Avis de tempête
Une légère brise s'engouffra par la fenêtre et affola les pages de l'encyclopédie consacrée aux différents royaumes de South Blue que lisait Loth. Il délaissa l'ouvrage et plongea son regard aussi loin que lui permettait la fenêtre ouverte.
Du troisième étage où se situait sa chambre, il avait une vue imprenable sur la campagne environnante et sur la mer au loin. Les gros nuages noirs qui bordaient l'horizon ne laissaient aucun suspens quant au devenir du climat dans les prochaines heures, un gros orage approchait.
Une vocifération dans les étages inférieurs éloigna son attention des vagues grondantes. À coup sûr, c'était encore le Frère Hariel qui beuglait après Löthar pensa-t-il. Ils s'aimaient comme chien et chat ces deux-là.
De manière générale, l'ambiance au monastère s'était alourdie depuis l'arrivée de Löthar et de ses trois potes. Loth était surement un des rares qui n'avait pas encore eu d'altercation avec eux, en grande partie à cause de sa nature solitaire et silencieuse.
Il se souvint brusquement que ce lundi, comme tous les derniers lundis du mois, donnait le ton à une série de remue-ménage dans le monastère. Il se hâta de sortir de sa chambre et se précipita au rez-de-chaussée pour aider les Frères dans leurs tâches avant le grand départ. Loth attachait beaucoup d'importance aux devoirs que lui avait confiés Saint Michael, Grand Maître de l'ordre des Moines Servites. S'acquitter avec efficacité de ses nombreuses corvées était un moyen pour Loth de rembourser en partie la dette qu'il avait envers cette congrégation de moines. Sans leur aide, pensa-t-il, il n'aurait su à quel Saint se vouer ; il n'osait même pas imaginer ce qu'il serait advenu de lui après sa libération.
Le jeune homme avait passé sept longues années en tant qu'esclave et bête de foire dans les geôles d'un groupuscule criminel prônant et défendant par des moyens radicaux la suprématie de la race humaine sur ce qu'ils appelaient "les difformes" à savoir, les Longs-bras, les Longues-jambes et les autres races "non-humaines". Libre au terme d'une opération musclée de la marine, seuls les Moines Servites lui avaient tendu la main et l'avaient aidé à se reconstruire un minimum. Voici trois années déjà qu'il vivait parmi eux, mais il songeait à son départ et à sa vie hors des murs en bois lourd du monastère. Le train de vie de ces moines n'était pas ce à quoi il aspirait, il en était même aux antipodes.
Les Moines Servites, à l'instar de tous les autres Ordres Mendiants, vivaient de la charité. De l'îlot au manoir qui avait été transformé en monastère, de la vaisselle à la lingerie, absolument tout était le don de tiers.Le jeune homme avait passé sept longues années en tant qu'esclave et bête de foire dans les geôles d'un groupuscule criminel prônant et défendant par des moyens radicaux la suprématie de la race humaine sur ce qu'ils appelaient "les difformes" à savoir, les Longs-bras, les Longues-jambes et les autres races "non-humaines".
À l'arrivée de Loth, le rez-de-chaussée ainsi que le grand hall étaient remplis de gros sacs de voyage et de bric-à-brac en tous genre. Le grand départ se ferait dans l'après-midi et cette année, Loth n'avait pas été sélectionné pour prendre part à la collecte. Malgré son enthousiasme à aider aux préparatifs, il n'était pas mécontent d'être dispensé de ce rituel mensuel.
Vivre de la charité demandait beaucoup de sacrifices et l'un d'eux consistait à quitter l'isolationnisme de leur îlot chaque dernier lundi du mois pour faire le tour des habituels donateurs et récolter de quoi subsister durant le mois suivant.
