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C’était une taverne comme les autres, sur une petite île agraire, forte de plusieurs milliers d’âmes disséminées entre quelques bourgades indépendantes. Une multitude de hameaux isolés parmi les champs, et quelques imposantes localités qui faisaient office de relais portuaires entre cette île et le reste du monde. Le genre de lieu on ne peut plus tranquille : ici, les pirates avaient bien plus intérêt à acheter des vivres à un prix raisonnable plutôt qu’à saccager les lieux et se priver définitivement d’une retraite où se ressourcer en cas de coup dur. L’île d’Egranard était un point de chute incontournable, mentionné dans tous les guides pour pirates débutant dans cette frange de North Blue.

Le nom d’Egranard faisait écho aussi bien dans les références des pirates des mers du Nord que dans les mémoires de ceux qui voyageaient sur les mers équatoriales. Pour certains, c’était un petit coin qui leur avait servi d’escale à une ou deux reprises ; pour d’autres, Egranard était l’un des meilleurs endroits à connaitre et à conseiller pour quiconque cherchait à se lancer sur la route de la piraterie.

Les forbans qui s’arrêtaient là, peu importe qu’ils soient seuls ou en bande, se faisaient systématiquement passer pour de simples voyageurs anonymes pour ne pas attirer l’attention des maigres forces de la milice locale. Et dans l’absolu, c’était bel et bien ce qu’ils étaient : des disparus, qui avaient abandonné leur existence antérieure pour se faire un avenir dans la piraterie, sans pour autant avoir déjà réussi à percer et à se faire un nom. Personne ne faisait attention à eux, car ils n’étaient qu’une multitude de menaces potentielles dans un monde déjà submergé de dangereux personnages bien réels. Egranard, au contraire, était un havre pour pirates de la dernière heure.

Car c’était bel et bien ça : quand on n’avait pas de nom, on était anonyme. Et cette position apportait elle aussi son lot d’avantages.

A l’inverse et en conséquence, ne plus avoir droit d’asile sur Egranard devenait pratiquement une étape et un prérequis sur la voie de la grandeur ; une fois dans le viseur des institutions militaires, les malfrats en devenir abandonnaient l’île pour la dernière fois avec un sentiment de fierté et d’accomplissement, accompagnés par un délicat cocktail d’encouragements et de jalousies véhiculés par leurs pairs.

Tout ça tandis que les paysans leur faisaient leurs adieux, laissant ces anciens clients devenir les nouveaux forbans de demain.

On savait, par exemple, de manière avérée, que plusieurs capitaines pirates avaient décidé de placer Egranard sous leur protection personnelle. En conséquence, l’endroit était virtuellement une zone imprenable. Et transgresser cette règle, c’était s’exposer au courroux de plusieurs grands noms de ce monde : on avait déjà vu des lieutenants du seigneur d’Ivoire parler avec nostalgie de cette île, et de l’aide qu’ils avaient pu y trouver à leurs débuts.

Mais aujourd’hui, ça n’était pas un groupement de pirates qui retiendrait l’attention des curieux. C’était une toute autre bande de criminels qui allait prendre le risque d’attirer l’attention sur leur présence, et leurs activités. Des révolutionnaires.

A première vue, ils avaient établi le cœur de leur activité au sein d’une taverne parfaitement normale. La nourriture était bonne, et les boissons bon marché suffisaient à faire revenir les clients. L’établissement appartenait à Billy Hunter, un grand barbu sans histoire, qui s’était réconcilié avec la terre ferme et fait une croix sur la vie de marin pour fonder une famille. Il ne lui restait guère plus qu’à trouver quelqu’un, cela dit. Mais il n’était pas seul pour autant : toutes les semaines, ils étaient une bonne dizaine à se réunir au quotidien pour discuter de certaines affaires très privées.

Le train de vie gratuit que menaient les agents de la révolution ne sortait pas de nulle part ; c’était grâce à une armée de travailleurs tels que Billy Hunter que ces hors la loi pouvaient subsister discrètement sur les bleues. Nourrir ces bouches, contribuer à les équiper, prendre le temps de les assister constituaient autant d’innombrables sacrifices qu’ils encaissaient au jour le jour, depuis des années. C‘était une chose, d’être un riche seigneur et de devoir faire preuve de discrétion sous peine de mettre sa position en danger pour venir en aide à un officiel de la cause du dragon. C’en était une autre de peiner quotidiennement à joindre les deux bouts, et de rester au service d’une véritable armée de criminels itinérants qui ne faisaient pas toujours grand cas de leurs hôtes.

Billy Hunter était l’un des piliers de la petite cellule d’Egrenard. C’était chez lui que les partisans se rassemblaient tardivement, dans un salon privé, chez lui que les agents de passage savaient qu’ils devaient se rendre, lorsqu’on les envoyait ici et qu’ils débarqueraient, complètement perdus.

Mais sa situation n’était pas désagréable. Il avait de la chance, il gagnait bien sa vie. S’il était resté indépendant, il serait devenu riche. Mais tant pis. Être au cœur du réseau remplissait bien sa vie, et il ne regrettait en rien son affiliation. Billy occupait un poste indispensable, quand bien même lui n’était pas irremplaçable. Et puis, il était bien protégé. On prenait soin de ne lui faire courir aucun risque, et on assurait ses arrières. C’était suffisant. Il n’avait encore jamais vu aucun de ses invités partager avec lui les fruits de leurs gains, cela dit.

Mais qu’importe. Aujourd’hui, en ce début de soirée, il avait fort à faire. Une équipe de trois agents résidaient dans son sous sol, et sa taverne faisait quasiment salle comble. Plusieurs marins et quelques bandes de jeunes traînaient à l’extérieur, des verres à la main, le tout régulièrement réapprovisionné par un serveur qui ne savait plus où donner de la tête.

Et c’est au sein de cette salle que tout commença. En plein cœur de la taverne, sur une petite table bien fournie, là où un foie de porc braisé côtoyait nonchalamment une soupe de poisson aux épices.
Et de part et d’autre de ces plats, il y avait…
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Tout avait commencé il y a cinq semaines, lorsque Santa Klaus et l’une de ses partenaires commerciales, une plantureuse trentenaire dénommée Belle Huaire, s’étaient entretenus au cours d’un diner de bon goût, en tête à tête. Le repas avait suscité quelques interrogations chez les plus indiscrets de l’ordre des Chevaliers, certains ayant poussé la plaisanterie jusqu’à suggérer d’emporter quelques chandelles, mais le vénérable bienfaiteur qu’était le grisonnant Santa Klaus leur en avaient fait un compte-rendu on ne peut plus professionnel. Belle Huaire était une armatrice de North Blue, basée sur l’île d’Egrenard, doublée d’une affréteuse dont les employés acheminaient environ un tiers des cargaisons de l’île jusqu’à leurs destinations. Mais ses navires remplissaient également leurs cales avec des denrées extérieures, telles que les produits de la Santagricole. Et c’est dans le cadre de ce partenariat économique que le bienveillant quarantenaire avait dépêché deux de ses spécialistes sur Egrenard.

Le premier, Sigurd Dogaku, avait reçu pour tâche d’évaluer la performance des opérationnels du moment, et de superviser la mise en place de toutes les améliorations qu’il pourrait suggérer. Il était peut être jeune, mais son parcours tant civil que militaire l’avait obligé à apprendre vite, et bien assez pour ceci. Il évoluait entièrement dans son domaine, venait tout juste d’assimiler les procédures bien huilées en vigueur dans la Santagricole, et s’était même surpris à prodiguer des conseils à ses ainés, tout en apprenant d’eux dans la foulée.
La seconde, Evangeline Haylor, se chargeait pour sa part d’optimiser tout ce qui relevait des domaines administratifs, financiers et fiscaux. Une lourde tâche dont l’on passera les détails, quand bien même son travail serait au cœur de l’affaire du moment. Car il s’agissait d’un travail conséquent, un échafaudage de talent et d’énergie qui engloutissait ses journées à force de rendez-vous et de feuillets noircis en quantités impensables.

Tout ce travail supposait une présence régulière, à défaut de permanente, des deux Chevaliers de Nowel. D’entrée de jeu, le duo avait souhaité s’installer dans l’une des auberges les moins éloignées du port, sans pour autant sacrifier sur leur confort. Et bien rapidement, c’était à l’étage de la taverne de Billy Hunter qu’ils avaient décidé d’élire résidence. L’endroit était propre, la nourriture on ne peut plus correcte, et les chambres bien souvent inoccupées leur permettaient de s’étaler tout à leur aise : il y eu quelques occasions où tous deux pouvaient librement occuper deux chambres chacun, et s’en servir en guise de bureau ou d’atelier à leur bon vouloir.

Au terme d’une simple journée en tous points comme les autres, les deux collègues et amis étaient tranquillement en train de souper. Tout ça jusqu’à ce qu’un homme encapuchonné descende de l’étage, où se trouvaient les chambres à coucher, et pointe un index accusateur en direction de leur table.

De la jeune femme, pour être plus précis.

-HAHA ! VOUS ETES UNE ESPIONNE !
-… ?
-JE VIENS DE VOIR DEUX DOSSIERS INTITULES CP1 ET CP2 SUR VOTRE BUREAU ! VOUS ETES UNE ESPIONNE, MADAME !
-Je ne pense pas que vous ayez…
-ON NE ME LA FAIT PAS A MOI ! JE SUIS DANS LES RENSEIGNEMENTS DE LA REVOLUTION DEPUIS DES ANNEES ET DES ANNEES !
-Vous êtes… révolutionnaire ?
-ET VOUS CONNAISSEZ DEJA L’UN DE MES SECRETS LES MIEUX GARDES ! VOUS ÊTES UNE FOUINEUSE ! UNE ESPIONNE DU CP, JE VOUS DIS !
-Monsieur…
-EH, LES GARS ! C’EST UNE CP ! CHOPPEZ LA, ET FAITES GAFFE, ELLE A SUREMENT LE ROKUSHIKI !

Une pure folie. En un instant, une bonne dizaine de personnes se levèrent toutes ensemble. Haylor eut à peine le temps de les apercevoir sans comprendre que déjà, Sigurd l’avait attrapée par le flanc, puis l’épaule, puis le poignet pour la tirer dans sa direction. Un homme s’était levé, et l’attrapa à la gorge ; le blondinet réagit instantanément, lui tordant les auriculaires pour que l’autre abandonne derechef. Maladroitement, Dogaku attrapa son bol de soupe et l’écrasa sur le visage de l’inconnu, qui bascula en arrière en hurlant.

Le duo ne s’éternisa pas. Il fallait fuir, et en vitesse ; c’était en tout cas ce dont il était convaincu en voyant tous ces individus indubitablement hostiles converger droit vers eux. Le jeune homme progressait à grands pas, courant presque, mais pas encore compte tenu de la foule. D’expérience, il savait que plus il marcherait vite, plus les gens sur son chemin prendraient soin de s’éloigner, quand bien même lui n’en imposait pas par son physique. Et ce fut le cas. Malheureusement, il en allait de même pour les étranges individus qui les poursuivaient. Et parmi eux, il y en avait bien quelques-uns qui relevaient de l’armoire à glace intimidante. Des hommes et des femmes, à l’allure austère et rapiécée, tous éprouvés par les épreuves et leurs difficultés. Dans n’importe quelle taverne, ils seraient passés pour des marins usés par le sel, la mer et le soleil. Mais leurs allures et leurs regards trahissaient une froideur et une habitude toute particulière : ces gens savaient se battre et tuer, autant que nécessaire.

