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Gods

Gods
Kain & Kandra

« Le miroir est l'âme de la femme comme le sabre est l'âme du guerrier. »


Lentement, doucement, les pétales des fleurs de cerisiers voletaient dans les airs, portés par les brises légères et les vents doux de l’île de Shimotsuki. Elle regarde, elle observe, cette ville qui s’anime alors que dans son cœur et sa tête, un vide y règnent en maitre. Elle est belle l’incertitude qu’elle éprouve devant cette île qui s’offre à ses yeux d’or. Le métal en fusion de ses prunelles fixe la montagne au loin. Le paysage est familier. Les odeurs réveillent ses souvenirs. Ses sens sont en alerte.
Elle avance d’un pas décidé, quittant les quais, s’engouffrant dans l’enceinte de Shimotsuki autant que dans sa mémoire.

Bienvenue à la maison.

Les bruits explosent, elle reste fixé sur son objectif, elle sait que son double la suit, ses pas dans les siens. Elle ne dit rien, elle n’est pas très bavarde, et, dans cet endroit où la flemmardise est mal vu, ils feraient mieux de ne pas se faire remarquer. Si la jeune femme a pu briller par son aptitude à apprendre les arts du combat, son frère, lui, possède un flegmatisme qui fait tâche sur l’île aux lignes asiatiques.

Venir ici était pourtant une nécessité.
Et dans l’agitation incessante de la ville portuaire, ils se fondirent dans la masse, sans un bruit.

Bienvenu à la maison.


Les minutes passent, le soleil décroit et la lune le suit à son opposé, continuant leur course infatigable. Elle lève la tête et se réjouie des couleurs chatoyantes qui couvrent peur à peu le ciel. Elle préfère la nuit au jour. Elle a toujours préféré les ombres, comme sa mère aux allures de serpent venimeux. C’était une femme douce et aimante, mais sous la douceur de sa voix et de son sourire, elle dardait sur vous son regard hypnotisant pour vous piquer avec ses ongles trempés dans du poison. Et pourtant cette femme avait eu deux enfants, des jumeaux qui avaient grandis dans l’amour et la rigidité.

Kain et Adrénalia.
Nos protagonistes.

Mais si la nuit se fait lentement une place dans les cieux, les rues, elles, ne désemplissent pas.

Se frayant un chemin à travers la foule, ils arrivent finalement dans une boutique, dans le centre de la ville, à la devanture rougeoyante et aux portes grandes ouvertes. Un vieil homme travaille sur une enclume, faisant chanter le métal et danser les flammes. Il martelait une lame de son marteau dans des gestes à la fois habiles et puissants. Les coups résonnent dans l’habitacle, faisant vibrer leurs tympans plus fort que les bruits de la rue dans laquelle ils se trouvent encore. Sur le pas de l’échoppe, la jeune femme avance d’un pas. Au dessus d’elle, l’enseigne annonce un forgeron : Le Dragon.

Il lève la tête vers les jumeaux et reprend son travail comme s’ils étaient partis depuis quelques minutes, comme s’il ne s’était pas écoulé des années depuis leur dernière visite ici, comme s’ils étaient simplement sortis s’acheter quelque chose et était revenus tout de suite après.

Bonsoir grand père. Dit elle d’une voix sans ton.

Un grognement abrupt lui répond. Les bruits métalliques ne s’arrêtent pas.

On t’attend en haut. Reprit-elle en prenant la direction du petit escalier situé derrière lui.

Alors qu’ils passent à côté de lui, le Dragon regarde fixement son petit fils, puis ils disparurent, montant les marches qui menaient à l’habitation.

Elle ouvre la porte qui mène à un intérieur typiquement asiatique, aux meubles presque absent et au sol recouvert de tatamis. En haut des murs, des portraits sont soigneusement inclinés. Ils enlèvent leurs chaussures et prennent place dans la pièce.

La salle à manger dans laquelle ils posent le pied est constitué d’une table basse et de quatre coussins posés à même le sol. L’intérieur est simple, on devine qu’il ne s’agit là que d’un logement de fonction. En effet, la famille des jumeaux avaient un large domaine aux abords de la ville, en s’enfonçant vers les terres. Machinalement, elle se dirige vers la kitchenette et sort le nécessaire à thé du placard, avant de mettre de l’eau à bouillir. Comme si elle faisait ça tous les jours.
Alors qu’il y a bien longtemps qu’elle n’a pas préparé le thé. Les habitudes d’une vie passée semblent revenir comme si rien n’était arrivé. Comme s’ils n’avaient pas rejoint la Révolution…

Comme si la Purge n’était qu’un mot.


