Chantier naval d'Armada, en pleine nuit. La lune est basse aujourd'hui, plus basse que la normale. En se concentrant un peu, on pourrait la ressentir sous nos pieds. Avec ses hauts et ses bas, la marée doit être agitée. Dans ce faux abri, à l'intérieur de la plate-forme flottante, les vagues se brisent bien loin de nos oreilles. Ici les seuls bruits sont ceux de la nuit, et les mouettes... et les mouettes. Depuis qu'elle est arrivée ici, ce cri la suis partout. Durant un café, avant de se coucher, à n'importe quel instant, on peut entendre leurs appels. C'est à en devenir fou, et à observer certaines gueules, certains y ont plongée la tête la première. Armada a une réputation à tenir, et elle le fait bien. Pas moins de deux heures plus tôt, aux alentours d'une heure, la jeune archéologue avait bien failli tomber dans une embuscade. Mais, à la vue de la ruelle étroite, du peu de luminosité et de son avance, elle s'était résolue à prendre une rue adjacente. Intuition féminine, bon sens ou chance. Le coupe-gorge se referma, quant à lui, sur deux travailleurs ivres comme cochon.
Ignorant tout de cette anecdote, Levy tremble en attendant ses compagnons. Le vent s'engouffre comme un diable entre les carcasses des navires. Entre ces dernières, une passerelle de bois, et principalement de bric et de broc, permet de circuler au sec. Appuyée contre un baril, un capuchon sur le visage, la blonde envisage. Un mauvais coût du sort, des bandits passant par là, l'imprévu qui fout tout en l'air. Coup d’œil à droite, le ponton continue tout droit, personne. Regard à gauche, idem, le ponton suit sa route avant d'arriver à un carrefour, à deux ou trois cents mètres, toujours personnes.
Brrrr. Une nouvelle rafale de vent s'infiltre entre ses habits. Il ne manquerait plus que de la neige et on aurait la totale : air humide, vent froid et neige. Le parfait cocktail pour tomber malade. Tout en se frottant frénétiquement les mains contre les cuisses, Levy n'a qu'une envie. Rentrer dans son une pièce provisoire, s'allonger sur le tapis de sol, s'enrouler dans sa couette et dormir. C'est dur la vie de révolutionnaire, surtout lorsqu'on en grimpe les échelons. Encore cavalier, ça allait. Ils appellent une fois de temps en temps pour essayer de convaincre un mec. Ou bien ils envoient directement sur place. Mais là ! C'est quinze coup de fil par jour. -Dis-moi l'équipe 5, elle est bien parti sur XXX ? -Et sinon pour le projet 0KX42, des news ? -Tu as contacté bidule ? Non ! Non ! Non ! Par pitié, laissez-là se reposer.
-3h46. Ils sont longs, il leur est peut être arrivé quelque chose ? Le rendez-vous était fixé à 3h40. A moins que... Levy tourne le petit bout de papier où est inscrit le chemin. Peut importe le sens, elle ne reconnaît pas l'endroit. Bon, mauvais départ, elle est perdue au point qu'elle en jette le mouchoir au sol. Et merde, c'est pas possible ça. Voila ce qui arrive quand on traîne trop dans la jungle. On perd la notion d'espace en milieu urbain, voilà tout. Se redressant, elle s'imagine les trois compères se poser les mêmes questions qu'elle. Un sourire sur les lèvres, elle prend à droite. Sa direction, inconnu, son but, l'adresse mémorisée du papier, comment, aucune idée. Comme on dit, un intellectuel assis va moins loin qu'une brute qui marche. Parfois, l'intellectuel doit bouger ses fesses et se décider à marcher.
Elle tourne toujours dans la ville, si on peut l'appeler ainsi. Cela fait bien une heure de plus, elle a l'impression d'avoir épluchée tous les recoins du chantier navale. Sans trop s'aventurer dans les ruelles les plus étroites et odorantes, la jeune révolutionnaire n'a pas vu la moindre trace du trio. D'un haussement d'épaule, elle bifurque d'un demi-tour et retourne sur ses traces. La capuche toujours sur les yeux, elle réfléchit à sa prochaine journée. L'entretien est maintenu, même endroit même heure. Çà emmerde quand même bien son monde. Tout aurait pu être fini ce soir, mais non. Tout est à recommencer.
Sur le chemin retour, un léger brouillard s'installe doucement entre les passerelles. Puis, sans se presser, il ronge le chemin jusqu'à couvrir les trois quart des jambes de la mannequin. Qui sont, rappelons-le, légèrement plus longue que la moyenne, ce qui lui donne cette allure princière et sa taille de guêpe. De plus loin, des voix s'élèvent petit à petit. Levy, en levant les yeux, voit trois silhouettes se démarquer dans la nuit.
-On aurait du prendre la bouteille de saké.
-Y'en avait plus.
-Quoiii ?
-Restait qu'une gorgée.
-Une gorgée ?! Au moins le tiers oui !
-Il en reste sur le navire, c'est bon...
-Ah bah enfin ! J'ai cru ne jamais tomber sur vous. Et pourtant y a pas foule. Hihi. Bon alors, où en êtes vous ?
-Heiin ? T'es qui ?
-Jolies jambes...
-???
-Ah mince, excusez-moi. Bonne soirée.
-Hey, pars pas comme ça.
-Hey, enlève ton capuchon !