers boutons du haut…
- Les deux derniers boutons ?
- Ouai… se sera pas forcément assez selon la fille. Tablons sur les trois boutons du haut.
- Tu fais une drôle de tête. Tu serais pas moi, je te dirais que tu me fais peur.
- Qu’est-ce qu’elle a. ma tête ?
- J’peux pas forcément dire… mais elle fait peur, c’tout…
- Si t’es pas contente, j’peux facilement te faire prendre congé…
- Je… ben non, le prends pas comme ça. Je t’écoute, pardon. Nous parlions des uniformes, donc.
- Hm… oui. Les uniformes, alors. Ce matin encore je me disais que des jarretières seraient bien, pour mon futur équipage.
- Ca sert à quoi, au juste ?
- Strictement à rien. J’aime juste ça.
- Tu avoueras que tout ça… ça fait plus esthétique que pratique, quand même.
- T’y connais que dalle, toi.
- J’peux te poser une question, pas forcément en rapport avec le sujet actuel ?
- Accouche.
- Sérieusement, pourquoi t’es écarlate au niveau du visage ?
- Allez… on ne pourra pas dire que je ne t’avais pas prévenu… fous moi le camp…C’est dingue. Il faut toujours que vous jouiez les malignes. Chacune de vous, sans exception ! A croire que c’est plus fort que vous. En quoi ça te poses problème si je veux causer de la pertinence de la botte de cuir à haut talon chez les recrues de mon futur équipage ?
- A moi rien…Par contre, faut dire que ça en ferait jaser plus d’u…
-Je vais pas le redire une fois de plus. Dans une conversation, ce que j’attends de toi, c’est que tu ouvres tes oreilles, et que tu fermes ta gueule. C’est simple, non ?
- P’don…
Je me prélasse sur mon lit, glissant parfaitement sur les draps froissés. La nuit tombe juste, dehors. Une petite sieste avant la session, ce n’était pas une bonne idée. Au lieu de me sentir reposé, je suis encore plus engourdie. La petite parlotte me permets de reprendre mes esprits. Plus le temps passe et plus je me rends compte que j’aime ces conversations intimistes, à la tombée de la nuit. Au moins, j’ai plus l’impression d’être sénile quand je me parle à moi même. Sacré bon remède contre la solitude, ces doubles.
Pour l’instant, c’est leur utilité majeure. Mon Innocence, allongée sur le flanc à ma droite, se redresse sur le coude et me regarde d’un air coupable. Franchement, ça fait du bien de leur gueuler dessus. J’me doute bien qu’un psy trouverait à y redire, mais bon… le linge sale se lave en famille, non ? Haha… suis en verve, ce soir.
J’peux même pas lui demander de me gratter le dos, à cette potiche. Ou va le monde... Les bruits de pas sur le pont se font plus discrets. Le cuirassé entre dans sa phase de fonctionnement ralentis. Toujours comme ça, la nuit.
- Tu crois que je prends en compte l’avis des gens qui jasent ou se posent des questions sur moi ? Les idiots qui veulent s’améliorer font ça. Moi je suis au dessus de ça. Je suis le mouvement, je me fonds dans la vague. Un air neutre, j’acquiesce même si je ne bite pas un traitre mot, puis je reviens à mes moutons. Avec un officier, je me tire plus les doigts du fondement… et c’est normal. Mais pour le reste… je ne vais pas changer pour leurs beaux yeux. Faut être sérieux deux secondes.
- L’équipage…
- Tu va me dire qu’ils me prennent pour une excentrique ? Si tu crois qu’j’le sais pas. Mais ils le disent tout bas, et dans les rares occasions ou je leur donne des ordres, ils obéissent. Ca m’suffit amplement, cocotte.
- Est-ce que les choses… vont changer, une fois que nous serons à Navarone ?
- Changer ?
Je cligne des yeux et fait la moue…pas contrariée, mais curieuse. Un poil dubitative. Je peux pas encore m’habituer au fait qu’elles ont… leurs propres personnalités.
- Nous serons plus heureuses ?
- Non. Mais faut pas trop se complaire dans la recherche du bonheur non plus.
- Mais… tout le monde veux être heureux, non ?
- Pardi… mais à force de le vouloir trop faire sans l’être, ils le seront encore moins. Tu piges ?
- Pas tellement, tu sais.
- Navarone. On va y voir des belles pièces d’artillerie. On va pouvoir les faire chanter. Surement qu’il y aura la possibilité de mater du p’tit cul. Puis nous serons loin de… Shabondy. Ca signifie une nouvelle vie. Certes au rabais, mais dans nos moyens.
Je me fais un cocon avec le tissu blanc. Aucune partie du corps ne reste à l’air libre. J’aime bien, comme ça. Instinctivement, sans trop savoir pourquoi, je me retiens de respirer et je cesse de bouger quand quelqu’un passe devant ma porte. Va savoir pour quoi…Bon, c’est le moment de se préparer. Le lit abandonné, je me vétie, sans négliger un seul bouton. Chignon serré, lunettes propres, bottes cirées. Je gagne la chaise, et, le dos droit, je prends place. Pour bien me mettre dans les conditions, je vais fixer la porte.