Elle n’avait rien dit à Kain au sujet de leur destination. Rien dit sur leur visite surprise à leur grand père. Elle s’était demandé s’il aurait été d’accord pour venir malgré tout, mais elle avait un doute sur la question… Le Dragon est un travailleur acharné, la dernière fois qu’ils étaient venus, il passait le plus clair de son temps à reprocher à Kain son envie de lecture et son manque d’implication dans le travail. Aussi, elle n’avait pas donné plus d’explications depuis qu’ils étaient arrivés.

Silencieuse comme les ombres.

Mais elle avait de bonnes raisons de l’avoir traîné ici. Elle avait toujours de bonnes raisons. Du moins à ces yeux. Et, alors qu’elle prépare le thé avec des gestes ancestraux, elle continue de se dire qu’elle a eu de bonnes raisons. Surtout maintenant qu’ils ont rejoint les rangs d’une cause comme la Révolution. Aujourd’hui elle a un plan en tête. Et Kain et son grand père sont au cœur de ce plan.

Tu veux du thé ? Demande-t-elle innocemment.

Bienvenue à la maison.
© Silver Lungs
    Kain restait debout en silence, adossé au cadre de la porte. Kandra était en train de préparer du thé tandis qu'il fixait, les yeux dans le vague, l'escalier par où ils étaient venus. Il était absorbé par les lueurs rougeâtres qui provenaient de la forge, et qui se reflétaient sur les marches en bois. Cette chaleur et cette odeur de suie donnait un caractère à la fois austère et étouffante à cet escalier. Comme si ces marches conduisaient à un tunnel sombre et oppressant. Comme si cet escalier conduisait droit vers l'enfer. Ou vers l'antre d'un dragon.

    - Tu veux du thé ?

    Kain eut un léger sursaut, sortant de ses songes éveillés. Il se tourna vers sa sœur qui lui adressa un chaleureux sourire. Il acquiesça, sans pour autant le lui rendre. Il n'était pas dupe, et encore moins idiot. Il y avait une bonne raison de leur venue ici, et ce n'était sans aucun doute pas une visite de courtoisie. Quoique Kandra avait derrière la tête, cela ne présageait rien de bon pour son frère.
    Ils avaient embarqué à la hâte de la base révolutionnaire et le jeune homme n'avait pas la moindre idée de la destination qu'ils prenaient. Et il ne comptait pas trop sur Kandra pour lui donner quelque indice que ce soit. Elle n'avait fait que l'emmener avec elle après tout. Et Kain l'avait suivi sans poser de question, comme à son habitude. Mais c'était sans réel enthousiasme qu'il reconnue les côtes de Shimotsuki.


    Le Tahamagane, acier traditionnel utilisé dans la conception des sabres, est essentiellement composé de carbone et de fer.

    Tandis qu'il s'installait en tailleur devant la petite table basse en cyprès, il se remémorait ce que lui avait jadis enseigné son grand-père. Il se souvenait de ses leçons sur la confection des pièces de fonderie et sur l'art de la métallurgie. Et sur ses nombreuses réprimandes et ses remarques dénués de compliments. C'était plutôt triste à dire, mais les derniers souvenirs qu'il avait de son grand-père était son visage rouge bouffie par la colère et ses remarques désobligeantes. Non, il ne gardait pas un très bon souvenir de son grand-père.
    Il ne put s'empêcher de remarquer, lorsqu'il était passé sans un regard près de son grand-père (ce qui ne l'empêcha pas de remarquer le regard insistant qu'il avait tenu à son égard), que ce dernier était en train de confectionner un sabre traditionnel. Et en vue la qualité du métal qu'il semblait être en train de forger, cela devait être une pièce à l'attention de l’École aux trois Sabres. Ou pour la division Katana de la Marine.

    Le fer entrant dans la composition du tahamagane peut provenir de trois minéraux distincts : la magnétite, la marcassite et l'hématite.