Evangeline ne comprenait pas. La scène lui semblait complètement irréelle. Arrivée dehors, elle commença à prendre peur, et à passer au pas de course, mais l’autre l’en empêcha. Sigurd lui adressa la parole, sans qu’elle ne comprenne vraiment à quoi il voulait en venir. Alors, il l’attrapa par les épaules, et la remua brutalement en lui criant dessus.

-HAYLOR. VOS COQUILLAGES. C’EST LE MOMENT DE JOUER A LA SORCIERE. FOUTEZ-MOI LE FEU À CETTE PORTE.
-Ah…

Elle s’exécuta maladroitement, un peu perdue, mais parfaitement réactive maintenant que la panique était là pour l’animer. D’un simple mouvement de bras, Haylor relâcha un généreux jet de flammes sur la façade du bâtiment. Avant de faire volte face et de s’élancer vers la ville, entraînée par son compagnon vers dieu sait où.
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Ils étaient à l’abri… probablement. Malgré l’incendie qu’Haylor avait laissé, le duo avait été pris en chasse par deux personnes dans les rues de la ville. Heureusement, l’avance qu’avait pu prendre nos deux civils leur avait assuré de pouvoir s’en tirer : il leur avait suffit de quelques intersections pour se soustraire à leurs poursuivants. Malgré cela, ils avaient couru de toutes leurs forces jusqu’en lisière de la ville, et s’étaient engagés bien au-delà de tout, dans les champs. Et pour cause. Les deux individus qui avaient voulu les rattraper avaient chacun une arme à la main. Et qu’il s’agisse d’une dague ou d’un pistolet, ni l’un ni l’autre n’avait la moindre envie de finir comme ça.

Ils avaient des tueurs aux trousses. Une pure folie, répéta Haylor, paniquée.

Pour l’heure, ils étaient bien au calme, et probablement à l’abri. La nuit n’allait plus tarder à tomber, et Haylor et Dogaku étaient là, respectivement assise et allongé, au beau milieu d’un champ de tournesols tout en fleurs qui les dissimulaient parfaitement. Mais il ne valait mieux pour eux ne pas rester là. Tout en s’efforçant de reprendre son souffle, car il venait de cavaler comme jamais, Sigurd réfléchit à la meilleure marche à suivre. Ils pourraient se présenter à la compagnie de Belle Huaire, ou encore au poste de milice locale… et avaient de bonnes chances de le faire. Certes, il y avait toujours le risque qu’ils se fassent intercepter en cours de route, mais le scénario lui semblait peu probable. Restait la possibilité de traverser l’île à pied pour rejoindre un des deux autres ports, mais l’affaire leur prendrait plusieurs jours, et ils n’avaient rien sur eux. Presque rien, du moins. Non, ils devaient rester ici. S’ils faisaient preuve de prudence, ce ne serait plus qu’une question de malchance. Tout devrait bien se passer, à priori.

Et c’est sur cette pensée qu’il trouvait rassurante que Dogaku prit soudain la parole, d’assez bonne humeur.

-Aaaaw. On était trop peinards, tiens. Drôle de bordel, franchement. Pourquoi on a toujours des trucs de genre ? Dîtes, Haylor, vous êtes vraiment une espionne ?
-…
-‘Ttendez, nan, j’veux pas le savoir. Vous devrez me tuer si je connais la réponse, et je tiens pas à finir carbonisé. Ni à mourir tout court, en fait.
-Rassurez-moi. Vous ne croyez pas vraiment ce que homme a dit sur mon compte ?
-Bah eh vous, alors. Vous croyez vraiment qu’un mec va péter les plombs subitement d’un coup et hurler à la foule de lapider des gens comme ça sans avoir de raison valable de le faire ?
-…
-Ok, question stupide. Je retire. Mais dans ce cas… naaaaan. On est là depuis trois semaines… un mois, quasiment. Qu’est ce qui s’est passé pour qu’on se bouffe un truc pareil maintenant ?
-Il a dit que j’étais… une CP.
-Ouais. Haha. Drôle d’insulte, tiens. P’il a parlé d’un autre machin. Rokutruk. Pas compris. Vous connaissez ? C’est le nom d’une filiale minière de Belle Huaire ? Y’a Rock, dedans.
-Je n’ai pas spécialement envie de rire, merci.

-Il a aussi parlé de CP1 et CP2… trouvés sur votre bureau. Vous avez travaillé sur un truc comme ça, aujourd’hui ?

Ce sur quoi elle avait… la jeune femme essaya de réfléchir. Et poussa un gémissement de douleur. La triste vérité lui sauta aux yeux, pour mieux lui glacer le sang. Avec le sentiment d’un Eureka en acier brûlant marquant sa chair au fer rouge, Evangeline comprit de quoi toute cette affaire traitait réellement. Ou cru comprendre, pour être plus précis.

-Capitaine. CP. Ce sont des COMPTES PREVISIONNELS. Ils veulent les budgets prévisionnels de Belle Huaire, ceux que j’ai récupérés des années dernières, adaptés aux procédures de la Santagricole, réitérés pour 1627, programmés en budget pour les cinq années à venir, et… oh non… oh mon dieu…
-Bah quoi ?
-Mais ce sont des informations confidentielles, voyons ! Les hypothèses de contrats, les prévisions d’activité, les engagements prononcés, les politiques de… oooh…

Un claquement sec suggéra à Sigurd que sa partenaire venait de se donner une gifle. Ou d’enfoncer son visage dans ses mains avec une violence de désespoir, ce qui revenait au même. Pour sa part, il se préoccupait surtout d’arriver en un seul morceau au relai local de la marine : un simple commissariat, qui faisait également office de poste douanier. S’ils y parvenaient, il estimerait avoir parfaitement bien réussi sa journée. A ceci près qu’il faisait nuit, bien sûr.

-Rhooo. Donc vous êtes pas une espionne venue démonter un réseau de terroristes perdus au milieu de la campagne ? Déception.
-Je suis une COMPTABLE, pas une TUEUSE des services SECRETS, merci !
-Oh, je plaisantais, merci de ne pas me hurler dessus.
-PARCE QUE VOUS TROUVEZ LE MOMENT BIEN CHOISI ? L’HEURE EST GRAVE !
-Si je dis oui, j’me fais massacrer ?
-AAAAAAAAAAARRRRRRRRRRRRRHHHHHHHH.
-Woah. Vous êtes vraiment sur les nerfs, là. Même moi, j’ai jamais réussi à vous faire hurler de rage, et… mwarharharh, j’crois bien que chuis jaloux. D’un autre coté, j’ose même pas imaginer dans quel état pourraient finir les mecs qui pourrissent volontairement vos dossiers…
-AAAAAAAAAARRRRRRRRRRRRRRRHHHHHHHH.
-Ouais, dans ce genre là… ça va être drôle à voir.

Haylor lui donna l’air d’exploser, déchaînant sa hargne et son indignation en une longue litanie incompréhensible. Elle s’exprimait si vite qu’elle en oubliait presque de respirer, et n’articulait ses mots qu’au plus strict minimum. Seules sa rancœur et son amertume étaient véhiculées correctement. A force d’éructer, pourtant, elle en arriva à quelque chose de plus censé :

-Capitaine ! Ces documents sont l’aboutissement de semaines entières de travail, et même… il est ABSOLUMENT hors de question que je les perde ! Je dois les retrouver ! Mon dieu, mes classeurs, sur les années antérieures… si nous risquons l’absence de tenue… les banques, les fournisseurs, et même les clients trouveront… non ! Non non non non non non non ! Ca n’arrivera pas ! Je vais les retrouver ! Nous allons les retrouver ! Je dois les retrouver ! Et oui, j’ai VRAIMENT besoin de vous, Capitaine ! J’ai besoin de…
-Ouhlà, ouhlà, tout doux. Moi je dis, on attend gentiment le lendemain matin, parce que l’activité criminelle frôle toujours l’inexistence entre 6 et 8 heures du mat’… même eux ils doivent dormir, hein… et seulement après…
-Non, vous ne comprenez pas. Je me tue à vous dire que…
-On. Se. Calme. Tout doux, miss.
-Mais…
-On respire. Soufflez. Làààà.
-…
-Allez. Ca va aller. Je sais bien qu’on a un beau contrat à gros millions qui est en jeu, mais si vous voulez mon avis…
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-Le soleil. Elle essaie de remonter la piste du soleil !
-Naaan. Vous êtes sûrs ?
-Une CP. Avec des documents comme ça. En territoire quasiment pirate, et qui crèche dans le bâtiment d’une cellule révolutionnaire. Faut que je te fasse un dessin, ou bien t’es juste conne ?
-Hun. Qu’est-ce que tu viens de dire ?
-Arrête, nénette. Tous les sous qu’on utilise comme ça, tu crois qu’on peut le faire librement ? Quand c’est sur le terrain, ouais. Mais pour les autres, c’est mort. Tes sous, faut les blanchir. Et cette gamine, elle a dû flairer un truc.

N’importe quel comptable vaguement compétent aurait été capable de comprendre de quoi il en retournait réellement. Mais pas ces gens. Chacun d’eux connaissait au minimum trois recettes infaillibles pour handicaper mortellement un homme. La plupart étaient particulièrement adroits dans l’utilisation d’armes de petites tailles, facilement dissimulables, ou dans le combat et le meurtre à mains nues. Quelques-uns poussaient l’originalité jusqu’à se spécialiser dans l’usage d’outils improvisées : on ne voyait que rarement quelqu’un éliminer un adversaire à l’aide d’un crayon, d’un parpaing, d’une banale chope de bière, et encore moins des maîtres dans l’usage martial du lampadaire. Et pourtant, ces personnages-là avaient conçu tout un répertoire sur ces seuls objets du quotidien.

Mais face à la toute-puissance de la comptabilité, rares étaient les hommes, fussent-ils empereurs ou amiraux, qui s’avéraient capables de décrypter le code de l’information financière. Pour le commun des mortels, cette discipline n’était qu’une avalanche de chiffres et de lettres, de lignes et de colonnes, d’une succession de tableaux agrémentés d’expressions vides de sens. Des agrégats de noir et de blanc, un échafaudage titanesque façonné à l’encre manuscrite. Ce n’était pas un sabre, ni une œuvre d’art, qui étaient tous deux le travail d’un artisan dévoué qui avait consacré et investi une part de lui-même dans sa création. C’était un recueil obscur, dépourvu de toute âme, qui n’avait pu voir le jour qu’en arrachant des heures et des heures de travail et d’énergie à la vie d’une personne. Pas un individu, aussi sensible puisse-t-il être, ne pouvait espérer naviguer dans un tel marécage de sigles et de virgules sans y être préparé.

