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Pour une robe.

Ici, les âmes ne comprennent pas grand chose. Cherchent l’intellect et ne trouvent que l'incompréhension. Ici les gens débinent leurs gueules dans des moues d'autosatisfaction en ne comprenant qu'un mot sur deux. Ici les gens viennent se montrer au pays où il ne faudrait que regarder.

Ici, on est au musée.

Un homme se gratte le crâne, agacé par ce panneau « interdiction de fumer » qui le nargue à chaque pièce dans laquelle il entre depuis presque une heure. Agacé aussi par cet endroit et toutes ces œuvres qu'il ne comprend pas. Il a la trentaine, les cheveux bruns parfaitement coiffé court et une barbe de quelques jours se dessine sur ses joues blanches. Il est beau, avec son costume trois pièce coupé par l'un des meilleurs tailleurs de la ville et ses mains manucurées. Il s'arrête un instant devant un tableau. C'est un tableau de nuances de noir où un énorme coup de pinceau rouge vient déchirer la noirceur de l’œuvre en plein milieu.

-Putain ce que c'est moche.

Le Monstre à côté, plongé dans l’œuvre, sursauterait presque. Lui aussi porte le costume. Mais ça lui va beaucoup moins bien. On dirait un clown ayant voulu jouer au riche. Il se retourne vers l'homme grossier, une moue dubitative lui écorchant son visage déjà bien laid.

-Hmm.

Il reconnaît l'homme. On lui a dit « Vous connaissez le roi des ordures ? C'est le même, en plus grossier ». On ne s'était pas moqué de lui. La même gueule, les même frusques, peut être à ça près que l'homme en face de lui semble encore plus soigné. Mais quoi d'étonnant ? Ici nous ne sommes pas au pays de la crasse et de la misère, ici nous sommes à Logue Town. Le jumeau de Bobby sourit.

-Moi c'est Bobby. Je sais, la même gueule, le même nom. J'aime bien. Ça perturbe les gens qui ne savent pas qu'on est deux et ça nous aide dans pas mal de cas.


Le Monstre détecte une nette différence. La voix. Celui en face de lui en possède une beaucoup plus nasillarde, beaucoup moins sympathique.

-Suis moi, le Monstre.

Sans un mot les deux hommes sortent de la salle pour en parcourir d'autres. Ils s'arrêtent devant une porte blanche avec l'inscription « Privé » et deux gardes barrant l'entrée. Mais les deux chiens de garde s'écartent en voyant Bobby et le laissent entrer dans un bureau sans âme. Aucune photo, aucun tableau. Des murs blancs, un bureau blanc et deux fauteuils noirs. Bobby se met à faire le tour du bureau. Il se penche sous le mobilier pour y vérifier l'absence de mouchard. Il soulève le pot à crayon, les quelques feuilles et va même jusqu'à fouiller dans la grille de ventilation située sur un mur. Une fois fais, son corps se décrispe pour venir s'étaler dans un des deux fauteuils.

-Le patron du musée voulait une robe pour sa femme. Une robe avec du tissu plus ou moins interdit. Des écailles de sirène même, qu'il voulait. Cet enfoiré n'avait rien à foutre de tuer quelques sirènes s'il pouvait gagner un sourire de sa femme. Il a eu sa robe gratis. Son bureau par contre, il l'a perdu.

-Hmm, et les sirènes ?
-Les sirènes ? Ah ! Les sirènes n'ont rien eu. Leurs écailles sont quasiment identiques à celles d'un poisson de Calm Belt. Le plus dur a été de trouver un pêcheur assez fou pour la mission.
-Hmm. Pourquoi me dire tout ça ?
-Parce que c'est une putain d'histoire dont j'aime bien me venter.
-Hmm.

Le Monstre sourit.

-Hmm. Et si je suis là, c'est pour sauver d’autres sirènes ?

C'est au tour de Bobby de sourire.

-Non, c'est pour tuer.

Un ange passe. Lentement. Les deux hommes se regardent et les respiration se font avec une mouche qu'on entend voler, bien plus loin.


-On dit que Logue Town, c'est une ville où quand les hommes s'endorment, les chats se réveillent. Ils viennent traîner leurs gueules crasseuses dans les ruelles désertes, se servent dans les poubelles, chassent les rats et partent se cacher avant que le jour ne se lève. Sauf que depuis quelques temps, les chats se cachent même la nuit. Ils disparaissent peu à peu.
-Hmm.
-Trouves moi qui les prend, ou les tue, et tue le à son tour.
-Et en quoi le fait d'avoir des chats errants mérite-il la mort d'un homme ?
-En fait, l'ami, chaque chose a une place. L'homme, le chien, le chat. Tout a une place dans cette foutue ville sauf les souris et les rats. Ils bouffent les réserves de grain alors que le chat ne mange que les déchets. Ils abîment les isolations des maisons alors que le chat dressé ne réchauffe que le lit de son propriétaire. Ils traînent les pires maladies de ce monde alors que le chat ne traîne que quelques puces au pire.
-Hmm. Rendre service comme ça, c'est beau. Mais il y a un intérêt autre, non ?
-Héhé.
-Hmm. J'aime savoir pour quoi et pour qui je travaille.
-Tu as bien raison le Monstre. J'ai des parts dans les réserves de grains et de farine de la ville. 5 % de pertes, c'est 5 % de recette en moins. C'est de la pure volonté commerciale. Mais le commerce nourrit les gens, sauve des vies et évite des famines. Alors même si tu ne veux pas le faire pour moi, fais le pour Logue Town.
-Hmm. Combien ?
-5 millions.
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