D’un signe de main, je congédie l’autre nunuche sous le lit. Elle s’y glisse, sans se faire prier. Le dossier des faits… il est bien mince. Pour ainsi dire, je le connais parfaitement.
Donald Cheddarsky. Pris en flagrant délit dans le bureau du commandant Wilkinson, alors qu’il voulait joindre son supérieur hiérarchique de la révolution.
Depuis quand au juste est-il infiltré ? Depuis le début ? Depuis peu ? Son dossier ne fait états de fait d’aucune réprimande pour mauvais comportement. Jusque là, c’était même un bon élément…
Ha… des bruits de pas. Ils arrivent.
Bah, j’ai bien le fil rouge, les grandes lignes… mais pour le reste il va falloir y aller en tâtonnant. Si je me fie à la petite pendule au dessus de mon lit, ils devraient m’emmener le traitre dans une trentaine de minutes. Une taupe dans la baraque. Une révo’ dans la place. Même moi, pour le coup, ça me coupe la chicque.
-Ca t’angoisse pas un poil, de t’imaginer en train de commander ton propre bâtiment ?
- Pas vraiment. Y a bien un genre de loi sociologique qui énonce que les hauts échelons sont presque systématiquement occupés par des incompétents, non ?
- T’est sûre de ça ?
- Bien sur. Le gars compétent… il se la ferme et fait son boulot, ses actions parlent pour lui. Mais le types nul… le gros branleur, tu vois… ben lui comme il sait pas faire, il parle. Il parle beaucoup pour masquer son incapacité chronique. Puis, comme il sait pas non plus de quoi il cause, il cause fort. Alors forcément il impressionne. Il se fait remarquer.
- Mais c’est des sacrées responsabilités, quand même. Moi, j’me sentirais pas capable. Rien que d’y penser, je me sens toute chose.
- De toute manière, les officiers feront le trois quart du boulot pour ma pomme. Suffit juste d’avoir un bon coup de poignet.
- De poignet ?
- Hm-hm. Pour tamponner les documents. C’est tout un art, de tamponner les documents. Si tu veux mon avis, la signature, c’est du passé. L’avenir de la bureautique, c’est le tampon.
- Tu m’épates. Je sais vraiment pas comment tu fais pour être aussi optimiste. Jamais j’aurais le cran de ne serait-ce que d’avoir ton ambition…
-Figure-toi que je ne prendrais pas un seul homme à bord. Nada.
- Mais… comment tu feras, alors ? Il te faut bien un équipage, non ?
- Pas dit le contraire. J’précise juste que se sera un équipage de jeunes femmes.
- Ben là alors… pourquoi donc ?
- Plaisir personnel. Puis c’est quand même plus classe, faut l’avouer. Avoue, non ?
- J’saurais pas trop dire…pas facile de se prononcer sur ces choses là.
- Puis jupettes obligatoires. Impossible de transiger sur ça. Un minimum de prestige.
- De… prestige ? Je ne te suis plus.
- La mini-jupette en coton bleu, ça claque.
- Pourquoi tu rougies ?
- Ferme-là et écoute, bon sein ! Pardon, bon sang. Je parle dans le vide, je parle dans le vide, et après faut qu’je m’répète.
- Pardon…s’cuse moi.
- J’ai même déjà pensé au nom de l’équipage…
- Ha voui ? Tu veux me dire ?
- Les callipyges.
-… Ca fait référence à quoi, au juste ? On dirait un nom d’ile.
- Ouai, voilà. Un nom d’ile. Ont peut dire ça. Puis sinon, toujours dans le cadre de l’uniforme… je me dis qu’une petite chemise de soie blanche, ça collerait bien dans l’esprit. Tu fais sauter les deux derniers boutons du haut…
- Les deux derniers boutons ?
- Ouai… se sera pas forcément assez selon la fille. Tablons sur les trois boutons du haut.
- Tu fais une drôle de tête. Tu serais pas moi, je te dirais que tu me fais peur.
- Qu’est-ce qu’elle a. ma tête ?
- J’peux pas forcément dire… mais elle fait peur, c’tout…
- Si t’es pas contente, j’peux facilement te faire prendre congé…
- Je… ben non, le prends pas comme ça. Je t’écoute, pardon. Nous parlions des uniformes, donc.
- Hm… oui. Les uniformes, alors. Ce matin encore je me disais que des jarretières seraient bien, pour mon futur équipage.
- Ca sert à quoi, au juste ?
- Strictement à rien. J’aime juste ça.
- Tu avoueras que tout ça… ça fait plus esthétique que pratique, quand même.
- T’y connais que dalle, toi.