Et les révolutionnaires rassemblés dans cette pièce se sentaient véritablement perdus. Tous étaient là, l’arme à la main, prêts à donner le coup de grâce, qui devait être la fin de tout. Mais ils ne savaient que faire face à ces innombrables ouvrages. Les documents pouvaient être dangereux, de la même manière qu’ils pouvaient être incroyablement importants. Dans un cas, il aurait fallu les détruire. Dans l’autre, les protéger au péril de leurs vies, et s’assurer qu’ils arrivent à bon port, là où dieu seul savait, jusqu’au dernier emplacement tenu secret des génies financiers de la révolution.

Et face à une telle tâche, ils se savaient diaboliquement dépassés. Leurs délibérations étaient vaines, confuses.

-Moi je dis, on brûle tout et basta.
-Non ! Il faut au moins l’amener à Luvneel. Là, quelqu’un pourra savoir quoi en faire.
-Parce qu’ici c’est le bled, et qu’on est tous des cons ? Ben voyons.
-Parce que t’es juste un putain de tavernier, Billy. La finance, tu peux pas piger.
-Au contraire, connard. Je suis le putain de tavernier qui remplit tes verres et qui tient ton ardoise. Et qu’en conséquence, je tiens un livre de comptes, abruti.
-Ouaaaais. Donc tu sais lire ça ? Tu te sens de nous expliquer de quoi ça parle ?

Le propriétaire de l’établissement resta silencieux. Son expression se déforma quelque peu, un mélange d’effort et d’agacement que sa fierté ne voulait pas trahir. Bien sûr que non, songea-t-il. Il appréhendait les bases de la technique comptable, mais était bien incapable de comprendre à quoi correspondaient les différents tableaux dont ils disposaient. Mais pour rien au monde, Billy Hunter n’aurait permis à son collègue d’élargir encore un peu plus le sourire goguenard qu’il affichait actuellement. L’autre savait qu’il avait vu juste, et adorait damner le pion de ceux qui le contredisaient.

-Ah ouais ? Et tu veux faire quoi, putain ? C’est une CP. Rokushiki. Et elle lance des putains de murs de feu. Une vraie putain de sorcière, comme a dit l’autre.
-Tu peux changer de registre, s’il te plait ?
-Bordel que non, putain.
-Pff. Je pense qu’il n’y a qu’une seule chose à faire. C’est une sorcière ? Eh bah d’accord. On part à la chasse à la sorcière. Fourches, flambeaux, bucher et tout.
-…
-…
-Tu déconnes ?
-Bien sûr, que je déconne. Mais on peut la chopper. On la capture, on la massacre pour être vraiment sûrs qu’on va pas se faire culbuter le fion sur un coup de rokushiki, on la garde, et on essaie de lui faire cracher tout ce qu’elle a à dire sur ses papiers. Dans le cas où ça marche, cool. Dans l’autre, on la massacre encore un peu pour être sûr qu’elle est calmée, puis on l’embarque jusqu’à Luvneel, avec les documents. Z’en dîtes quoi ?
-Et le blondinet ?
-Probablement un autre agent, répondit Billy Hunter. On en choppe un, ou l’autre, et on dégomme le second s’il ne se laisse pas faire… mais on l’attrape plutôt elle, je dirais. Les docs étaient éparpillés dans l’une de ses chambres, et c’est elle qui travaillait dessus depuis des jours.
-T’en es sûr ?
-Je sais ce que font mes clients chez moi, merci.
-Oooooh. Donc tu savais que t’avais des CP à l’étage pendant près d’un mois et tu nous as rien dis ?
-Très drôle, connard.
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Il faisait nuit noire, maintenant. Après sa longue journée de travail, Billy Hunter pouvait enfin se permettre souffler. La majorité de ses clients avaient fini de souper, et les quelques bandes de joyeux buveurs étaient aux bons soins de son serveur. Il pouvait tranquillement prendre le temps de s'occuper des diverses corvées qui restaient à faire.

Sortir les poubelles, par exemple.

Et c'est à cette occasion que...

-Bonsoir, Tavernier. Vous vous souvenez de moi?

Non, cette voix ne lui disait rien de particulier. Lorsqu'il se retourna, pourtant, il se prit à crier. C'était elle. La sorcière avait déjà le bras tendu vers lui, et plusieurs liens métalliques s'en échappaient, tous dardant dans sa direction. Billy Hunter ouvrit la bouche, mais trop tard: les chaînes fondirent sur lui, d'un seul coup, l'enlaçant dans un carcan froid et implacable qui lui compressa le corps. Pieds et poings liés, bâillonné et aveuglé par les anneaux d’acier, prisonnier d'une camisole de mort dont il ne pouvait s'extirper, le tavernier céda complètement à la panique. Il sentit ses liens se resserrer sur lui ; leur emprise était ferme, mais pas douloureuse. Et bien vite, d’autres liens s’ajoutèrent à sa prison. C’était plus doux, comme… du coton. Lorsqu'il chuta, son cocon de laine amortit d’ailleurs très largement le choc. Il fut même trainé au sol, pendant une bonne dizaine de minutes, et à une vitesse conséquente, sans en souffrir le moins du monde.

Il était mort de peur, cela dit. Et à juste titre.

Son calvaire dura encore un bon moment. Remué comme un pauvre sac de pierres, secoué et retourné au gré du parcours de ses tortionnaires, l’homme n’avait pas la moindre idée de ce qu’il allait advenir de lui. Une secousse plus brutale que les autres, suivie de toute une succession de craquements ininterrompue, lui indiqua qu’ils avaient quitté le décor des rues pour entrer quelque part, à l’intérieur d’une maison… ou d’un bâtiment quelconque. On le traîna de la sorte pendant encore quelque instants, en le faisant buter contre des murs, des poutres, ou des éléments de mobiliers. A deux reprises, sa ravisseuse fit chuter des objets métalliques, sans se donner la peine de s’arrêter pour autant.

Un instant plus tard, ils arrivèrent. Plus rien. Le révolutionnaire se sentit hissé de quelques mètres, progressivement et sans le moindre à coup, avec pour seule compagnie les bruits de frottement de liens qui se resserrent. Billy avait le sentiment d'être une large pièce de boucherie qu'on venait d’exposer sur une table, en vue de la découper en morceaux ou de l'harnacher à un crochet. Il avait d'ailleurs peur que ce soit le cas: les histoires que lui avaient racontées ses visiteurs clandestins dressaient un sombre portrait des agents du gouvernement. Bien assez pour le terrifier.

Et il ne voyait toujours rien, ce qui ajoutait à sa tension. De la même manière, il entendait tout ce qui avait lieu autour de lui, sans pouvoir rien faire d’autre que d’imaginer, perdu, ce qu’on lui préparait. Il entendait le grincement d’un mobilier que l’on raclait contre le sol, le bruissement de tapisseries, ou peut-être de draps, que l’on déplaçait à la hâte, et le frétillement caractéristiques de rideaux que l’on tirait sur une barre de métal. Il pouvait très distinctement suivre les déplacements de ses tortionnaires en écoutant le craquement du parquet : ils étaient deux, sans surprise, et naviguaient dans la pièce de façon désordonnée. Il le sentait bien. Son ouïe s’était affutée sous l’effet de la peur et de l’obscurité qu’on lui imposait.

Finalement, pourtant, les lianes cotonneuses qui lui enserraient le visage se délièrent, exposant à nouveau ses paupières à l’air libre. Il pu constater qu’il était dans un vieil atelier, toujours en usage, mais relégué au stockage d’outillages agricoles. Ils étaient aux alentours d’une ferme, ou non loin des champs qui clairsemaient l’île, ou quelque chose comme ça.

Face à lui se tenaient, sans surprise, ses deux anciens clients. Le blondinet et la comptable. Le premier le regardait d’un air neutre, indéchiffrable. L’autre ? Son expression était teintée de nervosité, de colère, de surprise, et…
D’amusement.

-Voyons voir… peut être comme ça ?

Lentement, la jeune femme tendit la main dans sa direction, celle d’où partaient les nombreux liens de laine et d’acier. D’un coup sec, elle tourna sa main. Une simple rotation, de gauche à droite. Et Billy H. poussa une exclamation en se sentant pivoter de la même manière, comme si on l’avait installé sur un siège gyroscopique. Son tronc pivota sur le côté, et il se retrouva rapidement les pieds en l’air, à osciller lentement, la tête comme un pendule. On ne lui posa pas davantage de questions, cette fois. Sa geôlière se contenta de le faire basculer, par à-coups, puis de plus en plus vite. Jusqu’à finalement pouffer de rire. Une expression qui agaça le pauvre Billy, déjà particulièrement à cran. Lorsqu’elle le fit pivoter pour de bon et sans discontinuer, il s’énerva pour de bon.

-Et ça vous amuse, sûrement !?
-Eh bien, je ne m’y attendais pas, mais… je trouve ça incroyablement amusant, oui. Tourne tourne tourne… hi hi hi…
-Putain, vous êtes vraiment une tarée.
-Euh, c’est vrai que c’est pas vraiment le moment, Haylor…
-Pourquoi ça ? Nous avons tout notre temps, et il l’a bien mérité.
-Ouais mais nan. Juste nan.
-Oh que si. Et je fais ce que je veux.
-Vous déconnez ? Suffit que ses potes se rendent comptent qu’il a disparu, et ils additionneront deux et deux.
-Mais ils n’auront aucun moyen de venir ici. N’est-ce pas ?
-Mmmh… correct.
-YOUHOU, JE SUIS LA, MERCI DE NE PAS M’IGNORER ! BANDE DE GROS TARES PSYCHOPATHES, ENFERS DE POURRITURES DE FUMIERS, PETES-SECS DE RONFLANTS GOUVERNEMENTAUX, RACLURES DE MERHHDOMFMFBREUFLBEUHBAHFAFARRRR !
-Ok, fit Sigurd d’un air mauvais, carte blanche pour lui pourrir la gueule autant que vous voulez. Faîtes le vomir si ça vous chante.
-A merveille. Vous voyez ?

Quelques lianes de coton supplémentaires venaient d’envelopper la bouche de leur prisonnier. Il s’enfonça encore davantage dans la masse d’acier, et fut énergiquement remué dans tous les sens pendant une bonne et longue minute.

On n’attaquait pas des civils impunément, non mais.

-Bon, trêve de plaisanteries. Où sont mes documents ? Répondez.
-…
-Je ferais ce qu’elle dit, si j’étais vous. Vraiment, hein, elle est assez tordue en ce moment. Pis elle lance aussi des boules de feu, pour info.
-…

Voyant qu’il ne coopérait pas, la sorcière tendit son autre main, paumes tendue vers le plafond. Cette fois, c’était un délicat jet de flammes qui s’en échappait. Le brasier tressaillait, lâchant quelquefois des flammèches érigées dans sa direction, et devenant plus rarement un véritable geyser de feu en miniature qui lui léchait le visage. Le regard que lui adressa Haylor lui inspirait les pires augures, et cette désagréable impression se renforça lorsqu’elle fit un pas en avant pour lui présenter ses flammes de plus près.

Il n’en fallut pas beaucoup plus pour que Billy Hunter passe directement à table.

