Tu t'es toujours intéressé à l'Histoire, particulièrement à celle qui ne te concernait pas. Que penses-tu de celle-ci ? Il était une fois, John Yannick, un de ces bourgeois arriviste à la mord-moi-le-noeud, décida, sur un coup de tête propre à cette caste de charognard, de s'installer dans cette immonde vallée balayée par des vents glaciaux et tapissées de rocailles écharpées. Il y fit bâtir un somptueux manoir que voilà, et mourut avant même d'avoir eu le temps d'y siéger. Quelle histoire stupide ! Elle résonne bien fausse à tes esgourdes de noble déchu, Balty.
Ta proie est ici. Un vieux briscard vicieux et croulant qui cherche à s'offrir une deuxième jeunesse dans le lugubre palace. Dix millions de berries, une somme toute justifiée pour un pauvre homme bête, arrogant, lâche et pervers. Vous avez de nombreux points communs, Balty ! Toi, moi, ta lanterne, ta précieuse montre à gousset, tes rassurantes dagues... et un sac. Tu t'es dis qu'il pourrait y avoir de jolis trésors dans un repère aussi rustique et arrogant. Qui sait ? Je ne ferai aucun commentaire sur tes instincts de pilleurs de tombes. Moi, tant que ta rapacité te pousse à affronter ta lamentable peur du noir, je n'ai rien contre...
Magnifique demeure, vraiment. Gigantesque, impertinente dans sa prestance, miroir de la prétention de son ancien propriétaire, elle a poussée comme une excroissance dans un paysage monochrome, hostile et tourmenté. Il fait froid. Tu as hâte de te réchauffer à l'intérieur. Tu t'acharnes à ouvrir la porte principale, qui grince, qui couine, qui gémit sous tes impulsions, mais qui ne flanche pas d'un pouce. Brave porte, infiniment plus brave que toi.
Bah ! Je vais simplement me glisser par une fenêtre, et...
Et ? Et quoi ? Finis un peu tes phrases ! Froissant la neige sous tes pas, tu contournes à pas de velours l'enceinte de l'imposante bâtisse. Glacé par le froid, tu grelottes, et tu geins, et tu pestes contre toi-même, trop radin pour avoir investi dans le plus misérable des pulls d'hiver pour accomplir ta mission dans de décentes conditions. Tu l'envies, hein ? Ce bourgeois. Cela fait si longtemps que tu n'avais pas eu l'occasion d'admirer une architecture si fine et sublime, la quintessence de ce que savent nous pondre nos plus grands artistes... pour nobles. Tombée en ruine, plus ténébreuse que jamais, squatée par un trouble-fête, la maison n'a pourtant rien perdu de sa splendeur.
Un son cristallin, et un nuage de verre. Cette fenêtre vole en éclat. Bon sang, Balty, sois un peu plus discret ! Tu tiens à alerter toute la plaine que le bâtard de la famille Brixius est venu chasser le chacal dans la région ? Petit corps maigrichon, que tu glisses avec aisance, facilité et fluidité, à travers l'ouverture en évitant de t'ouvrir avec les copeaux de vitres. Bravo ! J'étais persuadé que tu te couperai, Balty. Oooh... Incroyable ! Tu as même réussi à faire passer ta lanterne sans la cogner contre un rebord ! Guérirais-tu de ta lourderie innée ?
Laisse-moi me concentrer.
Hinhin. Tel un animal perdu, tu balayes des yeux le hall de haut en bas, de droite à gauche. Le froid a remarquablement bien conservé l'apparence de la bâtisse, mais il en est tout autrement pour ses entrailles. L'humidité, le moisi, la déchéance avaient investi ces lieux bien avant notre minable boucanier. Tsss...
Hihihi !
