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Justice Absolue !


« Je ne comprends toujours pas ce qu'on fait encore là. » Signala Knight Bluto en mâchonnant sa salade.

Tranquillement installé dans leur chambre d'hôtel, le duo de choc de Daily XXXX était en train de remettre de l'ordre dans les notes de leur reportage à Manshon. Et de décider de la marche à suivre pour la suite.

« Alors en fait, c'est très simple, explique joyeusement Nash. C'est un peu comme une grosse partie d'échec entre deux pointures mondiales ! »

Histoire d'appuyer son propos, Nash dégaina un jeu d'échec qu'il posa sur la table, devant Knigt Bluto, avant d'aller chercher deux presse-livres qu'il posa de part et d'autres du plateau.

« Tu vois, le type qui joue les blancs, c'est Red, le terrrrible et rrrredoutable pirate qui fait trembler le monde, le gouvernement, la marine et le Boru Bodur. Une pointure, un forban, un vrai de vrai qu'on ira interviewer un de ces quatre.
« Red a bougé le premier pion en formant l'Armada, expliqua Nash en posant la reine blanche sur le plateau. Ouais. Bon, pour le coup, il ne s'est pas foulé pour le nom, en fait.... Ce que tous les analystes s'accordent à identifier comme la première étape d'un plan pour accéder au deuxième rang le plus élevé des forbans : devenir un Empereur du Nouveau Monde !
_ C'est qu'au deuxième rang, ça ?
_ Y'a encore Roi des Pirates, au-desssus.
_ Genre, y'en a qui cherchent encore le One Piece ? D'accord, c'est pas ce que j'ai demandé mais je vais suivre ton raisonnement. Donc si c'est une partie d'échec, qui est le deuxième joueur ? Demanda l'escargophone géant.
_ Aha ! Excellente question, Knight Bluto ! Il s'agit de la non moins terrrrible et rrrredoutable Impératrice Tashahari. Sauf qu'elle ne le sait pas encore.
_ Comment peut-elle ne pas être au courant ?! S'exclama le gastéropode.
_ Hé bien, en fait, c'est parce que ses pions ont joués sans l'avertir, expliqua Nash. Ou plutôt, parce que d'habitude, ce ne sont pas ses pions.
_ Cause plus clair, tu veux.
_ Le roi des pions noirs a bougé de lui-même en réponse au premier coup de Red, expliqua Nash en posant ladite pièce sur le plateau. Et ce roi n'est nul autre que le Gila, que nous avions pris en filature ! »

Le journaliste se releva d'un bond et alla farfouiller dans l'une de ses pochettes, avant de revenir avec une petite photo sur papier glacé et de la poser au pied du pion du roi noir.

« La semaine dernière, le Gila embarquait sur le poids plume, navire de gros tonnage appartenant à la compagnie Maritime de Manshon Travelling. Et on y était ! Bon, il s'avère que le Gila ne se rendait pas à un concours de danse de salon comme j'en étais persuadé... Mais en fait, c'est parce qu'il fait encore mieux. Parce qu'au port, il a été accueilli par... Tadaaaa ! S'enthousiasma de plus belle le journaliste en plaquant une autre photo à côté de celle du Gila. Roy en personne ! Ou bien est-ce plutôt Joy ? … J'ai toujours un doute avec ces jumeaux.
_ Ça, j'avais compris qu'il était important, vu comment tu étais tout excité quand il est apparu. Mais tu ne m'as toujours pas dit qui c'était.
_ Roy et Joy sont... Hé bien, eux, ce sont des pions. Ou non, plutôt des fous, décida Nash en ajoutant deux fous noirs à côté de la photo. Et en fait, ils sont surtout des hommes de mains de grande confiance de Don Carbopizza, alias Manuel Tempiesta, le parrain de la famille Tempiesta, le groupe économique et armée le plus important et le plus influent de tout Manshon, voire même de tout North Blue ! Don Carbopizza, lui, c'est... c'est aussi un roi, en fait. Ouais. Les noirs ont deux rois en jeu, gnihihi !
_ Les échecs n'étaient peut-être pas la meilleure des analogies, en fait...
_ C'est pas ma faute s'ils ne respectent pas les règles, hein... Bref. J'ignore où Joy ou bien est-ce Roy ? a emmené le Gila...
_ Normal, tu as été tellement discret avec tes photos qu'on s'est fait courser pendant une demi-journée par leurs gros bras de bas étage !
_ Oui, mais sans le flash, la photo aurait été trop sombre, gwahaha ! Toujours est-il qu'ils l'ont emmené quelque part – probablement l'une de leurs planques – pour des négociations.
_ Qu'est-ce que tu en sais ? S'enquit Knight Bluto.
_ Héhé ! Tu as oublié ? On est dans une partie d'échec entre Red et l'Impératrice Tashahari. Red brigue clairement une place d'Empereur Pirate, place que détient déjà Tashahari. Maintenant, n'oublie pas qu'avec la chute de l'Empereur d'Ivoire, une place s'est libérée parmi les quatre, ce qui ouvrent un boulevard très opportun pour Red.
_ Certes, mais je ne vois toujours pas le rapport avec notre affaire.
_ Le Gila est le parrain – au sens familiale – de Tashahari. L'Enfant Prodige est un peu la fille qu'il n'a jamais eu, tu vois, révéla un Nash tout sourire.
_ Quoi !? Mais d'où tu sors ça ? S'exclama le gastéropode géant.
_ Une rumeur. J'ai laissé traîner mes oreilles près du gratin de la marine, au dernier séminaire du Gouvernement « équilibre mondial, études des impacts et retombés sociétales et macro-économiques appliqués à North Blue ». Eux parte du principe que c'est on-ne-peut-plus fondé, alors moi aussi. »

Le journaliste se carra plus confortablement dans son fauteuil et tapota ses mains du bout des doigts devant son visage.

« Attention, tout ce qui suit est pure spéculation de ma peur. Mais à tous les coups, j'ai raison, parce que c'est beau comme ça se tient, gnihihi.
« Je dirais que le Gila craint que l'arrivée de Red et l'instauration d'un nouvel équilibre parmi les quatre ne se fasse au détriment de sa filleule préférée. Or, ce monsieur contrôle de façon direct et indirect la quasi-totalité de la pègre de South Blue. Tandis que les Tempiesta chapeautent solidement de la pègre de North Blue. Et tu sais ce qu'il se passera si la pègre de deux Blues décident de pactiser ?
_ Ça sign...
_ Le plus grand vivier de talents doublé une puissance logistico-financière à faire pâlir d'envie la marine ! Tonna Nash sans prêter attention à la réponse de Knight Bluto. Voilà ce que ça donnera !
« Avec une telle puissance, l'Impératrice Tashahari pourrait sans problème damer le pion à... Ah oui, non, flûte, on est dans une métaphore liée aux échecs. Alors elle pourrait plutôt mettre échec et mat Red. Et puisque l'Impératrice est dans le nouveau monde, il faudrait des gens compétences et sédentaires pour guider cette nouvelle organisation dans les blues...
_ Le Gila à South Blue et Don Carbopizza à North Blue, compléta Knigth Bluto.
_ Exact ! Ils deviendraient les types les plus riches, les plus puissants et les plus importants des blues. Tu vois, c'est le genre d'offres qui ne se refusent. Donc en résumé, le premier mouvement du Roi des Noirs, enfin, le roi numéro un, vu qu'ils en ont deux, vise à consolider la ligne de bataille. »

Joignant le geste à la parole, Nash rapprocha les deux rois noirs et positionna les deux fous noirs autour.

« Mais évidemment, la partie ne fait que commencer. Face à ce qu'il faut bien appeler un 'coup de maître', Red n'est pas resté sans réaction. C'est là qu'en redoutable forban retors qu'il est, monsieur a décidé de surprendre son monde. Après avoir remis en liberté le rocher volant du Boru Bodur, tout le monde pensait qu'il allait s'en servir pour rejoindre la Route de Tous les Périls. Alors qu'en fait, pas du tout ! Il est resté sur la terre ferme. Et puisqu'il se trouvait à North Blue, ç'aurait été trop bête de sa part de ne pas venir fourrer son nez dans les affaires qui se trament à Manshon.
« Et bam ! Mugit un Nash passionné en dressant brusquement un roi blanc sur le plateau d'échec. On a le futur Empereur Red qui débarque sur l'île. Ai-je dit que je comptais bien l'interviewer pendant son passage ?
_ Hélas, oui...Sauf que pour un type de son envergure, il se fait vachement discret, je trouve.
_ Aha ! Rigola Nash. Ça, c'est parce que tu n'y connais rien à la politique. Ok, Red peut sûrement défoncer tout le monde sur l'île, le Gila et Don Carbopizza en tête... à condition de les trouver. Or il est l'Ennemi avec un grand É.
_ 'É' ?
_ Parce qu'à l'oral, ça sonne mieux que 'l'Ennemi avec un grand E' ! Bref, s'il veut régler ses petites histoires par la force, Red devra d'abord montrer patte blanche pour que quelqu'un l'aide. Et même alors, c'est très risqué : les mafieux sont très porté sur la vendetta, donc une action trop frontale de sa part aboutira au résultat même recherché par le Gila : une ligue des mafias contre lui. Nan, nan, nan, Red ne peut pas se le permettre, il lui faut d'abord des alliés en suffisamment grand nombre pour qu'ils prennent le contrôle de la mafia de North Blue à la chute des Tempiesta. Et donc... »

Nash laissa tomber une poignée de pions noirs, qu'il saupoudra de quelques pions blancs, au milieu de l'échiquier.

« Lutte d'influence sur les petites factions qui forment la base tangible de la mafia à Manshon. Et c'est là que l'Histoire a commencé à s'écrire, parce que le troisième joueur est entré en lice !
_ Un jeu d'échec à trois ?
_ Pourquoi pas ? Y'a quatre face à un échéquier.
_ Elle devient ridicule, ta métaphore...
_ Tu vois cet atlas ? Demanda Nash en posant le livre devant l'une des faces inoccupées du plateau. Il s'agit du Gouvernement Mondial, dont les services secrets ont transmis au QG de la marine à North Blue les informations de ce qui se tramait à Manshon.
_ Donc le troisième joueur, c'est la marine.
_ Voilà ! C'est exactement ça ! S'exclama Nash, ravi.
_ Alors pourquoi t'as dit le Gouvernement Mondial ?
_ Parce que j'ai pas bateau pour symboliser la marine et que l'atlas colle vachement plus au Gouvernement Mondial.
_ Parfois, t'es quand même vachement désespérant...
_ Bref. La marine de North Blue est sous les ordres du sous-amiral Jared, notoirement connu pour sa paranoïa légèrement excessive et son goût pour les actions d'éclats médiatiques. Donc forcément, union de la pègre, le Gila et Red dans la même phrase, ni une, ni deux, il visualise Red à la botte de l'Impératrice pour annexer deux Blues en même temps. Afin de contrer cette menace contre la pérennité du monde civilisé, il prend la tête des troupes stationnés au QG, rallie à lui tous ceux qu'il croise en chemin et paf, le voilà qui débarque à Manshon, il y a quatre jours.
« Et parce que c'est un sous-amiral qu'il faudrait voir à ne pas confondre avec un quelconque sous-fifre, monsieur n'hésite pas à se donner en spectacle. Résutat: bombardement de sommations, déploiements de troupes dans les rues, mise en place de points de contrôles au sortir de la ville, zone d'exclusion maritime tout autour... On a eu le droit au grand jeu.
« Ce qui nous rajoute sur le plateau... »

Nash interrompit soudainement, prenant brusquement conscience que ces stupides jeux d'échecs n'avaient des pions que de deux couleurs : noirs et blancs. Et qu'il les avait déjà utilisé pour Red et l'Impératrice. Ce qui foutait la merde dans sa superbe métaphore. Il aurait fallu un jeu d'échec avec des sets de pièces de plusieurs couleurs différentes, ç'aurait été nettement plus pratique. En plus, il aurait pu donner les rouges à Red et ça, ç'aurait carrément était la classe, quoi...

« Heu... Nash ? Un problème ?
_ Nan, ça va aller, les marines, ils ont le droit aux pions de dame blancs. Ouais, ça va le faire!. Donc, on rajoute sur le plateau : Jared, sous amiral de la marine, responsable en chef des opérations, trois pions de dame blancs, parce qu'il est badass'. Et sa photo que j'ai découpée dans le journal. CAPSLOCK, commodore, responsable de la chape, le dispositif de quarantaine mis en place autour de Manshon. Deux pions blancs et sa photo de promotion après les événements de Panpeeter., Uriel, commodore, responsable du maintien de l'ordre, assigné en ville avec ses troupes, Deux pions blancs aussi et la photo de sa parade d'arrivée à Manshon et enfin, Aeron, Lieutenant d'élite des forces spéciales, à la tête des troupes de réserves... Mais à mon avis, c'est rien qu'une couverture officielle, ils ont du prévoir de s'infiltrer en civil dans Manshon. Deux pions aussi parce que j'ai pas de demi-pion et que trois, c'est pour Jared. Pis y'a pas de photo... Trop nul, faudra arranger ça. »

Le jeune journaliste se rejeta de nouveau en arrière sur son fauteuil et arbora un grand sourire.

« Comme tu t'en doutes, Knight Bluto, une partie à trois joueurs, c'est toujours un peu bordélique.
_ T'admettras pas que ta métaphore tient plus la route, hein...
_ En vertu de l'autorité du Gouvernement Mondial, la marine a donc sommé Manshon de lui livrer Red, le Gila. En pures pertes : la loi du silence surpasse le code civil dans une île où tout le monde fraye de près ou de loin avec la mafia. Mais on ne la fait pas, à Jared : il sait tout de suite quand on lui cache quelque chose ! Bon, en fait, il est toujours persuadé que le monde entier se ligue pour lui cacher des choses... Mais là, du coup, il avait raison. Il a donc décidé de faire monter la pression à l'aide de quelques actions coups de poing. Ou plutôt, en donnant des coups de pieds dans la fourmilière... »

Nash appuya son propos en donnant une pichenette au plateau d'échec, ce qui provoqua la chute du tas de petits pions pêle-mêle qu'il avait entassé au milieu et dont plusieurs s'éparpillèrent en roulant sur le plateau.

« Et contrairement à d'habitude, les marines sont présents avec un objectif précis et sont décidés à démêler tout le sac de nœud que constituent Manshon s'il le faut. Panique chez les fusibles intermédiaires de la mafia, les Noirs ripostent : tentative d'assassinat et guet-apens dans les rues, cocktails molotov nocturnes sur les points de contrôles, ils sortent le grand jeu à leur tour.
« En réponse, les Bl... Ah flûte, je ne peux pas dire les Blancs, ça c'est pour le camp de Red... la marine hausse le ton : instauration de la loi martiale, abolition des droits universels des citoyens, couvre-feu, comparution immédiate sous le chef d'accusation « pirate » de tous les contrevenants pour permettre des procès expéditifs et pas franchement équitable, du coup. La pression montre, jusqu'à l'émeute meurtrière d'avant-hier sur la place du marché, et qui est brutalement réprimée par la marine. Qui décide de fermer définitivement le couvercle de la marmite pour faire monter la pression. Ah non, flûte, c'est plus la bonne métaphore, là... »

Nash s'interrompît, cherchant vainement comment transposer le coup de la marmite dans un jeu d'échec. Knight Bluto en profita donc pour en caser une, chose qu'il était plus difficile à faire quand le journaliste prodigue se laissait dans ses explications passionnées.

« Mais il y a un truc que je ne pige pas, demanda l'escargophone. Don Carbopizza doit bien voir que plus longtemps la marine restera et plus ça lui sera préjudiciable. Par ailleurs, s'il ne fait rien, les différents clans et gangs vont remettre question son leadership et agir par eux-mêmes. Alors pourquoi la situation ne se résouds pas d'elle-même ?
_ Ah, excellente question, Knight Bluto ! S'enthousiasma Nash d'un claquement de doigt. Et la réponse se situe en 1623, pour tout dire.
_ Heu...
_ À cette époque, les Tempiesta ont nettement perdu de leur influence. Ils sont passés d'ultra-majoritaire à majoritaires tout court. Genre, 95% de contrôle à 66%. Et dans une situation aussi tendue que celle-là, ce détail a son importance et pas des moindres.
« Il est tout à fait probable que Don Carbopizza ait songé à collaborer avec la marine pour limiter la casse. Mais pour paraître crédible, il faut qu'il leur apporte un présent. Le Gila, par exemple, puisqu'il ne détient pas Red. Un plan excellent... Mais pourquoi a-t-il merdé ? Fort probablement parce que des gangs ont décidés de jouer un pari intéressant : ils préfèrent que le Gila, parrain suprême de South Blue, contracte une dette envers eux. Et dans le même temps, que les exactions de la marine affaiblissent suffisamment les Tempiesta pour les renverser. En effet, quand la marine décide de frapper aléatoirement et de remonter les ramifications, il est évident que ceux qui vont morfler le plus, ce seront les Tempiesta en raison de leur position majoritaire.
« Donc en fait, expliqua Nash en se remettant à manipuler le plateau. Les Noirs ont provoqué un schisme, avec le Gila et quelques pions d'un côté et les Tempiesta de l'autre ! Hmmm... Sauf que les Tempiesta ne peuvent donc plus être considéré comme des Noirs, puisque les Noirs, c'est l'Impératrice et donc le Gila. Allez, zou ! Je remplace tous les Tempiesta par les pions du jeu de Dame noirs ! Ce qui nous donne l'arrivée d'un quatrième joueur sur le terrain : Don Carbopizza.
« Roooh, punaise, j'ai bien fait de faire ce schéma, la situation est quand même vachement plus claire, vu comme ça ! Se félicita Nash.
_ Génial, maugréa Knight Bluto. Et donc maintenant que c'est très clair, retour à ma question initiale : on fait quoi ? Parce que ce n'est pas une carte de presse qui va arrêter les marines et je n'ai pas envie qu'on finisse dans la liste des dégâts collatéraux de leur traque. »

Nash se tourna vers son meilleur ami et le pointa du doigt.

« C'est pas encore l'heure de filer d'ici, bonhomme ! Avant ça, on va attendre l'entrée en lice du cinquième joueur !
_ …
_ Gnihihi !
_ à un moment, faudra bien que tu la laisses tomber, ta métaphore... Et quel est l'identité de ce cinquième joueur ?
_ Les révolutionnaires, pardi ! S'ils font profil bas maintenant, ils deviendront la risée de tout North Blue. Tu ne peux pas prétendre te battre contre les injustices du Gouvernement Mondial et être aux abonnés absents le jour où la marine suspend justement les droits des citoyens. Naaaan, ils vont venir, et comme tous les journalistes sont en train de filer de Manshon avant que ça ne dégénère, on aura l'exclusivité ! Gnyahahaha ! C'est ex-cel-len-ti-ssime ! Le Daily XXXX va faire un tirage de folie. Imagine un peu ! On doit être les seuls envoyés spéciaux à rester sur place ! Nyahahaha ! »

C'est alors qu'on se mit à tambouriner avec insistance à la porte de la chambre d'hôtel. Pendant que Knight Bluto se carapatait dans sa carapace en mugissant « Une rafle de la marine, on est fini ! », Nash trottina tranquillement jusqu'à la porte et l'ouvrit sans même prendre la peine de regarder qui c'était par le cacheton.

« Bonjour ! Qu'est-ce qu'il y a ? Demanda gaiement le journaliste tout sourire.
_ Salut, Nash, répondit une imposante silhouette rendue informe par l'énorme poncho noire qu'elle portait.
_ Ah ! L'agent du CP !
_ Je ne suis pas agent du CP.
_ Aha ! C'est ce qu'ils disent tous ! Y'a que le CP9 qu'assume ! … mais c'est parce qu'ils tuent tout le monde après. Alors, qu'est-ce que tu fais sur l'île ? Un assassinat ? De qui ? Red ? Sans blague !? Il est où ? J'pourrais l'interviewer avant ? S'il-te-pléééé ?
_ Rien de tout ça, sourit l'homme. Mon chef éditorialiste m'a demandé de quitter la zone d'exclusion de la marine ce soir. Mais j'ai reçu une information très intéressante entre-temps et je me suis demandé : à quel confrère pourrais-je la confier pour qu'elle soit proprement exploitée. Et c'est là que ton nom m'est venu à l'esprit.
_ Uh ? »

Le grand échalas à la chevelure argentée farfouilla sous son poncho avant de tendre un carré de papier vers Nash. Ce dernier le déplia vivement, le parcourut en un éclair et écarquilla de grands yeux surexcité. Il releva la tête vers son interlocuteur... qui n'était déjà plus là.

Nash referma la porte et se tourna vers Knight Bluto.

« Nyahahaha ! Écoute ça, vieux frère : la marine a lancé un appel aux chasseurs de prime des environs pour un travail « fort bien rémunéré ». Bwahaha ! La marine passe la vitesse supérieure !
_ Comment ça ?
_ Contrairement aux marines, les chasseurs de primes ne sont pas pieds et poings liés dans leur méthode : rien ne leur est interdit tant qu'ils n'enfreignent pas trop la loi. Ce qui veut dire... que les troupes d'élites de la marine vont agir sous couvert d'être des chasseurs de prime, ce qui dédouanera la marine des actions les plus discutables. Mais ce n'est pas tout : figure-toi que ce petit malin de CAPSLOCK en a profité pour faire suivre l'invitation aux Chevaliers de Nowel, rapport à leur excellente gestion de l'affaire Crachin.
_ Les Chevaliers... Sig' ?
_ Tout juste ! On va aller l'accueillir, on les suit pour faire un reportage sur les Chevaliers et bam ! On sera aux premières loges de l'action ! Un plan excellent, gnihihi ! »

*
* *

Daily XXXX, édition abonné:

    Une mer à perte de vue, un ciel bleu magnifique, il n'y avait pas meilleur temps pour cette mouette qui était en train de voler au milieu de nul-part, la besace remplie de journaux. Ce n'était pas du capitaine des Heros Hic dont on parlait, mais de cet oiseau qui avait l'habitude de voyager au-dessus des eaux afin d'accomplir sa mission. La mouette était à la recherche d'un équipage dont l'un des membres avait pris un abonnement à Dalloz Magazine ainsi qu'au Journal Officiel. Son périple l'amena au bateau des Heros Hic reconnaissable par la proue en forme d'oiseau. C'était sans doute ce qui avait attiré l'attention de l'oiseau qui lâcha le colis sur le bateau avant de prendre la poudre d'escampette. Mouette était en train de faire des tractions sur le mât lorsqu'il reçut les prospectus en plein visage. Il s'écroula sur le pont avant de se relever comme si de rien n'était tout en vérifiant que personne ne l'avait vu. Le capitaine se retourna vers la mouette à qui il lança

    -Bougre de Mouette, on n'interrompt pas Mouetteman en plein mouettexercice !

    Juriste arriva sur le pont à ce moment tout en se demandant bien pourquoi Mouette criait tout seul. Le super-héros attrapa la paperasse au sol qu'il plaqua au nez de son camarade en lui demandant

    -C'est toi qui as commandé ça ?[/b] Mouettepose de la réflexion.
    -Mon Dalloz !
    -Tu vas me faire cent mouettepompes pour m'avoir interrompu en plein effort.
    -Selon l'arrrRRRRRrrticle 342-7 alinéa 4 du Code de la Poste, si un prrrRRRobléme surrrRRRRvient, la faute RRRrrevient au trrrRRRRRRrrrrranporteur, ici la Mouette !
    -Mais j'ai rien fait ! Mouettepose de la tristesse
    -Le facteurrRRRRRrrrr parrRRrrrdis !
    -Ahhh !

    Un silence se fit sentir le temps que Juriste lise les principales nouvelles du journal. Il ne savait pas trop quoi dire, mais son visage exprimait divers sentiments contradictoires. Il se contenta de montrer un article à Mouette en lui demandant s'il connaissait bien la personne mentionnée. Le super-héros bomba le torse avant de dire à Juriste

    -Red ? Bien sûr que je le connais héhé
    -On parrRRRRrrrle tout de même d'un grRRRrrrand pirrRRate
    -Il n'avait pas l'air si fort que ça sur son mouettepédalo héhé. Mouettepose de la fierté
    -T'es au courrRRRrrrant que c'est l'un des hommes les plus RrrrrecherrRrché ?
    -Rien n'arrête un homme dont le Mouettecoeur appartient à la Ligue du Soleil.
    -Je pense que l'équipage à son mot à dirrrRRRRRRrrre !
    -Mouetteoui... HEROS HIC !