-OUAIS OUAIS C’EST BON, DECONNEZ PAS JE DIRAIS TOUT !
-Ah, mais j’y compte bien.
-Vous pouvez retirer vos flammes, donc, indiqua Sigurd.
-Certainement pas.
-…
-C’est beaucoup mieux comme ça.
-Z’en faîtes trop, sérieux.

-Je suis plutôt d’accord avec lui, glissa le révolutionnaire.
-Non. Et vous, dîtes nous plutôt ce que vous avez fait de mes documents. Maintenant.
-C’est super méga simple, vous voyez. Gwahaha !
-Mmh ?
-Regardez juste derrière vous.

Les deux Chevaliers se retournèrent sans comprendre… pour faire face à trois invités surprises, armés de pied et cap, et passablement désobligés de toute forme de sympathie à leur égard. C’étaient des révolutionnaires de passage, qui résidaient depuis peu dans la taverne de Billy Hunter. Et qui avaient immédiatement entamé la traque une fois la disparition de leur hôte avérée.

Les regards que ces trois combattants adressaient à leurs deux ennemis suintaient d’hostilité. Ils étaient prêts à se battre, à blesser et à tuer pour accomplir leurs missions au quotidien ; ils en feraient de même pour sauver leur confrère. En témoignait l’attitude du plus proche d’entre eux, un petit brun trapu qui s’avança d’un pas, sabre en main.

-Laissez-le partir, invectiva le sabreur.
-Et si je ne veux pas ?
-Aaaaah que non, l’écoutez pas, elle accepte, on accepte, vous rangez vos armes et…

Sigurd n’eut pas le temps de finir ; déjà, un tentacule de coton siffla en direction du plus avancé des révolutionnaires, pour lui enlacer le torse. L’homme tenta de se débattre, sans succès. Un de ses compagnons s’avança, et trancha le lien d’un unique coup de son arme. C’était une hache, petite et légère, utilisée par les bucherons pour du travail d’appoint. Un outil basique, très simple à manier, mais étonnamment efficace. Une fois détaché, le morceau de tissu s’affaissa aussitôt, perdant toute vie pour redevenir un morceau de coton amorphe, flottant, semblable à un mélange de barbe à papa et de toile d’araignée. L’homme s’en extirpa sans difficulté, et marqua un autre pas en avant.

Mais Haylor n’était pas en reste : les bras tendus en avant, elle façonna quelque chose de bien plus imposant. Une vaste masse de liens enchevêtrés, hérissée d’excroissances allongées, qui enflait sans discontinuer pour faire face aux trois combattants. Ils avaient beau la fendre ou la repousser facilement avec leurs armes, l’amas de chaînes et de liens continuait de prendre de l’ampleur, et donnait l’air de refermer ses cicatrices presque instantanément. C’était comme faire face à un ballon de baudruche en étant armé d’un marteau. Une pure perte : à force de s’étendre, le tas de câbles avait fini par englober la moitié de la pièce, et repoussait déjà les trois révolutionnaires. Ceux-ci redoublèrent d’efforts, et parvinrent progressivement à gagner du terrain… jusqu’à ce que les lianes s’en prennent à eux, et s’efforcent de les entraver. Ils ne subissaient pas le moindre dommage, et s’en débarrassaient facilement. Mais l’obstacle s’avérait de plus en plus infranchissable au fur et à mesure que leurs forces s’amenuisaient : à force de se débattre, ils fatiguaient progressivement.

Pour l’instant, le statut quo était maintenu. A travers l’amas de liens, Sigurd pouvait tout de même discerner leurs agresseurs et ce qu’il advenait d’eux. Pendant ce temps, il achevait de ligoter Billy Hunter, utilisant une corde en chanvre réel et bien normal pour nouer ses liens. Et il réfléchissait. Que faire ? Les artifices d’Haylor étaient à la hauteur de toutes ses prétentions d’apprentie sorcière, mais ils ne pourraient pas rester ainsi indéfiniment. Encore que… ça, il n’en savait rien. Mais non. Ils devraient bel et bien partir, à un moment ou à un autre. Restait à savoir comment s’y prendre. Et donc, il réfléchissait.

Jusqu’à ce que finalement…

-STOOOOOOOOOOP!

Tout le monde s'arrêta un instant. Haylor cessa d’étendre ses défenses, et les trois autres s'interrompirent de la même manière. Même les deux révolutionnaires qui, dehors, essayaient de forcer la vitre, arrêtèrent de bouger. Et pour cause: Sigurd venait tout juste d'aider Billy H. à se relever, avait passé son propre bras autour de la nuque du tavernier, et menaçait maintenant de l'étouffer net.

-Le premier qui bouge, je fais sauter la tête de Billy! Et vous la jouez pas gros malins avec moi, parce que c'est aussi facile que d'ouvrir une bouteille avec un décapsuleur. Vous voyez sa teinte pourpre? Je serre même pas!

Pauvre Billy. Lui qui cherchait simplement l'amour, allait-il trouver la mort? Probablement pas des mains de Sigurd, songeait-il. Mais il n'en était pas certain.

-Il a raison, oui. Faîtes ce qu'il dit, ou nous le tuerons, renchérit Haylor.

Maintenant, par contre, le tavernier se sentait sensiblement moins rassuré. Elle faisait peur, elle.

Joignant l'acte à la parole, Evangeline abaissa l'un de ses bras pour attraper un dial. Elle dirigea alors son arme vers le tavernier, et souffla légèrement dans sa direction. Un souffle de flammes, bien sûr. Mais Sigurd s'écria aussitôt:

-Eh! Arrêtez vos délires et faîtes gaffe à ce que vous faîtes! Tout de suite!
-Je vous demande pardon?
-Lâchez ce truc et reprenez l'autre!
-De quoi?
-PUTAIN MAIS VOUS ÊTES CONNE OU QUOI? REGARDEZ VOS CHAINES!

A peine avait-elle détourné son attention d’elles que déjà, ses défenses avaient commencé à se ramollir, et à se ratatiner sur elles-mêmes. L’ouverture était évidente, et fatale ; sans Billy H. pour faire office d'otage, les deux Chevaliers se seraient déjà fait attaquer.
Et Sigurd était catégorique: si les trois autres les approchaient, ils seraient rapidement taillés en pièces.

-Oh ! Ah !

Penaude, l'apprentie sorcière s'exécuta. Bien vite, le rempart de tentacules frétillants qui les entourait reprit toute sa vigueur. Une vision irréelle et bien curieuse, même si l'occasion ne se prêtait pas à ces réflexions.

-Bon. Qu'est ce qu'on fait, alors? Aw. Négociations, allez. Voyons voir… eux, décida Dogaku en se tournant vers les trois révolutionnaires. Bon, désolé à tous, mais... vous nous voulez quoi, au juste?
-Lui. Et vous.
-Sauf que si on vous le donne, vous allez... 'tain, qu'est ce que je raconte, vous êtes des tueurs et vous allez vouloir notre peau quoi qu'il arrive...
-Des tueurs ? C’est vous qui l’avez enlevé ! Espèces de chiens du gouvernement…
-Nan mais je ne c’est pas… gouvernement ?Pourquoi vous nous attaquez, d’abord !?
-C’est vous qui êtes venus chez nous !
-Et on l’aurait clairement pas fait si on avait su que ça allait tourner comme ça, ouais… bonjour la qualité de l’accueil…
-Quoi, elle est pas bien, ma taverne !?, s’offusqua Billy.
-Ca dépend. Avant ou après qu’une dizaine de mecs aient décidé de nous trucider sans crier gare ?
-Ne faîtes pas les innocents ! Nous ne savons pas encore ce que contiennent vos documents, mais leurs secrets seront bientôt les nôtres !
-HAHA !, s’exclama Haylor. Alors vous voulez vraiment mes documents !
-Et comment, qu’on les veut !, répliqua le porteur de hache.
-Mais voyez-vous, je ne peux pas vous les laisser. Ce sont des documents confidentiels. Tenus secrets. Et c’est pour cette raison que… oui… si vous ne me les apportez pas tout de suite, je tuerai cet homme, menaça la sorcière.

Si son éventail de tentacules surnaturels n’avait pas été déployé, si elle n’avait pas déjà fait démonstration de se talents de pyromancienne, peut-être que quelqu’un aurait noté le manque complet de conviction dans ses propos. Elle n’avait encore jamais attaqué un homme, et encore moins essayé de mettre fin à ses jours. Et ne ferait sûrement pas son coup d’essai sur un prisonnier sans défenses. Mais ça, les trois l’ignoraient. En l’occurrence, Sigurd seul savait qu’elle bluffait complètement. Restait juste à s’assurer qu’elle ne déraperait pas.

Car il fallait rester attentif. L’un des révolutionnaires le lui rappela accidentellement… en commettant lui-même une petite incartade.

-Tchah ! Parce que vous croyez être en position pour vous battre ? A deux contre six ?

Dogaku ne pu s’empêcher de peser rapidement ces paroles. Son estomac se truffa de plomb, comme sous le coup d’une mauvaise annonce.

Deux contre…

Six ?

Si c’était vrai, il fallait faire quelque chose. Maintenant.

-Haylor, plan B. On fait comme la dernière fois.
-Oh. La fois où…
-Yep.
-Vraiment? Je veux dire… vous êtes… sûr ?
-Ouais, je crois que y'a que ça qui va marcher.
-Vraiment ?
-Vous gérez super bien en plus, ça va le faire. Vous voulez de l'aide?
-Euh... non.

Avec une infinie précaution, la jeune femme empoigna tour à tour ses deux coquillages, sans pour autant relâcher ses liens de métal. Les lianes cotonneuses se rembobinèrent spontanément, en silence ; c’était comme des serpents qui décidaient de se retirer silencieusement jusque dans leur buisson. Finalement, Haylor tendit les bras droit devant elle, relâchant un jet de flammes en plein sur leurs agresseurs.

Malgré la surprise, ceux ci n'eurent aucun mal à éviter le souffle de feu. Ils eurent un peu plus de difficultés à comprendre pourquoi elle se désintéressa d'eux, et dirigeait maintenant ses bras vers le reste de la salle. Jusqu'à ce que l'évidence se présente à eux: elle ne cherchait pas à les toucher. Juste à incendier toute la salle, et… les forcer à fuir. Et très vite, en effet, le vieil atelier à l'abandon prit une violente allure de fournaise. Les murs étaient rongés par des rideaux de flammes ; le parquet grinçait et crépitait au rythme des tas de brasiers qui se renversaient à sa surface. L'emplacement d'Evangeline et des deux autres, pourtant, restait épargné par les flammes. Ils se tenaient au sein de l'oeil du cyclone, sous la protection de la sorcière qui veillait faire disparaître les flammes qui les approchaient de trop près. Et bien qu'il n'y ait pas de feu sans fumées toxiques, cet atelier disposait d’assez d’aérations pour que celles-ci s’évacuent sans que leur concentration ne devienne dangereusement contraignante. Ils avaient le temps.

Au bout de quelques minutes, la salle toute entière se retrouva engloutie par l'incendie. Les révolutionnaires avaient été contraints de battre en retraite, pour le moment du moins. Il ne faisait aucun doute que, si l’incendie venait à s’affaiblir, ils reviendraient aussitôt. En attendant, ils s’étaient sûrement séparés pour encadrer le bâtiment, et couvrir toutes les issues possibles… ou probables.