Chien galeux ! Je déteste ce rire ! Il signifie que tu t'apprêtes à mettre la main sur les bien acquis par d'autres ! Déjà, tu te précipites à travers une double porte richement ornée, et en tâte la poignée plaquée or. Tu la tournes, plongeant ton regard vicieux sur la décoration. Mais rapidement, en ouvrant la porte, la panoplie de précieuse porcelaine laissée à l'abandon sur la table fait remonter et briller tes mirettes, brunes comme des selles. Quelqu'un s'est payé un repas ici, très récemment. Douce lumière qui écrase celle de ta bien faible lanterne, provenant d'un chandelier couronnant les restes d'un repas que je devine bien copieux. Il y a même DEUX couverts disposés sur la tablée mais ça, évidemment, tu ne le calcules pas. Occupé à estimer la valeur du service de cuisine. Imbécile ! Tu pilles la salle à manger, glisse dans ton sac de toile tout ce qui peut traîner sur la table. Possédé par la cupidité, on dirait que l'évidence parvient à t'échapper...
Que... Le chandelier est encore allumé ?
Pardonne moi mon rictus sarcastique, mais c'est si grotesque... C'est seulement maintenant que tu t'en rends compte ?
… Deux personnes ont mangé ici... Mais la proie devait être seule ?
Souligner l'évidence, oui... Tu sais faire, tu fais bien. Mais encore ? Tu deviens la proie du doute, déjà ? Allons... Monsieur Yannick est décédé, enterré, et je m'assurerais s'il le faut qu'il le reste, cet infâme parasite qui grappille, comme tous les médiocres de sa caste, les privilèges des sangs bleus. Dubitatif, tu es. Ton souffle ralenti, tes yeux coulissant d'un bout à l'autre de la pièce. Dubitatif, tu restes. Comme survolé par une étrange ombre. Tu m'oppresses de coups d'oeil. Car tu me vois, oui, tu me vois. Et tu m'entends. Mais je n'ai rien de plus à te dire, poule mouillée ! Si ce n'est qu'il va falloir que toi, mâle de la famille, tu te souviennes que pendent entre tes deux pattes gringalletes, tes attributs virils qui devraient te...
AAH !
Subitement, une bourrasque s'est invitée dans la pièce, emportant avec elle les faibles lueurs du chandelier aussi rapidement qu'elle a surgie. Soufflant les bougies, te replongeant seul en compagnie de ta lanterne et son sanctuaire faiblement flamboyant. J'entends d'ici ton palpitant survolté rebondir dans tout les coins de ta cage thoracique. Chacune de ses palpitations te donne la sensation d'une explosion dans la poitrine. Je suis bien placé pour reconnaître les signes d'un froussard quand j'en vois un. Hmm... Balty, dans ce domaine, je te concède que c'est en t'observant que j'ai tout appris.
Affalé contre un mur, empoignant ta poitrine, tu ne sais plus où donner de la tête. Tes yeux révulsés me laissent mirer ton paysage intérieur... Une tempête de peur, une averse d'idées noires, des orages nerveux qui te crispent, qui te foudroient, te tordent les muscles dans tous les sens. Froussard ! Vilain froussard que tu es... Tu t'agrippes à ton sac de toile, comme à un doudou. Le secoue, comme un hochet, en faisant résonner le fragile contenu pour te... rassurer ? Pathétique. L'avidité te ragaillardis ?
J... C'était un courant d'air... La structure de cette baraque doit être une véritable passoire. Décrépite et souillée par un roturier fétide. Ignoble taudis...
Fort de ton butin et d'un rationalisme simulé, tu poursuis ton chemin, lentement mais sûrement, et quitte la cuisine sans demander ton reste. Il y aurait pu y avoir d'autres trésors, dans le coin, mais... Tu me sembles un peu trop tendu pour y prêter attention pour le moment, couard. Tu files pousser la double porte en beau bois, rongé par le temps, dans un grincement lugubre qui te fait de nouveau frissonner. Un grand et joli couloir s'ouvre à toi, Balty, je suis certaine qu'il te rappelle les galeries de notre propre défunt manoir. Avec ses fenêtres grandes ouvertes donnant sur un jardin, ce vent frais qui envahit les lieux et fait virevolter les rideaux, la Lune qui balaye le couloir de rayons bleutés... rassurant, hum ?
L'air venait de là. C'est bien ce que je pensais.
Si troisième invité il y a, alors c'est un autre chasseur de primes qui se sera mis en tête de me voler la vedette... Rien d'autre. Peu importe ! Je purifierai tout ce qui se pose en travers de ma route !