    Et de comme par magie, l'ensemble des membres de l'équipage se mirent à apparaître sur le pont. Tous étaient en train de s'occuper, mais les paroles de Mouette raisonnèrent comme un alerte incendie. Tout le monde avait pris l'habitude, certains plus difficilement que d'autres. Il fallait dire que le super-héros se montrait particulièrement intransigeant avec ceux qui ne respectaient le contrat. Randy avait ainsi dû enchaîner de nombreux exercices de musculation tandis que Zetsu ne pût dormir pendant plusieurs heures. Jericho, quant à lui, ne pouvait pas jouer de la guitare et encore moins chanter. Quoi qu'il en soit, tout le monde était sur le pont, sauf Zoro qui prenait son temps pour arriver. Mouette fît la remarque, mais Harlequin lui rappela que son nakama était un escargot et que cet animal n'était pas connu pour se déplacer vite. Un léger blanc s'installa suite à cela quand Mouette prit de nouveau la parole

    -J'ai lu les mouettenews et une nouvelle est particulièrement intéressante...
    -Crache le morceau Mouette ! Cria Randy impatient
    -Laisse Mouette Great finir sa phrase Randy !
    -Tu lis Mouette ? Bzzzt
    -La mouettenouvelle c'est que Red est présent sur Manshon.
    -Le fameux pirate ? S'exclamèrent Zetsu, Harlequin et Jericho
    -C'est qui ce mec ?

    Tous les regards se portèrent vers Randy, ce qui avait don de l'énerver. Il ne savait pas quoi répondre et le regard oppressant de ses camarades n'arrangeait rien à la situation. Beam commença à s'impatienter lorsque Mouette lui expliqua le personnage

    -Red... C'est juste l'un des mouettehommes le plus recherché du monde. Ancien marin qui a trahi son camp pour devenir pirate, il a actuellement une mouetteprime de 400 000 000 de berries !
    -Par la barbe de mon grand-père ! S'exclama un Jericho choqué
    -Avec ça, le grand-maître m'enverra directement au nirvana. Avoua Zetsu

    L'équipage resta bloqué un moment sur la prime de Red jusqu'à l'intervention de Juriste qui ramena à la réalité toute la petite bande. Il leur rappela qu'un homme de cette envergure n'allait sûrement pas être aussi simple à attraper, aussi fort soit Mouetteman. Randy et l'ensemble de l'équipage décidèrent donc de prendre le large, direction Manshon, en espérant attraper le légendaire pirate et ainsi toucher une immense prime.

    **
    *

    Quelques jours passèrent suite à la publication du journal. Les Heros Hic se préparèrent à leur façon pour cette nouvelle aventure. Mouette enchaînait les séries de pompes sur le pont en compagnie de Randy qui tentait de le suivre tant bien que mal. Mais Beam se rendit compte qu'il était incapable de battre Mouette à la muscu, si bien qu'il fit semblant de se blesser dans le but de rejoindre le bar. Ce lieu était devenu sa pièce favorite et il y retrouva  un Zoro qui déprimait suite à son licenciement de post de navigateur. Randy n'étant pas connu pour être un bon psychologue, il se contenta de resservir un rhum à l'escargot en lui expliquant qu'il aurait davantage de temps pour frapper les méchants. Visiblement, cette phrase avait suffi à rendre Zoro heureux.

    Harlequin, quant à elle s'occupait de remplir la trousse de secours, car elle avait l'intime conviction que celle-ci allait servir pour la prochaine aventure. Pendant ce temps-là, Zetsu dormait et Jericho jouait de la guitare sur le pont à sa façon, sous le regard d'un Ki Kass qui scrutait l'horizon tout en entendant les notes de l'instrument. Juriste s'occupait au même moment de la paperasse, aussi bien des testaments que des comptes de l'équipage.

    Chacun vaquait à ses occupations quand Ki Kass cria à Mouette que l'équipage était à proximité d'une île. Le capitaine invoqua son équipage en criant « Heros Hic assemble ! » et en leur rappelant la ligne 289 du contrat. Bien sur Randy et les trois quarts de l'équipage ne connaissaient pas cette ligne, mais Juriste leur rappela bien vite. Les minutes défilèrent quand l'Argo se posa à bon port. Beam était perplexe et demanda à ses collègues

    -Hey les mecs, vous êtes sûr que c'est ici ?
    -Oui normalement. Mouettepose de la confiance
    -Bzzzzt Mon sens de l'orientation m'a indiqué cette île... Bzzzzt
    -D'arprrRRRRrés l'aRRrrrticle 459-2 alinéa 7 du Code des TrrrRRRRansports, nous devons prRRrrrendre en compte l'avis du navigateur du bateau
    -Bzzzzt C'est moi !
    -C'est Great me le navigateur !
    -D'après les mouetterégles de l'Argo, c'est le Capitaine qui doit désigner le navigateur, et j'ai décrété que Ki Kass le serait. Mouettepose montrant Ki Kass.
    -C'est pas juste... Bzzt
    -Un proverbe d'un sage dit que pour connaître la route devant toi, il faut demander à ceux qui en reviennent.[Lança Zetsu
    -Bzzt Hein ?
    -Il veut dire que pour aller à Manshon, faut demander à quelqu'un qui y soit déjà allé. Répondit Jericho
    -En se basant sur l'aRRrrrticle 1224-3 du Code Civil, JerrRRRRricho dit la verrRRRité.
    -Hihi, si nous descendions du bateau demander le chemin. Rétorqua Harlequin
    -Mouetteoui ! Allons-y.
    -Enfin ! Lança Randy

    Le groupe de preux chasseurs descendit du navire avant de se disperser aux quatre coins du port afin de demander leur chemin.


    Dernière édition par Randy Beam le Jeu 3 Sep 2015 - 16:43, édité 1 fois

      Si l'on examine les multiples occasions au cours desquelles le très honoré nain Kalem pouvait se trouver à être heureux, on aurait pu se rendre compte qu'elles avaient toutes un point commun, elles étaient d'une rareté tout à fait exemplaires. On aurait même pu aller jusqu'à dire que Kalem n'était jamais heureux. Et en cela, on aurait probablement eu raison. Bien qu'on puisse débattre pendant plusieurs heures autour de la notion de bonheur, appliqué à un nain grasseyant et maussade, nous nous appliquerons à en juger dans une seule situation ; celle-ci.

      Kalem était donc embarqué sur le navire que le sieur Santa Klaus et les siens, désormais tous de bons et braves Chevaliers de Nowel, avaient réquisitionné au cours de leur opération sur l'île de Panpeeter. Il avait accepté -sous la menace d'Elie de le jeter par dessus bord sitôt qu'ils seraient suffisamment loin des côtes pour qu'il n'ait aucune chance de s'en sortir vivant- de fabriquer pour Santa une marmite de neige artificielle. Par un ingénieux processus, il la faisait tomber et retomber au-dessus des têtes de nos compères, pour donner une atmosphère magique au navire.

      « BALEINE ! REGARDE LA NEIGE, C'EST TROP BEEEEEEEEEEAAAAAAAUUUUU ! »

      Ça c'est la petite Kahlia, membre à part entière des Chevaliers de Nowel. Et quand le nain la voit arriver, il se cache, loin. Parce qu'il ne peut pas supporter sa voix, sa figure, sa façon de parler, non plus que cette façon très agaçante de le regarder de haut. Et puis ce surnom d'ignoble cétacé, il en a insulté pour moins que ça. Malheureusement, Santa lui avait ordonné quelques semaines plus tôt de ne plus l'insulter, ça la faisait pleurer à chaudes larmes, et comme disait le colosse, faire pleurer les petites filles, c'est mal, Ho ! Ho ! Ho ! Et Kalem n'avait pas envie plus que ça de tâter des phalanges du vieux cinglé.

      Outre le nain, la comédienne, le vieux colosse et la petite fille, sévissaient aussi dans la joie et la bonne humeur, la jeune et roublarde Nerassa Roderik et l'ancien officier de la Marine d'XXX, j'ai nommé Sigurd Dogaku. Et si leur attitude énervait profondément Kalem, ce n'était certainement rien à côté de l'homme poisson tout droit sorti d'un jeu de rôles à deux centimes qui passait son temps à essayer de trouver des stats positives à notre nabot.

      Dans cette atmosphère puante de joie et d'allégresse, le nain ne trouvait ainsi son bonheur qu'en présence d'Un chat. Non qu'il soit particulièrement ravi du miaulement répétitif qu’infligeait l'animal à leurs pauvres oreilles, mais si l'animal cancanait c'était la plupart du temps parce que la pointure en 32 du petit homme lui écrasait la patte ou lui agressait les flancs. Ainsi, Kalem préférait-il les COUIN COUIN de douleur aux habituels COIN COIN de bonheur.

      « Bon, Kalem, pour la dernière fois, le menaça Elie. Je te jure que si tu martyrises encore ce pauvre chat, tu auras affaire à moi.
      -Si c'est à toi que j'ai affaire, ça ira bien. Un ulcère au cul me ferait davantage de mal et j'en mourrai pas.
      -Misérable avorton !
      -Ha ! Un jour je t'apprendrai à insulter quelqu'un, mais avant ça, tu devras t'accroupir à mes pieds et jouer une de tes horribles pièces de théâtre en mon honneur.
      -Oui, et les libellules danseront en farandole autour de ton ventre musclé comme une brioche.
      -Je n'ose même pas imaginer ce que ça donnerait tant la niaiserie avancée de cette phrase dépasse l'entendement. Qu'en est il de notre cher Santa Klaus ? Toujours à distribuer son bonheur et à répondre à ses lettres de fans ? Tant qu'il ne nous dégotte pas une nouvelle île où on risque de mourir à chaque coin de rue, j'serai content.
      -Eh bien...
      -Non ?
      -Si.
      -Laissez moi partir, débarquez moi sur un îlot isolé, avec la gamine même si ça vous enchante de me torturer, mais pas de nouvelle aventure débile.
      -C'est le colonel CAPSLOCK qui nous a envoyé ses vœux et nous a fait part d'une situation toute sympathique sur l'île de Barnanos.
      -Qu'en dit l'irréductible optimiste ?
      -Sigurd ?
      -Lui-même.
      -Il essaie de convaincre Santa de se montrer raisonnable et d'aller plutôt aider une de ses connaissances à la récolte des pommes de terre. Mais Nerassa semble espérer que Santa confirmera que notre destination est Barnanos, ou Manshon plus précisément.
      -Putain, cette connasse. Nous avons une chance de réchapper à cette aventure ?
      -Non.
      -C'est parfait. À la première occasion je vous vend tous à un marchand d'esclaves et je file terminer ma vie sous les cocotiers à Cocoyashi.
      -Les orangers, non ?
      -Quelle importance ? Je trouverai bien le moyen de transformer les oranges en noix de coco.
      -Bon, ramène toi, si tu veux le convaincre de ne pas y aller, c'est maintenant. »

      ***

      Sitôt que Kalem et Sigurd constatèrent qu'il n'y avait plus rien à faire et que le géant ne voulait rien entendre, le navire prit la direction de Manshon. Sinistre réputation qu'elle avait, cette île. Les rues étaient calmes, il y régnait une certaine sécurité, mais elle était toute relative. Gouvernée par une mafia tout à fait organisée, le calme régnait pour mieux pouvoir magouiller. Seulement, si l'ordre des Chevaliers de Nowel avait été convié sur l'île, c'est que depuis quelques temps, tout n'allait plus si bien. Et la présence de quelques gros bras de la magouille avait déclenché une série d'événements d'envergure.

      L'arrivée de la troupe de bienfaiteurs sur l'île ne se fit pas en grande pompe, le port était désert, et la plupart des passants se demandaient qui pouvait bien être assez fou pour accoster là par ces temps de tension. Il ne pouvait s'agir de Marines, ils n'étaient pas assez malins pour envoyer aussi tôt une équipe sous couverture. Pouvait-il s'agir d'une équipe de mercenaires rameutée par le S.O.S radio des forces de l'ordre ? Il n'y avait que cette solution, le blocus du gouvernement mondial situé tout autour de l'île ne laissait plus passer les mafieux retardataires à la grande réunion de l'année. Mais, une erreur de jugement est si vite arrivée... On ne pouvait se douter de qui ils étaient. Seul le petit bonhomme dégingandé qui attendait tout sourire l'arrêt du véhicule le savait. Et il n'allait pas tarder à pouvoir discuter joyeusement avec son bon ami Sigurd.

      À bord, on dissertait de la démarche à suivre. Sigurd prônait la prudence, Santa voulait aider les pauvres civils impliqués dans l'affaire, Elie cherchait à obtenir un rôle digne de son talent, Nerassa avait l'idée d'aller traficoter un peu avec le danger, Kahlia voulait s'amuser et Kalem profita du brouhaha général pour arracher quelques poils à Un chat. Pas par pure méchanceté, vous vous en doutez bien, seulement pour une ou deux expériences purement scientifiques afin d'améliorer sa médecine. Quant à Loromin, il griffonnait énergiquement ses fiches de personnage qui ne cessaient d'évoluer face à l'absolue hétérogénéité des membres de ce petit groupe.

      Il fut finalement décidé que Kahlia resterait sur le navire pour le protéger d'éventuels agresseurs, et surveiller Un chat. Au moins, si celle-ci se faisait agresser par un canard, elle se verrait à couvert. Kalem aussi serait bien resté au chaud dans sa cabine, mais son statut de pharmacien en faisait un atout terrible aux yeux de l'envoyé de Nowel, si bien qu'il fut hors de question pour lui de rester à bord. Et si Loromin hésita à compléter tranquillement sa fiche du petit félin qu'il n'avait pas encore beaucoup côtoyé, il décida finalement que la présence du reste de l'équipage était plus riche en surprises et comme son double lancé de dés 8 et 6 était du même avis, il se mêla à l'expédition. Sigurd fut choisi pour ses capacités d'analyse et de tactique, et la présence de Nerassa l'aida à accepter de participer. Et il était bien évidemment obligatoire à Santa de foncer tête baissée pour aider les gens.

      Sitôt qu'Elie eut confirmé qu'elle se joignait bien au petit groupe, on attacha le navire à la bite d'amarrage la plus proche et on fit passer la passerelle jusqu'aux quais. Le port respirait la mer, comme tout bon port qui se respecte. On n'y voyait cependant pas de ces poissonniers criards qui vendent leurs produits au passant en quête de friture, mais l'odeur du poisson y allait bon train. Ce que ne manqua pas de faire remarquer le nain, qui, en posant un pied sur les pavés glissants et poisseux faillit tomber à la renverse. L'omniprésence de couillons lourdement armés en uniforme faisait aussi frémir et si on pouvait encore mettre un pied devant l'autre c'est qu'ils ne devaient pas se méfier des arrivants, ce n'était pas leur rôle. Ils devaient gérer le désordre, pas en créer.

      « Sigurd ! Héla le journaliste voyant son ami descendre sur les quais.
      -Oh ! Nash, qu'est ce que tu fais ici ?
      -Gnihihihi, j'avais hâte de rencontrer les Chevaliers de Nowel, alors j'suis venu à votre rencontre.
      -Nan, mais j'veux dire, ici, sur cette île, puis comment tu savais qu'on débarquait ?
      -Un reportage, comme toujours. Et j'file pas mes sources, question de principe. Alors c'est lui, le grand Santa Klaus ? C'est vrai qu'il en impose.
      -Enchantée, Elie Jorgensen, comédienne de mon état, vous êtes journaliste ?
      -Tout à fait.
      -Nous allons bien nous entendre !
      -Je n'en doute pas.
      -Vous êtes sur l'île pour... ?
      -Un reportage, un excellent reportage, n'est-ce-pas Knight Bluto ?
      -Et vous pensez que vous pourriez me caser un petit mot sur ma performance d'actrice ?
      -Je veux bien, mais, si je ne vous vois pas sur scène, comment je pourrais juger ?
      -Oh, vous savez, le monde entier est une scène, il suffira que je joue un rôle. Katrina Demetov, maîtresse mafieuse venue sur Manshon pour traiter avec ses pairs, ça vous irait ? »

      Nash acquiesça avant de s'intéresser à un de ses sujets préférés, Sigurd. Ces deux-là se connaissaient bien et avaient l'air ravis de se retrouver. Elie en profita pour réarranger un peu ses cheveux en un chignon serré, placé bien haut. Elle sortit sa petite trousse de maquillage, se blanchit la peau, apposa de fins traits de mascara sur le contour de ses yeux, de façons à rendre ceux-ci plus petits et perçants. Un rouge à lèvres mat vint donner la touche finale à ce nouveau visage. Elle ne voulait pas que Nash écrive un article sur Barbara, son précédent rôle. Certes, elle avait l'expérience de ce dernier, et une touche de folie dans l'interprétation qui ne le laisserait pas de marbre, mais dévoiler ce rôle au public lui empêcherait de renfiler ce costume. Elle attendrait plus longuement avant de redevenir la reine Pagaille.

      C'était tout un art de chercher un nouveau rôle. Usuellement, le costume vient après l'intention et la personnalité vient des répliques. Mais en l'absence de répliques, il fallait créer le personnage de toutes pièces. Le maquillage aiderait. Elie se formerait vite une opinion de la marâtre qu'elle allait jouer. Les autres aussi. Et pour ne pas oublier les bonnes manières, elle fit du cher et dévoué Kalem son homme à tout faire. Ne lui manquait plus qu'un garde du corps et elle pourrait s'estimer heureuse...

      ***

      À quelques centaines de mètres de là, Randy Beam, illustre membre de l'équipage Héros Hic, célèbre chasseur de primes à la toison venue de temps immémoriaux, courait en demandant son chemin à tous les passants. Bien entendu, certains ne pouvaient s'empêcher d'émettre un léger gloussement à la vue de ce physique passé de mode, de cette poitrine un poil trop velue, de ce marcel émettant fortement testostérone et confiance en soi, et enfin, de cette tronche de cake au sourire simiesque. L'attroupement d'un petit groupe de personnes, assez rare en cette saison l'intrigua. Après environ deux-virgule-cinq-cent-quatre-vingt-quinze-mille-millionièmes de secondes de réflexion, il balaya sa coiffure d'un mouvement de la main extrêmement ringard et fonça dans leur direction, faisant abstraction des Marines présents un peu partout autour d'eux.

      « TSAAAAAADAAAAAAAM ! Yo les mecs, on m'dit pas bonjour ?
      -Bonjour. Vous êtes ?
      -QUOIII ? Vous connaissez pas le roi de la classe, le master du master des beaux gosses ?
      -Master je vois bien, mais je ne connaissais pas la classe « beau gosse », mh, encore un profil intéressant, commenta Loromin.
      -Excuse moi, tête de foin, tu pourrais gueuler moins et te couvrir ? Ca m'débecqute la toison luisante qui te sort du gras.
      -Kalem ! On ne parle pas comme ça aux gens dont on ne connaît rien.
      -C'est de moi qu'il parlait ?!! Mais qu'est ce que c'est que cette immondice qui ose ? Je vais lui montrer de quel poing je me chauffe !! »

      Et Randy Beam de faire saillir ses biceps, d'élancer son bras vers l'avant et d'effleurer la joue du nain, retenu à la dernière minute par une force plus importante, un colosse aguerri, qui ne supporterait pas bien longtemps cette violence au sein de son Ordre. La lumière du soleil venait frapper le haut de la tête du messie de Nowel, créant un halo de lumière tout autour de sa chevelure et donnant à sa silhouette un sympathique effet de clair-obscur. Ce genre de détails que la nature accordait à certains élus ne pouvait témoigner que de la classe de ce personnage :

      « Ho ! Ho ! Ho ! Je ne peux pas te laisser faire ça, Randy Beam, c'est ce qui s'appelle ne pas être sage. Kalem fait partie de l'ordre, il œuvre pour le bien de tous. Et si son langage est un peu vulgaire, il n'en est pas moins quelqu'un d'extrêmement sympathique.
      -MOI ? EXTREMEMENT SYMPATHIQUE ? MERCI DE NE PAS M'INSULTER !
      -Bwahhh... S'émerveilla Randy devant l'aura de classe de Santa Klaus. Putain, mec, j'avais pas vu autant de charisme chez quelqu'un depuis... Depuis Mouetteman ouais !
      -Mouetteman ?
      -Le Héros avec un grand M.
      -Oui, appuya Nash, un collègue m'a montré une photo de lui. Un reportage qu'il avait fait lorsque le chasseur de primes sauvait la veuve et l'orphelin.
      -Tiens, ça m'fait penser à quelqu'un, sauver la veuve et l'orphelin, intervint Sigurd. N'est ce pas Santa ? Et vous l'avez rencontré... ?
      -C'est mon Cap'taine chef ! Les Héros Hic, meilleure équipée de chasseurs de prime que le monde ait jamais connu...
      -Pas grand mal à ça, on parle de chasseurs de primes quand même...
      -Et vous ? J'ai entendu le mot ordre, ça veut dire quoi ?
      -Ho ! Ho ! Ho ! Nous sommes les Chevaliers de Nowel, œuvrant pour le bien de la population à la force de notre conviction et de nos frêles épaules, nous apportons joie et bonne humeur à travers le monde, et...
      -Merci Santa, je doute que lui faire votre discours intégral de présentation de vos idées soit réellement intéressant, cracha Katrina Demetov d'un ton sec. Nous allons pouvoir agir prochainement.
      -Il faut que je rejoigne le reste de mon équipage, les prévenir de votre présence ici.
      -Je crains que vous ne dussiez repousser ça à plus tard. »

      Elie s'imprégnait de plus en plus de ce nouveau rôle. Pas un mot au dessus de l'autre, juste une profonde froideur à vous glacer le sang, et un regard qui vous arrêterait du premier coup. Une façon de menacer autrui rien que par le ton de voix, et surtout, une prestance digne des plus grands nobles de ce monde. Katrina Demetov avait tout ce qu'il fallait pour se fondre dans la masse, qu'ils soient Tempiesta ou d'autres familles mafieuses, elle saurait se faire un nom. Et il semblait que l'arrivée de Randy Beam lui offrait le garde du corps parfait.

      ***

      Le jeune sergent de la régulière, Mehdi Guival, perché sur le toit d'un des immeuble de Manshon, délégué à la surveillance du port ne manqua pas de remarquer le petit groupe. Encore une arrivée de mafieux, c'était certain. Il trouvait le filtre Marine loin d'être efficace. Il avait déjà interpellé deux navires de mafieux qui avaient réussi à passer le contrôle. Le premier avait enlevé un chasseur de primes plus en amont et était passé grâce à sa carte, le deuxième avait prétexté être un navire de médecins, ce qui, au bout du deuxième cadavre s'était avéré clairement faux. Ce nouveau groupe aurait pu faire partie des chasseurs venus en renfort sur appel de la Marine, mais, ce qui fit tiquer le jeune Guival, c'étaient ces deux personnes qui étaient venues les accueillir. Seuls les mafieux avaient déjà des contacts à Manshon. Il fallait intercepter tout ce beau monde avant qu'ils ne renforcent encore le conflit présent en ville. Ils avaient déjà fort à faire avec le Gila, si en plus on n'étouffait pas les nouvelles menaces dans l’œuf. Ce n'étaient pas des chasseurs de prime, il s'en était bien assuré avant de prévenir ses supérieurs, il avait une petite liste de ceux qui auraient été susceptibles d'intervenir sur Manshon, et leurs visages ne lui disaient rien. Il y avait bien ce colosse barbu qui lui faisait penser à quelqu'un, mais il ne savait pas qui.

      « Colonel ?
      -SERGENT MEHDI GUIVAL ?
      -J'ai repéré un petit groupe de mafieux sur le port, il serait bon de les intercepter avant de perdre leur trace.
      -VOUS ETES SUR QU'IL S'AGIT DE MAFIEUX ? PAS DES CHASSEURS DE PRIME ? LE BLOCUS A POURTANT ORDRE DE VERIFIER LES IDENTITES.
      -Non non, j'ai bien vérifié ma liste, leurs visages n'apparaissent pas, en tous cas, ceux que j'ai pu voir de face. Puis je doute que des civils accostent ici par ces temps de crise. Votre blocus n'est pas aussi efficace qu'il devrait.
      -DES CIVILS, VOUS DITES ?
      -Je disais, je doute que...
      -IL Y A UN GRAND GARS, COLOSSAL ET A BARBE BLANCHE ?
      -Euh, oui, pourquoi ?
      -CE SONT LES CHEVALIERS DE NOWEL, BOUGRE D'ANDOUILLE, LAISSEZ LES AGIR, NOUS AURONS LE LOISIR DE NOUS METTRE EN RELATION AVEC EUX ULTERIEUREMENT.
      -Bien Colonel CAPSLOCK, je vous laisse, je continue de surveiller le port. »

      Oh, que c'était emmerdant d'attendre que des gens aient l'idée de venir se planter en plein milieu du port. Mehdi Guival voulait de l'action, ça faisait une semaine qu'il relayait son partenaire sur ce toit, rapportant les passages de tout le monde sur ce port ennuyant et comblé uniquement par une foule de militaires qui attendaient du grabuge pour tout dégommer. Dans deux heures, il réveillerait Rémi Lancewood, et prendrait sa place sous le plaid pour quelques heures de repos. La nourriture leur était envoyée par oiseaux. C'était une habitude de CAPSLOCK d'utiliser ces animaux à des taches qu'un soldat lambda ne pourrait pas faire, par crainte de faire repérer leurs hommes infiltrés. Les méthodes du colonel -commodore dans les faits, mais qui préférait l’appellation colonel- étaient généralement moins brutales que celles de ses collègues affectés à la gestion du conflit.