En d’autres termes, Haylor et Dogaku étaient à l’abri, mais ils étaient surtout tristement piégés. Ils ne pouvaient pas sortir.

Pourtant, Sigurd avait déjà trouvé une réponse à ce problème. Ils n'avaient besoin que de deux choses.

-Là haut, regardez. La tôle du plafond est en train de rendre l'âme, y'a déjà un trou dedans. Suffit d'utiliser une de ces échelles, et on l'aura facile.
-Et... peut être. Une fois en haut, que faisons-nous?
-On saute. Je crois. Le toit est en pente, y'aura que deux-trois mètres à sauter au final. C'est jouable. Faudra juste pas sauter du coté où les autres traînent, quoi.
-Mmmh. Je ne sais pas... peut être. Et lui?
-Ah. Euuh... chuis sûr qu'il pourra monter si on l'aide. Un peu. Nan? Vos trucs peuvent pas le soulever de bas en haut, façon grappin?
-Pas comme ça, non. Trop haut, trop lourd.
-Boah. Au pire, on le laisse ici et on leur dit qu'il va brûler vif s'ils ne l'aident pas, comme ça on aura la paix. Ensuite on file se réfugier chez la police, et... aucune idée.

Cette fois, Billy H. tiqua pour de bon. Se réfugier auprès des forces de l'ordre? Aucune idée? Le tavernier ne comprenait pas.

-Et mes dossiers?, continua-t-elle.
-Je crois qu'avoir risqué sa peau deux fois de suite aujourd'hui, c'est déjà bieeeeeen assez beaucoup pour toute une vie. Z'êtes pas d'accord?
-Mmmh.
-Seulement "mmmh"?
-…
-Haylor ?
-Oui. Oui. Tant pis pour… le client. Ces tueurs... qui qu'ils soient... sont beaucoup trop dangereux. Je ne veux pas mourir. Et encore moins pour ça. Oui.
-Bieeeen. Je préfère.

Cette fois, le tavernier fronça les sourcils pour de bon. Ce qu'il entendait n'était pas du tout des répliques d'agents secrets, il en était convaincu. Mais avec ce qu'il s'était passé juste avant, et l'interrogatoire qu'on lui avait fait... peut être l'étaient-ils bien, en fin de compte. Peut être s'agissait-il d'un piège très élaboré. Il n'en savait plus rien. Le problème, c'était que ses ravisseurs avaient l'air tout aussi perdus que lui.

-Bon, au moins, ils ont l'air de beaucoup tenir à leur copain. Au point de rien tenter du tout. Quand vous aviez lâché le rempart, z'auraient tellement pu nous avoir... m'bref, tant mieux. Mwarharharh.

S’efforçant de faire bonne figure, Dogalku commença à mettre à exécution son plan. Il ne lui fallu qu’un coup d’œil pour décider de l’issue qu’il voulait employer. Restait ensuite à dénicher de quoi l’utiliser. Mais pour ça, l’atelier leurs proposait divers outils parfaitement adaptés à cet échappatoire.

A première vue, du moins.

Et…

A première vue, seulement.

-Euh... on va avoir un problème, là.
-Quoi?
-Je crois que vous avez méchamment cramé l'échelle. C'est du charbon, limite. Ca va pas le faire.

Ce faisant, le jeune homme tendit vers elle une main recouverte de suie. Ses vêtements en étaient eux aussi largement recouverts. Il venait tout juste de la relever du sol, contre le mur où on l’avait allongée. L'échelle, pour sa part, avait une bien piètre allure: c'était comme si elle menaçait de se briser à la première épreuve qu'on lui imposerait.

-Oh non...
-Mwarharh. Et si. Bien joué.
-Ce n'est PAS de ma faute.
-Nan, nan, j'ai jamais dis ça. Euh...
-…
-C'est de la faute de l'échelle, elle n'avait qu'à pas se tenir ici. Evidemment.

L'autre ne releva pas son trait d'humour. Mauvais. Sigurd se replaça donc devant l'échelle, qu'il attrapa à pleines mains. Malgré son état pitoyable, peut être pourrait-il tout de même l'emprunter. Et une fois placée sous la fenêtre près du plafond...

-Eh, ouais, ça a l'air de tenir!
-Vous ne devriez pas...

Une succession de craquements plus tard, Sigurd s'écrasa contre le sol, avec une moitié d'échelle entre les mains. Grommelant sous la douleur, son agacement redoubla d’intensité en voyant l’expression amusée de sa partenaire. Un petit sourire satisfait, un horrible sous-entendu qui hurlait « je vous l’avais bien dit », un insupportable quelque chose qui ne le reléguait qu’à l’état de clown indétrônable.

-Grrmbl... vous trouvez ça drôle?
-Oui.
-...
-Hi hi. Désolée.
-...

Ravalant son rictus, Evangeline essaya d'apporter sa propre solution à leur problème. En quelques instants, elle commença à façonner une large masse de cordes et de chaînes contre le mur. Haylor avait déjà vu quelqu'un d'autre former de véritables édifices amovibles avec cet art, mais elle même n'en était pas encore là. Ses architectures se résumaient à des figures brouillonnes, bien qu'efficaces. En l’occurrence, assez pour pouvoir permettre à quelqu’un de l’utiliser comme marchepied, et escalader le mur.

En théorie, du moins. Car le résultat de son ouvrage avait l’air incroyablement fragile et étriqué. En tirant doucement dessus pour en tester la solidité, Dogaku ne se sentit aucunement à l’aise.

-Ça va tenir, ce truc?
-Évidemment. Essayez-donc.
-Pfeh. Moi d'abord, hein?
-S’il vous plait ?
-Aw. Euhm. Ca va… vraiment tenir ?
-Eh bien… je pense.
-… c’est quoi ce piège à la con ?
-Désolée.

-Interdiction de rire si je tombe cette fois, merci.
-Oh. Oui.

Elle ne maîtrisait pas grand chose, mais assurait l'essentiel. Malgré ses craintes, Sigurd n'eut pas le moindre mal à escalader l'édifice, qui n'était qu'une large succession de prises et de marchepieds tous adossés au mur. Une minute plus tard, il était sur le toit, en compagnie d'Haylor, et aidait leur prisonnier à s'extirper de la salle en fournaise. Elle qui n’y croyait pas avait pourtant réussi à tracter le malheureux Billy H. sur toute la hauteur du bâtiment, à l’aide de ses liens. C’avait tout simplement été une question de temps et d’essais, comme en témoignaient les fesses endolories du tavernier.

-Allez, courage, on y est presque... y'a pas de raison qu'on vous laisse cramer là dessous... pour le moment.

L’apprentie sorcière dégagea temporairement l’un des bras du sympathisant révolutionnaire pour que celui-ci puisse se réceptionner. Accompagnant le mouvement de Sigurd, celui-ci se hissa jusqu’à la surface, en poussant un simple « humph » de remerciement. Pour éviter qu’il se mette à hurler et n’attire ses compagnons, la miss l’avait à nouveau muselé.

-Et maintenant?, demanda-t-elle.
-On essaie tout doucement de ne pas faire de bruit, on voit où ils sont, on descend de l'autre coté, et on se tire en courant comme des psychopathes. Et si vous, vous essayez de faire un truc pas malin, on risque d’être dans la merde, de mal réagir, et de vous faire un truc qu’on regretterait pas mal par la suite. Et j’ai pas trop envie. Compris ?
-Humph !
-Ca ne sera pas nécessaire, de toute manière.

Cette dernière phrase fit sursauter nos trois personnages à l’unisson.

Une fois plus, une fois encore, elle provenait de derrière eux. D’un homme en combinaison de tissu noire, masqué et cagoulé, avec seuls ses yeux d’exposés à l’air libre.







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Un révolutionnaire, bien sûr.

-Pas un geste, sorcière ! Et vous non plus, le blondinet !

A ses côtés, deux autres individus. Sigurd reconnu l’homme à la hache qui leur avait fait face juste en dessous. En plus de lui, il y avait une troisième personne, une jeune femme au style assez caractéristique, avec de grandes mèches blondes tressées en dreadlocks qui tombaient en cascade dans son dos.

-'Tain mais c'est la deuxième fois que vous apparaissez derrière comme ça! Vous êtes quoi, un ninja, ou quoi?

Les trois révolutionnaires restèrent longuement silencieux, immobiles dans la nuit noire. Avec le reflet des flammes qui rongeaient encore l’atelier qu’ils quittaient, Sigurd pu apercevoir un long sabre suspendu au dos du personnage de tête, l’homme cagoulé. Finalement, ce dernier recula de quelques pas, et se tourna vers sa partenaire…

… en explosant de rire. Une grand rire de contentement, une expression de triomphe et de satisfaction qui n’avait rien d’appropriée à la situation.

-Fwaaahawaaahaaaa!! T'as entendu ça, Jane? Il a dit que j'étais un ninja! J'ai réussi!
-T'es juste un crétin en pyjama, gars. Qui se prend pour un ninja. Et qui donne mon prénom au premier salaud venu.
-Faux! Il l’a dit. Je suis un ninja. C’est l’entrainement, Jane. Ca marche !
-Pauvre bouffon…

Le ninja ne put s’empêcher de continuer à ricaner. L’autre lui adressa un regard courroucé en l’invectivant copieusement. Seul l’homme à la hache, de retour sur les hauteurs, resta tourné vers les civils. Mais il restait si impassible que Sigurd se sentit pratiquement délaissé.

-Je crois que ces mecs sont des purs tarés, commenta-t-il en aparté pour sa collègue.
-Vous avez entendu?, gloussa l’autre. Ils ont dit que j'étais une sorcière. Une vraie!
-Putain, vous aussi ?
-Et alors quoi ? Il l’a dit !
-Nan mais c’est pas ça mais c’est que…
vous êtes pas une sorcière, vous êtes juste une folle furieuse de frustrée qui commence à péter les plombs de manière spectaculairement abusée ces derniers temps.
-Je... vraiment?
-Mwarharharh.
La pyromanie EST une maladie psychiatrique reconnue, me semble.
-C'était votre idée!
-Et c'était une très bonne idée, mais ça n'empêche pas que z'êtes carrément flippante avec ça.
-Mmmh…
-Mais vous vous en sortez incroyablement bien. Chapeau bas, vraiment. Z’êtes é-pa-tante.
-Ah ?
-Que oui. Des boules de feu, des chaînes-serpents-machinchoses, et tout ça en quelques mois… vous avez prévu quoi ensuite ? Je deviens fan, franchement.
-Hihihi… eh bien…

-YOUHOU !, s’exclama la blonde. ON EST LA, MERCI. Et vous êtes toujours nos prisonniers !
-Et nous avons toujours un otage, répliqua la comptable.
-Ooooh. Vous pensez vraiment être en position de contrôler quoi que ce soit ?
-Tout dépend de si vous voulez que je le massacre ou non.

Joignant le geste à la parole, Haylor laissa une de ses chaines s’enrouler autour de la nuque du tavernier. Les maillons d’acier en firent le tour une première fois, délicatement, avant d’en faire deux autres dans un sinistre cliquetis métallique. Le piège mortel était en place, et n’attendait plus qu’un prétexte pour décapiter sommairement sa victime.

