C’était une taverne comme les autres, sur une petite île agraire, forte de plusieurs milliers d’âmes disséminées entre quelques bourgades indépendantes. Une multitude de hameaux isolés parmi les champs, et quelques imposantes localités qui faisaient office de relais portuaires entre cette île et le reste du monde. Le genre de lieu on ne peut plus tranquille : ici, les pirates avaient bien plus intérêt à acheter des vivres à un prix raisonnable plutôt qu’à saccager les lieux et se priver définitivement d’une retraite où se ressourcer en cas de coup dur. L’île d’Egranard était un point de chute incontournable, mentionné dans tous les guides pour pirates débutant dans cette frange de North Blue.
Le nom d’Egranard faisait écho aussi bien dans les références des pirates des mers du Nord que dans les mémoires de ceux qui voyageaient sur les mers équatoriales. Pour certains, c’était un petit coin qui leur avait servi d’escale à une ou deux reprises ; pour d’autres, Egranard était l’un des meilleurs endroits à connaitre et à conseiller pour quiconque cherchait à se lancer sur la route de la piraterie.
Les forbans qui s’arrêtaient là, peu importe qu’ils soient seuls ou en bande, se faisaient systématiquement passer pour de simples voyageurs anonymes pour ne pas attirer l’attention des maigres forces de la milice locale. Et dans l’absolu, c’était bel et bien ce qu’ils étaient : des disparus, qui avaient abandonné leur existence antérieure pour se faire un avenir dans la piraterie, sans pour autant avoir déjà réussi à percer et à se faire un nom. Personne ne faisait attention à eux, car ils n’étaient qu’une multitude de menaces potentielles dans un monde déjà submergé de dangereux personnages bien réels. Egranard, au contraire, était un havre pour pirates de la dernière heure.
Car c’était bel et bien ça : quand on n’avait pas de nom, on était anonyme. Et cette position apportait elle aussi son lot d’avantages.
A l’inverse et en conséquence, ne plus avoir droit d’asile sur Egranard devenait pratiquement une étape et un prérequis sur la voie de la grandeur ; une fois dans le viseur des institutions militaires, les malfrats en devenir abandonnaient l’île pour la dernière fois avec un sentiment de fierté et d’accomplissement, accompagnés par un délicat cocktail d’encouragements et de jalousies véhiculés par leurs pairs.
Tout ça tandis que les paysans leur faisaient leurs adieux, laissant ces anciens clients devenir les nouveaux forbans de demain.
On savait, par exemple, de manière avérée, que plusieurs capitaines pirates avaient décidé de placer Egranard sous leur protection personnelle. En conséquence, l’endroit était virtuellement une zone imprenable. Et transgresser cette règle, c’était s’exposer au courroux de plusieurs grands noms de ce monde : on avait déjà vu des lieutenants du seigneur d’Ivoire parler avec nostalgie de cette île, et de l’aide qu’ils avaient pu y trouver à leurs débuts.
Mais aujourd’hui, ça n’était pas un groupement de pirates qui retiendrait l’attention des curieux. C’était une toute autre bande de criminels qui allait prendre le risque d’attirer l’attention sur leur présence, et leurs activités. Des révolutionnaires.
A première vue, ils avaient établi le cœur de leur activité au sein d’une taverne parfaitement normale. La nourriture était bonne, et les boissons bon marché suffisaient à faire revenir les clients. L’établissement appartenait à Billy Hunter, un grand barbu sans histoire, qui s’était réconcilié avec la terre ferme et fait une croix sur la vie de marin pour fonder une famille. Il ne lui restait guère plus qu’à trouver quelqu’un, cela dit. Mais il n’était pas seul pour autant : toutes les semaines, ils étaient une bonne dizaine à se réunir au quotidien pour discuter de certaines affaires très privées.
Le train de vie gratuit que menaient les agents de la révolution ne sortait pas de nulle part ; c’était grâce à une armée de travailleurs tels que Billy Hunter que ces hors la loi pouvaient subsister discrètement sur les bleues. Nourrir ces bouches, contribuer à les équiper, prendre le temps de les assister constituaient autant d’innombrables sacrifices qu’ils encaissaient au jour le jour, depuis des années. C‘était une chose, d’être un riche seigneur et de devoir faire preuve de discrétion sous peine de mettre sa position en danger pour venir en aide à un officiel de la cause du dragon. C’en était une autre de peiner quotidiennement à joindre les deux bouts, et de rester au service d’une véritable armée de criminels itinérants qui ne faisaient pas toujours grand cas de leurs hôtes.
Billy Hunter était l’un des piliers de la petite cellule d’Egrenard. C’était chez lui que les partisans se rassemblaient tardivement, dans un salon privé, chez lui que les agents de passage savaient qu’ils devaient se rendre, lorsqu’on les envoyait ici et qu’ils débarqueraient, complètement perdus.
Mais sa situation n’était pas désagréable. Il avait de la chance, il gagnait bien sa vie. S’il était resté indépendant, il serait devenu riche. Mais tant pis. Être au cœur du réseau remplissait bien sa vie, et il ne regrettait en rien son affiliation. Billy occupait un poste indispensable, quand bien même lui n’était pas irremplaçable. Et puis, il était bien protégé. On prenait soin de ne lui faire courir aucun risque, et on assurait ses arrières. C’était suffisant. Il n’avait encore jamais vu aucun de ses invités partager avec lui les fruits de leurs gains, cela dit.
Mais qu’importe. Aujourd’hui, en ce début de soirée, il avait fort à faire. Une équipe de trois agents résidaient dans son sous sol, et sa taverne faisait quasiment salle comble. Plusieurs marins et quelques bandes de jeunes traînaient à l’extérieur, des verres à la main, le tout régulièrement réapprovisionné par un serveur qui ne savait plus où donner de la tête.