      ***

      « Bon, allons-y, ne perdons pas de temps, allons sauver les pauvres civils embarqués dans cette affaire !
      -Minute Santa, il ne serait pas plus logique de se renseigner d'abord sur ce qu'il se passe exactement ici, intervint Sigurd qui préférait planifier plutôt que de se jeter dans la gueule du loup en moins de temps qu'il ne faut pour le dire.
      -Ho ! Ho ! Ho ! Monsieur Dogaku, et comment se pourrait-il qu'on soit informés de l'affaire autrement qu'en allant le découvrir par nous même ?
      -Mon ami Nash, ici présent en connaît déjà un peu plus que nous, de ce qu'il m'a dit, et je suis sur qu'il sera ravi de nous faire partager quelques unes de ses informations. Sous réserve, bien sur que nous ne lui volions pas son sujet d'article.
      -Cela va de soi, Bwahahahahah ! »
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      Des cris dans la rue.

      Des hurlements.

      Des tirs de sommation, pointés droits vers le ciel.

      Et à la fenêtre, l'image fugace d'une jeune femme blonde.

      Ces derniers temps, la marine n'autorisait même pas la moindre forme de rassemblement. Toutes les artères de la ville semblaient comme désertées tant les militaires prenaient soin de contrôler systématiquement les citoyens qu'ils rencontraient. Sur un simple coup de tête, n'importe quel sous-officier pouvait décider de faire interroger n'importe qui lors d'un examen approfondi, que ce soit à l'un des innombrables checkpoints militaires disséminés dans toute la ville, ou sur l'une des principales bases de la marine. On en dénombrait plusieurs: la caserne de la marine de Barnanos*, bien sûr, mais aussi les multiples postes de police répartis sur l'île, ainsi que les croiseurs de combat déployés sur les ports à l'occasion des mesures de guerre.

      Et oui, Manshon est le nom de l’unique ville d’une île qui s’appelle Barnanos !

      Et parmi ceux que l'on voyait emmenés par les forces de l'ordre, seule une partie finissait par réapparaître dans la journée. Deux tiers, pour quiconque tentait de tenir le compte. Quant aux autres, les habitants restaient sans la moindre nouvelle d’eux. Ils disparaissaient, tout simplement.

      Alors on se terrait chez soi, pour en sortir le moins possible. Ceux qui n'avaient rien à se reprocher vivaient malgré tout dans la crainte de se voir emportés par les militaires, à très juste titre. Déjà, plusieurs pères de famille irréprochables, des jeunes femmes exemplaires, des individus réputés parmi leurs pairs avaient fait l’objet de recherches des plus poussées. A nouveau, ça n’était pas sans raison. Tout le monde savait que personne sur Barnanos ne connaissait pas directement quelqu’un susceptible d’intéresser la marine. L’objectif principal des militaires était le Gila, ainsi que les hauts cadres des sept familles, à fortiori les Tempiestas. Ils se cachaient. Mais ils se trouvaient au cœur d’une toile de relations d’affaires que la marine pouvait remonter.

      Et ils étaient précisément en train de s’en donner les moyens.

      Le maître des opérations de la marine y veillait tout particulièrement.

      Le vice-amiral Jared était un ancien agent du cipher pol, doublé d'un gestionnaire d'armée de premier plan. Il connaissait la force d'un bon système d'information, et disposait de toute une équipe de subordonnés bien assez compétente pour mettre en place un tel dispositif. Même à l’échelle de toute la ville.

      Cet homme était également un combattant de haut vol, admiré de tous et à fortiori sur North Blue, ainsi qu'un officier de la plus grande et de la plus impitoyable des armées du monde. Il avait appris à se passer des contraintes liées à la subtilité des cipher pol, pour apprécier pleinement les méthodes autrement plus brutales du gigantesque rouleau compresseur qu’était le bras armé du gouvernement mondial. Ca n’était pas sans raison, qu’on lui attribuait une partie de la destruction du port de Montblanc Norland, au sein du royaume de Luvneel.

      Et dans les faits, ce parcours atypique se traduisait par une redoutable mécanique de terreur qui s’était emparée de toute la ville. La majorité des habitants ne sortaient plus de leurs demeures à moins d’y être contraints. Même dans ce cas là, ils redoutaient de faire l’objet d’une visite de la marine, qui avait prit le parti d’investir et de fouiller méthodiquement le moindre bâtiment de la ville afin de retrouver la présence des hommes qu’ils recherchaient. En pure perte, jusqu’ici.

      Et comme bien souvent, il y avait les gens qui n’avaient rien à faire ici, mais qui avaient eu le malheur d’être au mauvais endroit au mauvais moment. Barnanos ne figurait pas parmi les principales îles de l’index de North Blue pour rien.

      A titre d’exemple, nous nous intéresserons au cas d’une jeune femme qui contemplait ces évènements du haut de sa chambre d’hôtel, La Rinascente. C’était un luxueux établissement idéalement positionné en plein cœur de la ville. L’hôtel se situait juste en face de l’église de la Manée, autrement surnommée Notre Dame du Crime, et littéralement inondée de trésors et de tribus originaires des activités criminels de l’île. C’était véritablement le joyau de Manshon, et sans aucun doute l’une des splendeurs de North. Mais sur cette vaste place publique, tout avait été soigneusement agencé de manière à rehausser l’éclat de l’église.

      La fenêtre de la demoiselle donnait directement sur les jardins privés de La Rinascente, qui n’avaient rien à envier au reste ; mais ces arbustes ne l’empêchaient nullement de contempler au jour le jour la succession d’incidents, parfois de tragédies, qui prenaient place sur l’île. En l’occurrence, il s’agissait d’un attroupement de personnes un peu trop conséquent au goût de la marine. Les militaires en avaient d’ailleurs profité pour interpeler et arrêter plusieurs personnes ; c’en était devenu une habitude, maintenant.

      Une habitude qui inquiétait tout particulièrement Chambellan, le majordome de la jeune femme qui l’accompagnait dans son voyage touristique sur Manshon. Et qui veillait attentivement sur elle.

      -Mademoiselle Kayle, vous devriez faire attention.
      -Tout va bien, Chambellan. Ils sont déjà passés ici. Ils ne nous ont rien fait.
      -Je m’inquiète plutôt pour vous, Mademoiselle. Vous n’avez pas idée du danger que représente une balle perdue. Ces marines ne savent pas ce qu’ils font, j’ai l’impression. Des recrues, probablement. C’est dommageable.

      Elle se nommait Selena Kayle. Une magnifique jeune femme aux cheveux blonds soigneusement lissés, d’un pedigree aussi grandiose que l’élégante robe d'été qui mettait ses formes avantageuses tout à leurs aises. Une robe de grande marque: Charnell.
      Cette jeune femme avait tout le profil de la riche héritière, candide et protégée des affres de la vie. À juste titre: la demoiselle n'était rien de moins que la fille cadette d'un richissime couple d'industriels versés dans le textile, et tout particulièrement portés dans la confection de pyjamas et vêtements de nuit en tout genre. Ses parents avaient su s’intégrer au sein de réseaux tels qu’ils en étaient devenus des fournisseurs privilégiés de la marine de North. Un avantage assez solide pour consolider la fortune familiale bien au-delà de tout.

      -Ces militaires sont des idiots. On n’a pas idée de tirer des balles en l’air.
      -Ce sont des tirs de sommation, Chambellan.
      -Ce sont des balles, Mademoiselle. Des projectiles mortels. Qui finiront par retomber dieu seul sait où.

      La demoiselle ne répondit pas tout de suite. Parmi la foule, à l’autre bout de la place, une figure bleue venait d’apparaître et d’attirer son attention.

      Il s’agissait d’une silhouette aisément reconnaissable. Peut être bien unique.

      -Cet homme… je le connais, signala la demoiselle.
      -Qui donc ?
      -Cet homme, au fond. C’est une figure connue.

      Un héros vêtu de bleu et de jaune, au sous-vêtement couleur citron on ne peut plus caractéristique.

      -Mouetteman. Sur Manshon. Uh. Intéressant.

      La demoiselle afficha subitement une expression indescriptible. Un mélange de surprise et de satisfaction. Elle ne s’attendait pas à ponctuer ses simili-vacances sur Barnaros de cette manière, mais…

      La concurrence serait intéressante.
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      Une bien étrange assemblée qui s’avançait là. En première ligne, Sigurd, Nash et Nerassa, pratiquement bras dessus bras dessous, qui bavassaient joyeusement de la plus inappropriée des manières qui soient compte tenu de la situation. Venait ensuite Santa Klaus, le bienfaiteur, qui se contentait d’écouter ses ouailles par simple curiosité paternelle. Non loin de lui, on retrouvait Loromin, en pleine conversation avec Knight Bluto, l’éternel compagnon du journaliste, qui avait temporairement élu résidence sur l’épaule gauche de Santa. Une épaule ferme et solide, et aussi puissamment formée que celle d’un ours du même acabit. Il s’agissait pour l’homme poisson d’en apprendre un maximum sur les aptitudes de Nash et de l’escargophone, ainsi que toutes les caractéristiques techniques, raciales, surnaturelles, élémentales, multiplanaires, et autant d’autres qu’ils pouvaient posséder.

      Et un peu plus loin, en retrait, on retrouvait Elie en train de discipliner son nouveau compagnon de route. Un crétin musculeux à la hauteur de la tâche qu’elle lui avait confié : faire office de gorille à sa petite personne.

      Pour compléter ce tableau, il fallait bien évidemment parler de Kalem : le malheureux nabot, aussi bougon qu’à l’accoutumée, ne se joignit à aucun des petits groupes susmentionnés, se contentant d’orbiter autour de chacun d’eux au rythme de ses petits pas saccadés et du degré plus ou moins malhonnête d’inattention dont il faisait preuve.

      Bien vite, la petite bande de Nowel avait été alpaguée par des représentants de la mouette qui sillonnaient les rues à la recherche de contrevenants ou d’individus suspects. Et si leur bande l’était indéniablement, elle avait aussi l’avantage d’être équipée d’une lettre de passe droit portant la signature d’un commodore. Ce qui leur permettait de passer la majorité des barrages et des patrouilles qui sillonnaient les rues. Mais aussi d’être en bons termes avec la majorité des forces de la mouette présentes sur l’île.

      -Alors, vous savez où on peut trouver CAPSLOCK ?, demanda Sigurd à l’un de ces sergents.
      -Ne hurlez pas son nom tant qu’il ne sera pas là, merci.
      -Ben oui mais…
      -Silence, et obéissez.
      -Ooooh, des intonations meurtrières.
      -…, lâcha froidement Katrina.
      -Mwarharharh. Cherche pas Elie, j’ai survécu à Haylor en mode hostile pendant deux ans, alors c’est carrément IMPOSSIBLE que tu me fasses frémir. Impossible.

      La demoiselle ne pipa mot. Au lieu de ça, elle prit quelques notes mentales sur les remarques que venait de lui faire le blondinet. Il lui parlait d’Evangeline Haylor… et même s’il ne s’agissait pas le moins du monde de ce qu’elle aspirait devenir en étant Katrina, il y avait bien là des éléments à étudier. De même, il lui avait donné un objectif : si elle voulait faire peur, elle devrait lui faire peur à lui. Elie avait besoin que Dogaku la prenne au sérieux, avant de la craindre.

      Une chose à la fois, néanmoins. Et en cet instant, il s’agissait de suivre les directions que leur avaient fournies la petite troupe de marines rencontrée. Contrairement à ses habitudes, le commodore CAPSLOCK avait décidé de prendre part aux opérations depuis la terre, et avait établi sa position au sein de l’une des places centrales de Manshon.

      Une grande fontaine aux éclats de vermeil et d’iris, un joyau de marbre et de dorures digne de ce que la splendeur des familles de Barnanos avait pu cultiver au sein de leur ville. Tel était l’élément caractéristique de la place vers laquelle ils se dirigeaient. Là où les attendaient…

      La première chose qui frappait, c’était la grande barricade faîte de haies et de barbelés enchevêtrés qui étranglaient la large artère qu’ils empruntaient. Et au milieu, l’étroit passage faisant office de goulet d’étranglement, installé entre deux miradors de fortune établis au milieu de la vaste avenue. De part et d’autre, on trouvait des marines en quantités impressionnantes ; elles étaient telles que l’on avait l’impression d’entrer dans un campement militaire.

      Et c’était exactement le cas.

      De l’autre coté du rempart improvisé, c’était tout une architecture de tentes et de caches et d’abris agencés selon une hiérarchie méthodiquement calculée que la marine avait préparée. La Place des Caprices, nommée ainsi en l’honneur de la fontaine et de l’ingénieur à la tête de sa conception, était l’une des plus grandes étendues de terre disponibles au sein de la ville. Sans surprise, la marine avait très vite fait le choix d’accaparer un tel emplacement. L’activité qui en résultait était caractéristique des opérations du gouvernement mondial, et où qu’ils posent le regard, les chevaliers de Nowel trouvaient la preuve que la marine était entrée en guerre contre les ennemis qu’elle s’était désignée en ces terres.

      Ici, c’étaient des trésors de logistique qui avaient été condensés pour satisfaire à tout ce que le siège de Manshon, en place depuis une semaine, pouvait nécessiter en termes de ravitaillement. Matériels, fournitures, armes, vivres, et tant d’autres encore.

      Mais ce qui attira l’attention de la petite bande dans cette fourmilière des gestuelles du quotidien, ce fut l’énorme mastodonte artificiel qui roula droit dans leur direction.

      A la vue d’une telle chose, Elie manqua bien de lâcher un hoquet de surprise. Le vaste tas de ferraille lui faisait vaguement penser à un chariot surdimensionné. A ceci près qu’il se déplaçait à l’aide de deux… rouleaux… tapis… ou quoi que ce puisse être dont le nom lui échappait totalement.

      Kalem su identifier quelles étaient ces choses. Des chenilles. Et il se demanda à quel point le primate décérébré qui avait donné naissance à une telle idiotie avait du faire souffrir ses malheureux neurones pour parvenir à un résultat un tant soit peu satisfaisant.

      Pour sa part, Nash se contenta de prendre joyeusement quelques clichés de l’imposant véhicule d’acier, en faisant remarquer à son compagnon du Daily XXXX que quoi que ça puisse être, ça ferait forcément sensation en première page pour parler de la marine ; et ceci de la plus excellente des manières qui soient ! Ce à quoi Knight Bluto lui retoqua qu’il valait mieux qu’il sache de quoi il parle avant de publier l’image d’une monstruosité pareille dans l’arrière page qu’on lui confierait sûrement parmi les faits divers.

      Santa Klaus fronça les sourcils d’un air réprobateur face à l’imposante chose roulante. Car la longue tige qui s’échappait du toit de ce véhicule ne pouvait être que le fut d’un canon, ce qui signifiait bien évidemment qu’il faisait face à une arme d’un genre qui ne lui plaisait pas le moins du monde.

      Loromin aussi, reconnu là une arme. Mais l’homme poisson observa la construction d’un air particulièrement enjoué. Lui évalua le grand chariot d’acier en termes de statistiques, et il ne faisait aucun doute que les performances défensives du véhicule étaient spectaculaires. En ce qui concernait les deux autres principales caractéristiques, à savoir le potentiel d’attaque et sa mobilité, il devrait conclure des tests. Trop de variables aléatoires susceptibles d’interférer dans ses performances.

      Contrairement au reste de la bande, Randy se retourna pour suivre l’avancée d’une jolie fille qui installait du matériel auprès de la barricade qu’ils venaient de passer. Il la regarda s’affairer sur une échelle avec un intérêt tout particulier qui n’appelait nulle concurrence.

      Restait Nerassa qui s’avéra particulièrement curieuse, elle. Curieuse, et impressionnée. Quoi que puisse être le gros tas de ferraille à roulettes qui venait à leur rencontre, elle le trouvait énorme. Et dans le bon. Elle adorait ce genre de bonnes surprises, et remarqua avec grand plaisir que son partenaire de toujours avait une drôle de lueur dans l’œil. A juste titre, elle devina qu’il savait, lui.

      Et elle avait raison. Car enfin, il y avait Sigurd. Sigurd, qui savait très bien à quoi correspondait le véhicule militaire qui leur faisait face, et qui était proprement ravi de faire pareille rencontre en cet instant. C’était inattendu pour le jeune homme, mais c’était surtout incroyablement satisfaisant. Jouissif en ce qui le concernait.

      C’était un tank.

      Et c’était un tank qui avait été créé en s’inspirant de lui. Il portait même son nom.

      -JE VOUS PRESENTE LE PREMIER NE DU PROGRAMME DOGAKU, A SAVOIR LE SIGURNATOR MK I !

      Cette voix appartenait bien évidemment au commodore CAPSLOCK, héros de Panpeeter, et officier supérieur en charge du campement de la Place des Caprices, et de la coordination des forces de la mouette sur toute cette frange de Barnanos. L’homme venait de surgir depuis l’arrière du char d’assaut, et leur adressa ses salutations avec un plaisir indubitablement partagé par les chevaliers de Nowel.

      -SANTA KLAUS, ENFIN VOUS VOILA. NOUS SOMMES HEUREUX DE POUVOIR COMPTER SUR VOUS UNE FOIS DE PLUS.
      -Ho ! Ho ! Ho ! Je vous en prie, Colonel. C’est à moi de vous remercier de nous avoir conviés, au nom de l’Esprit de Nowel, à prendre part à la résolution d’une telle crise.

      Les deux hommes de Bien, qui partageaient désormais l’épithète de Héros de Panpeeter dans les journaux de North, s’engagèrent dans un échange de bonnes paroles qui faisait grand honneur à leurs postes de leader respectifs. Mais qui s’avérerait un tantinet désagréable à retranscrire.

      Aussi nous attacherons nous à détailler les enfantillages des autres chevaliers de Nowel, qui désiraient en apprendre davantage sur le Sigurnator.

      -Enoooorme, jubila Roderik. Attends, attends. Sig. T’as un tank à ton nom ?
      -Je sais, articula vaguement l’autre sans réfléchir, trop occupé qu’il était à sourire à pleines dents face à pareille vision.
      -Putain, tu es génial. Je rejoins les Nowel, c’est obligé. Je veux un truc à mon nom dans la marine, aussi. Un navire. Un sous marin. Ou alors non, mieux : un truc qui VOLE. Ouais.
      -Tu peux m’expliquer d’où vient cette chose ?, demande Knight Bluto.
      -Mwarharharh…Sigurnator… mwarharharh
      -Crétin de cucurbitacée décrépi du ciboulot, on te parle, connard!, éructa Kalem.
      -Oooh, euh, oui. Beeen… j’ai eu l’idée d’improviser des tanks sur Panpeeter à partir de chariots qu’on a renforcés, chais pas si vous avez pu les voir. Ca avait super bien marché, en fait. J’avais repris le principe des bunkers à roulettes qu’on avait dans la milice et… ils ont reprit l’idée… ils m’ont demandé mon avis… des conseils… des noms, aussi, parce que tout ça c’était pas de moi, mais bien évidemment de ma bande d’ingénieurs dans la milice. Et au final…
      -Mmh. Je trouve tout de même… très étonnant… que la marine ait pu élaborer et déployer des prototypes en si peu de temps depuis la crise de Panpeter et les Santamarines, s’étonna Elie. Qu’en dîtes-vous, Randy Beam ?
      -…, manqua de répondre le jeune chasseur de primes en étudiant d’un œil expert le décolleté rehaussé d’une caporale qui passait non loin.

      Deux secondes plus tard, et le jeune homme fut gratifié d’un coup de cravache sur le poignet et se tourna vers elle d’un « aie » arraché par la surprise. On ignorait encore où Jorgensen avait trouvé son accessoire –sûrement acquis dans le camp marine-, mais elle en faisait déjà très bon usage.

      L’incident en resta là lorsque CAPSLOCK prit sur lui de répondre à la question –fort pertinente- de la jeune femme :

      -PFAAAH ! VOUS IMAGINEZ BIEN QUE SI DES CHAPEAUX DE PAILLE POUVAIENT DISPOSER D’UN TANK ET D’UN ROBOT DE COMBAT IL Y A CENT ANS, LA MARINE ACTUELLE DISPOSE DE MOYENS AUTREMENT PLUS DEVELOPPES ACTUELLEMENT, N’EST-CE PAS ?
      -Je n’en doute pas. Je n’en doute pas…

      Elie se sentit bouillonner intérieurement. Elle ne supportait pas cette manie qu’avait CAPSLOCK de toujours beugler de cette manière. Lorsqu’elle avait été Barbara, la terrible pirate de North, la Reine Pagaille, pendant la crise de Panpeeter, elle lui avait fait ravaler ses décibels avec délectation : un exploit que bien peu de personnes avaient su réaliser jusqu’à présent. Mais aujourd’hui, elle était Katrina Demetov. Et Demetov utilisa cette frustration afin de mieux bâtir son personnage. Que devait-elle faire ? Comment affûter sa personnalité ? La demoiselle étant encore en création de rôle, sa concentration était totale.

      Même les claquements de mains excités de Dogaku, qui se frottait les paumes en regardant le commodore d’un air jovial, ne parvinrent pas à troubler sa concentration.

      -Euh… je peux ? On peut, plutôt ?, demanda Sigurd avec des pépites d’or dans les yeux.
      -BIEN SUR, JE VOUS EN PRIE.
      -WOUHOU ! VOUS ETES GENIAL, COLONEL !
      -MOI D’ABORD !
      -BRAHAHAHA, J’CROIS PAS, NON ! PREMIER ARRIVE…
      -T’ES TROP LENT, SIG, CHERCHE PAS ! CIVIL CA FAIT GROSSIR, ALORS QUE MOI…

      Roderik et Dogaku se précipitèrent tous deux vers le monstre de tôle et de chenilles qui leur faisait face. Au coude à coude, et franchement appuyés l’un sur l’autre plus qu’autre chose, ils s’écrasèrent contre la grosse carcasse de métal avant de s’empêtrer l’un dans l’autre tout en essayant de se hisser sur le dos de la bête. Tout ça sous les regards plus ou moins curieux de leurs compagnons, si ce n’était le cracha dédaigneux du malveillant Kalem, et l’expression pincée, on ne peut plus médisante et réprobatrice de Jorgensen – ou peut importe son identité du moment, à savoir Katrina Demetov, dont on ignorait encore tout.

      Une fois en place, Sigurd et Nerassa s’engouffrèrent immédiatement dans l’interstice circulaire du véhicule, nonobstant le fait que l’habitacle déjà plein n’était conçu que pour abriter cinq personnes en tout.

      Il fallu donc l’intervention d’une personne forte et raisonnable –qui s’avéra être Santa Klaus- pour remettre un semblant d’ordre dans tout cela en les tirant d’un bras chacun. Mais deux minutes plus tard, voilà que les deux acolytes s’émerveillaient à copiloter un char d’assaut sur une allée prévue à cet effet, le tout sous la supervision ferme et SECURITAIRE (le sergent insistait fébrilement sur le concept de PRUDENCE) du spécialiste des manœuvres qui veillait bien à ce qu’il n’y ait nul imprévu.

      -Et on fait comment pour tourner ?
      -ON NE TOURNE PAS !
      -Si je tourne cette manivelle, là ?
      -C’EST LE CANON, N’Y TOUCHEZ SURTOUT PAS !
      -Rhooo… bon, j’dis plus rien, moi.
      -Harhar, boudeuse. Déjà ?
      -Ouais, c’est ça, moque toi.

      -Chuis sûr que si on veut tourner, faut d’abord… au fait, comment on fait demi tour ? Enfin, marche arrière, je veux dire. Y’a pas trop la place sinon dans ces allées.
      -Il vous faut d’abord embrayer ce levier, et ensuite… oui… comme ça, exactement.
      -Et pour gérer la vitesse ?
      -L’autre levier, juste en face de votre amie.
      -Et ce bouton ?
      -JAMAIS ! SURTOUT ! ABSOLUMENT ! NE ! JAMAIS ! APPUYER ! SUR ! CE ! BOUTON !
      -Oh…

      Comme d’habitude, Roderik et Dogaku s’amusaient énormément… et ne faisaient rien de sérieux.

      Laissons les donc pour nous intéresser à qui de droit.