-Alors ?
-Notez quand même, souligna Dogaku, qu’on préfèrerait laaaaaaaargement que vous nous laissiez filer jusqu’au poste de police du coin et qu’on puisse vous rendre votre bonhomme sans prob’, hein. Vous pouvez même garder la doc.
-Je ne pense pas, nan. Ces documents… vous allez venir avec nous pour nous expliquer à quoi ils correspondent. Dans les détails. Et maintenant.

Ils en étaient maintenant revenus au point de départ. La situation n’avait pas changé. A ceci près qu’ils étaient maintenant sur le toit d’un bâtiment rongé par les flammes. Et il s’agissait d’un détail qui avait toute son importance. Car que ce soit dans un petit village ou dans une gigantesque cité, le danger d’un incendie qui puisse se propager n’était jamais pris à la légère. Il s’agissait d’un des plus grands fléaux urbains, qui était dignement traité comme tel.

En d’autres termes, ils venaient tout juste d’attirer l’attention de toute la ville sur eux. L’atelier avait beau se situer dans la périphérie de la commune, il n’en restait pas moins parfaitement visible.

Déjà, plusieurs habitants et de nombreux marins de passage –des pirates, en bonne partie- avaient commencé à converger vers l’atelier pris par les flammes. Ce qui n’était pas du tout au goût des révolutionnaires. Les trois individus présents sur le toit commencèrent à s’avancer, sans encore vraiment savoir que faire. Les trois autres, présents en bas, firent mine d’avoir été parmi les premiers arrivés sur le lieu du sinistre, et s’affairaient déjà à contrôler le feu tout en distrayant les nouveaux arrivants.

-Bon, désolé les mecs, mais là, c’est un travail de ninja. C’est-à-dire… MOI !
-Eh ? Kesketuvafaire ?
-Ninjutsu : Takoyaki no Tonkatsu !!!!! / L’Explosion du Dragon Volcanique !!!!!

Ce faisant, le révolutionnaire au costume ténébreux leva les bras dans un grand mouvement théâtral, en entraînant une explosion d’artifices fumigènes. Pour des regards extérieurs, c’était comme si le toit de l’atelier s’était embrasé d’un seul coup, et venait de libérer tout la fumée emmagasinée en son sein. Pour nos protagonistes, ça n’était rien de plus qu’une impénétrable purée de poids asphyxiante qui les emprisonnait. Ils se savaient proches, mais ni Haylor ni Dogaku ne parvenaient à se discerner l’un l’autre. Ils étouffaient, tout simplement. Confus, Sigurd entendit malgré tout sa partenaire faire quelques pas vers sa gauche. Juste avant de se souvenir qu’ils étaient sur un toit, à plusieurs mètres de hauteur. Il l’attrapa précipitamment pour la tirer avec lui, aplatit contre le sol, au plus près de l’air frais. S’ils étaient à l’air libre, la fumée ne tarderait normalement pas à se dissiper. Une dizaine de secondes. Ils devaient juste…

-TAKOYAKI ? TONKATSU ? CA VEUT DIRE PORC PANE AUX BOULETTES DE POULPE, CRETIN !
-T’ES PAS OBLIGEE DE LE DIRE A TOUT LE MONDE ! ILS SAVAIENT PAS, SI CA SE TROUVE !
-MAIS T’ES CHIANT A TOUJOURS FAIRE CA !
-MAIS C’EST HYPER CLASSE ! ET C’EST HYPER NINJA !
-ET TU CARRES RIEN AU JAP’ ET T’ES QU’UN BOUFFON EN PYJAMA !

Sigurd n’avait plus aucun mal à respirer, maintenant. Encore quelques instants, et ils pourraient se sortir de là. Il avait déjà repéré l’endroit le moins dangereux pour redescendre. Il s’agirait simplement d’avoir de la chance.

Mais non. Les révolutionnaires ne le permettraient pas.

-NINJUTSU : SASHIMI NO YAKITORI !!!!! / DISTORTION NINJATESQUE DE L’ESPACE TEMPS !!!!!
-ARRETE AVEC TES CONNERIES ET AIDE MOI A LES ATTRAPER !
-C’EST MOI QUI FAIS TOUT LE BOULOT, J’TE SIGNALE !

Il ignorait ce que ce prétendu ninja venait de faire…

Mais Dogaku sentit son cœur, son corps, sa gorge et ses paupières s’affaisser instantanément.

Il se sentait bien.

Il ne ressentait même pas les épingles enduites de poison qui s’étaient toutes fichées contre lui, sur son torse et dans sa gorge.

Le sommeil venait tout juste de le cueillir.

Ils étaient…

Finis.
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Ils avaient échappé à l’incendie, et s’étaient même soustraits aux regards de la foule rassemblée pour éteindre le feu. En l’espace d’une demi-heure, la petite bande des sept révolutionnaires et les deux civils sous sédatifs qu’ils transportaient à bras le corps avait traversé les ruelles obscurcies de la ville. Leur destination était évidente : il s’agissait de la taverne de Billy Hunter, pratiquement déserte à cette heure.

Pratiquement, parce que quatre autres sympathisants révolutionnaires s’y étaient tout de même rassemblés en attendant que leurs compagnons ne leurs reviennent. Avec leurs cibles, évidemment. Ca n’était même pas une surprise.

Cinq minutes plus tard, tout ce petit monde était rassemblé à l’intérieur de la salle commune. Exceptionnellement, on s’était autorisé à allumer toutes les lampes, quitte à attirer l’attention du voisinage ; au diable la discrétion révolutionnaire, il s’agissait d’une situation exceptionnelle.

-Comment ça va, Billy ? Ils t’ont fait quoi ?
-Je vais bien. Ils… ne m’ont… erf. Je vais bien, quoi.
-Tu ne veux pas en parler ? Qu’est-ce qu’ils t’ont fait !?
-RIEN, VRAIMENT ! Je suis sérieux. Et d’ailleurs…

Le tavernier ne poursuivit pas. Pas tout de suite. Au lieu de cela, il jeta un regard à ses deux ravisseurs… qui étaient maintenant ses deux prisonniers. Et qui avaient été ses deux pensionnaires. Et qui n’avaient définitivement rien de deux agents du gouvernement. A première vue, du moins. Peut-être était-ce un piège. S’ils étaient de vrais agents, bien sûr qu’ils n’en auraient pas l’air.

-Je crois que Billy nous fait un syndrome de stockholm, ricana une jeune femme en observant son collègue. Youhou ? Ca va ?
-Je vous dis que ouais, putain. Ca va.
-Bon. Et eux, qu’est-ce qu’on en fait ?

Toujours endormis, les deux Chevaliers de Nowel avaient été déposés en vrac sur des tables. Ils ne remuaient pas d’un pouce.

-Déshabillez-la, indiqua l’homme à la hache. Avec tous les trucs qu’elle trimballe sous sa robe… des chaînes, des fils… on dirait des serpents. Prenez-lui tout.
-Euh… tout ?
-Ses fils, crétin, pas ses fringues.
-Ah. Ouais. Ouais…

Le ninja s’approcha d’Evangeline, doucement. Malgré son costume qui recouvrait presque intégralement son corps et son visage, on pouvait aisément voir à son attitude, à sa posture, qu’il n’était pas à l’aise. Il leva les bras, les tendit dans sa direction, puis les rabaissa. Hésita longuement. Et finalement, se retourna vers les siens.

-Bah alors ?
-Baaah… c’est que… quand j’me suis engagé dans la révo… j’m’attendais pas vraiment à… devoir faire des trucs comme ça… et…
-Tu te fous de ma gueule ? C’est une CP. Et une bizarre, en plus de ça. Si elle se réveille, on va tous finir en pièces. Avec le Rokushiki… tu sais ce que tes mecs sont capables de faire. Plus rapides qu’un coup de vent. Plus dangereux qu’un lion en liberté. Plus tranchants que…
-Ouais, mais si c’était le cas… ils l’auraient déjà fait, nan ?
-De quoi ?
-Bah, leurs techniques. Un CP, ça peut voler, ça peut se déplacer ultra vite. Et ils ne l’ont pas fait. Y’a pas un truc qui cloche ?
-Ahm. Pas faux, remarqua le hacheur. Si ça se trouve, c’est juste des petits agents. Pas de Roku’.
-T’as déjà vu des petits agents qui lancent des boules de feu et qui tirent des fouets-tentacules de leurs manches, toi ?, objecta la jeune femme.
-Bah eh, on a bien un ninja avec nous, et pourtant ça se saurait si on était des valets, hein.
-C’est un bouffon en pyjama, pas un ninja.
-Osef, il reste vachement utile.

-N’empêche que. Je trouve ça bizarre. Cette gamine, là. Elle est vraiment dangereuse ?
-Bah les boules de feu, c’était eeeeh… rhoo puis merde, laisse-moi faire.

Ce faisant, la jeune femme qui accompagnait le ninja prit la place de ce dernier, et commença à retourner la prisonnière qui les inquiétait tant. Pour retirer sa robe, il lui faudrait d’abord dénouer quelques lanières. Mais à peine avait-elle commencé à tirer sur l’une des ceintures que déjà, l’autre se redressa d’un bond en hurlant comme une possédée.

-EEEEEEH ! QU’EST-CE QUE VOUS FAÎTES, ESPECE DE MALADE ? MAIS VOUS ETES DINGUE ? VOUS N’ETES QUE DES POURRIS, DES DETRAQUES, DES TORDUS, DES INFÂMES, UNE BANDE D’ETRIQUES, DES MISERABLES, ABSOLUMENT MALADES, DES SATANES, DES MONSTRUEUX, DES…

Surprise, la révolutionnaire avait bondit en arrière en hurlant de terreur. Elle s’écrasa contre le torse de son acolyte, le ninja à l’uniforme noir, qui la réceptionna en ricanant grassement. Pendant ce temps, Haylor continua de hurler ses imprécations pendant encore dix bonnes secondes, avant de devoir reprendre son souffle, haletante de rage, son regard le plus noir dirigé vers ses agresseurs.

-RENDEZ MOI MES DOSSIERS !

En temps normal, la jeune femme était… réservée. D’une nature discrète et retenue, il était impensable de la voir faire usage de violence pour obtenir ce qu’elle voulait. Et quand bien même elle en mourrait parfois d’envie, elle se contenait dans sa dignité. Même depuis qu’elle disposait de ses coquillages et de ses lianes, elle ne se décidait que rarement à en faire usage abusivement. La violence ne lui venait pas naturellement.

Mais aujourd’hui, la situation était différente. Elle s’apprêtait à protéger quelque chose qui lui était cher, et à reprendre ce qui lui avait été dérobé : son travail, son temps et ses efforts. Car avant d’être Chevalier de Nowel, avant même de se prétendre sorcière, Haylor était une comptable de profession. Et pas une âme ne pouvait faire obstruction à l’avancée de ses travaux sans en payer le prix fort ; ce d’autant plus quand elle en était à plus d’une centaine d’heures sur le sujet, et qu’il était strictement hors de question de tout reprendre à zéro.