    Pourquoi se rappelait-il de tout cela ? La dernière fois qu'il avait eu le loisir de forger une pièce de métal, Kandra lui servait encore du thé. Donc autant dire que cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas mis à profit ses connaissances en métallurgie. Mais à croire qu'il n'est jamais trop tard pour s'y remettre. Il sourit, amusé par l'ironie de la situation.

    - Pourquoi sommes-nous ici, Kandra ?

    C'était les premiers mots qu'il prononçait depuis qu'il avait posé un pied sur son île natale. Il ne supportait plus d'ignorer la raison de leur visite improvisée. Ils n'étaient certainement pas en mission et ils étaient bien là pour une raison personnelle. Et il semblait que Kandra en était la seule investigatrice.
    Et qu'en était-il de leur grand-père ? Etait-il au courant de leur venue, ou cela était-il également une surprise pour lui aussi ? Il n'était pas du genre très expressif et il ne supportait pas montrer qu'on pouvait le prendre de court. C'est pourquoi il était inutile d'y percevoir une lueur de surprise dans ses yeux. Fidèle à lui-même, il n'avait rien dit, feignant presque l'ennuie, comme si rien ne lui était imprévisible, continuant à frapper de son marteau le métal chaud. Imperturbable, il n'avait pas changé.
    Et la forge non plus. Rien n'avait changé. L'odeur âcre du brulé mêlé à celle du métal, la chaleur réconfortante du feu qui crépitait dans son foyer, les crépitements du métal battu à chaud suivit du sifflement lorsqu'il était plongé dans l'eau. Et leur grand-père, toujours dans son atelier, attelé à battre une pièce d'arme de son marteau contre l'enclume. Ils avaient beau être parti depuis des jours, des mois ou même des années, rien n'avait changé. Comme si l'échoppe était intemporelle et ne changerait jamais au fil des âges. Malgré le mauvais souvenir qu'il gardait de son grand-père, il se sentait apaisé en ces lieux, comme s'il revenait dans un lieu calme et paisible après des jours passés au cœur d'une tempête. Il était chez lui. Mais cela, il ne pouvait l'admettre.

    - Je ne sais pas si tu y prends un quelconque plaisir malsain là-dedans, mais tu sais très bien que je ne supporte pas d'être ici. Encore moins d'être avec lui.

    Un vacarme sourd lui parvint de l'escalier, suivi de bruits de pas qui résonnaient le long des marches. Kain tourna la tête vers l'entrée de la pièce. Quelqu'un montait.
      Gods
      Kain & Kandra

      « Le miroir est l'âme de la femme comme le sabre est l'âme du guerrier. »

      Je prépare le thé grand père. Dit elle à l'homme qui traversa la pièce, s'enfermant dans la salle de bain.

      Il est de notre famille, Kain. Et on a besoin de lui. Chuchota-t-elle.

      La cause qu'ils avaient rejoint il y a quelques mois était en plein essort, ils leur fallait des bases, des endroits où se ravitailler... Des bases secrète. Shimotsuki avait été sur la liste, et, faisant partie de cette civilisation, Adrénalia avait ajouté son nom à coté de celui de l'île.

      Le but aujourd'hui était de convaincre leur grand père de marcher avec eux. Le convaincre de marcher avec la Révolution et de faire en sorte que les habitants les suivent.

      Mais elle avait une autre idée en tête.

      Et puis rappel toi quand on était petit. Grand père essayait de t'apprendre des trucs. Ses trucs. Ca ne te plaisait pas? J'ai toujours cru que tu adorais créer, manipuler, fabriquer... Mener une idée d'un point A à un point B.

      Elle lui sourit gentiment en poussant vers lui une tasse de thé fumante.

      Pour la cause qu'on a rejoint, et l'aventure qu'on s'apprête à vivre, il me semble que ce serait pas mal de mener cette idée aussi loin que possible. Tu ne crois pas? Je te parle de devenir ingénieur. Avoues que ca sonne bien? Et moi j'ai besoin d'arme. J'aurais plus confiance si c'était toi qui les faisais.

      Elle jeta un oeil à la porte de la salle de bain où un bruit d'eau se fit entendre.

      Tu as cinq minutes pour prendre ta décision.

      Puis elle s'assit et commença à boire son thé.
      © Silver Lungs