      -J’ai tout de même du mal à concevoir comment nous allons pouvoir nous rendre utile, Monsieur, siffla rapidement Elie à l’attention de CAPSLOCK.
      -EH BIEN VOYEZ-VOUS…
      -Et j’apprécierais que vous ne me hurliez pas votre réponse, merci.
      -Oh, je m’excuse, madame.

      Intonation froide. Regard perçant. Expression pincée, mais pas hostile, ni contrariée. Juste impérieuse, et incapable de souffrir, de tolérer la moindre contrariété. Petit à petit, Jorgensen ajustait les caractéristiques de son nouveau rôle.

      Qui restait malheureusement sans grand effet face à son interlocuteur de la marine.

      -COMME JE VOUS LE DISAIS, DONC…

      Les habitudes du commodore étaient bien trop enracinées pour être rompues si facilement. Grimaçant de déception, la demoiselle se retira sur une dizaine de mètres, afin de se tenir à un niveau audible et supportable de ce personnage.

      -LE PRINCIPAL OBJECTIF DE LA MARINE A TOUJOURS ETE DE METTRE LA MAIN SUR DEUX INDIVIDUS : TOUT D'ABORD, LE GILA, PARRAIN DE LA PEGRE, ET ACCESSOIREMENT PARRAIN DE L’UNE DES PLUS HAUTES PRIMES DE NOTRE SIECLE, SA JEUNE NIECE, L’IMPERATRICE PIRATE KIYORI TASHAHARI ACTUELLEMENT EN PLACE AU SEIN DU NOUVEAU MONDE…

      CAPSLOCK marqua une pause pour laisser à ses civils le temps de digérer l’information. Sans surprise, quelques questions tombèrent, et il prit soin de détailler son exposé.

      Le Gila était l’oncle de l’Impératrice Tashahari. Une rumeur rouge, remarquera-t-on. Sans surprise, personne parmi les chevaliers de Nowel n’était au fait de cette situation.

      A l’exception de Nash qui, en raison de ses fonctions de journaliste, et pour avoir longuement étudié les raisons de la présence de la marine sur Barnanos, était parvenu à percer le secret de cette rumeur par ses propres moyens. Le jeune homme fantaisiste avait de la ressource, cela allait sans dire. Un grand sourire scandant « Je le savais ! » illumina son visage, mais peu de monde y prêta la moindre attention.

      De toute manière, ce n’était plus que l’affaire de quelques semaines avant que cette information ne se diffuse dans les esprits. La marine avait décidé d’appliquer des mesures de guerre sur l’île de la mafia. Une ile où tous les habitants, depuis le plus humble tavernier jusqu’au moindre mafioso, profitait directement des retombées économiques d’un commerce aussi satisfaisant qu’un marché noir bien protégé. Pour asséner un tel coup de poing au monde, les militaires devaient avoir une excellente raison. Ils en avaient. Resterait ensuite à les exposer, ce que le Sous Amiral en charge de cette opération ne manquerait pas de faire personnellement. L’homme avait bien trop longtemps vécu dans l’ombre, et se plaisait maintenant à tirer vers lui la couverture ; en fait, il le faisait avec une délectation qui le rendait manifestement très dangereux.

      Il n’empêchait toutefois que…
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      … les chevaliers de Nowel n’étaient pas les seuls sur le coup.

      En effet non loin de là,  un groupe d’aventuriers à la recherche de reconnaissance se frayait difficilement un chemin dans les rues de Manshon avec à leur tête un certain Mouetteman. Ce héros qui s’était fait un nom sur le cimetière d’épave se retrouvait à déambuler dans les rues de Manshon à la recherche d’une mission à accomplir, car cela faisait bien trop longtemps que Mouetteman n’avait pas corrigé de criminels, ce qui commençait à lui manquer bien qu’il ne l’avouât pas… Car oui le super-héros, tel était le nom qu’il voulait qu’on lui donne, n’était pas vraiment du genre à exprimer ses sentiments. Autant il aimait sauver la veuve et l’orphelin, mais quand il s’agissait d’exprimer ce qu’il ressentait lorsque Zoro avait cassé sa barre de traction c’était une autre affaire. Dans ce genre de cas, il se contentait souvent d’appeler Juriste afin qu’il applique les différentes règles du droit, car c’était bien connu, mais le droit permettait de résoudre tous les conflits.

      Pendant que Juriste, qui était également le cerveau de Mouetteman resta sur le bateau, l’homme au costume ainsi qu’un escargot ressemblant énormément au défunt Zoro marchèrent dans les rues de la ville à la recherche de personnes à interroger, mais leur quête était vaine. Se fiant au sens de l’orientation de Zoro, autant dire à rien, Mouette se retrouvait en plein milieu d’une île qu’il ne connaissait pas sans vraiment savoir ce qu’il comptait faire et demanda d’ailleurs à Zoro ce qu’il en pensait

      -T’es sûr que l’on va mouettrouver quelque chose ici ?
      -Bzzt Oui je ne suis pas stupide quand même… ajouta l’escargophone
      -C’est juste qu’il n’y a pas mouettemonde par ici, je sais bien que Red est ici mais ce n’est pas une mouetteraison. Mouettepose de la concentration
      -Bzzzt Red, tu parles de lui comme si c’était un mec normal, c’est un des pirates les plus recherchés Mouette bzzzt !
      -Héhéhé, il est peut-être recherché, mais la dernière fois que je l’ai vu il n’était pas mouettesi terrible.
      -Bzzt Oui je sais, je sais… Tu l’as battu au Pédalo…
      -Mouettepose de la fierté… Oui exactement Zoro, tâchons de le retrouver s’il est ici !

      Le super-héros et son acolyte continuèrent dans leur lancée afin de retrouver celui que tout le monde craignait sur cette île : Rossignol Edouard Désiré.

      **
      *

      -Zetsu !
      -…
      -ZETSU ! ZETSU !
      -…

      Ki-Kass usa de sa plus belle great technique pour réveiller l’homme poisson de la meilleur façon qu’il se devait. Il fallait dire que cela faisait maintenant une demi-heure que le héros trainait son acolyte qui avait décidé subitement de faire une pause. Zetsu se réveilla de la même façon qu’il s’était endormi, c’est-à-dire très rapidement, puis il dégaina son bâton comme par réflexe avant de dire

      -Pourquoi donc m’avoir réveillé ? Mais où on est ?
      -À Manshon sur Great Nord Blue, Bri… Mouette nous a chargé de trouver des personnes à aider. lui répondit Ki-Kass
      -Je ne vois pas de gens mon ami, peut-être sont-ils allé prier le dieu bouddha. se contenta de dire Zetsu
      -Ça m’étonnerais, deux choses peuvent expliquer ça : la greatmarine ou la présence de pirates.
      -Des flibustiers ? Tâchons de les trouver et de leur donner la leçon divine de mon maître.[/b]
      -Les deux hommes qui se trouvaient à l'opposé de Mouette et Zoro allaient pas tarder à rencontrer de nouveaux visages.

      **
      *

      Sur le pont de l’argo se tenait une femme ressemblant à un clown, un vieillard et un blondinet aux allures de rockeur qui poussait la chansonnette sous les cris de ses camarades

      -Mais puisque je te dis que le bel homme va revenir hihihi.[ lança Harlequin
      -Mais d’aprrRRRrRRRrrRès l’aRRrrRRRrrticle L-278-3 alinéa 18 du code de l’équipage, le capitaine donc Mouetteman n’est pas censé séparrrRRRRRrrerrRRRRR son équipage en plus de deux groupes. ajouta le Juriste sûr de lui
      -J’ai jamais entendu quelque chose de tel sur Gotham mon chou.
      -Le Code MorrrRRRRrrrral de la morrrRRRrrrrrralité dis que si tu rrrRRRRrrrrremets en cause la parrrRRrrole d’un homme de DrrrRRRRRoit, tu peux encouRrrRRrrrir une mort par pendaison…
      -Pas besoin de le prendre mal hihihi… Si ce n’est que ça qui te chagrine.
      -♬ Tadadadadada, Tadadadadada, Tadadadadada Mouetteman ! ♬[/b]

      Cria Jericho tout en frottant les cordes de sa guitare de façon effrénée. Le tout donna un rythme fort plaisant mais qui visiblement ne faisait ni chaud ni froid à Harlequin et Juriste. Le blondinet prit le soin de noter le divin air qu’il venait de faire, puis il se dirigea vers ses camarades à qui il cria

      -ROCK N ROLL !
      -Ahhhh ! s’écria Juriste
      -Tu sais vieillard, si Mouette nous a conseillé d’attendre ici, ce n’est pas pour se prendre le chou, mais pour surveiller l’Argo alors maintenant on va se détendre, écouter ma musique et frapper tous les intrus qui oseront approcher notre bateau ! répondit Jericho
      -Mais d’aprrRRRRrès l’arRRrrrticle…[/b] tenta de répondre Juriste avant de se faire interrompre par Harlequin
      -Le beau gosse a raison ! Restons calme et attendons le retour de Mouette car il saura bien quoi faire.[/b]

      Et les trois Héros Hic vaquèrent de nouveau à leurs occupations sous le ciel qui commençait à grisonner au loin.

      **
      *

      -Bon sang de Mouette, mais où est donc Red ?[/b] s’exclama Mouetteman légèrement agacé, mais pas de trop car il tenait à son image de héros parfait.
      -Bzzt si j’étais recherché je me planquerais sans doute dans un endroit à l’abri des regards… Bzzt [/b]lança Zoro
      -T’as sans doute raison mouettacolyte, cherchons donc du côté des ruelles.[/b]

      Le duo entama sa marche au milieu du boulevard où seule la présence de la marine se faisait sentir par-ci par-là, mais rien de bien transcendant. Mouette profita de cet instant de tranquillité pour s’entraîner comme il pouvait. Le super-héros commença par avancer à cloche pied en alternant tous les cent mètres de pied, puis il se mit à jongler avec Zoro ce qui déplut rapidement à ce dernier qui colla la garde de son épée en plein dans le visage de la Mouette. Fier comme était le capitaine des Héros Hic, ce dernier se contenta de renifler afin de faire rentrer dans son corps le sang qui tentait de se faire la malle au lieu de crier ou de frapper Zoro. Ils étaient amis depuis maintenant un certain moment et qui plus est Mouette avait commencé les hostilités… Mais ce que craignait Mouette, c’était que Zoro n’aille se plaindre à Juriste qui allait ensuite devoir faire une audience pour juger le litige. Le capitaine des Héros Hic savait qu’il était en tort et il ne voulait pas payer d’indemnités à Zoro surtout lorsque cela concernait de l’argent et c’est pour cette raison qu’il lui proposa la chose suivante

      -Tu sais mouetteacolyte, j’ai pas voulu t’embêter, évitons tout mouettemalentendu et réglons ça comme des grands.
      -Bzzt qu’est-ce qui m’empêche de ne pas aller voir Juriste maintenant ? [/b]répondit l’escargot
      -Mouetterien, mais si tu veux avoir toutes les réserves d’alcool, je te conseille de ne rien dire. Mouettepose de l’awesomeness
      -Bzzt Hum… Intéressant… Mais qui me dis que tu ne vas pas changer d’avis. Et Randy ? Et Zetsu ? Bzzt
      -S’ils se plaignent du mouettemanque d’alcool dis le moi ou sinon cache les mouettebouteilles.
      -Bzzzzt Deal !

      Les hommes se serrèrent la main comme ils le pouvaient même si l’exercice était un peu difficile de par les conditions de Zoro. Le problème étant résolu, Mouette et son acolyte se dirigèrent vers une rue moins imposante que celle où ils se trouvaient, sans doute pour augmenter leurs chances de rencontrer Red, mais manque de chance leur quête ne leur amenait à rien. Les minutes passèrent encore et encore sans qu’ils ne rencontrent personne. Mouette pensait même à abandonner ce qui était un comble pour un héros de sa stature jusqu’au moment où Zoro lui indiqua qu’il venait de voir une ombre avec un chapeau. Pour Mouette il ne faisait aucun doute qu’il s’agissait de Red. Le capitaine des Héros Hic prit dans son bras Zoro et se mit à courir tout en scandant son nom dans les rues de la ville.




      Dernière édition par Randy Beam le Jeu 3 Sep 2015 - 16:46, édité 1 fois
        -Eeeeh… juste pour confirmer. Vous êtes en train de me dire qu’on va potentiellement se prendre la gueule avec… ça ?, demanda Sigurd en leur tendant l’avis de recherche récupéré auprès de la Marine.


        La question que tout le monde se pose, c'est : comment une fillette d'à peine dix-sept ans a-t-elle pu devenir Yonkou ? Littéralement porté par les dieux, le phénomène a traversé Grand Line avec une facilité déconcertante, balayant tout sur son passage. Du jamais vu auparavant. Face à ses pouvoirs et à son caractère, une secte d'adorateurs s'est vite mise à la déifier, ce qu'elle n'a nullement freiné dans sa progression. Maintenant considérée comme une déesse par un bon quart du nouveau monde, son pouvoir et sa popularité sont à leur sommet, comme témoins de sa puissance et de sa sagesse. Car n'allez pas croire qu'il ne s'agit que d'une enfant capricieuse... Elle possède l'intelligence, la ruse et la sagesse que mille vieillards n'obtiendraient pas cumulés. Une véritable déesse, personnifiant la beauté de la guerre lorsqu'elle part au combat armée de son Meitou, intouchable autant qu'immortelle.

        -Nan parce que je dis pas que sauver une île c’est pas chouette ni rien, mais capturer le tonton d’un des trucs les plus sanguinaires de la création, chuis très moyennement fan, hein. Imaginez qu’un truc pareil se déroute pour venir le libérer en grande pompe en fracassant le QG de la marine de North, et qu’ils se disent dans la foulée « tiens, et si on allait massacrer ces enfoirés de chevaliers de Nowel qui ont contribué à nos problèmes ? Sus aux civils ! ». Perso j’aime pas.
        -Euh… avec une description pareille… t’es sûr que « truc sanguinaire » ça correspond vraiment à cette pirate ?, objecta Knight Bluto. C’est une déesse honorée et révérée. Encore que vu sa photo… pas vraiment, non.
        -Ho ! Ho ! Ho ! Cette jeune demoiselle me donne l’impression d’avoir été une très, très mauvaise enfant, cette année. Et pas seulement cette année, en vérité.
        -Clair que pour devenir empereur pirate, hein…
        -Pour ma part, ce qui me semble bizarre, c’est… mmmh… comment dire…
        -Qu’est ce que y’a, Elie ?
        -KATRINA.
        -Oh, oh, oui, pardon…

        -Eh bien… pouvez-vous m’expliquer ce que tout ça veut dire ?
        -Quoi donc ?
        -Pourquoi est-ce que la description jointe à l’avis de recherche et la photo de l’avis de recherche ne sont aucunement en corrélation l’une avec l’autre ?
        -Oh. Oui. Mwarharharh. Désolé, j’avais zappé. Ben on a déjà reçu un mec qui nous a fait la remarque, à HSBC, avec Haylor. Du coup on a un peu creusé et… on a mis Nash sur le coup ! Tu leur montres ?
        -Absolument ! Je dois avoir ça dans ma sacoche, attends… et voici, et voilà… et un avis de recherche tout droit sorti des archives pour la demoiselle, un !




        -Et là vous avez un truc qui cadre complètement avec la description qui en est faîte, n’est-ce pas ?, continua Sigurd.
        -Ma foi… oui. Mais alors, pourquoi ?
        -Haha ! Je me suis penché sur la question !, flamboya Nash. Après tout, celle-ci mérite d’être posée ! Kiyori est-elle réellement la déesse enfant décrite par le gouvernement, et aussi radieuse que le précédent portrait qui en était fait dans son ancien avis de recherche ? Ou bien s’agit-il d’une simple gamine capricieuse armée de supers-pouvoirs qui lui permettrait de n’en faire qu’à sa tête, qui s’est récemment prise d’affection pour le monde du métal ?
        -Ca serait clairement pas la première à faire ça si c’était le cas, ouais. Genre rien que Haylor qui joue à la sorcière et qui…
        -Eva est une métalleuse ?
        -Euh… nan, c’est pas ça que je voulais dire, juste, que…

        -ASSEZ AVEC VOS DIGRESSIONS INUTILES... et donc ?, appuya Elie.
        -J’ai une théorie, continua le journaliste. Et à mon sens, tout ça, c’est… du vent ! Ou plus exactement, un mensonge. Un gros mensonge. Ou, pour être plus précis, un coup monté.
        -Eh ?
        -Vous ne voyez pas ?, rayonna Nash. Allez. Faîtes un effort.
        -…
        -Vraiment pas ? Sigurd tu leur dis rien, hein.
        -J’en avais pas l’intention.

        -Eh bien tout ça, je suis convaincu qu’il s’agit… d’un coup du Cipher Pol, bien sûr !

        Nash asséna sa déclaration d’un éclat de voix aussi vigoureux que son sourire, comme s’il s’était agit de la plus grande révélation de la journée. Ce qui n’éveilla guère plus que des regards étonnés de la part de la majorité des Nowel présents. Mais il en fallait bien plus pour désarçonner le reporter qui, loin de se laisser abattre, décida de pousser son propos plus en avant. Pire encore, le jeune homme se savait soutenu par Sigurd, qu’il n’avait jamais aucun mal à rallier à ses lubies.

        -Ils veulent ruiner son image. C’est de la propagande gouvernementale, évidemment !
        -…
        -Réfléchissez, poursuivit Nash avec un ton d’évidence. Une impératrice pirate dont la spécificité est de faire l’objet d’un culte sur sa chasse-gardée ainsi que sur une part non négligeable de la route de tous les périls.
        -Kiyori n’a pas de cultistes sur GL, objecta Elie.
        -C’est pas ce que dit sa description, appuya Sigurd. Avec les rumeurs, elle en a peut être dans le monde entier.
        -Ouais mais j’ai jamais entendu parler de quiconque qui a rencontré des cultistes de la déesse enfant dans les brèves du journal ou quoi que ce soit d’autre.
        -Boah, ils seront passés à coté ou auront oublié de les mentionner dans leurs récits, s’tout, hein. Pas de sa faute à la petite si le Malvoulant c’est plus sexy à mentionner pour faire l’intéressant.

        -Et comme je disais donc, imaginez ce qui pourrait arriver à la réputation de la petite Kiyori si ses milliers de fidèles voyaient des clichés d’elle dans une tenue pareille. Elle est belle, la déesse enfant, ah ça ! Fume le cigare, se coiffe comme une junkie, profère des jurons digne des favelas du blabla 15/18 –car on ne me la fait pas, à moi, je sais lire les petits caractères dans la bulle !- et s’habille avec les vêtements de cuir de son petit ami du moment, modèle BadBoy ™. Le blouson est trop grand pour elle, c’est évident. C’est le dernier cri en matière de loubard des mers, et c’est un vêtement d’homme présenté dans la collection automne-hiver de chez Hache&M. J’ai fait mes recherches, oui.
        -Donc soit c’est une image qui a été trafiquée… soit c’est un paparazzi de l’extrême qui a réussi l’exploit de la prendre comme ça, reprit Sigurd. Dans tous les cas, ce mec est bon.
        -Des paparazzis de l’extrême ?, demanda Nerassa.
        -Bien sûr ! Vous ne connaissez pas ?
        -Non ?
        -Rhoooo. Bon. Euh… vous voyez cette pluri-multitude de jolis portraits en gros plan de visage top-qualité qui servent pour les avis de recherche de la marine et des chasseurs de primes ? Où les pires criminels du monde tapent la pose en mode mannequin KO-Real, genre « chuis un mannequin et chuis secks’ », en affichant leur plus beau sourire ou en sortant tout juste d’un bain de sang qui les met tout à leur avantage ? C’est du RP, tout ça. Relations Publiques. Et autant y’a des pirates qui sont parfaitement sensibles à ce genre de trucs, et qui essaient d’exploiter leur photogénie à leur avantage, autant y’a de purs, vrais, gros psychopathes complètement malades qu’il ne faut approcher qu’avec d’extrêmes précautions. Et pour ces gars là, je vous jure qu’un bon cliché, ça se négocie à coups de dizaines de millions si nécessaire. Après y’a ceux qui ne tiennent jamais en place et qui sont un jour sur telle île, le lendemain sur une autre, et qui en deviennent quasiment impossible à rejoindre… et à photographier.
        -Et du coup, en ce qui concerne Kiyori, eh bien… maintenant que l’information est diffusée, des gens vont s’y intéresser. Vouloir confirmer ou infirmer cette information. Des journalistes, des curieux. Des paparazzis pourraient tirer d’énormes bénéfices de l’affaire. Et potentiellement plomber la réput’ de la miss. Vous voyez le genre ? Et comme son statut d’impératrice est lié à son statut de déesse…

        Approbations diverses dans la petite assemblée des chevaliers de Nowel. Et pas seulement, en vérité : l’exposé fait par Nash et Sigurd avait été suffisamment animé pour éveiller la curiosité de plusieurs marines qui œuvraient aux alentours, de sorte que c’était bien  une trentaine de personnes qui les observaient tous deux avec un degré d’attention et une proximité très variables. Tout ça jusqu’à ce qu’un sous-officier un tant soit peu sérieux ramène tout ce monde à la réalité en se plantant devant les civils pour hurler :

        -ON SE CONTREFICHE DE KIYORI ! C’est quoi cette putain de digression que vous venez de nous faire, là !? TOUT LE MONDE A SON POSTE, ET ZOU !
        -Ben quitte à faire une parenthèse culturelle, autant bien poser les infos pour tout le monde histoire que chacun soit à la page, non ? J’veux dire… vous avez pas trouvé ça utile ?
        -…
        -…
        -…
        -…
        -…
        -Même pas un tout petit peu utile ?
        -Vous vous fichez de moi ?, répliqua le sous-off’.
        -Laissez moi faire, je vous prie.
        -Elie ?
        -BANDE D’IDIOTS !, s’exclama Katrina en cravachant abondamment les deux compères. NE NOUS FAÎTES PLUS PERDRE DE TEMPS ! Et si vous avez le malheur de recommencer, j’ordonnerai à Randy Beam de vous… vous… eeeh…
        -… ?
        -Dîtes-moi donc. Quelqu’un sait où est passé Randy ?

        *
        *     *
        *



        Il s’était perdu. Ca ne faisait aucun doute. Et maintenant, Randy Beam errait au hasard dans les rues de Manshon, avec pour seul objectif de retrouver les siens. Un plan hasardeux qui avait toutes les chances de fonctionner, quand on considérait que c’était globalement la même approche qui était appliquée par les autres chasseurs de primes. Mais ce plan était mis en péril par la fâcheuse habitude qu’avait Mr Beam de se laisser distraire par la première demoiselle un tant soit peu attirante qui entrait dans son champ de vision, de sorte qu’il avait commencé à tourner en rond au sein du même quartier sans même s’en rendre compte.

        Une technique qui était globalement elle aussi appliquée par certains de ses comparses, à l’instar de Dendenoa Zorro, que l’on n’était pas près d’intégrer à ce récit pour des raisons éminemment pratiques. Son sens de l’orientation était suffisamment minable pour relever de la pathologie, après tout.

        En ce qui concernait Mr Beam, c’étaient ses aptitudes intellectuelles qui laissaient à désirer. Et il s’agissait là d’un point qui serait exploité allègrement lors de cette sombre affaire.

        Pour l’heure, le jeune chasseur de primes avait pourtant d’autres chats à fouetter. En effet, Mr Beam avait eu la mauvaise idée de reluquer d’un peu trop près une jeune demoiselle brune portant une robe d’été très aérée, ce qui n’avait pas échappé à l’un des hommes qui accompagnait cette miss. Et ce qui n’aurait pu être qu’un détail manqua bien de prendre une toute autre tournure lorsque le chasseur au marcel se retrouva encadré de six grands malabars à l’aspect menaçant, qui avaient tous réagis au quart de tour sur la simple injonction de leur supérieur.

        -Gneuhein ?
        -On n’emmerde pas la copine d’un Consigliere sans en payer le prix, c%*$&#@§!
        -J’ai rien fait, pauv’ tanche, répliqua calmement le vert.
        -T’inquiètes. Nous on va pas te rater, par contre.

        Et ce disant, le gorille enchaîna par un grand coup de poing qui cueillit Randy Beam en plein visage, lui arrachant un grand hurlement qui relevait davantage de la surprise que de quoi que ce soit d’autre. Même pris au dépourvu, le jeune homme avait eu la bonne idée d’accompagner le mouvement en se jetant en arrière, limitant par là même les dégâts. Ajoutez-y le fait que, quitte à avoir le crâne vide, Mr Beam avait également la tête dure, et vous comprendrez qu’il en fallait bien plus pour terrasser cet homme.