Tu oublies deux choses, Balty : d'une, tu n'as PAS été invité, de deux, je suis là moi aussi.
Tu n'existes pas !
Bien sûr... alors tu te parles à toi-même, c'est ça ? Reviens à ce que tu fais, mulet. Tandis que tu traverses le couloir lentement. Un peu tremblant, crispé, claquant des dents. Le froid, la peur, les deux ? La flamme dans ta lanterne faiblit, Balty ! Il faut avouer que tu ne l'as pas ménagé depuis que nous sommes arrivés ici. Trop tard pour t'en vouloir, Balty, la chair de poule te possédait trop pour que tu puisses te passer de ton précieux halo de lumière. Je devine que tu pestes intérieurement. Mais ce genre de regret, tu ne l'extériorises pas. Ce serait avouer que tu as la clairvoyance d'une sibylle de foire.
Au bout du couloir, tu ouvres le portillon menant sur le jardin. Tu descends les petits escaliers de pierre, et te voilà entre les haies d'un square labyrinthique. Contemple ce dédale de buissons mourants, enneigés, gelés. Cet endroit est d'un triste ! L'ancien propriétaire des lieux devait avoir des passe-temps bien étranges, et un mauvais goût particulièrement prononcé. C'est bel et bien un jeu de noble que de se tailler un lieu de balade au tracé aussi tordu que son propre esprit... Notre bourgeois minable vivait au-dessus de son statut.
Après quelques pas, voilà la lumière qui te quitte. Ne te voici plus qu'éclairé que par la Lune, andouille. Tu laisses tomber ta lanterne, qui s'enfonce dans la neige.
Camelote...
Châtier le pauvre matériel et lui faire porter le chapeau de ton imprévoyance... Encore une marque de courage et d'intelligence, Balty. Tu fais fort, ce soir ! Tu crisses des crocs, dégaine tes dagues. Les serre fort entre tes paumes, comme des gri-gris. Pourtant, ce dont tu as peur, au fond, ces ombres fallacieuses que tu sens prendre vie tout autour de toi, ces monstres inconstants et imaginaires, se ficheraient éperdument de ces joujous d'acier et de sang coagulé.
Maintenant perdu au milieu du labyrinthe végétal, tu t'attends à croiser un esprit désincarné à chaque tournant. Prenant comme repère le toit de la chapelle, tu progresses lentement mais sûrement en sa direction. Des cracs ! Des fchhh... ! Des tocs ! La nuit est remplie d'étranges sons, Balty ! Ne te crispe pas à chacun, ou tu finiras par me faire un arrêt cardiaque avant d'avoir déniché ton homme. Ta raison te quitte, peu à peu, je le vois bien. Tes yeux grands ouverts, les oreilles alertes. Nous y voilà. Tu es persuadé que tu n'es plus seul dans ce jardin. L'air glacial te caresse la nuque, tel une paume fantomatique. Rah, je plaisantais ! C'était une métaphore ! Tu dois bien connaître, ça, non, hein ? Tu as en du en lire plein dans tes stupides bouquins.
Te voilà en vue de la chapelle. Ton regard se fait plus résolu, on dirait que tu convertis ta frayeur en hargne. Tu snobes maintenant les danseurs noirs qui te narguent dans la nuit. Car maintenant, c'est vers une silhouette dans la brume baignant les alentours du sinistre bâtiment que se dirigent tes yeux écarquillés.
Oui, enfin ! Il est là. Il t'attend. Prétentieux, stupide, trop confiant, exactement la description qu'on t'en avait faite ! Tu sais ce qu'il te reste à faire ? Le poignarder, l'éventrer, lui prendre sa tête comme trophée et comme gage de bonne foi. Puis toucher sa prime, sacrifiant une nouvelle âme pitoyable sur l'autel de la résurrection de ta richesse et de ton rang. Tu as fais le plus dur, Balty. Et maintenant, tu t'avances vers lui à un rythme toujours plus effrenné, tel un prédateur qui a repéré sa proie.
Mais son dérangeant sourire te fige lorsque tu parviens quelques mètres devant lui. Tu flaires un piège.
Et sa voix caverneuse résonne dans tout le jardin et te fait vibrer tes oreilles prostrées par le froid.
Vous savez...