-Ah ouais, elle est vraiment dangereuse. Je confirme.
-Putain, si ça c’est de l’agent de CP de base, j’ai pas du tout en vie de voir du CP9.
-O.M.G. Oh que non.
-Elle. Est. Flippante.
-Pourquoi on parle tout doucement, au fait ?
-Parce qu’on a pas envie d’attirer son attention en haussant le ton, je dirais. Mais je peux me tromper.
-Jian, tu peux faire quelque chose contre elle, s’il te plait ?
-Ah ah ! Alors maintenant on demande au bouffon en pyjama d’intervenir, hein ?
-J’te laisserai jouer au ninja si tu l’épingles pour de bon, ‘kay.
-Ninjutsu : Naruto no Manga !!!!! / La Frappe du Spectre Mortuaire!!!!!


Ce ne fut l’affaire que d’une seule aiguille, elle aussi enduite de sédatif. Enfoncée en plein dans la gorge d’Evangeline, elle ne tarda pas à faire effet. Dix secondes. Dix secondes pendant lesquelles plus d’une vingtaine de chaînes, de fils et de liens s’étaient tous ensembles déployés autour de la sorcière, en fouettant l’air alentour avec une violence jusque là insoupçonnée. Ces lianes ne tardèrent pas à darder en direction des révolutionnaires, et à s’étendre, et…

S’affaisser subitement, alors même que le poison faisait enfin effet.

Plus rien.

Un long silence confus, qui ne tarda pas à être interrompu.

-Putain. On a un monstre. On a un… prévenez Luvneel. Faîtes venir quelqu’un au plus vite. Tout de suite. J’veux vraiment pas la garder trop longtemps, celle-la.
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-Putain. Vous nous avez fait venir pour ça ?

Quatre jours plus tard, les renforts tant espérés étaient enfin arrivés. Le groupement révolutionnaire de Luvneel avait répondu au message crypté d’Egranard, et dépêché au plus vite deux de ses éléments vers la petite île agraire. Une fois arrivés à destination, ces deux hommes avaient tenu à voir les prisonniers aussi vite que possible, mais surtout, à pouvoir consulter les dossiers confidentiels qu’ils transportaient.

Et pour le spécialiste du duo, cela ne faisait aucun doute. Ils avaient fait tout ce long chemin… pour rien.

-Bordel. Et moi qui croyait qu’on pourrait avoir besoin d’un gros bras pour casser du CP… j’me ramène avec un cavalier pour deux civils. Des chevaliers de Nowel, en plus, les mecs qu’ont fait la une y’a quelques mois. Nan mais vous lisez les journaux, bande de trous ? Aaarch. Les jours où vaut mieux rester au lit… que de dieu…

Déjà d’assez mauvaise humeur à cause du manque de sommeil, le révolutionnaire de Luvneel n’avait pas attendu un instant avant de déverser toute sa hargne sur ses compagnons. Sans même prendre le temps de s’arrêter, il traversa tout le bâtiment de la cave à l’étage, passant même devant les clients du jour, en déclamant sans s’interrompre :

-Vous êtes de purs couillons, les paysans. Vos supers documents confidentiels, ce sont juste les papelards d’une marchande de légumes. Vraiment bravo. Franchement bravo. Et après ça chouine comme quoi ça manque de considération. Que vous faîtes le plus gros du travail alors qu’on récolte tous les lauriers en nous battant. Et bah vous savez quoi ? Continuez à chialer. En silence. Moi j’ai foncé pour venir ici. Pour rien. Allez vous faire f… rhaa, fichue censure ! Vous vous démerdez comme vous le voulez, mais moi chuis crevé. On a voyagé comme des tarés pendant quatre jours pour venir ici, les guignols. Je. Suis. Mort. Je file dormir à l’étage. Dîtes au cavalier que vous êtes désolés, expliquez-lui votre délire, servez-lui de punching-ball s’il est pas content –ce mec est une plaie, un vrai gorille, il pense limite avec ses poings-  et foutez moi la paix. Le premier qui me réveille, lui aussi il sera mort. Capiche ?

Un problème, songea Billy. Mais un problème parmi d’autres. S’ils avaient vraiment enfermé des innocents, comme il l’avait vaguement craint à quelques reprises…

Grimaçant  à cette seule pensée, il traversa le bâtiment en sens inverse. C’était comme s’il craignait qu’il soit trop tard pour réparer son erreur. Un sentiment ridicule, mais tout à fait louable, même si le mal était bien fait.

Lorsque le tavernier arriva devant la cellule de ses prisonniers, une chambre pour révolutionnaires dissimulée dans le sous-sol, et lourdement renforcée pour l’occasion, son expression contrite ne fut accueillie par rien d’autre qu’un large éclat de rire. C’était Sigurd. Avachi contre la porte de la cellule, le jeune homme le regardait depuis la petite fenêtre bricolée pour surveiller les prisonniers en permanence. Avec des CP, on n’était jamais trop prudents. Sauf qu’à défaut de CP…

- Brahahaha. Donc. Votre expert vous a expliqué que vous vous êtes complètement plantés sur toute la ligne comme on se tuait à vous le répéter pendant tout ce temps. Pendant quatre jours. C’est bien ça ? Mwarharharh.
-Baaah… euh… ouais. Dans le genre. Vous nous en… euh… je ne… on ne… penser que… baaaah… aaaargh… désolé ?

Quatre jours s’étaient écoulés, rappelons le. Et c’était bien la seule raison pour laquelle le jeune Dogaku n’en était pas à hurler de rage et de colère, maintenant qu’il se savait en position de force. Il prenait vite du recul, mais s’il restait amer.

-Naaaaaan. Vous imaginez même pas comment c’était incroyablement chouette pour moi  d’être enfermé dans une cave pendant quatre jours, à moitié comateux sous l’effet d’un genre de morphine imbouffable, et à devoir faire office de cellule psychologique en perfusion intraveineuse perpétuelle pour une amie qu’est de base vachement sensible quand il s’agit de péter les plombs quand ça va pas. Perso, je dirais que c’est à refaire, comme expérience, c’est vachement formateur, en fait. Heureusement que la bouffe était bonne et qu’on a eu droit à de vraies chambres avez tables et literie, parce que si ça avait pas été le cas, j’aurais ptêtre même trouvé que vous étiez vraiment des putains de tortionnaires complètement craqués du cortex qui s’éclatent à séquestrer les gens et à les faire mijoter dans leur jus en sachant qu’ils sont entre les mains de sympathisants terroristes à l’international. Et puis d’où c’est que… mwarharharh, dîtes moi au fait… je continue à remuer le couteau dans la plaie ou bien vous en avez assez ? Après QUATRE JOURS ENTIERS passés à jouer les prisonniers, j’vous jure que j’ai assez de munitions pour tenir des heures et des heures, hein.
-Hésitez pas, faîtes vous plaisir, rumina Billy Hunter en ouvrant la porte de sa cellule improvisée. On l’a mérité…
-Je peux ? Cooool ! Encore que j’devrais pas. Vous avez été assez sympas pour nous laisser ensemble, au moins… après quoi, vingt heures en isolés ? J’vous jure que j’ai cru qu’elle allait mourir de trouille, et perdre dix points de vision à force de chagriner. Vous souvenez de ce que j’ai dis ? « Y’a pas de danger à nous laisser ensemble, hein, chuis globalement inoffensif et vous l’avez délestée de tous ses trucs, on peut rien faire. Pis comme chuis fondamentalement un gentil bonhomme bien coincé et qu’elle est trop distante pour quoi que ce soit, vous avez zéro risques de nous surprendre à faire des trucs indiscrets, z’en faîtes pas. » Et bah heureusement que vous avez fini par plier, parce que sinon vous me l’auriez traumatisée à vie. Et encore, heureusement que c’était juste tranquille les deux derniers jours, ça permettra de relativiser… ptêtre. Waow. Vous vous rendez compte ? On a limite fini par s’habituer à votre truc. Alors après, clair que ça relève pas des cinq-cent-soixante-trois jours de captivité que vous avez fait à un dignitaire de chais plus quel pays du GM –c’était bien des révolutionnaires sur ce kidnapping, ou bien juste un mensonge ? -, mais alors franchement, si le job de la révo c’est de faire des trucs pareils aux gens en guise de coups d’éclat, j’vous jure que y’a pas à s’étonner si vous passez vraiment pour des psychopathes mal lunés qui s’opposent sans but et sans raison au système international. J’veux dire… c’est CA, la révo ?
-NAN.

Cette fois, c’était l’homme à la hache qui venait de s’exprimer. Il les avait rejoints dans le petit salon souterrain, l’arme bien en main, et n’avait guère apprécié la tirade de son prisonnier. Mais ce qui l’amenait ici était une toute autre raison. Une sombre raison, qui justifiait entièrement son air maussade.

-LA REVO, C’EST UN GROUPE D’HOMMES ET DE FEMMES UNIS POUR LA MEME CAUSE, HABITUES A FAIRE DES SACRIFICES, ET PRETS A SE SALIR LES MAINS.
-Ah. Cool. Mais ça veut rien dire. Arguments carton de la révo, +5.
-Que si, ça veut dire quelque chose. Parce qu’on a maintenant un autre problème à régler. On s’est planté, d’accord. Et à cause de ça, vous savez maintenant qui nous sommes. Et ce que nous faisons. Et vous avez vu quelques visages recherchés. Et vous en êtes devenu particulièrement dangereux pour nous. Et les dangers, il faut s’en occuper.

Comme pour illustrer ses mots, il s’avança en brandissant son outil de bucheron, l’air menaçant. Ce qu’il comptait faire était évident.

-Holà holà holà, on se calme !, intervint Billy H. en s’interposant. On ne va tuer absolument personne, ni ici, plus ailleurs !
-Parle pour toi, le tavernier. Moi, je sais quoi en faire.
-C’est mort, tu feras rien. On a complètement merdé, ils n’y sont pour rien, et ils ne m’ont rien fait de mal. On les laisse.
-Ils ont pas à tour de rôle menacé de te décapiter, l’autre soir ?
-Nan, de l’étouffer.
-…
-M-mais ils ne l’ont pas fait, bien sûr. Et au contraire, ils ont pris le temps de me sortir des flammes. Et…
-Et j’en ai strictement rien à faire, parce qu’ils en savent trop, et qu’on peut pas les laisser courir. Je sais ce que je fais, mec. Ca n’est pas une partie de plaisir. Mais c’est nécessaire. Alors laisse-moi le faire.

Malgré l’intimidation, le tavernier ne céda pas. Au contraire : les uns après les autres, chacun des révolutionnaires ici présents faisaient mine de le rejoindre, d’intimer à l’autre de cesser, et de faire eux aussi barrage au bourreau.

Finalement, Billy reprit la parole, d’un ton qu’il espérait aussi convaincant que possible.

-Si tu les tues, tu ne vaudras pas mieux que les marines qui ont tué tes parents ! Souviens-toi pourquoi tu as rejoint la révolution ! Ne deviens pas comme eux !

Touché. En apparence, du moins. Le bourreau  recula de plusieurs pas, l’air furieux,  et gronda son mécontement.

-La marine N’A PAS tué mes parents, merci.
-Ah merde. C’était pas toi ?