        Et en effet, fort comme un buffle, têtu comme une mule, franc comme un âne qui recule, le chasseur riposta d’une succession de crochets enfiévrés qui manqua bien d’emporter son assaillant. En situation de tête à tête, il aurait très rapidement submergé sa cible avec aisance.

        Mais il était seul, et ses adversaires étaient six. En l’occurrence, un second mafioso prit la peine de rejoindre son compagnon, et se jeta contre lui pour l’empêtrer de son mieux. Une manœuvre maladroite contre un homme aussi musculeux que Randy, qui écrasa bien rapidement son agresseur contre le sol, avant de lui faire mordre la poussière avec une violence aussi efficace que prononcée. Ne lui restait plus qu’à achever convenablement son assaillant initial –ses métacarpes s’enfoncèrent très brutalement contre les lèvres du concerné- avant de se soucier du reste de ses ennemis.

        Alors seulement, Randy se retourna. Et pu constater que des quatre autres mafiosos qui voulaient l’attaquer, il n’y en avait plus un seul capable de ses tenir debout. Tous étaient étalés à terre, meurtris et gémissant de douleur. Certains avaient le visage en sang, et portaient des blessures pour le moins inhabituelles : des filets d’hémoglobine s’écoulaient depuis des plaies où la peau avait été comme arrachées en fines lanières, comme lacérée par un poignard d’une précision chirurgicale. Mais la plupart des malabars avaient simplement la figure rougie par des chocs qui s’étaient montrés impitoyables ; des gifles d’une violence inouïe.

        Et non loin de ces corps, on trouvait la personne qui se trouvait vraisemblablement à l’origine de ces attaques. Un homme à l’aspect pour le moins inhabituel, sans aucun doute.

        Randy le dévisagea longuement. Il n’aimait ni les types louches, ni les sacs de patates, et encore moins les boîtes de conserve. Et ce nouvel arrivant appartenait très clairement à ces trois catégories.

        Et pourtant… eh bien, il venait visiblement de l’aider. Il semblerait.

        Voyant son air confus, le nouvel arrivant prit la parole :

        -Hhhhhh… je ne dérange pas, j’espère ?
        -Euh… pas vraiment, nan. Mais… t’es qui, toi ?

        C’était une figure sombre, isolée parmi les passants. Une sinistre silhouette alourdie qui se trainait dans les rues, qui progressait tranquillement sans prêter attention aux citadins qui s’écartaient avec précaution. Une personne qui portait un masque de fer, et dont on pouvait vaguement discerner la corpulence menue, fragile, qui était comme emmitouflée sous plusieurs couches de vêtements et une lourde cape qui l’enveloppait complètement.


        -Un ami de Mouetteman. Ancien chasseur de prime. Qui va reprendre du service, compte tenu de la situation.

        Ca n’était pas un simple masque de fer. C’était un masque à gaz entièrement opérationnel. Les intonations de ce personnage étaient ronflantes et métalliques, toutes transfigurées par les respirateurs artificiels de l’appareil. Ses mots étaient comme passés au hachoir, au gré de ses inspirations lentes et saccadées. Des sonorités particulièrement sinistres, qui accompagnaient particulièrement bien le personnage.

        Et pourtant, les mots qu’il venait de prononcer avaient suffit à mettre Randy Beam dans de bien meilleures dispositions.

        -Oh, cool ! Tu connais Mouetteman ?, s’éclaira le jeune homme.
        -Carrément, que je le connais. J’ai eu la chance de l’aider à plusieurs reprises, il y a quelques années de ça. Et lui-même m’a rendu un grand service… à une certaine occasion. Mais… et vous, vous le connaissez ?
        -Et comment, mec ! Je suis des Héros Hics ! L’équipage de Mouetteman !
        -Les héros hics ?
        -Héros Hics ! Faut qu’on entende les majuscules, quand on le prononce !
        -Euh… ce sont des H. Il n’y a rien à prononcer.
        -Faux ! Car tout est dans le style. Et j’ai l’impression que niveau style, t’as un monde à parcourir, gars.
        -Comment ça ?
        -Tu ressembles à une merde, mec !
        -Hhhhh…
        -Hé ! Tu vois qu’on les entends, tes h !
        -Ceux là ne comptent pas.
        -Bien sûr que si, tricheur !
        -C’est un soupir exaspéré.
        -C’est un H que j’ai entendu, nuance !
        -…


        Randy Beam éclata de rire devant la face, ou du moins le masque contrit de son interlocuteur. Un peu penaud, visiblement vexé, l’autre esquissa un léger geste de la main avant de se résigner. Et finalement, il reprit :

        -Bref. Je cherche Mouetteman, là, justement. Est-ce que tu sais où le trouver ?
        -Eeeeeh… nan, pas vraiment. Je le cherche aussi, en fait. Ca te dirait de te joindre à moi ?
        -Dépend. Tu n’as pas l’air d’être… une flèche… encore que… ma foi… enfin, carrément que… ouais. Pourquoi pas.
        -Haha ! C’est parti alors. Mais faut qu’on se présente, d’abord. Tous les héros font ça. Moi c’est Randy Beam. Et toi ?
        -Hhhh… je m’appelle Bane. Enchanté.
        -Geuhein ? Tes noms sont aussi pourris que tes tenues, mecs. Un super héros, ça devrait pas s’appeler… je sais pas, moi, autre chose !
        -Ca n’est pas vraiment dans mes priorités.
        -Mais justement !
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        ALERTE ! ALERTE ! ALERTE !

        Dans le campement de la marine, sur la large place urbanisée qui encadrait la Fontaine des Caprices de Barnanos, on retrouvait les militaires et leurs alliés en grande ébullition. Des sirènes hurlaient leurs grincements stridents à qui voulait l’entendre, des dendens de surveillance et de communication rehaussaient le vacarme en balbutiant des injonctions confuses que personne ne comprenait vraiment.

        Code Rouge.

        Alerte Cinq.

        Etat d’Urgence.

        Ce genre de choses.

        D’autres Denden de sécurité clignotaient à la manière de gyrophares rougeoyants, complétant ainsi le tableau de panique. Et tout autour des chevaliers de Nowel, qui n’y comprenaient rien, tout ce petit monde s’affairait dans une cohue indescriptible, aussi désorganisée que possible. En apparence seulement. La majorité des militaires du rang s’agitaient effectivement à la manière de fourmis désordonnées dont on aurait secoué le terrier en insistant. Mais les administratifs de la marine, le personnel non-combattant, savait parfaitement ce qu’il faisait, lui. Et les officiers de l’exécutifs s’échinaient déjà à remettre de l’ordre chez leurs larbins de premières et secondes classes.

        -Avis à toutes les unités ; le Capitaine Red a été repéré dans le secteur des Orchides ! Je répète ! Le Capitaine Red a été repéré dans le secteur des Orchides ! Avis à…
        -ENSEIGNE, JE VEUX UN VISUEL DE ROSSIGNOL AU PLUS VITE !
        -Ca arrive chef, les D.R.O.N.E. se sont déroutés vers sa position !

        Outre les partenaires de CAPSLOCK, Sigurd était l’un des rares à savoir ce que pouvait bien être un D.R.O.N.E. aérien. Il s’agissait de l’acronyme d’un Dispositif de Reconnaissance et d’Observation Naturel à Escargovision. En d’autres termes, des pélicans, entraînés par des maîtres-fauconniers, qui transportent des commandos Den Den : des escargots spécialement sélectionnés et retenus après une âpre formation intensive de six mois, avec un taux de réussite qui avoisine les 3%.

        Il s’agissait d’un dispositif originaire de la milice du royaume natal de Sigurd, peu avant qu’elle ne soit absorbée par la marine mondiale. Et si la majorité de ses excentricités techniques n’avait pas été jugée digne d’être intégrées et diffusées au sein des forces de la mouette, on retrouvait toujours quelques opportunistes tels que CAPSLOCK pour récupérer ce qu’il estimait être les bonnes idées.

        Et les voilà qui se trouvaient désormais rassemblés au sein du poste de commandement privé du commodore, la majorité attablés devant un écran qui retranscrivait en direct les images recueillies par le commando Den-Den aéroporté.

        Et même s’il ne s’agissait que d’une vue aérienne…

        -Attendez un instant… je reconnais cet endroit, signala Elie.
        -Ah ?
        -Nous sommes passés devant il n’y a pas bien longtemps, je me trompe ?
        -C’EST TOUT A FAIT PROBABLE, LES ORCHIDES NE SE TROUVE QU’A DEUX KILOMETRES D’ICI !!
        -Deux kilomètres… dans quelle direction ?, s’enquit Santa Klaus.
        -QUELQUE CHOSE COMME NORD, NORD-EST. MAIS VOYEZ-DONC SUR CETTE CARTE, indiqua le commodore.

        Sur le pan de mur du poste tactique du marine, on pouvait retrouver une carte de l’île découpée en un peu plus d’une quinzaine de portions pour certaines hachurées, le tout agrémenté de nombreux cercles rouges et bleus à géographie variable qui n’évoquaient pas grand-chose aux civils. Celle qui se tenait debout au plus près de la carte, Nerassa, demanda :

        -Et où-est-ce qu’on est, nous, dans ce machin ? La grosse pastille rouge, c’est vous êtes ici ?
        -C’est le manoir Tempiesta.
        Nous c’est la pastille bleue, bien sûr.
        -Je vois, lâcha Santa Klaus en se levant.

        Comme à son habitude, celui que l’on surnommait affectueusement le vénérable messie du douzième mois affichait un air grave et résolu. Et à la manière dont les pectoraux de sa musculeuse poitrine se gonflèrent, tous devinèrent ce qu’il avait en tête.

        La véritable question en devenait : qui donc avait l’intention de le suivre ?

        Pour sa part, Sigurd hésita. Rester ici, au poste de commandement de CAPSLOCK, était peut être bien la meilleure chose à faire pour récupérer un maximum d’informations sur ce qui se passait ici ; il comptait bien recevoir un briefing intégral de la part du commodore, et notamment en savoir plus sur ce qu’ils pourraient bien faire ici.

        Mais d’un autre coté, si l’un des hommes les plus recherchés de toute l’île venait d’apparaître non loin d’ici, peut être pourrait-il aider la marine en se rendant utile… d’une manière ou d’une autre. Et puis, il était bien curieux de voir par lui-même ce que pouvait être ce personnage qui faisait trembler les marines… et le monde en général, à en croire les journaux.

        -Eh, attendez !, interjeta Elie.
        -Ho ! Ho ! Ho ! Toutes mes excuses, douce Katrina, mais nous n’avons pas de temps pour ça!

        Et il s’élança vers l’extérieur sans un mot de plus. Et parmi les quelques chevaliers de Nowel qui le suivirent, il y avait…



        *
        * *
        *



        -Le capitaine Red est apparu ! Il s’agit de notre cible ! Ordre à toutes les unités : NE L’APPROCHEZ PAS ET RESTEZ EN VIE COUTE QUE COUTE !

        Nous étions maintenant à deux kilomètres de la place des Caprices, dans une grande avenue qui jouxtait l’un des plus beaux parcs de tout Barnanos : le parc des Orchides. On trouvait ici de luxueux établissements aménagés en somptueuses boutiques, qui s’adressaient toutes exclusivement à une clientèle fortunée : les familles dirigeantes de l’organigramme de Manshon, leurs cadres intermédiaires, leurs partenaires en affaires – légales ou non- de passage sur Barnanos, ainsi que tous les touristes pour qui l’avenue constituait un attraction mémorable.

        Ces derniers jours, pourtant, ces établissements avaient reçu l’ordre de garder leurs portes closes. Et pour cause : ce qui pouvait arriver à tout instant venait précisément de se produire.

        On engageait l’ennemi.

        -Ne mourrez pas ? Eheh ? Hehehe. ZWEHEHEHAHAHAHA !!! On ne me l’avait jamais faîte, celle là. J’ai si mauvaise réputation ? J’ai été chez les gentils pendant longtemps, pourtant ! Marine, Cipher Pol… boah, des ingrats. Mais c’est étrange… c’est merveilleux… c’est fabuleux. On a jamais eu ce genre de réaction, devant Ludwig. Ils avaient peur, oui, ils se faisaient dessus. Mais là… c’est complètement autre chose. C’est. Complètement. Autre chose.

        Il était là, seul, à se tenir sur le toit d’un petit bâtiment isolé qui dominait entièrement les alentours. Il faisait face à la soixantaine de marines qui se succédaient dans l’avenue, le parc et les rues adjacentes. Il observait tout ce petit vivre et s’agiter à la moindre de ses mimiques, et se gaussait de leurs réactions abusives. Prenez là, à l’instant, par exemple : il venait tout juste de se gratter le front, et ç’avait été suffisant pour que toute une rangée de soldats fassent vibrer leurs fusils tout en reculant de trois pas chacun.

        Le spectacle de la terreur qu’il semait tout autour de lui était un véritable délice ; quelque chose de véritablement jouissif. Et il se félicitait de ne plus être Ludwig. Car être Red, c’était infiniment mieux.

        Et pour être Red, il avait longuement enquêté sur le sujet, afin de recueillir toutes les informations qu’il y avait à savoir… et même bien plus. Il connaissait tout l’historique du personnage, depuis son recrutement par le Cipher Pol en 1602, durant son adolescence, jusqu’à sa mutation dans la marine en 1623 suite à ce qui était considéré comme l’échec de trop. Il connaissait la couleur préféré de l’homme qu’il était, à savoir le bleu, car c’était une couleur très proche du rouge, comme disait Desproges.

        Il avait poussé le vice jusqu’à se renseigner sur ses préférences alimentaires, comme son dessert préféré : le clafoutis amerzonien, dont chaque bouchée l’emplissait de nostalgie. Ceci allait jusqu’aux moindre détails : il le préférait dur dessus, mou dedans, et avec des noyaux.

        Même les petites superstitions vestimentaires y étaient passées, de sorte que l’ennemi public numéro 1 de Barnanos portait aujourd’hui une copie parfaite du caleçon porte-bonheur de Red : celui orné d’une réplique d’un autographe de Dragon, son héros de jeunesse.

        Et, bien sur, il s’était méthodiquement rasé la portion du crâne qui était couverte par son chapeau. Il ne s’agissait que d’une rumeur purement invérifiable, mais qu’à cela ne tienne : aujourd’hui, il pouvait très honnêtement dire qu’il ETAIT Red. Rossignol Edward Désiré. Et Red se coiffait de la manière dont il le voulait, tout simplement.

        Chez les marines, on s’efforçait de garder son calme. Mais c’était peine perdue : tous faisaient face à l’ennemi le plus dangereux qu’ils ne rencontreraient jamais, et en avaient parfaitement conscience.

        Tous… sauf peut être un homme.

        Un homme qui se prénommait Totsuke Uraheshi, et qui ne vivait guère plus que pour deux choses en ce bas monde : la gloire et l’honneur. Non pas la sienne, mais celle de son école d’art martiaux, et de son vieux maître qui l’avait recueilli lorsqu’il était tout petit.
        Et il était hors de question que l’on puisse dire que le fils adoptif du Grand Maître du dojo Uraheshi ait pu, à quelques moment que ce soit, courbé l’échine face à un pirate, quel qu’il soit.

        -Euh… Sergent Uraheshi ? Totsuke ? QU’EST-CE QUE TU FOUS PUTAAAAAIIIIIIIIIIIIIN !?

        Mais le sergent n’écoutait pas. Dégainant son long Magatatesturanko, l’homme s’avança sereinement vers son ennemi, prêt à se battre.

        Ennemi qui n’eu pour autre réaction que de pousser un grand ricanement jovial. Il frissonnait de contentement. Il tremblait littéralement de satisfaction. Car c’était ça, le fait d’être l’ennemi public numéro un. Ludwig n’était qu’une ombre, l’ombre de Ravrak, un poste de sous main qu’une part de lui n’avait jamais pu supporter.

        Et le fait d’être un clone de Ludwig, c’était être encore bien moins que ça. Et c’est pourquoi notre homme s’était tourné vers une autre figure à devenir. Red, en l’occurrence.

        Mais il n’était pas une copie de Red. Ca n’aurait pas été satisfaisant.

        Il ETAIT Red.

        Il possédait le terrible logia des ténèbres, et savait manipuler l’obscurité à sa guise.


        ALL NIGHTER !



        Et ce faisant, le sergent Uraheshi se retrouva englobé dans un nuage de fumée noire qui ne pouvait bien évidemment provenir que des pouvoirs d’un logia. A moins qu’il ne s’agisse que d’un usage de fumigènes, des billes contenant un mélange chimique dont l’utilisation était régulièrement associée aux combattants de l’ombre, les ninjas.

        Car Red était un ninja reconnu et réputé ; on n’en attendait pas moins de la part d’un ancien agent du Cipher Pol.

        Et il en allait de même pour notre ennemi public numéro un.


        KAGE BUNSHIN NO JUTSU !!



        Deux individus vêtus de rouge surgirent de nulle part, à une vitesse effarante, pour s’élancer au plein cœur du nuage de fumée. Quiconque avait l’œil bien exercé pouvait constater qu’ils étaient des copies conformes de Red, et qu’ils tenaient tout deux des battes de base-ball cloutées du même genre que l’arme autrefois fétiche du potentiel empereur.

        Potentiel empereur. Un terme qui lui plaisait tout particulièrement.

        Un rang que ne pouvaient porter que les plus grands pirates, des hommes capables de faire trembler le monde sur un simple coup de tête.

        Un homme capable de détruire une base militaire aussi fortifiée que Navaronne, par exemple.

        Un homme d’exception, qui se devait d’avoir des capacités toutes aussi exceptionnelles.

        Et qu’à cela ne tienne. Car Red disposait d’un tel pouvoir.


        Et maintenant…

        LE HAKI ROYAL !!

        DIVINE POWER : MONOCHROME !!!!!


        Le choc fut terrifiant. C’était une vague de mort qui balaya toute l’avenue, frappant chacun des soldats jusqu’au cœur de leur être, délestant l’atmosphère de ses couleurs, sapant la force et la vigueur de toute personne et de toute chose ayant le malheur de se retrouver dans sa sphère d’influence. Un filtre de glace et de néant qui engloutit le monde, une impulsion surnaturelle qui ne hurlait plus qu’une chose à toutes ses victimes : la fin.

        A nouveau, un regard connaisseur aurait pu discerner là dedans l’aura d’un haki royal, avec quelques variantes près. Red avait naturellement hérité des aptitudes de Ludwig, mais pas de la puissance nécessaire à leur plein usage. En conséquence, le clone avait longuement travaillé sur ses arts, et fini par développer une variante moins terrible mais infiniment plus souple qui lui était propre. Pour s’en convaincre, il suffisait d’observer les alentours : personne ne s’était évanoui suite au déclenchement du pouvoir. Même les plus faibles parvenaient encore à se tenir debout. Chaque cellule de leurs corps se sentait étouffée, oppressée par l’étendue grisâtre qui les enveloppait, leurs rythmes cardiaques s’accéléraient drastiquement, et tous étaient rongés par une peur panique qui n’attendait qu’une menace pour prendre le dessus sur la raison.

        Mais Monochrome n’était pas qu’un parent pauvre du haki royal. C’était une variante, avec ses inconvénients, mais aussi certains avantages. On avait rarement vu une aura se déployer aussi durablement sur une surface aussi vaste, par exemple.

        Tellement vaste qu’à plusieurs centaines de mètres de là, Santa Klaus accompagné de quelques chevaliers de Nowel se retrouvèrent eux aussi engloutis dans l’aura meurtrière de Ludwig.

        -Bordel de… qu’est ce que c’est que ce truc ?

        Sigurd sentit son corps s’arrêter de lui-même. Une initiative que son cerveau félicita vigoureusement. Quoi qu’il puisse y avoir au devant d’eux, il n’avait pas la moindre intention de s’y rendre. La peur venait de s’engouffrer toute entière dans son corps, et accablait son courage et ses muscles des pires maux. Le jeune homme ne s’était que rarement senti aussi faible, physiquement comme mentalement. C’était comme si ses pensées fonctionnaient au ralenti, alourdies par une inertie surnaturelle qui lui embourbait l’esprit.

        -Ho ! Ho ! Ho ! Sigurd ! Réveillez-vous!
        -Eh ?
        -Aura de désolation niveau 2, intervint Loromin. Laissez-moi faire. L’Amulette du Dé Codeur de Champollion devrait faire l’affaire. Alors, voyons voir…




        *
        * *
        *




        -Boooon… et nous on fait quoi, maintenant ?, proposa la borgne.

        Aussi invraisemblable que cela puisse sembler pour quiconque les connaissait, Sigurd avait décidé de se joindre au groupe qui suivrait Santa… tandis qu’au contraire, Nerassa était restée au campement avec le reste des chevaliers de Nowel. C’était comme s’ils avaient échangé leurs rôles. Mais c’était peut être mieux ainsi, après tout. A elle d’avoir la jugeote nécessaire pour trouver où fouiner comme elle savait si bien le faire, interroger longuement le commodore et le reste de la marine, et ensuite…

        -ALERTE !! ALERTE !! ALERTE !!!!!

        Et voilà encore autre chose, marmonna la miss en regardant les escargophones d’urgence du campement s’égosiller comme des damnés.

        -Avis à toutes les unités ; le Capitaine Red a été repéré devant l’Eglise de Manée ! Je répète ! Le Capitaine Red a été repéré dans le l’Eglise de Manée ! Avis à…
        -QUOIIII !?!? MAIS C’EST IMPOSSIBLE !!!, s’égosilla CAPSLOCK. IL SE TROUVE DEJA AU PARC DES ORCHIDES !

        CAPSLOCK avait raison… et pourtant, on ne lui avait pas menti. Sur un nouvel écran, un technicien acheva tout juste d’afficher les données recueillies par un second D.R.O.N.E. aérien. Et les images qui s’affichèrent sur l’écran étaient sans équivoque : plusieurs escouades de la marine venaient une nouvelle fois d’engager Red. A ceci près qu’elles se contentaient de l’encercler sans pour autant interférer avec le combat qui avait lieu en ce moment. Car ici aussi, un homme solitaire avait eu l’étrange idée de s’avancer pour combattre le criminel en duel.

        Et cet homme, c’était…

        -AMELIOREZ MOI LA QUALITE DE L’IMAGE, BON SANG !
        -Ca arrive, chef !, répondit le technicien en attrapant son denden pour donner des instructions au maître fauconnier en charge du D.R.O.N.E.

        L’attente sembla interminable. Et dura une bonne trentaine de secondes avant que, finalement, la scène se précise. Le maître fauconnier avait même pris l’initiative d’utiliser le zoom de son den-den commando, de sorte que l’écran affichait maintenant le gros plan d’un slip jaune fluo qui n’avait vraisemblablement rien à faire là.

        -C’est un oiseau !
        -C’est un avion !
        -Non, c’est Mouetteman !

        En effet, la caméra ajusta son niveau de zoom pour montrer le chef de héros hic, qui était l’homme aux prises avec le forban. Encore qu’aux prises était un bien grand mot : il semblait avoir toutes les peines du monde à tenir le combat.

        -C’EST SURTOUT RED QUI NOUS INTÉRESSE, SOLDATS !
        -Ah oui, zut.

        Vingt secondes de plus, et la caméra se recentra sur le visage du criminel. Qui correspondait parfaitement à celui de Rossignol Edward Désiré, aussi invraisemblable que cela puisse paraitre.

        CAPSLOCK n’en revenait pas.

        -DEUX RED ? MAIS PAR QUEL MIRACLE CELA PEUT IL ETRE POSSIBLE ?
        -Euh… Colonel ?
        -QU’Y A-T-IL, SOLDAT ?
        -Je viens de recevoir un appel de l’escouade du commandant Satomaru, de l’élite. Ils disent avoir appréhendé notre cible non loin de la résidence principale des Tempiestas.
        -AH, MERVEILLEUX ! S’AGIT-IL DU DON CARBOPIZZA ?
        -Euuuh… il s’agit encore de… Red, Colonel.
        -QUOOOOOOOOOIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII !? MAIS C'EST IMPOSSIBLE!

        Et voilà qui donnait encore autre chose, songea Roderik.

        Le chaos, et rien que ça.

        A quoi pouvait bien rimer toute cette affaire ?
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        On toqua vivement à la porte du petit bureau. Sans prendre la peine de se retourner sur chaise pour accueillir le nouveau venu, Blanche donna l'ordre d'entrer. La porte s'ouvrit et vint avec elle l'odeur. Une odeur de transpiration. Une odeur de poudre. Une odeur de sang. Une odeur de cadavres frais. Une odeur de terreur.
        Le nez absolu était rarement une bénédiction dans son travail, songea la jeune femme.

