Ils avaient jeté l'ancre deux jours auparavant. Deux jours, parce que trop loin des côtes pour pouvoir y aller sans tremper dans la mer ; il avait fallut bricoler des chaloupes pour les maudits qui ne pouvaient plus nager, faire avec les courants contraires, les yeux suspicieux qui affleuraient l'eau, laissaient entendre que l'île de l'horloge n'était plus un lieu sûr mais une terre de conflits, une menace sourde.
Alors, Sören avait été éloigné du groupe par d'étranges rumeurs, des échos qu'il était allé chercher de son côté autour des comptoirs et dans les bruits étouffés qui remontaient des ruelles. Son allure bonhomme, encore plus passe-partout qu'autrefois depuis qu'Uriko le contraignait à conserver une propreté irréprochable, écartait naturellement de lui les soupçons, et son mutisme de circonstance le servait comme un intermédiaire fidèle. Il devait retrouver la Team pour présenter son rapport ; mais au lieu de cela, il était parti à l'autre bout de l'île, Raspoutine invisible le suivant de loin, et Morgan sur l'épaule.
La raison d'une décision aussi soudaine, c'est qu'il avait eu vent d'événements qui ne concernaient pas les autres ; ou plutôt, qui le concernaient lui, et desquels il valait mieux que James ne soit pas informé. Sören ne connaissait que trop bien le tempérament tranché et sans compromis de ce qui lui servait officiellement, du moins de capitaine. Plusieurs fois déjà, il avait eu vent des agissements de ses vieux amis d'enfance sur les Blues, puis sur Grand Line. Jamais d'actes qui contrevenaient à la morale élémentaire qui était celle de leur chef ; pas de pillages, pas de meurtres de civils sans défense, peu d'actes réellement violents. Mais des entreprises résolument anarchistes et anti-armée / police / autorité en tout genre, des viols en pagailles dès lors qu'il ne s'agissait non pas de jeunes filles mais de toutes les conventions établies, des piratages sauvages de Denden caméra destinés à inciter le bon peuple à « foutre la ouache le plus possible et vivre en paix au final »... bref. Largement de quoi récuser toute appartenance à un groupement plus vaste tout en justifiant l'apposition de primes conséquentes.
Ces primes, Sören les avait gardées dans sa chemise, en sûreté. Et les histoires qui y étaient associées, il s'était bien gardé de les communiquer à ses compagnons.
Surtout depuis qu'il savait qu'Edwin, Olaf, Serena et Brom étaient sur l'île de l'horloge ; et qu'ils représentaient un soutien efficace contre la piraterie locale qui profitait des circonstances pour harceler le bon peuple.
-Eh, là. Où est-ce que vous pensez aller comme ça, l'ami ?
-Hein ? Oh, ben, par là.
-C'est dangereux.
-J'sais, on m'a dit.
-Non, mais c'est... pardon ? Vous y allez quand même ?
-On dirait, on dirait.
-Oh.
Le chemin qu'il suivait s'apparentait plus à une agglomération de rochers en bordure de ville à demi reconstruite qu'à autre chose. Tout au bout, il y avait encore quelques maisons de chaume, sans doute une sorte de petite dépendance portuaire plus au moins demeurée intacte. Et accessoirement, un point d'encrage idéal pour prendre l'horloge devenue citadelle de fortune à revers.
A la maison qu'on lui avait indiqué, il frappa trois fois.
-Attend, j'y vais. Si c'est encore un colporteur, je me le fais.
-Mon amour, reste tranquille.
-Je... bon.
-C'est pour... oh, bonté divine !
-Salut Olaf !
Oubliant toutes ses appréhensions, il riait comme un enfant en bondissant sur ses anciens compagnons qu'il serra l'un après l'autre entre ses bras. Sans doute touché dans son petit cœur de chat mais néanmoins prudent, Morgan descendit de son épaule pour aller trouver refuge sur le buffet qui constituait, avec une table en bois brut et mal raboté, l'unique mobilier de la pièce.
-Brom est pas avec vous ?
-Foutu môme ! Il vient de nous retrouver et c'est après un autre qu'il demande !
-Edwin a raison, Sören. Brom est parti chercher à manger, c'est toute une mission ici... tu as tout le temps de nous raconter ce que tu es devenu pendant tout ce temps.
-Bien parlé !
-C'est que, j'suis plus curieux de savoir c'que vous êtes devenus, vous...
-Me pousse pas au vice, honneur à la jeunesse !
-Ahah, bon.