- J’peux te poser une question, pas forcément en rapport avec le sujet actuel ?
- Accouche.
- Sérieusement, pourquoi t’es écarlate au niveau du visage ?
- Allez… on ne pourra pas dire que je ne t’avais pas prévenu… fous moi le camp…C’est dingue. Il faut toujours que vous jouiez les malignes. Chacune de vous, sans exception ! A croire que c’est plus fort que vous. En quoi ça te poses problème si je veux causer de la pertinence de la botte de cuir à haut talon chez les recrues de mon futur équipage ?
- A moi rien…Par contre, faut dire que ça en ferait jaser plus d’u…
-Je vais pas le redire une fois de plus. Dans une conversation, ce que j’attends de toi, c’est que tu ouvres tes oreilles, et que tu fermes ta gueule. C’est simple, non ?
- P’don…
Je me prélasse sur mon lit, glissant parfaitement sur les draps froissés. La nuit tombe juste, dehors. Une petite sieste avant la session, ce n’était pas une bonne idée. Au lieu de me sentir reposé, je suis encore plus engourdie. La petite parlotte me permets de reprendre mes esprits. Plus le temps passe et plus je me rends compte que j’aime ces conversations intimistes, à la tombée de la nuit. Au moins, j’ai plus l’impression d’être sénile quand je me parle à moi même. Sacré bon remède contre la solitude, ces doubles.
Pour l’instant, c’est leur utilité majeure. Mon Innocence, allongée sur le flanc à ma droite, se redresse sur le coude et me regarde d’un air coupable. Franchement, ça fait du bien de leur gueuler dessus. J’me doute bien qu’un psy trouverait à y redire, mais bon… le linge sale se lave en famille, non ? Haha… suis en verve, ce soir.
J’peux même pas lui demander de me gratter le dos, à cette potiche. Ou va le monde... Les bruits de pas sur le pont se font plus discrets. Le cuirassé entre dans sa phase de fonctionnement ralentis. Toujours comme ça, la nuit.
- Tu crois que je prends en compte l’avis des gens qui jasent ou se posent des questions sur moi ? Les idiots qui veulent s’améliorer font ça. Moi je suis au dessus de ça. Je suis le mouvement, je me fonds dans la vague. Un air neutre, j’acquiesce même si je ne bite pas un traitre mot, puis je reviens à mes moutons. Avec un officier, je me tire plus les doigts du fondement… et c’est normal. Mais pour le reste… je ne vais pas changer pour leurs beaux yeux. Faut être sérieux deux secondes.
- L’équipage…
- Tu va me dire qu’ils me prennent pour une excentrique ? Si tu crois qu’j’le sais pas. Mais ils le disent tout bas, et dans les rares occasions ou je leur donne des ordres, ils obéissent. Ca m’suffit amplement, cocotte.
- Est-ce que les choses… vont changer, une fois que nous serons à Navarone ?
- Changer ?
Je cligne des yeux et fait la moue…pas contrariée, mais curieuse. Un poil dubitative. Je peux pas encore m’habituer au fait qu’elles ont… leurs propres personnalités.
- Nous serons plus heureuses ?
- Non. Mais faut pas trop se complaire dans la recherche du bonheur non plus.
- Mais… tout le monde veux être heureux, non ?
- Pardi… mais à force de le vouloir trop faire sans l’être, ils le seront encore moins. Tu piges ?
- Pas tellement, tu sais.
- Navarone. On va y voir des belles pièces d’artillerie. On va pouvoir les faire chanter. Surement qu’il y aura la possibilité de mater du p’tit cul. Puis nous serons loin de… Shabondy. Ca signifie une nouvelle vie. Certes au rabais, mais dans nos moyens.
Je me fais un cocon avec le tissu blanc. Aucune partie du corps ne reste à l’air libre. J’aime bien, comme ça. Instinctivement, sans trop savoir pourquoi, je me retiens de respirer et je cesse de bouger quand quelqu’un passe devant ma porte. Va savoir pour quoi…Bon, c’est le moment de se préparer. Le lit abandonné, je me vétie, sans négliger un seul bouton. Chignon serré, lunettes propres, bottes cirées. Je gagne la chaise, et, le dos droit, je prends place. Pour bien me mettre dans les conditions, je vais fixer la porte.
D’un signe de main, je congédie l’autre nunuche sous le lit. Elle s’y glisse, sans se faire prier. Le dossier des faits… il est bien mince. Pour ainsi dire, je le connais parfaitement.
Donald Cheddarsky. Pris en flagrant délit dans le bureau du commandant Wilkinson, alors qu’il voulait joindre son supérieur hiérarchique de la révolution.
Depuis quand au juste est-il infiltré ? Depuis le début ? Depuis peu ? Son dossier ne fait états de fait d’aucune réprimande pour mauvais comportement. Jusque là, c’était même un bon élément…
Ha… des bruits de pas. Ils arrivent.