        « Consigliere, signala l'un de ses laquais. Lucas est revenu. Seul.
        _ Ç'a été un carnage, commenta Blanche.
        _ Hé bien... fit son interlocuteur, gêné.
        _ Non, non, ne réfléchissez pas, ce n'était pas une question. Faites-le entrer, somma la jeune femme.
        _ Tout de suite, consigliere. »

        Tandis qu'on s'activait derrière elle, Blanche prit une profonde inspiration pour juguler l'angoisse qui montait en elle et se composer un visage impassible à destination de la piétaille. Paraître confiant et invulnérable en toute circonstance, c'était le meilleur moyen d'impressionner ses ennemis ou d'attirer l'admiration de ses alliés. Ironiquement, alors qu'elle poussait toujours Hyûma à adopter cette attitude, c'était maintenant à elle de l'appliquer. C'était plus dur qu'elle ne le pensait.

        Blanche se retourna en entendant les pas du prénommé Lucas se rapprocher. Le pauvre hère faisait peine à voir : le visage pâle et hagard, les pupilles dilatées par la terreur, couvert de poussières, de sang et autres immondices. Quoi qu'il ait vu, il en grelottait encore de peur.
        Il est complètement cassé, jugea Blanche. Définitivement, même. On en tirera plus rien à l'avenir...

        En même temps, en l'état actuel des choses, Manshon n'avait de toute façon pas d'avenir. Par malheur, il avait fallu qu'elle et Hyûma soient sur l'île juste avant que tout n'explose. Et maintenant, ils étaient bels et bien coincés ici jusqu'à la fin.

        « Asseyez-vous, Lucas, demanda Blanche d'une voix douce. Calmez-vous et racontez-moi ce qui s'est passé. »

        La jeune femme se détourna un instant de l'épave humaine qu'était devenu Lucas et fit signe à l'un de ses laquais.

        « Apportez-nous du thé. Ça lui fera du bien.
        _ Tout de suite, madame ! Assura l'un des hommes en station dans le couloir.
        _ Bien, fit Blanche en reportant son attention sur le survivant. Lucas, c'est très important. Dites-moi ce qui s'est passé.
        _ Ce qui s'est passé... répondit l'homme d'une voix blanche. Ce... C'était l'enfer. En un instant. Red était là. Il était là et... et il était seul. Seul contre toute la marine. Des régiments entiers. Et le Sauveur de Panpeeter en face de lui. Et l'obscurité. Partout. Et... et... »

        La voix de Lucas se brisa. Blanche lui attrapa la main et vissa ses yeux dans les siens.

        « Que s'est-il passé ?
        _ ILS SONT MORTS ! ILS SONT TOUS MORTS ! » Hurla brusquement Lucas avant de fondre en sanglots violents.

        Blanche pinça des lèvres, frustrée. Il n'arriverait pas à tirer quoi que ce soit de ce pauvre hère. Elle claqua des doigts à l'intention de ses laquais et désigna Lucas d'un geste.

        « Occupez-vous de lui, il a besoin de repos et de calme.
        _ Bien consigliere. Quand partons-nous ?
        _ Partir ? Releva Blanche en haussant un sourcil.
        _ Heu... Hé bien. L'équipe de récupération est probablement morte, consigliere. Et cette planque n'est pas sûre, nous devrions aller vous mettre à l'abri.
        _ Pure affabulation d'un esprit brisé, balaya la jeune femme d'un geste. Hyûma va revenir, soyez-en sûr. Nous l'attendrons ici.
        _ Mais... s'il est mort... tenta le laquais.
        _ S'il est mort, montrez-moi son corps, ordonna Blanche.
        _ ;..
        _ Quoiqu'il se soit passé, Hyûma n'est pas homme à mourir pour si peu, affirma la jeune femme avec aplomb. Nous restons. Maintenez les guetteurs et ne le loupez pas lorsqu'il arrivera.
        _ À vos ordres, consigliere » Répondit son interlocuteur, visiblement rasséréné par la confiance inébranlable qu'elle affichait.

        Blanche se détourna de la table tandis qu'on emmenait avec douceur et précaution Lucas hors des lieux. La jeune femme ferma les yeux, essayant de puiser en elle-même un peu de cette assurance de façade qu'elle présentait aux larbins. Si Hyûma était effectivement mort, ses chances de survie diminuait drastiquement...

        Hyûma...


        *
        * *

        Sur la place des orchidées, Hyûma ouvrit brusquement les yeux, cherchant désespéramment sa respiration. Il se redressa sur son séant et sentit aussitôt la tête lui tourner. Ses yeux, incapable de focaliser précisément sur quoi que ce soit, faisant tourner le décor dans un grand flou indescriptible.
        Dans un grondement rauque, le jeune homme força sur ses jambes pour se relever malgré tout. Mal lui en prit : à peine debout et il se retrouva à quatre pattes en train de vomir tripes et boyaux.
        Commotion cérébrale.

        Merde.

        À genoux, tête rejetée en arrière, regard vissé au ciel, Hyûma attendit que le malaise passe. Il détestait se sentir faible. C'était... humiliant. Il essaya de se rappeler ce qu'il s'était passé. Lui et ses hommes... Ses hommes ! Il n'était pas venu seul. Oui. Lui et ses hommes s'étaient infiltrés parmi les marines pour quadriller la ville. Et puis. Red. L'empereur pirate. Un véritable monstre incarné. Le terrible Red était apparu. Il avait relâché les pouvoirs de son fruit, paralysant les masses. Après quoi, un héros avait fendu la foule pour l'affronter, comme dans les chansons de gestes.
        Et un flash. Un flash d'une intensité insoutenable. Puis plus rien.

        Sa tête lui tournait un peu moins. Hyûma banda sa volonté et se força à se lever, avant de considérer les lieux qui l'entouraient. Partout, des corps de marines, pêle-mêle. Un véritable charnier, une marée de cadavres disloquées. À perte de vue, des blessés plus ou moins graves et des corps inanimés. Ce n'est qu'alors que le jeune homme se rendit compte qu'il n'entendait les cris que de manière très étouffé, comme au travers d'un coussin. Un bruissement indescriptible lui bruitait les oreilles. Son ouïe était touchée, ce qui expliquait ses séquelles à l'équilibre.

        La place était complètement retournée sens dessus dessous. Des orchidées, plus nulles traces. Il ne restait plus trace de grand-chose, à vrai dire. Comme si un géant armé d'un énorme marteau s'était mis en tête de tourner et retourner le sol.

        Une dévastation totale. Voilà donc le pouvoir des demi-dieux au sommet de la piraterie.

        Hyûma inspira un grand coup. Il pouvait marcher. Ses hommes. Il n'était pas venu seul, alors où étaient-ils ? Plus ou moins autour et derrière lui. Les souvenirs lui revenaient en même temps qu'il les voyait. Le jeune homme se pressa au côté de chacun d'entre eux et les secoua jusqu'à ce qu'ils reprennent conscience.

        « Dépêchez-vous, les pressa Hyûma, nous ne devons pas traîner ici. Que les plus indemnes aident les plus blessés, nous devons nous remettre en route aussi vite que possible.
        _ Bien chef, marmonna son second en se relevant avec peine. Et pour la mission ?
        _ Quelle miss... »

        La mission ! Son souvenir remonta dans sa mémoire comme une bulle avant d'éclater à la surface de sa conscience.

        « Ah oui, celle-là... Je m'occupe de la cible principale, assura Hyûma, essayez de retrouver les cibles secondaires. »

        Règle de base, toujours laissé croire qu'on a pensé à tout. Blanche le lui répétait assez. Il était un symbole, on devait le croire infaillible et à l'affût de tout. En tout cas, tâcher de faire semblant. L'art d'être chef passe en grande partie par la mystification de ses subalternes.

        Hyûma laissa ses hommes se remettre d'aplomb et traversa le champ de mort jusqu'à la position qu'avait tenu Red juste avant l'holocauste. Bien évidemment, la catastrophe incarnée ne s'y trouvait plus. Mais le brave héros qui s'était dressé sur son chemin, si. Certes, il avait pris de tels coups qu'il en était presque méconnaissable, mais Santa, le sauveur de Panpeeter, l'homme – le seul – par qui arriverait le salut de Manshon, était là.
        Et vivant, de surcroît, même s'il semblait plus mort que vif.

        Le jeune homme grimaça. Le Santa avait salement morflé. Dans cet état, il n'allait pas être d'un grand secours à quiconque avant un petit moment, à moins d'un miracle. D'un autre côté, il avait montré sur Panpeeter que les miracles, il en sortait à volonté de dans sa hotte. C'était d'ailleurs peut-être pour ça que la mafia comptait sur cet homme pour tout régler, aussi fou que cela puisse paraître.

        Hyûma souleva le vénérable ancien et le cala sur son épaule, avant de retourner à pas lent – seul moyen d'avoir une démarche assuré dans son état de faiblesse actuel – vers ses hommes. Ceux-ci s'étaient un peu déplacé et avait trouvé le reste de la clique des Chevaliers de Nowel qui étaient héroïquement venus s'opposer à Red.

        « Chef, le héla son second, c'est lui, le Santa ? »

        Tout du moins, ce qu'il en reste, oui...
        Mais ces hommes n'avaient pas besoin de ce genre de déconvenue. Pas après ce qu'ils venaient tout juste de vivre.

        « Exact, acquiesça Hyûma. À peine amoché, si on considère qu'il se trouvait face à Red. Il sera rapidement sur pied.
        _ Waaah... C'est un vrai héros, murmura l'un de ses gars.
        _ Comme le disait la rumeur, approuva un autre.
        _ Trop balèze ! Surenchérit un troisième.
        _ Bien, portez-le avec précaution et dépêchons-nous de repartir, déclara Hyûma, désireux de se débarrasser du poids mort qui le lestait. Comment vont ses compagnons ?
        _ L'homme-poisson est complètement KO, signala le second. Il a visiblement servi de bouclier au blondinet. Ce dernier a ouvert les yeux mais semble en état de choc.
        _ Et le singe ?
        _ Quel singe ?
        _ D'après nos informations, le banquier ne se sépare jamais d'un gros primate, où est-il ?
        _ Aucune trace, chef. Vous êtes sûr des informations ? Je veux dire, avec son poncho miteux, l'homme-poisson ne ressemble pas vraiment à un banquier...
        _ Tant pis, trancha Hyûma. Nous devons disparaître avant que des secours ou des renforts ne rappliquent. Je m'occupe de ce Sigurd et on se met en route. »

        D'un pas vif, le jeune homme s'approcha du blondinet, ses hommes s'écartant respectueusement de lui à son approche, se pencha sur l'infortuné et...
        … lui colla trois mandales aller-retours.

        « AïÏÏEuuh ! S'ébroua Sigurd en sursautant et en portant une main à sa joue. Mais qu'est-ce que vous faites ?
        _ Pardonnez mes méthodes grossières, messire Dogaku, mais il fallait vous faire reprendre vos esprits au plus vite. Nous n'avons pas le temps de discuter, il faut vous évacuer au plus vite. Pouvez-vous marcher ? Je peux vous épauler si cela est nécessaire.S'enquit Hyûma en lui tendant la main pour l'aider à se relever.
        _ Heu... Ben... je... Heu... Oui, répondit le blondinet en acceptant la main tendue. Mais qu'est-ce qui s'est passé, au juste, là ?
        _ Allons-y, fit le jeune homme en relevant son interlocuteur. Vos compagnons ont besoins de soins.
        _ Hein ? Mais... »

        Sourd aux récriminations du Chevalier de Nowel, Hyûma le poussa vers l'une des rues qui débouchaient sur la place de l'Orchidée, tout en faisant signe à ses hommes de ne pas traîner. Derrière eux, les charognards étaient de sortie, bien décidés à se venger sur les marines trop affaiblies pour se défendre. Le poing de fer qui étreignait Manshon n'était pas sans conséquences sur la mentalité des habitants...
        Le petit groupe de mafieux avait à peine atteint la relative sécurité de la rue que des échanges de coups de feu retentirent en provenance de la place. Les renforts des marines étaient sur place et faisaient rentrer les choses dans l'ordre manu militari.

        « Débarrassez-vous des déguisements. » Intima Hyûma en joignant le geste à la parole.

        Rapidement, les mafieux jetèrent leurs vestes et leur calot de marines, révélant par-dessous la chemise blanche si caractéristique des mafieux. Ou bien la veste de kimono, dans le cas de Hyûma qui refusait de se prêter au code vestimentaire de la profession.

        « Gné ? Fit Sigurd en jetant un coup d'œil aux gars qui l'entourait. Vous n'êtes pas des marines ?
        _ Non.
        _ Ah, je sais ! Vous êtes la troupe d'élite qui s'est infiltré, c'est bien ça ? C'est Nash qui m'en a parlé !
        _ Ainsi la marine a infiltré ses troupes d'élites ? Intéressant, admit Hyûma. Merci pour l'information.
        _ Heu... Boulette... Vous ne ressemblez pas trop à de sympathiques habitants de Manshon... Vous bossez pour les 7 familles ?
        _ C'est exact. Cela vous dérange-t-il ?
        _ Hé bien, ça dépend : vous êtes en train de me kidnapper ?
        _ Tout dépend de si vous souhaitez nous suivre de votre plein gré ou non, répondit Hyûma.
        _ Erf, ça ne fait pas du tout menace voilée, ça... Je suppose que je n'ai pas vraiment le choix. En plus, vous avez déjà Santa et Loromin.
        _ Rassurez-vous, nous n'avons aucune mauvaise intention à votre encontre. Nous souhaitons simplement vous faire rencontrer quelqu'un qui a une proposition à vous faire. Si vous la déclinez, vous serez libre de repartir, vous et vos compagnons, et nos routes ne devraient plus se croiser. Je vous en donne ma parole.
        _ Ah. Et... On va où, là, comme ça ?
        _ Je l'ignore, répondit Hyûma. Nous le saurons lorsque nous serons arrivé.
        _ Drôlement pratique...
        _ Ne sous-estimez pas les capacités d'investigations de la marine. Plus nous cloisonnons l'information et plus nous avons de chance de survivre. »

        Avant que Sigurd ne puisse répondre, Hyûma arrêta le groupe d'un geste.

        « Est-ce que quelqu'un dont l'ouïe va mieux peut confirmer ce que j'entends ? Demanda brusquement le jeune homme.
        _ Confirmé quoi ?
        _ Un air de flûte. « Sonate du Printemps au Clair de Lune par Illia Ella Vidna, si vous connaissez...
        _ Vaguement... Je confirme, on l'entend faiblement. C'est votre code secret ? ça vient de ce bâtiment.
        _ En effet. Nous filons à l'aveuglette selon un plan de sortie et sur le chemin, les guetteurs nous signalent où se trouvent notre planque. Mais seulement si le champ est libre.
        _ Et si ce n'est pas le cas ?
        _ on sacrifie le plus petit nombre pour en sauver le plus grand. »

        Le petit groupe se faufila vers l'une des portes de l'immeuble, avant de descendre vers les caves. Ils déambulèrent dans des couloirs, certains prévus par l'architecte, d'autres plus bruts, excavés manuellement en toute discrétion. Les activités de la mafia avait toujours encouragé ce genre de passages loin des regards du commun des mortels et nombreux étaient les bâtiments d'une même famille à être relié ainsi. Ils n'avaient jamais été plus vitaux qu'en ces jours sombres, permettant aux mafieux de contourner d'autant plus aisément le couvre-feu de la marine.

        Finalement, la petite troupe déboucha dans un petit vestibule, par une porte dérobée cachée derrière une imposante commode. D'autres mafieux, vêtus de leur indéboulonnable costume-cravate, attendaient derrière elle. Hyûma aboya quelques ordres et les blessés furent rapidement pris en charge par leurs compagnons, de même que les Chevaliers de Nowel.
        Le remue-ménage fit suffisamment de bruit pour que la double-porte du vestibule s'ouvrit à la volée et Blanche fit son entrée, éteignant du même coup tous les bavassements des sous-fifres. Hyûma fendit la foule et s'agenouilla devant sa partenaire, genou à terre.

        « Consigliere, moi, Hyûma, vous ramène les Héros de Panpeeter.
        _ Je vois. J'aurais préféré que tu ramènes la montagne de muscle plutôt que le gringalet, par contre...
        _ Le sieur Dogaku est le seul à avoir gardé conscience, malheureusement.
        _ Pfff... Monsieur Dogaku ? Au nom de la famille Fastore, je vous présente toute ma gratitude pour avoir accepté cette entrevue. C'est un grand honneur que de rencontrer en chair et en os un héros aussi renommé que vous.
        _ Tout le plaisir est pour moi, consigliere, répondit le blondinet. Aaaah, enfin quelqu'un qui me reconnaît !
        _ Si vous voulez bien vous donnez la peine d'entrer, fit Blanche en s'écartant du passage pour désigner d'un geste la pièce derrière elle. Vous aussi, Hyûma. Et qu'on ne nous dérange sous aucun prétexte ! » Lâcha la jeune femme à destinations de ses subalternes.

        Sigurd en tête, le trio pénétra dans la petite salle. C'était une pièce de dimension modeste, dont a majeure partie de la surface était occupé par une robuste table en bois de belle facture, entourée de chaises des plus confortables, et sur laquelle trônait un service à thé prêt à servir.
        Blanche fit signe à Sigurd de prendre une chaise avant de prendre place à l'opposé. Hyûma referma la double-porte derrière lui avant de se laisser tomber sur la chaise la plus proche. Paraître à peine amoché par les événements inspirait peut-être la piétaille mais c'était tout de même éprouvant et le jeune homme goûtait avec délice ce moment de répit.

        « Très bien, Sigurd, je vais être franche et directe, attaqua derechef Blanche à peine eût-elle servi le thé. Si vous avez la moindre question, j'y répondrai sans détour. Nous souhaitons que vous preniez votre décision en votre âme et conscience, en toute connaissance de cause.
        _ Heu... D'accord, acquiesça le blondinet en appréhendant un peu la suite au vu de l'entré en matière.
        _ Pour commencer, sachez que je m'appelle Blanche. Vous connaissez déjà Hyûma, mon acolyte. Nous sommes des mercenaires indépendants, actuellement au service de la famille Fastore. J'endosse le rôle de consigliere par intérim par la force des choses, néanmoins, notre client m'a donné les pleins pouvoirs pour négocier en son nom. Connaissez-vous la famille Fastore ?
        _ Jamais entendu parler, admit Sigurd.
        _ C'est une petite famille mineure, qui vit à l'ombre des Tempiesta. D'ordinaire, nous sommes sous leur autorité... mais vous conviendrez que la situation actuelle n'est pas ordinaire. La Justice Absolue de la marine a sérieusement rebattu les cartes de Manshon et l'apparition des Reds ne va certainement pas amélioré les choses...
        _ « Les » Reds ? Tiqua Hyûma.
        _ En sus de celui de la place des orchidées, plus d'une demi-douzaines d'autres sont apparus simultanément et ont agi avec le même mode opératoire. Ils avaient piégé les environs avec de la dynamite et... Enfin, vous y étiez, inutile de vous faire un dessin.
        _ Mais pourquoi Red utiliserait-il des imposteurs ? Que cherche-t-il à faire ? S’interrogea Hyûma.
        _ Je n'ai pas la prétention de savoir à quoi il pense, mais je suppose que toute sa mise en scène d'aujourd'hui est principalement destiné à Jared. Une sorte de camouflet. La marine vient tout de même de subir un cuisant échec. Mais revenons à notre sujet ! Comme je le disais, la situation à Manshon ne cesse de se dégrader... Et c'est là que vous intervenez, Sigurd.
        _ Moi ? S'étonna l'intéressé.
        _ Vous voyez quelqu'un d'autre ici avec un nom aussi ridicule ? Plus globalement, les Chevaliers de Nowel. En effet, vos exploits à Panpeeter et vos liens étroits avec l'officier CAPSLOCK nous laisse à penser que vous êtes capable de trouver une oreille attentive au sein de la marine.
        _ Heu... Peut-être mais pour quoi ?
        _ La mafia se divise actuellement en trois factions distinctes. La première, la plus influente et la plus impactée par la présence de la marine est la faction des Tempiesta. Comme vous le savez, les Tempiesta sont la force majoritaire de l'île et la plupart des choses et des gens qui s'y trouvent lui sont inféodés. Par extension, cela signifie qu'elle est la plus durement touchée par les actions coups-de-poings de la marine puisqu'en tapant au hasard, la probabilité les fait taper plus souvent sur les Tempiesta. Bien évidemment, Don Carbopizza, le leader des Tempiesta, n'a pas l'intention de rester les bras croisés à attendre que tout s'écroule autour de lui : il s'est donc mis en tête de livrer le Gila  à la marine en échange de leur départ. Mais il y a un hic.
        _ La deuxième faction, devina Sigurd.
        _ Exacte. Les Tempiesta contrôle la majorité de la mafia de l'île. En temps normal, la minorité file doux devant eux. Mais là, l'occasion était trop belle : les Tempiesta sont en difficultés et plus la situation stagnera, plus ils s'affaibliront. Comme je l'ai dit, les plus touchés par les investigations de la marine, ce sont eux. La seconde faction regroupe donc plusieurs familles désireuses de prendre le pouvoir à la place des Tempiesta. Sentant le coup venir, ils ont réussi à arracher le Gila de l'hospitalité des Tempiesta et le gardent caché en attendant de trouver un moyen de l'extrader de l'île. Pour eux, la situation est tout bénèf', si j'ose dire : s'ils parviennent à quitter l'île, la marine exterminera les Tempiesta ou les lamineront tant que ça reviendra au même. Tandis qu'eux pourront revenir sur l'île, tout en bénéficiant de l'appui du Gila lui-même en récompense de son extraction de cette nasse. En clair, la mafia de North Blue et de South Blue serait unifié, avec le Gila a sa tête et les familles de la deuxième faction pour superviser les activités de North Blue.
        _ D'accord... Et la troisième faction, dans tout ça ? Demanda le blondinet.
        _ La troisième faction n'existe pas aux yeux des deux autres. Car elle regroupe de plus en plus de familles désireuses de mettre un terme à tout ce désordre et fermement décidées à survivre à cette crise sans précédent. Il va sans dire que notre nombre croît à mesure que la crise perdure. Pour ces familles, il n'y a qu'un seul moyen de sauver Manshon, c'est de collaborer avec la marine, ce qui serait le moyen le plus rapide de refermer cette catastrophique parenthèse dans les affaires. Mais bien évidemment, leur survie est le seul objectif, aussi leur faut-il l'assurance de l'immunité dans tout ceci. Et c'est là que vous entrez en jeu.
        _ De quelle façon ?
        _ Nous ne faisons pas confiance à la marine pour jouer franc-jeu si nous négocions directement avec elle et je doute que la marine accepte seulement de nous écouter si nous les écoutions. Peu importe qui fera le premier pas, aucun des deux parties n'ayant confiance en l'autre, aucune négociation n'est possible en l'état. C'est pour cela que nous vous avons contacté vous, les Chevaliers de Nowel et les sauveurs de Panpeeter. Tout comme nous, le devenir des civils qui peuplent cette île vous importe plus que tout. Mais par ailleurs, vous bénéficiez d'un large crédit auprès des autorités... Vous êtes donc les mieux placé pour jouer les intermédiaires dans ces délicates négociations. Raison pour laquelle nous souhaiterions que négocier l'accord auprès de la marine au nom des familles.
        _ Mais quel genre d'accord ? » S'enquit Sigurd.

        Blanche vrilla ses yeux dans ceux de son interlocuteur.

        « Que la marine quitte Manshon et ferme de nouveau les yeux sur les activités des familles si celles-ci lui livrent le Gila et les Tempiesta pieds et poings liés. »

          L'air sentait le souffre, la terreur, le sang, les larmes. C'est en tout cas l'impression qu'Elie eut immédiatement en ouvrant les yeux. La tension dégagée par elle ne savait quoi quelques temps plus tôt l'avait quasi immédiatement fait tomber dans les vapes, et elle s'étonnait de se sentir aussi bien. Elle se serait attendue à souffrir d'une sorte de gueule de bois monumentale, mais non, elle allait bien, elle avait de l'énergie, et la seule chose de dérangeant dans tout ça, mis à part l'air ambiant, c'était son bras droit qui la démangeait affreusement au niveau de la jointure du coude. Elle cligna des yeux deux ou trois fois, jetant un rapide coup d’œil à son bras. La partie qu'elle grattait depuis qu'elle avait repris conscience avait un peu enflé et pris une couleur violacée avec en son centre un petit trou sanguinolent. Non loin de là, Kalem préparait elle ne savait quoi en mélangeant deux récipients qu'il devait avoir sorti de son sac à dos gigantesque.