J'suis pas bien malin. Mais m'sieur Yannick est très intelligent. Et il me raconte des choses, plein de choses...
Hum. A quoi joue-t-il ? Sceptique, Balty ? Tu ne crois pas aux fantômes, toi, hein ?
Alors il a du vous prévenir de la façon dont vous alliez finir, minable !
Hinhinhin...
Une mascarade pour gagner du temps ? Ne me prenez pas pour...
Mon nouveau maître me demande de vous communiquer quelque chose !
Quoi ?
Il a arrêté votre montre.
Arrêté ma...
Sérieusement, Balty. Tu ne vas pas croire ses salades ? Tu ne vas pas... Allons bon. Tu sors ton bijou, d'un geste vif et nerveux. Tu l'ouvres, en mire le cadran. Que découvres-tu ?
Sei-seigneur...
TU TREMBLES ?! BALTY ! Ça fait des lustres que tu possèdes cette camelote ! C'est déjà un miracle qu'elle ait tenu jusque là ! NE LUI DONNE PAS CE QU'IL ATTEND, BALTY ! REPRENDS-TOI ! Tes yeux s'imprègnent de terreur, ton front devient une véritable fontaine de sueur et j'entends tes dents claquer. C'en est trop, je me montre à toi. VOILA, Balty, un vrai spectre. Comme d'habitude, c'est à ta vieille mère de réparer les pots cassés. Reprends-toi ! Vois ta proie se terrer dans la chapelle. Son rire sinistre raisonne dans le jardin gelé. Il se gausse de toi. Il a semé les graines du doutes dans ton bien fragile esprit. Balty...
Reprends toi, suis-le. Conclus ta mission. SOIS PLUS QU'UN HOMME ! SOIS UN NOBLE !
M-Maman...
Ta proie est ici. Un vieux briscard vicieux et croulant qui cherche à s'offrir une deuxième jeunesse dans le lugubre palace. Dix millions de berries, une somme toute justifiée pour un pauvre homme bête, arrogant, lâche et pervers. Vous avez de nombreux points communs, Balty ! Toi, moi, ta lanterne, ta précieuse montre à gousset, tes rassurantes dagues... et un sac. Tu t'es dis qu'il pourrait y avoir de jolis trésors dans un repère aussi rustique et arrogant. Qui sait ? Je ne ferai aucun commentaire sur tes instincts de pilleurs de tombes. Moi, tant que ta rapacité te pousse à affronter ta lamentable peur du noir, je n'ai rien contre...
Magnifique demeure, vraiment. Gigantesque, impertinente dans sa prestance, miroir de la prétention de son ancien propriétaire, elle a poussée comme une excroissance dans un paysage monochrome, hostile et tourmenté. Il fait froid. Tu as hâte de te réchauffer à l'intérieur. Tu t'acharnes à ouvrir la porte principale, qui grince, qui couine, qui gémit sous tes impulsions, mais qui ne flanche pas d'un pouce. Brave porte, infiniment plus brave que toi.
Bah ! Je vais simplement me glisser par une fenêtre, et...
Et ? Et quoi ? Finis un peu tes phrases ! Froissant la neige sous tes pas, tu contournes à pas de velours l'enceinte de l'imposante bâtisse. Glacé par le froid, tu grelottes, et tu geins, et tu pestes contre toi-même, trop radin pour avoir investi dans le plus misérable des pulls d'hiver pour accomplir ta mission dans de décentes conditions. Tu l'envies, hein ? Ce bourgeois. Cela fait si longtemps que tu n'avais pas eu l'occasion d'admirer une architecture si fine et sublime, la quintessence de ce que savent nous pondre nos plus grands artistes... pour nobles. Tombée en ruine, plus ténébreuse que jamais, squatée par un trouble-fête, la maison n'a pourtant rien perdu de sa splendeur.
Un son cristallin, et un nuage de verre. Cette fenêtre vole en éclat. Bon sang, Balty, sois un peu plus discret ! Tu tiens à alerter toute la plaine que le bâtard de la famille Brixius est venu chasser le chacal dans la région ? Petit corps maigrichon, que tu glisses avec aisance, facilité et fluidité, à travers l'ouverture en évitant de t'ouvrir avec les copeaux de vitres. Bravo ! J'étais persuadé que tu te couperai, Balty. Oooh... Incroyable ! Tu as même réussi à faire passer ta lanterne sans la cogner contre un rebord ! Guérirais-tu de ta lourderie innée ?