Et c’est au sein de cette salle que tout commença. En plein cœur de la taverne, sur une petite table bien fournie, là où un foie de porc braisé côtoyait nonchalamment une soupe de poisson aux épices.
Et de part et d’autre de ces plats, il y avait…
Le nom d’Egranard faisait écho aussi bien dans les références des pirates des mers du Nord que dans les mémoires de ceux qui voyageaient sur les mers équatoriales. Pour certains, c’était un petit coin qui leur avait servi d’escale à une ou deux reprises ; pour d’autres, Egranard était l’un des meilleurs endroits à connaitre et à conseiller pour quiconque cherchait à se lancer sur la route de la piraterie.
Les forbans qui s’arrêtaient là, peu importe qu’ils soient seuls ou en bande, se faisaient systématiquement passer pour de simples voyageurs anonymes pour ne pas attirer l’attention des maigres forces de la milice locale. Et dans l’absolu, c’était bel et bien ce qu’ils étaient : des disparus, qui avaient abandonné leur existence antérieure pour se faire un avenir dans la piraterie, sans pour autant avoir déjà réussi à percer et à se faire un nom. Personne ne faisait attention à eux, car ils n’étaient qu’une multitude de menaces potentielles dans un monde déjà submergé de dangereux personnages bien réels. Egranard, au contraire, était un havre pour pirates de la dernière heure.
Car c’était bel et bien ça : quand on n’avait pas de nom, on était anonyme. Et cette position apportait elle aussi son lot d’avantages.
A l’inverse et en conséquence, ne plus avoir droit d’asile sur Egranard devenait pratiquement une étape et un prérequis sur la voie de la grandeur ; une fois dans le viseur des institutions militaires, les malfrats en devenir abandonnaient l’île pour la dernière fois avec un sentiment de fierté et d’accomplissement, accompagnés par un délicat cocktail d’encouragements et de jalousies véhiculés par leurs pairs.
Tout ça tandis que les paysans leur faisaient leurs adieux, laissant ces anciens clients devenir les nouveaux forbans de demain.
On savait, par exemple, de manière avérée, que plusieurs capitaines pirates avaient décidé de placer Egranard sous leur protection personnelle. En conséquence, l’endroit était virtuellement une zone imprenable. Et transgresser cette règle, c’était s’exposer au courroux de plusieurs grands noms de ce monde : on avait déjà vu des lieutenants du seigneur d’Ivoire parler avec nostalgie de cette île, et de l’aide qu’ils avaient pu y trouver à leurs débuts.
Mais aujourd’hui, ça n’était pas un groupement de pirates qui retiendrait l’attention des curieux. C’était une toute autre bande de criminels qui allait prendre le risque d’attirer l’attention sur leur présence, et leurs activités. Des révolutionnaires.
A première vue, ils avaient établi le cœur de leur activité au sein d’une taverne parfaitement normale. La nourriture était bonne, et les boissons bon marché suffisaient à faire revenir les clients. L’établissement appartenait à Billy Hunter, un grand barbu sans histoire, qui s’était réconcilié avec la terre ferme et fait une croix sur la vie de marin pour fonder une famille. Il ne lui restait guère plus qu’à trouver quelqu’un, cela dit. Mais il n’était pas seul pour autant : toutes les semaines, ils étaient une bonne dizaine à se réunir au quotidien pour discuter de certaines affaires très privées.
Le train de vie gratuit que menaient les agents de la révolution ne sortait pas de nulle part ; c’était grâce à une armée de travailleurs tels que Billy Hunter que ces hors la loi pouvaient subsister discrètement sur les bleues. Nourrir ces bouches, contribuer à les équiper, prendre le temps de les assister constituaient autant d’innombrables sacrifices qu’ils encaissaient au jour le jour, depuis des années. C‘était une chose, d’être un riche seigneur et de devoir faire preuve de discrétion sous peine de mettre sa position en danger pour venir en aide à un officiel de la cause du dragon. C’en était une autre de peiner quotidiennement à joindre les deux bouts, et de rester au service d’une véritable armée de criminels itinérants qui ne faisaient pas toujours grand cas de leurs hôtes.
Billy Hunter était l’un des piliers de la petite cellule d’Egrenard. C’était chez lui que les partisans se rassemblaient tardivement, dans un salon privé, chez lui que les agents de passage savaient qu’ils devaient se rendre, lorsqu’on les envoyait ici et qu’ils débarqueraient, complètement perdus.
Mais sa situation n’était pas désagréable. Il avait de la chance, il gagnait bien sa vie. S’il était resté indépendant, il serait devenu riche. Mais tant pis. Être au cœur du réseau remplissait bien sa vie, et il ne regrettait en rien son affiliation. Billy occupait un poste indispensable, quand bien même lui n’était pas irremplaçable. Et puis, il était bien protégé. On prenait soin de ne lui faire courir aucun risque, et on assurait ses arrières. C’était suffisant. Il n’avait encore jamais vu aucun de ses invités partager avec lui les fruits de leurs gains, cela dit.
Mais qu’importe. Aujourd’hui, en ce début de soirée, il avait fort à faire. Une équipe de trois agents résidaient dans son sous sol, et sa taverne faisait quasiment salle comble. Plusieurs marins et quelques bandes de jeunes traînaient à l’extérieur, des verres à la main, le tout régulièrement réapprovisionné par un serveur qui ne savait plus où donner de la tête.
Et c’est au sein de cette salle que tout commença. En plein cœur de la taverne, sur une petite table bien fournie, là où un foie de porc braisé côtoyait nonchalamment une soupe de poisson aux épices.
Et de part et d’autre de ces plats, il y avait…