          « Hum ?
          -Ah, réveillée la grande courge ?
          -Qu'est ce qui s'est passé ?
          -Sais pas, mais en soi, je m'en fous, un truc étouffant est arrivé, y a eu panique dans tous les sens, je t'ai vu tomber au sol alors je m'suis protégé les voies respiratoires et j'me suis fait un p'tit breuvage énergisant.
          -Ah, tu m'en as fait boire ?
          -Non, je te l'ai injecté dans l'bras.
          -Ah, c'est toi qui m'a fait cet horrible truc !
          -...
          -Et les autres ?
          -Sais pas, ils avaient de l'avance sur nous, ils ont plongé comme des cons dans la baston sans réfléchir, comme d'habitude.
          -Bon, qu'est ce qu'on fait ?
          -Y a pas de « on » qui tienne, j'me casse le plus vite possible de cette île. Et sans vos gueules de clébards mal léchés.
          -Tu réussiras pas à partir, tu te feras chopper par le blocus.
          -J'y ai pensé, banane, tu m'prends vraiment pour un couillon de seconde zone. À ton avis, c'est quoi ça ? »

          Le nain était toujours en train d'agiter son récipient, il avait fini de verser le contenu du précédent dedans et s’apprêtait à y jeter une pincée de poudre orangée. La jeune femme considéra la mixture intriguée, puis, comprenant rapidement qu'elle ne saurait pas sans demander -ou même supplier puisque c'était presque systématiquement comme ça qu'il fallait causer au nabot pour qu'il daigne répondre- elle leva un sourcil interrogateur à l'attention de son vis-à-vis. Plutôt que de répondre, le nain termina ses quelques manipulations puis but d'une traite le contenu visqueux.

          Elie, qui était restée à terre tout se temps, prit appui sur ses jambes, vérifia qu'elles étaient opérationnelles et se leva vivement, tout en continuant d'observer le petit être bougon. Elle épousseta ses vêtements qui avaient ramassé une certaine quantité de poussière, et, voyant que rien ne se passait, observa les alentours. Tout était déjà bien défini dans sa petite tête bravache, ne sachant comment retrouver le reste de ses partenaires, elle irait au culot, et ferait tourner en bourrique le premier venu. Avec ou sans Kalem, cela allait de soi, mais elle était intimement persuadée que malgré ce qu'il disait, il finirait par la suivre.

          « Bon, ta petite expérience est termi... KALEM ? »

          La frayeur que lui provoqua cette soudaine vision fut rapidement atténuée par l'idée que le nain, qui n'en était vraisemblablement plus un étant donné qu'il venait de doubler de volume, pouvait se trouver fort mal et qu'elle s'évanouirait uniquement lorsque celui-ci serait assurément hors de danger.

          « Tout... Va. Bien. Articula soigneusement Kalem. J'ai. Dû. Me. Tromper de. Recette.
          -Tu peux marcher ?
          -Oui. Je voulais prendre. Une potion pour. Respirer. Sous l'eau. Et partir en. Nageant. Mais. Manifestement, c'est. Ma bêta de potion. De force.
          -Une bêta ?
          -Oui. Ma respiration. Devrait reprendre sous peu. Mais je n'en connais pas. Encore. Tous les effets.
          -Bon, pas le choix, tu viens avec moi.
          SCHBLAM. »

          Si la jeune comédienne n'aurait eu aucun mal à relever Kalem en temps normal, la sorte de colosse qu'il était devenu était tout autrement plus lourd. Elle connaissait son goût immodéré pour les expériences depuis leur première rencontre, où il avait fait pousser les dents d'une grosse partie de la population thermale de Hinu Town, ce qui les avait obligé à filer en catimini pour éviter de se faire agresser par une population colérique à mâchoire surdéveloppée.

          Quelques minutes plus tard, le nain gigantesque était de nouveau sur pied, toujours autant de mauvaise humeur, mais au moins il avait réussi à faire quelques pas. La comédienne avait ôté le long manteau qu'elle avait pris en partant du bateau et en avait recouvert le corps de son compagnon qui faisait désormais peur à voir. Une sorte de bête émettant de temps à autres un ou deux bruits rauque, ou quelques insultes. Il évitait de parler car ça lui était très difficile, mais il réussissait à marcher. Elie s'assura qu'il allait bien puis elle sortit de la ruelle où ils s'étaient réfugiés pour éviter la foule hystérique qui tentait de fuir de tous côtés. Sous l'effet de la panique, les gens étaient rarement assez malins pour se poser deux secondes et réfléchir à la meilleure chose à faire. Par conséquent, la présence de deux personnages qui avançaient d'un pas assuré et lent dans les rues agitées par les récents événements, attira l'attention. Et c'était exactement le but de la manœuvre.

          « Pssst. Madame ?
          -...
          -Pssst. Je ne vous conseille pas de rester dans les parages, Red a été aperçu non loin de là.
          -Taisez-vous et mêlez-vous de ce qui vous regarde. Je ne suis pas venue ici pour craindre quiconque. Je me rends à mon rendez-vous, et je suis déjà suffisamment énervée que personne ne m'ait accueilli.
          -Hrun. »

          Le grognement du monstre qui escortait la Demetov fit détaler l'homme en courant. En faisant peur à quelques passants, elle savait que la mafia rappliquerait, il fallait protéger ses terres dans une ville comme celle-ci. On ne tarda pas à venir la chercher. Toutes les maisons autour étaient closes et probablement verrouillées à double-tour, sauf l'une d'elles, où attendait un homme en costume qui les regardait avancer dans la rue sans sourciller le moins du monde. La maîtresse mafieuse obliqua dans sa direction, lui adressant un sourire courtois, mais pas aimable pour autant. Ce qui semblait être le majordome referma la porte du bâtiment derrière lui.

          « Qui dois-je annoncer à Monsieur ?
          -Katrina Demetov.
          -Et lui ?
          -Mon garde du corps, on n'est jamais trop prudent.
          -Que dois-je dire à monsieur sur les raisons de votre visite ?
          -Je viens pour affaires.
          -Bien Madame. Je reviens tout de suite, s'il vous convient, vous pourrez patienter dans le petit salon.
          -Très bien. »

          C'était une maison cossue et bien fournie en meubles et œuvres d'arts. Cela sentait le trafic à plein nez, mais Katrina n'était pas là pour ça. Du moins pas pour le moment. Tandis que Kalem resta debout dans un coin de la pièce, la jeune femme s'enfonça dans l'un des canapés et fit un rapide inventaire des objets présents pour tâcher de deviner à qui elle avait affaire. Bien entendu, ces gens-là étaient beaucoup trop malins pour afficher dans leur propre maison tout objet dont la provenance paraîtrait douteuse au premier instant. Si la plupart des tableaux devaient être l'objet d'un recel, il était probablement impossible de le savoir sans un examen approfondi.

          Le majordome revint avec les ordres, Monsieur recevrait son invitée dans son bureau, le garde du corps aurait droit d'assister à l'entretien, mais il serait fouillé pour être certain qu'il ne portait pas d'arme. La présence du sac de Kalem pourrait peut-être se révéler être un problème, mais ils verraient ça en temps venu. Elie se redressa, avec toujours cette tenue de corps rigide et propre au personnage qu'elle interprétait. Une mèche de cheveux lui balayait le visage, elle était séduisante sans pour autant paraître accessible et son sourire pincé ne présageait rien de bon quant au caractère de la demoiselle. Intérieurement, Elie vibrait et s'amusait beaucoup, malgré le réel danger de la situation. Elle se disait que sans son implication dans les différents rôles, jamais elle n'aurait pu assumer les actions qu'elles avaient faites avec les chevaliers de Nowel.

          L'homme qu'elle s'apprêtait à rencontrer frôlait la quarantaine, avec un léger embonpoint, caché par une chemise rayée violette qu'il laissait sortir de son pantalon noir. Un homme brun qui grisonnait par endroits et qui affichait, encadré par une barbe convenablement taillée, un sourire qu'on aurait pu qualifier de carnassier. Il était assis derrière son bureau extrêmement bien rangé, les mains jointes venant supporter le bout de son menton. Seul le mouvement rapide et régulier de sa jambe droite laissait entrevoir le stress qui le torturait. Il ne connaissait pas la jeune femme qu'on lui avait annoncée, cela pouvait autant être bénéfique que dévastateur pour ses affaires.

          « Entrez, entrez, madame Demetov, je vous en prie asseyez-vous.
          -K, tu peux rester dehors.
          -Hrun.
          -Vous ne le faites pas rentrer ?
          -Je vous fais assez confiance pour ne pas me faire tuer à l'intérieur de votre bureau, j'ai tort, monsieur... ?
          -Brocollini. Et vous pouvez effectivement ne pas vous inquiéter. Quelles que soient vos intentions, tant que vous êtes sous le statut d'invitée, il ne vous arrivera rien.
          -Je n'étais pas inquiète. Bien, peut-on savoir les raisons de cette entrevue ?
          -Euh... Ce serait plutôt à vous de poser la question, non ?
          -J'ai été appelée ici, sur Barnanos afin de recevoir des informations sur la situation actuelle, quelqu'un devait venir me chercher au port, personne n'a fait l'effort de se déplacer et maintenant que je suis là, on ne prend même pas la peine de m'expliquer pourquoi j'ai été convoquée ?
          -C'est que...
          -De plus, vous me faites risquer ma peau en me faisant rentrer dans cette bâtisse si facilement accessible par la Marine, Marine qui je vous le rappelle inonde les rues de la ville !
          -La maison est accessible, certes, et vous faire rentrer ici n'a pas été fait dans la plus grande discrétion, mais qu'importe ? Cette maison est en règles, elle n'a rien d'illégal et ne constitue que notre « parloir », si nous nous accordons sur votre légitimité à entrer plus profondément dans nos affaires, nous pourrons vous faire transiter jusqu'à un endroit bien plus sûr et bien moins connu des troupes Marines.
          -Très bien. J'attends.
          -Vous attendez...
          -Que vous ayez réussi à prouver ma « légitimité » comme vous dites.
          -Mais...
          -Comment allez-vous procéder ? Personnellement je n'ai pas de temps à perdre. Dès que nous aurons réglé toutes les petites affaires qui sont la raison de ma présence ici, je m'en vais, alors si vous vouliez bien vous dépêcher monsieur Brocolli.
          -Ni, Brocollini. »

          Elie enfonça son regard au plus profond du bonhomme, qui malgré une assurance plutôt forte d'habitude, commençait à avoir des suées. Il ne faisait pas partie du gratin de Manshon, il n'était qu'un homme de main. Mais il voulait s'élever, et le contexte était le bon. Il avait vu les Tempiesta mals en point et s'était donc tourné vers l'autre côté. La protection du Gila relevait d'une partie de ses fonctions, bien qu'en réalité, il avait juste à accepter l'éventuel passage du parrain dans l'une ou l'autre de ses maisons. Personne ne savait réellement où logeait le mafieux, sauf quelques personnes bien sûr. Il y avait des réunions clandestines, parfois, mais jamais au même endroit et le Gila s'y montrait rarement plus d'une dizaine de minutes. La présence de ce Red dans les rues de la ville ne faisait qu'augmenter la pression sur les épaules de Brocollini. Quelles étaient ses intentions ?

          Il se rendit compte que cela faisait bien cinq minutes que Katrina le regardait sans ciller, et que lui n'avait pas bougé, toujours perdu dans ses pensées. Sa main s'agita pour sortir de la poche de sa chemise un petit mouchoir de soie blanc, avec lequel il s'essuya les tempes. Il racla le fond de sa gorge, se repositionna dans le fond de son fauteuil, puis réfléchit un peu plus. Qui que puisse être cette femme, elle n'était pas au courant des raisons pour lesquelles on l'avait appelée ici. Ça pourrait lui être bénéfique. Il allait tenter de la manipuler. Avoir sous son contrôle une partie de la mafia, aussi insignifiante soit elle était glorifiant au possible. Et si cela venait à devenir une catastrophe, tout retomberait sur ses frêles épaules à elle et il pourrait prétendre avoir toujours combattu dans le camp des vainqueurs.

          « Bon, vous allez rester longtemps comme ça à me regarder ? Si vous voulez vérifier la légitimité de ma présence, faites le maintenant.
          -Oui, oui bien sûr. J'y vais tout de suite.
          -K ! RENTRE ICI PENDANT QUE BROCOLLI VA CHERCHER SES PETITES INFORMATIONS. »

          Le grognement rauque de Kalem se fit entendre lorsqu'il franchit la porte du bureau. Au même moment, Brocollini, qui avait failli se retourner en entendant son nom de famille une nouvelle fois écorché, passait dans une antichambre derrière pour faire semblant de passer un coup d'escargophone. Il avait déjà décidé de l'accepter, mais le faire sans rien vérifier aurait paru suspect à n'importe qui. Alors à une dame comme celle-ci qui faisait frissonner rien que par un regard...

          Elie expliqua le déroulement des opérations à Kalem en quelques phrases bien choisies, celui-ci répondit par une insulte et un grognement, que la comédienne approuva d'un hochement significatif de la tête. Quelques minutes plus tard, Brocollini revint, un sourire un peu faux sur le visage, exprimant excuses et tout un tas d'autres futilités que Katrina s'empressa d'oublier, avant de lui dire qu'après vérification, elle était bien attendue à une réunion qui allait se dérouler prochainement et que la communication, telle qu'elle était en ce moment, n'était pas fort efficace. Il lui serait confié un appartement, pour elle et son valet -mot qui fit tiquer Kalem- qui serait bien évidemment bien plus sécurisé que cette maison. Le mafieux siffla quelques gardes et leur ordonna de conduire Katrina et K à une certaine adresse, et ce, dans la plus grande discrétion.

          Elie était assez fière de ce qu'elle venait de faire, s'infiltrer aussi profondément chez les mafieux et en aussi peu de temps. Bon, il lui restait quand même à vérifier dans quoi elle s'était fourrée, elle ne savait pas qui était ce Brocolli, ni de quel côté il était, ni qui elle allait rencontrer à cette réunion de « Familles », elle était un peu perdue, mais sentait bien qu'elle allait être efficace dans cette affaire. Ne restait plus qu'à réussir à contacter les autres. Chose qui pourrait ne pas être facile étant donné qu'on devait la surveiller. Elle n'était pas dupe, le mafieux ne pouvait pas avoir trouvé des documents justifiant sa présence, de telles preuves n'existaient pas.

          ***

          En moins d'une heure, Elie et Kalem avaient échoué dans une chambre d'Hôtel plutôt luxuriante. La transition s'était effectivement faite plutôt discrètement, même si la comédienne pensait qu'ils auraient pu l'être encore plus. Elle s'était tellement imaginé faire des roulés-boulés derrière des murets pour éviter l’œil perçant des sentinelles ennemies qui tireraient à vue, que la simple marche qu'ils avaient effectué lui paraissait drôlement calme et décevante. Les films d'action qu'elle avait pu voir dans sa jeunesse lui paraissaient désormais extrêmement opposés à la réalité : le héros de son enfance, ce superbe Jayce B. Onde, agent du gouvernement en avait pris un coup. Elle l'imaginait désormais bedonnant en train d'arborer une fine moustache un poil beauf pour passer inaperçu. Comme quoi, fiction et réalité...

          TOC TOC TOC.

          La figure binoclarde de Nash venait d'apparaître à la fenêtre. Ils étaient au quatrième étage. Comment avait-il pu grimper jusque là. Elle hésitait à le laisser rentrer, cet idiot allait griller sa couverture. Bon, elle ne pouvait certainement pas le laisser là. Un homme qui s'agitait sur un balcon serait encore plus suspect.

          « Bonjour.
          -Gnihihi, pas mal hein, la filature ? Vous avez failli me perdre, mais vous avez affaire au meilleur journaliste d'investigation de tout...
          -Oui, merci. Vous savez que je suis très certainement surveillée et qu'ils vont venir vous chercher d'ici...
          -Mais nooon. Le patron m'a filé un brouilleur pour cette mission, s'il y a escaméra ou micrescargot dans cette pièce, ils ne capteront rien durant toute la durée de ma présence.
          -Et ça ne va pas être suspect, de ne rien entendre ?
          -Nous verrons bien. Je tenais à vous féliciter pour une infiltration aussi rapide.
          -Je pense que vous devriez mesurer vos paroles, rien n'est encore gagné.
          -Comment ça ?
          -Mon infiltration n'a été possible, je suppose, que grâce aux ambitions démesurées d'un mafioso de basse catégorie. Je ne suis donc a priori pas connue des véritables pontes du système et de plus, si quelqu'un se rend compte de la supercherie, je suis morte.
          -Croyez-moi, vous vous en êtes très bien sortie. Puis j'ai placé un micro sur votre « bienfaiteur », nous devrions en connaître un peu plus sur lui. Vous êtes un sujet d'article passionnant mademoiselle Demetov.
          -C'est un beau compliment que vous me faites là.
          -Sinon, j'ai quelques informations qui pourraient vous être utiles.
          -Ah ?
          -Déjà, vous êtes tombés sur le côté de la mafia qui souhaite protéger le Gila, il se pourrait donc que vous rencontriez le bonhomme. Si c'est le cas, je tâcherai de ne pas le perdre de vue. Faites attention tout de même, il est dangereux.
          -Ne vous inquiétez pas, je suis une femme pleine de ressources.
          -Je n'en doute pas, mais ce genre de type est surprenant.
          -Sinon, que s'est il passé avant que nous ne soyons repérés par ces mafieux, il y a eu cette atmosphère pesante et...
          -Red.
          -Quoi ?
          -Bwahahah, pas quoi, qui. Red est un pirate recherché du gouvernement. Il est apparu en ville. Personne ne connaît vraiment la raison de sa présence. Il a été aperçu dans plusieurs endroits de la ville, et ce simultanément.
          -Mais dites donc, vous en connaissez des choses, comment faites vous ?
          -Rohohohoho, secret professionnel. »

          La conversation dura jusqu'à ce que Kalem ne les interrompe, par une insulte délicate et précise, qui comparait la taille de leur cerveau à un insecte dégoûtant. Le nain avait repris sa taille originale et son humeur n'avait pas changé. Elie n'avait donc plus pour garde du corps qu'un nain aux capacités physiques très réduites, et qui plus est, qui avait la fâcheuse tendance à injurier tout le monde à tout va. Bon, il allait falloir faire avec.

          Nash repartit comme il était venu, par la fenêtre. En très peu de temps, il avait disparu. Elie était impressionnée par les capacités de Nash à apparaître comme ça sans prévenir et à s’éclipser tout aussi rapidement. Elle avait appris beaucoup de choses en très peu de temps et il fallait ingérer les informations. Bientôt, on viendrait la chercher pour cette petite réunion où elle risquait de rencontrer du beau monde. Juste avant que le journaliste ne parte, elle lui avait demandé de retrouver la trace de ses partenaires. Si tout s'était déroulé comme prévu, Santa et compagnie devaient déjà être au cœur de l'action. Les connaissant, ils ne pouvaient pas avoir produit de moins bons résultats qu'elle.

          ***

          Dans la petite tête de Brocollini, tout se passait comme prévu. Il avait un pion de plus sur son échiquier, et ce pion pourrait même être plus efficace qu'il ne pensait. Prendre le contrôle d'une partie des opérations lui permettrait de s'élever, il en était certain. Tout était arrangé pour la petite réunion clandestine. C'était Katrina Demetov qui allait le représenter, elle prendrait les risques pour lui et pendant ce temps il pourrait manigancer d'autres petites affaires de son côté. En attendant, il allait vérifier si sa gentille petite femme ne fricotait pas avec quelqu'un d'autre que lui, parce qu'autant de chance d'un coup...

          « Monsieur ?
          -Oui ?
          -On vient de me faire passer un message pour la réunion de tout à l'heure.
          -Et donc ?
          -Elle est avancée et le lieu a changé, je vous prépare le déplacement ?
          -Oui, mais pas pour moi. C'est la jeune femme que j'ai reçu tout à l'heure qui ira.
          -Ah.
          -Oui, faites la prévenir qu'elle va rencontrer du beau monde puis emmenez-là jusqu'au point de rendez-vous, nous allons voir comment elle se débrouille.
          -Très bien monsieur, je dois faire quelque chose d'autre pour monsieur ?
          -Je veux bien un vodka-martini, secoué, pas remué, j'ai besoin de me détendre un peu... »

          Brocollini passa donc un appel à sa femme, but tranquillement son cocktail, puis commença à s'affairer. Il enfila un de ses plus beaux costards, s'arrangea du mieux qu'il pouvait, puis sortit. Il avait fort à faire.
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          -Boooon. Il serait ptêtre temps de s'y mettre, non?
          -Eh bien allez-y, on n'attend plus que vous.

          Elle se trouvait là, au sein du campement de la marine, non loin de CAPSLOCK qui était maintenant encore bouche bée devant l'écran. On pouvait désormais y voir un montage reprenant en boucle les plus terribles images prises par le Den Den aéroporté.

          Et ça n'avait rien de rassurant.

          Tout ce qui venait de se passer. Les Red en surnombre, la vague de mort monochromatique, les cataclysmes en série qui avaient déchiré les théâtres de combat. Autant de clichés qui avaient été édités en quantité, et qui étaient maintenant décortiqués minutieusement par les plus posés des officiers de la mouette. Tout ça surclassait très largement les scénarios ce que la marine avait pu envisager.

          Elle aussi, d'ailleurs. Quand Nerassa Roderik avait exhorté Sigurd à l'introduire parmi les chevaliers de Nowel pour leur prochaine cellule de crise, elle s'attendait à faire partie d'une incroyable grande aventure dont elle raffolait au plus haut point.

          -Et au lieu de ça, ils se sont tous tirés sans moi. Tout ça parce que je suis la dernière arrivée, à tous les c... ‘ttendez, mais non en fait. Nash est encore plus nouveau que moi. Alors quoi, ils ont un truc contre moi, sûrement? Pfff, trop pas sympa.

          Depuis le campement, les militaires faisaient de leur mieux pour faire le point sur la situation de leurs escouades, et les aider à se rétablir aussi vite que possible. Car en tout, c'était un peu plus d'une douzaine de Red qui avaient réussi leur escarmouche sur Barnanos, et autant de noeuds urbains qui venaient d’être secoués par le pirate.

          Et une attaque aussi visible, une frappe aussi terrible, une escarmouche aussi brève que vaine et dénuée d'objet n'évoquait qu'une simple chose aux cadres de la mouette.

          Une diversion. C'était leur première crainte, du moins. Car en l'absence de revendications ou de pourparlers de la part des Tempiesta, on ne pouvait que supposer une éventuelle forme d'intimidation à tout le plus.

          -Les gardes côtes n'ont relevé aucune anomalie, colonel. Et l'État Major a maintenu ses ordres. Continuer les fouilles sur l'île, à la recherche des hauts cadres Tempiestas et du Gila.
          -EST CE QUE LE SOUS-AMIRAL A DONNÉ UNE CONSIGNE PARTICULIÈRE CONCERNANT LES ATTAQUES DE RED?
          -Le sous-amiral n'a fait aucune communication depuis deux heures, colonel.

          Une nouvelle désagréable, mais qui ne surprenait guère le commodore CAPSLOCK. Le sous-amiral Jared avait gardé une grande partie de ses vieilles habitudes de Cipher Pol reconverti, et continuait très fréquemment à abandonner son poste de commandement pour vagabonder dieu seul sait où sur ses théâtres d'opérations, afin d'exécuter de grands exploits spectaculaires dont lui seul connaissait toutes les modalités. Les autres devaient s'en tenir au plan, ou affiner de leur mieux.

          Et ça, c'était drôlement inconfortable pour la majorité de ses officiers, qui devaient composer avec ces directives obscures.

          Pourtant, Jared n'était -en aucun cas- un pur produit conforme de la maison de Cipher Pol.

          Il aimait beaucoup trop se mettre en avant pour ça.

          -Mesdames, mesdemoiselles, messieurs! Si cela ne vous dérange pas, j'aimerais vous faire part d'une petite découverte que j'ai faite au cours de l'heure passée!

          Nerassa releva la tête ; la voix qui venait de s'exprimer provenait de l'escargophone des militaires, placé sur la grande table du poste de CAPSLOCK. Et cette même voix sortait de tous les escargophones présents dans le campement, visiblement.

          -Pour ceux qui en ont la possibilité, je vous prie de bien vouloir lever les yeux en direction de l'Église de Manée. Vous me voyez, c'est bien? Superbe! Et tant qu'à faire... ordre à toutes les unités de reconnaissance et de communication, pointez tous vos outils sur moi! L'opération Phoenix Noir peut commencer!

          Ce qu'elle ignorait, c'était que ce message était diffusé par la totalité des escargots de l'île. Car l'homme qui s'exprimait n'était rien de moins que le vice  amiral Jared lui même. Et l'homme allait enfin entrer en scène.

          -Euh... Phoenix Noir?, demanda Roderik à un marine.
          -Haha. Oui.
          -...
          -...
          -Et donc? Qu'est ce que c'est?
          -Le phénix noir, c'est lui, en fait. Et ce qu'il nous demande de faire, c'est...