De sa voix la plus tranquille, il commença son récit ; ses débuts laborieux en temps que chasseur de primes, l'éthique drastique qu'il s'imposait avec la part de misère qu'elle comportait, son besoin d'aller toujours chercher plus, plus loin, ailleurs, autre part ; ses moments de nihilisme et de joie dans les ruelles sales des Blues, lors de son grand voyage ; les spectacles avec les chats ; puis la catastrophe de Goa, dont il ne chercha pas à dissimuler le moindre détail. Puis enfin, la Team Rocket, les nouvelles perspectives qu'elle lui avait ouvertes.
Lorsqu'il se tut, il se sentit plus serein qu'il ne l'avait été depuis son départ d'Innocent Island.
-J'suis venu en éclaireur pour vous prévenir, aussi. Mon équipage, y'a pas que des flèches dedans, et j'suis pas sûr d'pouvoir gérer les débordements si ça apprend que des grosses primes comme vous sont dans la zone.
-Qu'on capte. Mais qu'on est peut-être bien plus forts que vous tous réunis.
-Mon amour, il cherche à éviter le conflit.
-Oh ! Oui.
-Je dis, on a déjà trop causé sans attendre Brom. Et t'es pas là pour longtemps, la jeunesse. Tu sais toujours jouer ?
-Ouais, que j'sais. Mais dis, Verbe Juste, c'est que t'aurais perdu ta langue ?
-Plains toi. Aller !
Ils avaient tous pris leurs instruments. La journée était paisible, et ce fut tout juste si Sören s'aperçut du fait que les murs comportaient des cicatrices profondes, traces d'explosions et d'affrontements violents. En vérité, l'équipage de Brom constituait le principal rempart actuel face aux arrivages de pirates venus se régaler des restes de l'île de l'horloge. Ce qui expliquait la tolérance des habitants pourtant échaudés, qui ne pouvaient pas ne pas se fier aux rares phénomènes qui avaient pris leur défense depuis suffisamment longtemps pour qu'ils n'aient plus qu'un front sur lequel lutter.
Pas davantage, tandis que le rythme tribal des bongos d'Edwin s'élevait et gagnait en force, il ne remarqua à quel point ses anciens compagnons semblaient avoir vieilli. Olaf, surtout, était désormais balafré, et son front était soucieux. Ils ne le montraient pas, trop heureux de recevoir un témoignage d'un passé où ils étaient certes moins actifs et moins fiers de leur sueur trop peu versée, mais largement plus insouciants.
-Eh, ben ! Pour sûr, je vois qu'on ne s'emmerde pas, mes amis !
Alors, Sören avait été éloigné du groupe par d'étranges rumeurs, des échos qu'il était allé chercher de son côté autour des comptoirs et dans les bruits étouffés qui remontaient des ruelles. Son allure bonhomme, encore plus passe-partout qu'autrefois depuis qu'Uriko le contraignait à conserver une propreté irréprochable, écartait naturellement de lui les soupçons, et son mutisme de circonstance le servait comme un intermédiaire fidèle. Il devait retrouver la Team pour présenter son rapport ; mais au lieu de cela, il était parti à l'autre bout de l'île, Raspoutine invisible le suivant de loin, et Morgan sur l'épaule.
La raison d'une décision aussi soudaine, c'est qu'il avait eu vent d'événements qui ne concernaient pas les autres ; ou plutôt, qui le concernaient lui, et desquels il valait mieux que James ne soit pas informé. Sören ne connaissait que trop bien le tempérament tranché et sans compromis de ce qui lui servait officiellement, du moins de capitaine. Plusieurs fois déjà, il avait eu vent des agissements de ses vieux amis d'enfance sur les Blues, puis sur Grand Line. Jamais d'actes qui contrevenaient à la morale élémentaire qui était celle de leur chef ; pas de pillages, pas de meurtres de civils sans défense, peu d'actes réellement violents. Mais des entreprises résolument anarchistes et anti-armée / police / autorité en tout genre, des viols en pagailles dès lors qu'il ne s'agissait non pas de jeunes filles mais de toutes les conventions établies, des piratages sauvages de Denden caméra destinés à inciter le bon peuple à « foutre la ouache le plus possible et vivre en paix au final »... bref. Largement de quoi récuser toute appartenance à un groupement plus vaste tout en justifiant l'apposition de primes conséquentes.
Ces primes, Sören les avait gardées dans sa chemise, en sûreté. Et les histoires qui y étaient associées, il s'était bien gardé de les communiquer à ses compagnons.