Laisse-moi me concentrer.
Hinhin. Tel un animal perdu, tu balayes des yeux le hall de haut en bas, de droite à gauche. Le froid a remarquablement bien conservé l'apparence de la bâtisse, mais il en est tout autrement pour ses entrailles. L'humidité, le moisi, la déchéance avaient investi ces lieux bien avant notre minable boucanier. Tsss...
Hihihi !
Chien galeux ! Je déteste ce rire ! Il signifie que tu t'apprêtes à mettre la main sur les bien acquis par d'autres ! Déjà, tu te précipites à travers une double porte richement ornée, et en tâte la poignée plaquée or. Tu la tournes, plongeant ton regard vicieux sur la décoration. Mais rapidement, en ouvrant la porte, la panoplie de précieuse porcelaine laissée à l'abandon sur la table fait remonter et briller tes mirettes, brunes comme des selles. Quelqu'un s'est payé un repas ici, très récemment. Douce lumière qui écrase celle de ta bien faible lanterne, provenant d'un chandelier couronnant les restes d'un repas que je devine bien copieux. Il y a même DEUX couverts disposés sur la tablée mais ça, évidemment, tu ne le calcules pas. Occupé à estimer la valeur du service de cuisine. Imbécile ! Tu pilles la salle à manger, glisse dans ton sac de toile tout ce qui peut traîner sur la table. Possédé par la cupidité, on dirait que l'évidence parvient à t'échapper...
Que... Le chandelier est encore allumé ?
Pardonne moi mon rictus sarcastique, mais c'est si grotesque... C'est seulement maintenant que tu t'en rends compte ?
… Deux personnes ont mangé ici... Mais la proie devait être seule ?
Souligner l'évidence, oui... Tu sais faire, tu fais bien. Mais encore ? Tu deviens la proie du doute, déjà ? Allons... Monsieur Yannick est décédé, enterré, et je m'assurerais s'il le faut qu'il le reste, cet infâme parasite qui grappille, comme tous les médiocres de sa caste, les privilèges des sangs bleus. Dubitatif, tu es. Ton souffle ralenti, tes yeux coulissant d'un bout à l'autre de la pièce. Dubitatif, tu restes. Comme survolé par une étrange ombre. Tu m'oppresses de coups d'oeil. Car tu me vois, oui, tu me vois. Et tu m'entends. Mais je n'ai rien de plus à te dire, poule mouillée ! Si ce n'est qu'il va falloir que toi, mâle de la famille, tu te souviennes que pendent entre tes deux pattes gringalletes, tes attributs virils qui devraient te...
AAH !
Subitement, une bourrasque s'est invitée dans la pièce, emportant avec elle les faibles lueurs du chandelier aussi rapidement qu'elle a surgie. Soufflant les bougies, te replongeant seul en compagnie de ta lanterne et son sanctuaire faiblement flamboyant. J'entends d'ici ton palpitant survolté rebondir dans tout les coins de ta cage thoracique. Chacune de ses palpitations te donne la sensation d'une explosion dans la poitrine. Je suis bien placé pour reconnaître les signes d'un froussard quand j'en vois un. Hmm... Balty, dans ce domaine, je te concède que c'est en t'observant que j'ai tout appris.
Affalé contre un mur, empoignant ta poitrine, tu ne sais plus où donner de la tête. Tes yeux révulsés me laissent mirer ton paysage intérieur... Une tempête de peur, une averse d'idées noires, des orages nerveux qui te crispent, qui te foudroient, te tordent les muscles dans tous les sens. Froussard ! Vilain froussard que tu es... Tu t'agrippes à ton sac de toile, comme à un doudou. Le secoue, comme un hochet, en faisant résonner le fragile contenu pour te... rassurer ? Pathétique. L'avidité te ragaillardis ?
J... C'était un courant d'air... La structure de cette baraque doit être une véritable passoire. Décrépite et souillée par un roturier fétide. Ignoble taudis...