          À cet instant, plusieurs projecteurs illuminèrent la paroi d'un immeuble qui jouxtait le campement marine. Et sur ce mur, on pouvait voir la diffusion, en temps réel, des images recueillies par les équipes de spécialistes marines -fonction reconnaissance, communication et cameramen- présentes autour de la plus grande église de l'île, Notre Dame du Crime.


          Sur ces images, diffusées en plusieurs points de Barnanos, on pouvait clairement voir Jared présent sur le sommet du monument, avec tout autour de lui, suspendus et ligotés aux corniches du bâtiment, semblables à des gargouilles improvisées, une trentaine de personnes vêtues de manteaux et de chapeaux rouges.

          Des Red. Des imposteurs, des complices, des Ludwig pour une partie, tous capturés par l'étau du terrible militaire.

          -Merveilleux, s'exclama Jared en parlant via son micro à la population de l'ile. Comme vous pouvez donc le voir, la marine et ses sous amiraux ne sont pas en reste lorsqu'il s'agit d'appréhender des malfaiteurs, fussent-ils mafieux, pirates ou, comme en l'occurrence, un peu entre les deux. J'ai toutefois le grand regret de vous annoncer que tous ces Red ici présents -il s'agit bien des ahuris bien amochés en arrière plan, oui- ne sont que des imposteurs. Voyez-vous...

          Et c'est ainsi que le membre de l'État major, non content d'avoir réussi son coup de filet opportuniste sur ces petits poissons très débrouillards, en profitait maintenant pour étaler sa science et détailler amoureusement quels stratagèmes les terroristes venaient d'employer, ainsi que les méthodes que lui venait de mettre en oeuvre pour les récupérer.

          Et il ne comptait pas s'arrêter là, tant il aimait parler de lui. La logorrhée du marine se poursuivait sans discontinuer. Alors, bien vite, Roderik passa à autre chose.

          -Donc Red c'est du carton, d'accord. Du carton et du plastique très explosif, ok. Mais franchement, le Phoenix Noir... j'adore comment ce gars fait son spectacle. C'est comme ça depuis combien de temps?, demanda-t-elle à un marine.
          -Pas bien longtemps, en fait. Et c'est la première fois qu'on le fait sur une si grande échelle. Le plus difficile, c'est d'être toujours prêt. Parce que là, c'est totalement improvisé.
          -Presque totalement improvisé, rectifia une large figure vêtue d'une imposante cuirasse. Les oracles vous avaient prévenu.

          Deux personnes en armures intégrales venaient de s’approcher. Et vu la facture de leurs tenues, il s’agissait clairement de samouraïs.

          Ils étaient jeunes, aux environs de 16-17 ans. La première, une jeune demoiselle aux longs cheveux dorés et aux yeux de glace, était vêtue d’une imposante armure en fer sombre, et, outre l’habituel daisho, était équipée d’une imposante Naginata. Elle portait un casque au faciès grimaçant sous le bras. Le second, un jeune homme élancé aux cheveux d’ébène ramenés en une queue de cheval, portait une armure au teint mat, moins encombrante, qui laissait voir des pièces de tissus colorés de grande qualité, et ne portait qu’un Katana au côté. Il portait par ailleurs un arc en bandoulière, presque aussi grand que lui. Il n’avait pas de casque mais un simple bandeau d’argent lui ceignait le front.
          Tous deux portaient un bandeau blanc au niveau du coude.

          -Et le sous amiral n’a pas encore fait sa vraie déclaration, indiqua le jeune guerrier en désignant la projection murale. Regardez plutôt.

          Sur la façade de l’immeuble, on pouvait maintenant voir Jared qui continuait sa longue palabre. Il n’était plus seul, pourtant.

          -Je tiens tout de même à vous avouer que rien de tout ceci n'aurait été possible sans la participation d'un allié de poids pour nous aiguiller efficacement. Et mieux que de vous les présenter, je vais laisser la parole à… Eberardo Tempiesta !

          Le deuxième homme, un solide gaillard en costume trois pièces très élégant, s’avança alors. Les caméras zoomant sur lui, on pouvait voir qu’il arborait effectivement l’emblème des Tempiesta. Il prit la suite de l’officier d’une voix déterminée.

          -La famille Tempiesta a décidé de faire amende honorable de ses crimes, de se rendre spontanément et de collaborer avec la marine mondiale afin de mettre un terme tant aux agissements de Red, l'un des plus terribles pirates de notre génération, ainsi que du Gila, qui s'avère aussi bien être le terrible chef de la criminalité de South Blue, mais aussi un terroriste confirmé et opposant farouche au gouvernement mondial, n'étant rien de moins que l'oncle et la principale source de financement de l'Impératrice Pirate Kiyori Tashahari! Et quand bien même le choix de cette collaboration aura des conséquences néfastes sur les affaires des Tempiesta, Don Carbopizza garde avant tout à coeur l'intérêt de Barnanos et de ses habitants, de la même manière que la famille l'a toujours fait. Nous sommes donc prêts à prêter main forte à la marine, ainsi qu’à…


          *
          *     *
          *


          -Putain. Je crois qu'on vient de se faire doubler, les gars.

          Autre lieu, autres personnes. Sigurd arborait une bien étrange grimace en entendant tout cela. Ce qui venait de se passer était pour le moins... inattendu. Ils étaient aux abords du campement marine de CAPSLOCK, lui, les autres Nowel ayant accompagné Santa, ainsi que Hyuma et sa petite escorte de mafieux indépendants. Avec l'annonce de l'amiral, pourtant, ils ne savaient pas si leur proposition restait une bonne idée. C'était peut être l'inverse.

          -Euh... c'est une bonne chose, non?, raisonna Dogaku. Les Tempiesta se sont rendus et essaient de sauver la face en s'alliant à la marine, et du coup c'est quasiment comme si elle les avait capturés. Non?
          -C'est trop facile, objecta Hyuma. Il doit y avoir autre chose. Ils n'auraient pas fait ça sans y trouver leur compte.
          -Ça je dis pas que y'ait pas eu un gros bonus corrup' versé afin de graisser la patte de qui de droit, pour sûr. Y'a plus qu'à espérer qu'ils ne soient pas capables d'arroser assez fort pour que la marine, même dans cette situation, se fasse docile et toute gentille.
          -Les Tempiesta reprennent la main sur la situation. À moins que ce Jared ne la leur ait forcé.
          -Auquel cas ce serait une très bonne chose, répéta Sigurd. Si les Tempiesta sont out, ça fait la moitié du problème de réglé. Reste que le Gila à retrouver, et...
          -Ça ne fera que le tiers du problème. Il y a Red, aussi.
          -Red, le type en quarante exemplaires pendu comme une pièce de boucherie?
          -Des imposteurs. Des doublures, tout simplement. Sûrement pas le vrai.
          -Erh. Pas pratique, tout ça.

          Ils venaient d'arriver au camp. Après avoir montré patte blanche face aux vigiles, qui les reconnaissaient de visu, ils progressèrent jusqu'à CAPSLOCK. Mais avant d'arriver sur l'officier, ils retrouvèrent Roderik, en grande discussion avec deux samouraïs en armure lourde. Naturellement, Sigurd se dirigea vers elle, qui en fit tout autant.

          -Jolies cuirasses. Tu t'es fait des copains?
          -Ils avaient l'air de bien vouloir de moi, ouais. Pas comme vous, lâcheurs.
          -Rhooo. Vexée pour juste ça?

          -Pas le moins du monde. Vil traître.
          -Me disais bien, tiens.
          -Mais toi aussi, t'as ramené de nouvelles têtes. Et beaucoup plus. C'est qui, tous ces bonshommes?, demanda-t-elle en désignant Hyuma et compagnie.
          -Eh bien en fait...

          Il lui raconta tout. Depuis les détails de l'attaque des Red jusqu'à leur rencontre avec Blanche, mafieuse en intérim, et la situation des trois groupements opportunistes de Manshon. Ainsi que de la proposition que le plus petit d'entre eux venait de faire aux chevaliers de Nowel, ainsi qu'à la marine.

          -Hééé, ça m'a l'air chouette comme tout, ce truc.
          -Ça m'a l'air surtout bien naze, maintenant que les gros mafieux se sont vendus d'eux même à la marine.

          C'était étrange, mais Dogaku se sentait déçu. Ils avaient peut être mis la main sur quelque chose, en rencontrant Hyuma et Blanche. Tout ça pour rien, en fin de compte.

          Sauf que le grand sourire jovial de son amie n'avait pas l'air de cet avis. Et pour cause. Elle avait quelque chose à lui apprendre.

          -Et si je te dis que cette histoire de Tempiesta alliés c'est du gros flan, tu me réponds quoi?
          -Du flan?
          -Du bidon. Du toc. De l'intox. Un gros mensonge tordu.
          -...
          -Les Tempiesta n'ont jamais proposé d'alliance à la marine. Ou pas encore, plutôt. Apparemment, le conseil de guerre de l'amiral penchait sur ça, mais Jared a eu la flemme d'attendre. Du coup, il a décidé de faire publiquement une fausse annonce. Que toute la ville a entendu.

          Un grand sourire jovial. Roderik venait de lui annoncer le canular avec fierté, comme si elle même l'avait conçu. Et cette histoire semblait tellement énorme que Sigurd n'en douta pas longtemps.

          -C'est quoi ce truc franchement débile? C’est quoi l’idée, faire de l’intox pour que les mafieux fassent n’importe quoi et se trahissent ?
          -Perso je trouve ça gééééénial.
          -Génial?
          -Énorme et complètement débile, mais génial quand même. Et c'est une info secrète, hein. Personne n'a le droit de savoir ça. Y'a que les officiers de haut de chaîne et leurs hommes de confiance qui sont au parfum. Ils commencent tout juste à redescendre doucement l'info.
          -Et comment tu sais ça toi, du coup?
          -Parce que je suis quelqu'un à qui on fait confiance, bien sûr.
          -...
          -Parce que j'adore être là où il faut pour tout savoir et tout entendre sans avoir droit?
          -...
          -Parce que CAPSLOCK m'a laissée faire puisque j'ai dis que j'étais chevalier de Nowel, et qu'on est arrivés ensemble. Mais il comptait te le dire à toi aussi, de toute manière.
          -Et même que le v’la qui approche, ouais. Oh putain…
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          TOC TOC.

          Il avait fallu moins d'un quart de seconde pour qu'Elie sorte de ses propres pensées pour retourner à celles de Katrina. Pourquoi venaient-ils la chercher maintenant ? Avaient ils eu conscience de la présence de Nash, était elle découverte ? Mieux valait faire comme si de rien n'était. En toute occasion c'était la meilleure chose à faire pour ne pas se trahir toute seule. Dès qu'Elie sortait de son personnage, elle angoissait. Elle s'était tellement avancée profondément dans son petit jeu que le moindre faux pas causerait certainement sa mort ou toute autre perspective aussi peu réjouissante.

          « Qui-est-ce ? Demanda-t-elle de la voix autoritaire qu'elle avait pris l'habitude d'utiliser.
          -Maître Brocollini vous fait dire que votre voiture est apprêtée.
          -Déjà ? Je pensais avoir quelques heures devant moi.
          -Votre réunion a été avancée. Je vous attends en bas dans cinq minutes.
          -J'y serai. »

          Elle regarda Kalem. Celui-ci n'avait pas l'air d'avoir la moindre intention de l'accompagner. Toutefois, elle ne lui laisserai pas trop le choix. Elle avait quelques minutes pour le déguiser de façon à ce qu'il ressemble de près ou de loin au colosse dont il avait pris les traits quelques temps plus tôt. Ce ne serait pas gagné. Elle pouvait aussi le laisser tel quel, et simplement le camoufler suffisamment pour qu'il paraisse dangereux. Mh. Bon, pas dangereux, mystérieux suffirait. Elie attrapa le long manteau duquel elle avait enveloppé le nain au moment où il avait triplé de volume, puis, n'attendant pas que celui-ci approuve le costume, elle l'enroula à l'intérieur. Le manteau traînait par terre et elle n'eut d'autre choix, devant la quantité d'injures du petit pharmacien, de le lui retirer. Elle considéra l'énorme sac à dos de Kalem, puis, lui ordonna de le porter.

          « Hors de question.
          -Tu l'as toujours avec toi et tu ne veux pas l'emmener ?
          -Je ne veux pas venir. C'est clair, non ?
          -Ce n'est pas un choix que je te laisse, vermine.
          -Normalement, c'est moi qui insulte.
          -Il faut croire que je commence à m'habituer.
          -Quoi qu'il en soit, je ne viendrai pas. »

          Cinq minutes plus tard, Katrina Demetov descendait les escaliers, accompagnée toujours d'une sorte de masse enrubannée dans un large manteau. Si l'on y faisait assez attention, son « garde du corps » avait tout de même perdu près de la moitié de sa taille, le sac à dos n'ayant pas réussi à compenser cette petite différence. Lançant un regard plein de mépris au chauffeur, elle monta le marchepied de la calèche qu'on lui avait fournie. Balançant son petit corps difforme de gauche à droite, Kalem parvint malaisément à l'imiter. Dès qu'il eut posé son derrière aux côtés de sa « patronne », le véhicule démarra en cahotant. La remarque du nabot sur la similitude entre les énormes croupes des chevaux et celle de sa compagne de voyage fut perdue dans le bruit régulier des sabots.

          Elie regardait avec intérêt le chemin qu'ils prenaient. Non pas pour retrouver l'éventuelle cachette où aurait lieu la réunion, le chauffeur s'étant arrangé pour embrouiller le tout dans un dédale de ruelles empruntées. Non, si la comédienne jetait des coups d’œil réguliers aux alentours, c'était pour repérer l'éventuelle présence de Nash. Mais soit le journaliste était d'une discrétion exceptionnelle, soit il ne la suivait pas. Bien qu'elle ait du mal à y croire, Elie penchait toutefois pour la première solution : de ce qu'elle avait vu, le binoclard n'était pas du genre à laisser passer un sujet de reportage aussi intéressant.

          « K. tu me feras le plaisir de te tenir correctement. Je ne tiens pas à ce qu'il y ait de rixes entre toi et n'importe lequel des gardes du corps de mes amis. La présence de ceux-ci dans n'importe quel hopital ou morgue du coin pourrait nous mettre en très mauvais termes avec nos alliés ; je n'y tiens pas.
          -Mh.
          -Si je t'ai gardé, malgré ton comportement abusivement violent, c'est parce que tu es exceptionnellement efficace, et que je n'ai encore jamais trouvé mieux. »

          Tout en continuant de discuter avec lui à haute et intelligible voix, Elie donnait ses véritables instructions en griffonnant sur un tout petit bout de papier tout ce qu'il lui semblait utile de dire. Kalem lisait tout en grommelant dans sa barbe toutes les injures les plus ignobles qui lui passaient par la tête. Une fois de plus la comédienne l'embarquait dans un amas de mésaventures dont il risquait fort de ne pas sortir vivant. Si le contact rapproché d'un pirate vengeur s'était plutôt bien terminé, celui d'un des plus gros mafieux de toutes les Blues risquait de l'envoyer plus directement au tombeau. Et il n'avait pas encore rédigé de testament.

          ***

          « Mademoiselle Demetov ? Nous vous attendions. Monsieur Brocollini nous a prévenus que vous le remplaciez pour la réunion d'aujourd'hui. Il est souffrant, n'est ce pas ?
          -Un quelconque ulcère j'imagine, il sera vite sur pied.
          -Je suis étonné des merveilles qu'il arrive à dégoter, vous êtes sub...
          -Gardez vous de sortir le moindre compliment, j'en suis allergique, et je risquerai fort d'user de protection, si vous voyez ce que je veux dire, fit-elle en désignant Kalem. »

          Apparemment, elle avait bel et bien réussi à répandre la rumeur disant que le nain sous le manteau était dangereux, extrêmement dangereux. Si des courageux voulaient vérifier cela, ça n'aurait servi à rien, mais c'était la plus grande protection qu'elle pouvait s'offrir. La rumeur était une arme, et elle la maîtrisait presque à la perfection. Le beau parleur s'était aussitôt tût et lui fit signe de le suivre. Regardant fixement le dos voûté du majordome, la fausse mafieuse marchait avec détermination dans les couloirs sombres tapissés de pourpre. Des clameurs parvenaient à ses oreilles, toujours plus proches et un dégagement de fumée nauséabonde lui titillait les oreilles. Pour faire bonne figure parmi cet amas de fumeurs de cigare, Elie farfouilla dans son sac pour en sortir une cigarette, la coinça dans la pulpe de ses lèvres puis l'alluma en faisant bien attention de ne pas tousser.

          La salle dans laquelle on l'avait amenée n'était pas beaucoup plus éclairée ni beaucoup plus à la mode que les couloirs qu'elle venait de parcourir. Une lampe à pétrole placée au centre d'une table rectangulaire, seule véritable source de lumière, donnait des airs encore plus sinistres aux quelques hommes avachis sur de larges fauteuils verdâtres. Les ombres vacillantes qui donnaient un air sévère à chacun ne firent pourtant pas grand effet sur la Demetov. Selon ce qu'Elie avait composé, la mafieuse était une habituée de ces réunions secrètes et enfumées, il était donc normal qu'elle n'ait aucune réaction particulière à la vue de ce spectacle somme toute, plutôt effrayant.

          « Voulez-vous nous faire la grâce de vous asseoir parmi nous, Madame ?
          -C'est Mademoiselle, répondit sèchement Katrina avant d'adresser un sourire plein de morgue à son interlocuteur. Et je me ferai un plaisir de prendre place parmi vous.
          -C'est que ça a du caractère...
          -C'est que ça vous brisera les parties si vous continuez à la considérer comme un objet. Bien Messieurs, qu'attendons nous pour commencer ? Voyez-vous, je n'aime pas perdre mon temps. Ah. Cette chaise est vide, nous attendons encore quelqu'un ?
          -Oui Mademoiselle Demetov, nous...
          -Pouvons-nous entamer sans lui ? Ou ce retardataire est-il vraiment nécessaire à la conversation.
          -Il l'est... Répondit une voix glaçante et caverneuse dans le dos de la demoiselle. Et bien qu'il remercie notre assemblée ici présente de le protéger, il aimerait qu'on lui montre un peu plus de respect.
          -Excusez-la, c'est la première fois qu'elle assiste à une de nos réunions et...
          -Oui, d'ailleurs, comment se fait-il que vous soyez conviée ?
          -Monsieur Brocollini m'a demandé de lui rendre ce service. Je fais partie de ses proches de confiance, disons.
          -Étonnant, ce Brocollini a de quoi nous surprendre. Et je n'aime pas les surprises. Vous feriez mieux de ravaler ce petit air confiant, votre tête risquerait de se décoller de votre corps dans le cas contraire. Et oui, c'est une menace. »

          Elie déglutit. Elle n'avait pas du tout prévu ça. D'habitude, se montrer confiante et engageante, ainsi qu'un poil supérieure laissait de marbre tous ceux qu'elle essayait de tromper. Là, c'était différent. En plus de dégager une sorte d'aura de terreur, l'homme qui ne pouvait être que le Gila semblait détester par dessus tout la moindre marque d'insubordination à son sujet. Elle allait devoir revoir sa stratégie, et comble de malchance, il fallait qu'elle le fasse dans la seconde. Bref, elle devait improviser complètement.

          ***

          Kalem lui, avait suivi ses ordres et était resté en arrière, écoutant tout ce qui pouvait s'avérer d'intéressant. Émettant de sinistres grognements à quiconque l'approchait d'un peu trop près. Il avait préparé quelques seringues de potions paralysantes au cas où l'on voudrait en savoir plus sur lui, mais ça ne l'empêchait pas d'être mort de trouille et bouillant d'une colère sourde. C'était presque lui-même qu'il voulait emplafonner cette fois-ci : comment réussissait-il à se trouver dans de telles situations alors qu'il s'était promis de vivre dans le calme et la tranquillité ? Il connaissait la réponse, mais se refusait à l'admettre tant elle était contraire à ses principes. Il appréciait la compagnie d'Elie.

          Le nain chassa cette pensée de son esprit et détailla le décor qui s'offrait à lui. C'était vraiment très laid, et il n'avait pas besoin d'user de ses talents de rabat-joie pour le dire. Si l'intérieur était très cossu, il semblait complètement dépassé : tout ce qui s'y trouvait semblait appartenir au siècle précédent. Ayant fini d'analyser tout ce qui lui tombait sous le coin de l’œil, il s'affaissa dans un large canapé marron et farfouilla quelques instants dans son sac. Il se savait observé, c'était quasi certain, mais sous le couvert du manteau d'Elie, il avait une petite liberté de mouvements, et pouvait s'agiter sans que personne ne puisse savoir ce qu'il faisait.

          Au bout d'un certain temps passé à s'agiter sous le couvert de sa cachette de fortune, le nain sortit une petite fiole au contenu violacé duquel s'échappaient quelques volutes de fumée rouge. Pas très discret, mais Kalem en avala rapidement le contenu. Il était son propre cobaye et testait pour la première fois sa potion d'écoute, qui était censée lui permettre d'augmenter son audition. Il voulait savoir ce qui se tramait exactement dans cette salle où les mafieux dissertaient. Il attendit quelques secondes puis peu à peu, il commença à entendre des voix de plus en plus fortes. Un amas compliqué de conversations résonnait dans sa tête.

          « Tu as tué le poulet Gilbert ?
          -Il faut sortir les poubelles.
          -Revenons à nos moutons, une certaine quantité de clones de Red a été défaite par le vice-amiral Jared. Les Tempiestas se sont alliés aux Marines et ils veulent vous attraper.
          -Ils ne m'auront pas, je les écartèlerais un à un s'il le faut.
          -Eh, Hubert, passe moi les frites.
          -Miaou.
          -Franchement, c'est pas très rassurant tout ce qui se passe, autant rester chez soi à manger de la poule-au-pot.
          -J'aime pas la poule au pot !
          -C'est l'histoire du petit chaperon rouge...
          -On en dépècerait pour moins que ça. »


          En plus de son incompréhension totale, le nain sentait le volume des voix augmenter. Encore un point à corriger sur la potion. Il avait désormais les oreilles qui sifflaient et ne comprenait plus rien à rien. Sa tête bouillonnait et il faillit cracher sa rage à voix haute, mais se souvint de l'endroit où il se trouvait. Il se concentra pour faire le vide dans son esprit. Rien à faire. Autant attendre que les effets passent. Il se demanda ce qu'Elie et ses nouveaux petits camarades pourraient bien faire.

          D'une, le Gila ne pourrait pas fuir à cause du blocus, de deux, il ne pourrait pas se cacher éternellement, de trois l'alliance Tempiesta avec la Marine devrait être un coup dur pour le saurien. Bref, c'était la merde pour eux. Mais Kalem s'en contrefichait. Tant qu'il pouvait fuir cet endroit sans perdre la vie...

          ***

          Le conseil était sur la fin. On avait râlé, réfléchi, émis des hypothèse, construit des plans et la conclusion était nette, il fallait faire exploser Manshon. Enfin, faire croire à tout le monde qu'ils allaient faire exploser Manshon. La quasi totalité des mafieux avait approuvé le plan. Lancer une rumeur pour pouvoir attaquer leurs ennemis dans le dos et sauver leur peau, c'était une bonne idée après tout. Ils ne pouvaient pas revenir en arrière, ils devraient vaincre. S'ils subissaient une défaite, les Tempiestas ne manqueraient pas de les éliminer un à un, ou de les vendre au gouvernement. Ils ne pouvaient guère risquer de perdre, ils devaient donc gagner par la force, et quoi de mieux qu'un bon gros leurre pour mettre un coup de poignard à l'adversité.

          Plusieurs émissaires furent envoyés pour prévenir de l'heure du grand chambardement. Toute la mafia alliée au Gila allait être de la partie, et il fallait s'attendre à un feu d'artifice d'explosions en tout genre. C'était en tout cas la version qui allait fuiter.

          Elie n'avait plus qu'une idée en tête, prévenir le reste des Chevaliers de Nowel de ces plans. Ainsi ils pourraient sans doute prévenir le colonel CAPSLOCK ou tout autre membre de la Marine de ce qui se tramait. Ceci dit, comment faire, sans éveiller les soupçons de ceux qui la tenaient à l’œil ? Sans doute pourrait-elle y réfléchir au calme une fois rentrée dans son hôtel. Elle avait retrouvé Kalem en proie à de grosses migraines et il ne pourrait sans doute pas l'aider avant quelques heures. Elle n'avait pas beaucoup de temps, d'ici peu la rumeur aurait circulé et alors, la Marine risquait de subir de très lourdes pertes. Sa seule chance était Nash, le jeune journaliste binoclard. Il fallait absolument qu'il revienne lui parler.
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