Les préparatifs se déroulèrent sans accroc jusque dans l'après-midi. Ils traînèrent les sacs de voyage et les minuscules voiliers jusqu'à la plage où la mer bouillonnait violemment. L'orage s'était rapproché et une bruine commençait à goutter. La quasi-totalité des moines allait prendre part à la collecte en laissant moins d'une dizaine de personnes dans le monastère qui en compte normalement une centaine.
- Qu'est-ce que c'est ? Demanda le Maître Michael de son imposante voix en indexant un groupe d'hommes qui avançaient vers eux emmitouflés dans de gros manteaux battus par le vent.
Malgré qu'il approchât la nonantaine, "L'ancêtre" comme il était affectueusement surnommé avait le physique et la fougue de ses quarante-ans. Chauve et barbu, il passait pour être le plus grand maître qu'ait jamais connu les Moines Servites ce qui signifiait beaucoup. Loth qui avait eu un aperçu du niveau des "simples" moines lors d'une attaque de pirates et durant ses entraînements n'osait pas imaginer la puissance du vieux. Il avait une présence qui en imposait naturellement et plus d'une fois, Loth s'était senti comme écrasé par sa seule présence. Paralysé dans le bon sens du terme, comme si une main géante l'avait couvert de son ombre. La présence du vieux était rassurante.
- Bonjour, claironna celui qui semblait mener les nouveaux arrivants. Je suis le sergent d'élite Anani Da Silvera. Vous devez être le Maître Michael ?
- Lui-même. Que nous vaut une visite de la marine d'élite ?
- Nous avons reçu l'ordre de fouiller votre îlot et le monastère au peigne fin, répondit-il en déclenchant des murmures de désapprobation que L'ancêtre fit taire d'une moue de la main.
- En quel honneur ?
- Dog Wildson s'est échappé du Nid et nous avons toutes les raisons de croire que son itinéraire l'aurait conduit ici. Cet îlot de craie par ses falaises trouées de grottes offre un excellent refuge pour un criminel en cavale.
Loth se tritura le cerveau à la recherche d'une mention de ce nom dans les centaines d'ouvrages qu'il avait lu. Dog Wildson, oui, il s'en était souvenu, était surnommé "Le boucher des Highlands", triste tueur en série qui avait sévi une quinzaine d'années auparavant sur South Blue. Il avait fait les unes par ses meurtres d'une atrocité ineffable avant d'être capturé et enfermé dans le Nid, une des plus célèbres prisons d'East Blue. Ainsi donc, se dit-il, cet homme était de nouveau libre, prêt à plonger cette région dans une hystérie collective.
- Tous nos moyens sont mobilisés pour le retrouver, c'est un cas de priorité absolu, dit le sergent. Bien sûr, il serait judicieux que vous coopériez avec nous, ajouta-t-il sur un ton insidieux que Loth ne comprit pas.
- Frère Azraël ! dit le vieux après un moment à jauger le sergent d'un curieux regard, laissez-les faire leur travail. Qu'ils fouillent ce qu'ils ont à fouiller. En mer, vous autres ! Nous partons.
- Mais Maître, objecta Azraël, vous comptez vous en aller ? Si ce type rode dans le coin...
Azraël était un moine supérieur, un Maître. C'était un homme d'un âge avancé, dans la soixantaine, qui était deux fois plus grand que n'importe qui sur l'île. C'était un membre de la tribu des Longues-jambes. Il avait des cheveux brun pâle et une barbe stylée en dreadlocks.
- J'ai toute confiance en vous pour assurer mon intérim. Et Dog Wildson ou pas, faut bien qu'on mange, dit-il avec un sourire candide.
Il s'apprêta à embarquer dans son voilier quand il fit volteface.
N'oubliez pas, raisonnez-le, dit-il en s'adressant à Azraël avec un air mystérieux.
Loth le regarda partir les yeux plissés, en se demandant ce que voulait sous-entendre le Grand Maître.
Dernière édition par Loth Reich le Mer 14 Jan 2015 - 22:35, édité 4 fois