-Bien sûr que nan. Je n’ai rien d’un gamin, moi, j’ai de vraies raisons. J’ai rejoint la révo parce que le GM me sucre trop d’impôts, et qu’il est strictement hors de question que le fruit de mon travail serve à financer le huitième palais de plaisance d’un pauvre couillon de pseudo noble en tête de bocal façon cosmonaute qu’est déjà bien assez friqué comme ça. Pis tous ces charognards de fonctionnaires de l’armée qui pètent plus haut que leurs culs et pensent chier sur la plèbe en étant supérieurs au monde entier alors qu’ils vivent de MES cotisations… c’est de leur faute, si la rentabilité de ma boutique est capée à un septième de mes investissements ! Sans mes impôts pour nourrir leurs bouches, je pourrais gagner un vrai putain de salaire, pas juste attendre d’avoir mes bénéfices ! Parce que je vous le dis, moi ! J’ai pas que ça à foutre de me laisser crever pendant que ces salopards en costard à gallons s’offrent une bronzette sur leurs croiseurs ! Le GM, c’est la plus grosse pompe à fric de l’univers, et ça sera cool que ça ne s’oublie pas, foi de révo !

-Ah merde. Euh… c’était peut-être toi, Jian ?
-De quoi ?, demanda le ninja.
-Tes parents. C’est pas toi qui nous a rejoint pour eux ?

-Moi ? Naaaan.  Personnellement, je suis un communiste de longue date. Après avoir étudié les travaux des plus grands experts sur la question, je suis convaincu que le système en vigueur, celui du gouvernement mondial, n’est ni plus ni moins que le summum de la lutte des classes, le paroxysme du capitaliste, là où les riches ont tout et où les pauvres… s’en tirent pas si mal pour la plupart, mais ça n’est pas le cas de tout le monde. Dans tous les cas, selon les ouvrages de grands noms de la littérature sociologique, c’est un système pourri et déséquilibré qui devrait s’efforcer spontanément… sauf qu’il ne le fait pas. Et que ça aurait déjà dû être fait. Mais je sais pourquoi.

Voyez-vous, en ces temps sombres où la piraterie gangrène le monde, la concentration dictatoriale au sein d’une entité internationale luttant contre ce fléau est justifiée aux yeux du grand public… ce qui arrange particulièrement les nobles mondiaux. Qui ne se pressent pas pour autant de régler le problème. Je veux dire, s’ils l’avaient voulu, ils auraient depuis LONGTEMPS pu nous débarrasser de tous ces pirates, nan ? Et au lieu de ça, qu’est-ce qu’ils font ? Ils continuent à exploiter les travailleurs des classes les plus humbles, ils se gavent de nos efforts, ils se roulent paresseusement dans les richesses que NOUS leurs apprêtons.

Moi je vous dis, ils en PROFITENT. Ils savent très bien qu’ils ne font que retarder l’INEVITABLE, LA GRANDE ERE DU SOCIALISME, CELLE QUI PROFITERA A TOUS, ET CES PAUVRES CHIENS AFFAMES S’ACCROCHENT A LEURS PRIVILEGES DE NANTIS EN PRETEXTANT QUE L’UNION FAIT LA FORCE SOUS COUVERT DE LA MISERE DU MONDE ! ET BIEN NON, CA NE SE PASSERA PAS COMME SI, ET S’ILS BLOQUENT LE COURS NATUREL DE L’HISTOIRE, JE FERAI EN SORTE QUE LA REVOLUTION TOUTE ENTIERE SE DRESSE CONTRE LEUR MANEGE ! CE SERA SIMPLE !

NOUS TUERONS LES PRETENDUS NOBLES CELESTES, QUI CAMOUFLENT LEUR DOMINATION CAPITALISTE SOUS LE COUVERT D’UN PRETENDU HEROISME ANCESTRAL ! NOUS PRENDRONS LE CONTROLE DU GOUVERNEMENT MONDIAL, DE LA MARINE, ET DE LA CONCENTRATION DE MOYENS QU’ILS NOUS CONFISQUENT DEPUIS DES SIECLES ET DES SIECLES ! ET ENFIN, NOUS DECHAINERONS TOUTES LES FORCES DU MONDE CONTRE L’ENFER DE LA PIRATERIE, PARCE QU’IL EST STRICTEMENT IMPOSSIBLE QUE QUATRE MISERABLES PETITS EMPEREURS PIRATES A LA NOIX AIENT PU TENIR TETE AU GM AUSSI LONGTEMPS !!!!!!!

Un long silence suivit la tirade enflammée du ninja… révolutionnaire… communiste… peu importait. Certains avaient réagit avec admiration à sa ferveur ; d’autres le prirent pour un excentrique mal luné qu’on gardait simplement parce qu’il était utile.

-Euh… sinon vous pouvez gentiment nous laisser partir et j’vous jure qu’on dira jamais rien à personne, hein, essaya Sigurd.
-Quoi ?
-Baaah… c’est pas que les solutions les plus simples sont souvent les meilleures, ni que je puisse pas comprendre que dans votre milieu, on ait pas l’habitude de tout régler à qui aura le plus gros compteur à patates, mais… les dorikis, s’pas trop notre trip, comme dirait Loromin. Sinon, on vous aurait retourné d’entrée de jeu et rien de tout ça ne serait arrivé, mais c’est pas ça.
-Je vous demande pardon ?
-Boah, nan, rien, oubliez ça. Mais ! Le truc que je veux dire, c’est que oui, ‘ffectivement, on sait des choses sur vous et on pourrait avoir envie de se venger et on pourrait ptêtre même récupérer des gratifications dans la foulée… encore que le système de la marine incite plus les gens à s’improviser tueurs à gages plutôt qu’à simplement informer les autorités de ce qu’ils pourraient faire parce que zéro gratif’ si on le fait… mais passons…
-…
-… et je suis quasi sûr que Haylor est en train de se jurer secrètement d’avoir vos têtes à tous, d’une manière ou d’une autre, que ce soit en vous balançant des flics aux trousses ou en vous carbonisant dans votre sommeil…
-Euh… vous voulez nous convaincre de vous tuer, ou bien ?
-Naaaan, je remet simplement les choses dans leur contexte par objectivité.
MAIS ! A priori, si vous êtes à neuf contre un à voter de ne pas nous faire de mal, c’est que y’a moyen de négocier. Pis si vous dîtes que votre problème c’est le gouvernement mondial et que vous en avez marre d’être des gens de base surexploités, on connait aussi, nous aussi on travaille bien pour vivre, hein. Et ma boutique à rentabilité de un huitième alors que des officiers de la marine ont mieux sans rien travailler dedans me fend le cœur. Et c’est là que ça se passe. Vous voulez qu’on garde le silence ? Qu’on ait intérêt à ne pas tout déblater ? Eh bien c’est simple. Donnez nous une raison de ne pas le faire. Proposez nous un truc. Allez-y.
-Euh… un truc ?
-Bah ouais. J’veux dire, vous êtes membre d’un réseau criminel international et tout, vous avait fait parcourir un dixième de bleue à deux mecs en quatre jours, vous avez un ninja avec vous… vous avez forcément des trucs qui pourraient nous intéresser, nan ?
-…
-Pas d’idées ?
-Vous essayez pas de nous arnaquer, là ?
-J’ai la tête d’un mec qui essaie de profiter de la situation ?
-Absolument ?

-Du tout ! Je cherche juste à vous donner une raison de nous laisser repartir tranquilles, ouais. Pis j’essaie aussi de convaincre Haylor de ne pas revenir vous rendre visite la nuit. Et j’ai pas spécialement envie que vous nous laissiez partir pour finalement changer d’avis et nous balancer des assassins aux trousses. J’vous jure que la cupidité ne pèse pas pour 20% de tout ce que j’dis.
-…
-…
-…
-Toujours pas d’idées ? Aw. Bah j’me présente. Sigurd Dogaku, officier type marine marchande faisant occasionnellement office de consultant ou de commercial pour ses affaires, cruciverbiste quand ça l’amuse –ça veut dire mot croisés, pour info-, plutôt pas mal dans tout ce qui concerne les jeux de société, et… euh… j’crois que c’est tout. Chevalier de Nowel donc héros de l'extrême quand l'a pas l'choix, aussi. Elle c’est Miss Haylor, super-comptable, super-commissaire, super-administratrice, et apprentie sorcière à ses heures. Pis elle adore la couture, les romans à l’eau de rose, me rouspéter dessus, et...
-Je pense que ça suffira, Capitaine, intervint la concernée.
-Aw. D’accord. Mais alors. Donc. Vous dîtes quoi ?
-Euh…

Les révolutionnaires échangèrent plusieurs regards, confus. Ils ne s’attendaient pas à ça. Qu’allaient-ils pouvoir bien dire, qu’allaient-ils accepter de faire ?

Eh bien…














♪ Jingle Musical ♫


~~ Faîtes votre choix ! ~~




>> Récompenser Sigurd (RP) : il aime les surprise, ne compte pas s’investir dans la révolution, mais trouverait utile, sympathique et potentiellement très exploitable d’avoir un petit bonus d’introduction en leur présence, ou encore le droit de profiter de certains avantages dans certains cas.

>> Récompenser Sigurd (Cash) : il aime beaucoup les surprises, mais comprend que l’on puisse manquer d’idées, auquel cas les boutiques qu’il veut faire tourner accepteront toujours de quoi se goinfrer (doit bien y’avoir trois révos dans le lot capables de faire gagner des clients à ses affaires).

>>  Récompenser généreusement Sigurd (Surprise !) : vous avez une bonne idée n’ayant rien à voir avec ce qui précède ? Vous vous sentez de bonne humeur, son RP était plutôt chouette, et puis damn, au diable l’éthique de la récompense au rabais, vous vous sentez de lui procurer largesses et profusion ? N’hésitez plus, ce choix vous tend les bras !

>> Ne pas récompenser Sigurd (Karma négatif +80, -20 pp, malus de haine sur trois générations) : c’est un civil, et manquerait plus que cette voie de garage pour membres indécis puisse profiter d’avantages significatifs, non mais ! L’a qu’à faire comme tout le monde, choisir un truc précis, faire une quête pour, et imposer l’obtention à la récompense suite à un scénar’ pochette-surprise, plutôt que d’essayer de gruger des trucs tout le temps ! Bouuuuuh aux civils !




Exemple de petit bonus que j’avais bricolé pour l’option RP (j’adore bricoler), mais faîtes pas ça parce que c’est probablement pas utilisable en fin de compte (et vous connaissant, ça me boufferait un slot technique voir une capa, beurk !).

Ex Skill : Sigurd et Haylor peuvent utiliser le nom de Billy Hunter pour se faire accueillir et assister correctement par n’importe quel sympathisant de la révolution, situé sur North Blue, et ayant l’habitude de fournir ce genre de services à leurs agents. N’influe en rien sur les trains de vie et ne permet probablement pas de s’associer aux plus riches sympathisants, ni de bénéficier des meilleurs services. Plus le duo fera usage de ce réseau, plus il sera susceptible de s’étendre (invitations possibles chez de plus gros bonnets et/ou sur d’autre mers).
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