Une.
Deux.
Cinq.
Dix.
Vingt.
Tour à tour, chacun de mes appendices se déploie sur le sable. Ces serpents de métal commencent à s’agiter, se tordent et se dressent au fil de mon attention. J’en cherche le contrôle, qui n’est pas évident. Mais à nouveau, je souris. Bienvenue dans ma toile, un ensemble de chaînes que j’érige sur un seul coup de tête. Progressivement, mes câbles d’acier se soulèvent dans les airs, façonnant un espace interdit dont je suis le noyau.
Le bretteur n’avance pas. Le spectacle se fait seul, et le public adore. En son for intérieur, lui-même apprécie la surprise. Il n’attendait pas ça.
La clameur du public se relève, les décibels explosent. Même au plus fort d’une parade militaire, je n’ai jamais vu ça. Rarement, du moins. En plein cœur de la scène, je ne suis plus honnête.
Cette fois, j’avance vers mon Figurant. Vingt tentacules d’aciers face à une pauvre épée. Le combattant se recule et orbite, est en défaut d’options. Je rétracte mes liens, pour lui laisser du leste. Allez savoir pourquoi, je préfère réagir plutôt que d'attaquer.
Enfin, il s’élance en avant.
Pénètre ma zone, et tend ses bras vers moi.
Mes serpents se redressent, tous l’entourent et l’enlacent.
D’un bond, il s’élance dans les airs. Pas un peu, non. Haut. Quelque chose d’incroyable. Quatre, peut être cinq mètres. Ou encore plus. Et toujours bien vers moi.
Quatre câbles l’encerclent, mais sans le moindre effet. Son élan est trop fort, sa trajectoire ne change pas. Il va me tomber dessus.
Sous la surprise, je lève un bras et y apprête mon dial. Mais me retiens de faire feu.
Si je tire, il meurt. Ou peut. Ou presque. Je ne le ferai pas.
Je recule sans rien faire, mais il est déjà là, et s’écrase contre moi. Le choc nous envoie à terre, sans que je ne puisse m'en remettre. Je me débat en vain. Quelques chaînes d’acier s’en mêlent, mais ne parviennent à rien de plus.
J’ai pratiquement perdu. Déjà?
Son sabre se lève. Il s’apprête à frapper. Et fait mine d’être retenu, malgré tout cela. Il fait semblant d’être en difficulté.
De plus en plus de mes liens s’enroulent contre ses bras. Je pense bien qu’il simule, mais suis moi-même dans le doute. C’est un Figurant. Il ne devrait pas gagner, mais avec ce qu’il vient de faire…
Si je trichais un peu, je saurais que lui-même s’injurie copieusement en cet instant. Mais il n’a pas le choix : le spectacle doit continuer.
Pourtant, je perds bien dix secondes à ne rien faire. Et finalement, je trouve une solution. Encore mes dials. J’ai complètement oublié mes dials. Une belle preuve d’idiotie ; je réagis sans attendre.
Tendant les bras vers lui, je presse mes coquillages.
Il ne s’agit pas de feu, cette fois. Mais de la fumée.
Une large gangue de vapeur noire nous enveloppe, et nous dissimule à la vue de tous. Là haut, on ne comprend plus rien. Pour nous, c’est une bouffée d’oxygène. Sans un mot, mon adversaire me redresse par la force, et s’écrase sur le sol. Nous sommes à l’air libre, et mes fumées s’éparpillent rapidement. Moins de dix secondes plus tard, nous redevenons discernables. Le public peut maintenant voir ma sombre figure empâtée, et la carcasse complètement cerclée d’acier du Figurant qui ne fait plus un geste.
Et là, je ne ris plus du tout. Je fais la grimace, j’ai un sourire coincé.
Dans les gradins, personne ne lâche un mot. Alors je lève le bras et en libère un vaste geyser de flammes, pour les inviter à célébrer ma victoire. Les cors de l’arène se joignent à moi, et seulement alors, tous s’y prêtent de bon cœur. Une bonne chose que les effets spéciaux soient aussi efficaces.
Mais même ainsi, mon malaise ne cesse pas. Tout a bien failli déraper. Il faut se rendre à l’évidence. Il s’est complètement laissé faire.
Et je lui dis merci.