Surtout depuis qu'il savait qu'Edwin, Olaf, Serena et Brom étaient sur l'île de l'horloge ; et qu'ils représentaient un soutien efficace contre la piraterie locale qui profitait des circonstances pour harceler le bon peuple.
-Eh, là. Où est-ce que vous pensez aller comme ça, l'ami ?
-Hein ? Oh, ben, par là.
-C'est dangereux.
-J'sais, on m'a dit.
-Non, mais c'est... pardon ? Vous y allez quand même ?
-On dirait, on dirait.
-Oh.
Le chemin qu'il suivait s'apparentait plus à une agglomération de rochers en bordure de ville à demi reconstruite qu'à autre chose. Tout au bout, il y avait encore quelques maisons de chaume, sans doute une sorte de petite dépendance portuaire plus au moins demeurée intacte. Et accessoirement, un point d'encrage idéal pour prendre l'horloge devenue citadelle de fortune à revers.
A la maison qu'on lui avait indiqué, il frappa trois fois.
-Attend, j'y vais. Si c'est encore un colporteur, je me le fais.
-Mon amour, reste tranquille.
-Je... bon.
-C'est pour... oh, bonté divine !
-Salut Olaf !
Oubliant toutes ses appréhensions, il riait comme un enfant en bondissant sur ses anciens compagnons qu'il serra l'un après l'autre entre ses bras. Sans doute touché dans son petit cœur de chat mais néanmoins prudent, Morgan descendit de son épaule pour aller trouver refuge sur le buffet qui constituait, avec une table en bois brut et mal raboté, l'unique mobilier de la pièce.
-Brom est pas avec vous ?
-Foutu môme ! Il vient de nous retrouver et c'est après un autre qu'il demande !
-Edwin a raison, Sören. Brom est parti chercher à manger, c'est toute une mission ici... tu as tout le temps de nous raconter ce que tu es devenu pendant tout ce temps.
-Bien parlé !
-C'est que, j'suis plus curieux de savoir c'que vous êtes devenus, vous...
-Me pousse pas au vice, honneur à la jeunesse !
-Ahah, bon.
De sa voix la plus tranquille, il commença son récit ; ses débuts laborieux en temps que chasseur de primes, l'éthique drastique qu'il s'imposait avec la part de misère qu'elle comportait, son besoin d'aller toujours chercher plus, plus loin, ailleurs, autre part ; ses moments de nihilisme et de joie dans les ruelles sales des Blues, lors de son grand voyage ; les spectacles avec les chats ; puis la catastrophe de Goa, dont il ne chercha pas à dissimuler le moindre détail. Puis enfin, la Team Rocket, les nouvelles perspectives qu'elle lui avait ouvertes.
Lorsqu'il se tut, il se sentit plus serein qu'il ne l'avait été depuis son départ d'Innocent Island.
-J'suis venu en éclaireur pour vous prévenir, aussi. Mon équipage, y'a pas que des flèches dedans, et j'suis pas sûr d'pouvoir gérer les débordements si ça apprend que des grosses primes comme vous sont dans la zone.
-Qu'on capte. Mais qu'on est peut-être bien plus forts que vous tous réunis.
-Mon amour, il cherche à éviter le conflit.
-Oh ! Oui.
-Je dis, on a déjà trop causé sans attendre Brom. Et t'es pas là pour longtemps, la jeunesse. Tu sais toujours jouer ?
-Ouais, que j'sais. Mais dis, Verbe Juste, c'est que t'aurais perdu ta langue ?
-Plains toi. Aller !
Ils avaient tous pris leurs instruments. La journée était paisible, et ce fut tout juste si Sören s'aperçut du fait que les murs comportaient des cicatrices profondes, traces d'explosions et d'affrontements violents. En vérité, l'équipage de Brom constituait le principal rempart actuel face aux arrivages de pirates venus se régaler des restes de l'île de l'horloge. Ce qui expliquait la tolérance des habitants pourtant échaudés, qui ne pouvaient pas ne pas se fier aux rares phénomènes qui avaient pris leur défense depuis suffisamment longtemps pour qu'ils n'aient plus qu'un front sur lequel lutter.
Pas davantage, tandis que le rythme tribal des bongos d'Edwin s'élevait et gagnait en force, il ne remarqua à quel point ses anciens compagnons semblaient avoir vieilli. Olaf, surtout, était désormais balafré, et son front était soucieux. Ils ne le montraient pas, trop heureux de recevoir un témoignage d'un passé où ils étaient certes moins actifs et moins fiers de leur sueur trop peu versée, mais largement plus insouciants.
-Eh, ben ! Pour sûr, je vois qu'on ne s'emmerde pas, mes amis !