J'étais sur le pont d'un des rafiots des Saigneurs. Ce qui se passait en dehors, je m'en foutais. Encore plus que d'habitude parce que de toute façon, j'étais pas en état de bouger, je pouvais que subir. Tout ce que je pouvais faire, c'était me laisser porter par la moiteur ambiante et la lumière douce qui me bordait. Fallait juste que je sois vigilant à pas me laisser aller. Pas que je veuille faire la nique à la mort, quoi que, mais je refuse de crever pour en arriver là et finalement accepter d'y laisser sa peau au dernier moment, faudrait pas en avoir lourd dans le caberlot.
Pis c'est vrai que j'aimais l'effet que ça me faisait. La moiteur, le halo, ma vie qui défile à l'envers devant moi et hop, je m'arrêtais à mon enfance au Grey T. Comme si quelqu'un te choppait par le coeur pour te ramener à la surface alors que tu te noyais profond.
Ouais, bon. Tout ce que je pouvais faire à ce moment, c'était réfléchir. J'étais coincé dans mon fort intérieur. Pas mon for, le jugement de ma conscience viendra plus tard, dans mon fort. Dans mon crâne, dans mon ciboulot quoi. Moi et moi coincés entre quatre putain de murs faits d'os.
Impossible d'y échapper, y'avait la place que pour un.
Ouais, mais par où commencer ? La logique voudrait qu'on commence par le début, mais j'emmerde la logique, depuis le début. En fait, j'emmerde tout le monde. La vie, la logique, les gens ...
Moi même : j'ai eu une vie de merde, je semais et cherchais la merde.
Oh la merde ...
Et pis merde, je suis pas crevé, je suis pas entre six planches six pieds sous terre. Le Karma peut bien aller se foutre, les dieux et les diables aussi. Faudrait déjà y croire.
Alors je vais commencer par la fin. L'île maléfique. J'arrivais je sais pas trop où et je repars avec surement un bras en moins sur un navire des Saigneurs. Wow, sacré raccourci. Je crois que le connard en moi est fier.
J'arrive, je cherche la merde. On m'envoie bouler, je pars, je cherche la merde ailleurs. Je trouve mon maitre en rechercher d'embrouille, mais comme un papillon de nuit vers un brazero, je me jette dans les flammes. Faut que j'arrête les conneries. J'aime la provocation et il faut que j'aie le dernier mot. Comme si je voyais un piège un loup et que je devais y foutre mon pied pour montrer au connard qui l'a posé que je peux m'en sortir.
Sauf que j'ai bien failli ne pas m'en sortir et je crois que je vais perdre un bras à cause de mes conneries.
Pis j'ai rencontré Kiril. Je mets ma vie encore plus en jeu à cause de mes conneries. En même temps, je crois que ça en valait la peine. N'importe qui aurait le maximum quand il sait qu'il touche un de ses rêves du bout des doigts. Surtout que mes rêves se sont tous cassés la gueule un par un.
Je voulais devenir esclavagiste, voilà que je me prends de pitié pour une gamine qu'on aurait sacrifiée pour des dieux de pacotille.
Je voulais l'arme légendaire, voilà qu'elle n'existe plus et que je fais tout pour chopper celle d'un Lieutenant d'élite. J'ai failli crever et l'arme veut pas de moi. Enfin, elle veut bien me découper en rondelle mais elle veut pas de moi comme porteur.
Il me restait plus qu'à intégrer les Saigneurs. Mon dernier rêve, ma dernière chance.
Qu'est ce que je vais foutre après ? Je vais les suivre, okay. Si j'ai plus rien pour tirer vers l'avant, je sais qu'ils seront là pour me pousser derrière en même temps qu'eux. Mais ils sont d'une autre carrure que moi. Tôt ou tard, je vais me faire laminer. Encore plus qu'aujoud'hui je veux dire.
Mais pourquoi je me plains bordel ? Je suis un bouseux du Grey T ! Je devrais être heureux de ce que je suis en train de vivre -ou plutôt de subir en ce moment- mais je me mets à avoir des doutes.
Putain de sale période.
Au moins, quand je vivais coup de flamme sur coup de flamme, j'avais pas le temps de me poser ces questions. Mais je risquais ma vie. Je crois que c'est ce qu'il faut pour se bouger du Grey T.
Parce que toutes les personnes qui ont réussi à décoller du Grey T avaient de la volonté. Spica, Serena, Galowyr, Mai. Et surtout Joe ! M'sieur Joseph Patchett ! Il sort du Grey T pour être dans l'équipage d'un Capitaine Corsaire ... Et y'a ... moi.
Le seul qui me ressemble le plus, c'est Galowyr. Il est devenu pirate.
Mais bordel, toutes les filles sauf peut être Spica sont devenues Marine, c'est peut être pas la belle vie tous les jours mais plus que la mienne au moins. Même si j'ai le privilège de la liberté et que je le cèderais pour rien au monde.
Peut être que j'étais dans l'erreur. Je me disais qu'en venant du Grey T je pouvais qu'avoir une vie de merde. Mais au final, la vie, t'en fais ce que t'en veux. Sinon, tout le monde de là haut finirait mal. Ouais, bon, c'est le cas pour la plupart des gens mais le reste sont déjà des exceptions parce qu'ils ont eu la volonté de se bouger le cul.
Peut être que la vie m'a pas craché dessus comme je le pensais. C'est moi qui s'entête à lui cracher dessus, alors que si j'en suis arrivé ici c'est grâce à elle. Que si aujourd'hui je suis pas mort face à ce putain de Lieutenant d'élite c'est parce que la vie m'en a fait voir de toutes les couleurs. La vie c'est qu'un combat de tous les jours, et j'aimais ça avant, je me rajoutais du piment tout seul. Et ce combat on peut le mener encore mieux quand on a connu la galère ou qu'on a les moyens de surmonter les problèmes de tous les jours. Faut pas avoir la vie facile quand on a des combats à mener, c'est la vie qui nous rend fort.
Je crois que je lui en dois bien une. Je crois même que moi aussi je peux avoir une bonne vie. La vie que je veux. Mais il faut que je me donne les moyens, sans me mettre en danger encore plus.
Peut être que je peux moi aussi partager ma vie. Je dis pas que je veux rester enfermé, ça j'y arriverais pas mais prendre le temps pour moi et l'apprécier. Apprécier la vie.
C'est ça où je finirais par crever. Même si je suis sur le mauvais chemin, je sais qu'il n'y en a pas qu'un.