Fort de ton butin et d'un rationalisme simulé, tu poursuis ton chemin, lentement mais sûrement, et quitte la cuisine sans demander ton reste. Il y aurait pu y avoir d'autres trésors, dans le coin, mais... Tu me sembles un peu trop tendu pour y prêter attention pour le moment, couard. Tu files pousser la double porte en beau bois, rongé par le temps, dans un grincement lugubre qui te fait de nouveau frissonner. Un grand et joli couloir s'ouvre à toi, Balty, je suis certaine qu'il te rappelle les galeries de notre propre défunt manoir. Avec ses fenêtres grandes ouvertes donnant sur un jardin, ce vent frais qui envahit les lieux et fait virevolter les rideaux, la Lune qui balaye le couloir de rayons bleutés... rassurant, hum ?
L'air venait de là. C'est bien ce que je pensais.
Si troisième invité il y a, alors c'est un autre chasseur de primes qui se sera mis en tête de me voler la vedette... Rien d'autre. Peu importe ! Je purifierai tout ce qui se pose en travers de ma route !
Tu oublies deux choses, Balty : d'une, tu n'as PAS été invité, de deux, je suis là moi aussi.
Tu n'existes pas !
Bien sûr... alors tu te parles à toi-même, c'est ça ? Reviens à ce que tu fais, mulet. Tandis que tu traverses le couloir lentement. Un peu tremblant, crispé, claquant des dents. Le froid, la peur, les deux ? La flamme dans ta lanterne faiblit, Balty ! Il faut avouer que tu ne l'as pas ménagé depuis que nous sommes arrivés ici. Trop tard pour t'en vouloir, Balty, la chair de poule te possédait trop pour que tu puisses te passer de ton précieux halo de lumière. Je devine que tu pestes intérieurement. Mais ce genre de regret, tu ne l'extériorises pas. Ce serait avouer que tu as la clairvoyance d'une sibylle de foire.
Au bout du couloir, tu ouvres le portillon menant sur le jardin. Tu descends les petits escaliers de pierre, et te voilà entre les haies d'un square labyrinthique. Contemple ce dédale de buissons mourants, enneigés, gelés. Cet endroit est d'un triste ! L'ancien propriétaire des lieux devait avoir des passe-temps bien étranges, et un mauvais goût particulièrement prononcé. C'est bel et bien un jeu de noble que de se tailler un lieu de balade au tracé aussi tordu que son propre esprit... Notre bourgeois minable vivait au-dessus de son statut.
Après quelques pas, voilà la lumière qui te quitte. Ne te voici plus qu'éclairé que par la Lune, andouille. Tu laisses tomber ta lanterne, qui s'enfonce dans la neige.
Camelote...
Châtier le pauvre matériel et lui faire porter le chapeau de ton imprévoyance... Encore une marque de courage et d'intelligence, Balty. Tu fais fort, ce soir ! Tu crisses des crocs, dégaine tes dagues. Les serre fort entre tes paumes, comme des gri-gris. Pourtant, ce dont tu as peur, au fond, ces ombres fallacieuses que tu sens prendre vie tout autour de toi, ces monstres inconstants et imaginaires, se ficheraient éperdument de ces joujous d'acier et de sang coagulé.
Maintenant perdu au milieu du labyrinthe végétal, tu t'attends à croiser un esprit désincarné à chaque tournant. Prenant comme repère le toit de la chapelle, tu progresses lentement mais sûrement en sa direction. Des cracs ! Des fchhh... ! Des tocs ! La nuit est remplie d'étranges sons, Balty ! Ne te crispe pas à chacun, ou tu finiras par me faire un arrêt cardiaque avant d'avoir déniché ton homme. Ta raison te quitte, peu à peu, je le vois bien. Tes yeux grands ouverts, les oreilles alertes. Nous y voilà. Tu es persuadé que tu n'es plus seul dans ce jardin. L'air glacial te caresse la nuque, tel une paume fantomatique. Rah, je plaisantais ! C'était une métaphore ! Tu dois bien connaître, ça, non, hein ? Tu as en du en lire plein dans tes stupides bouquins.
Te voilà en vue de la chapelle. Ton regard se fait plus résolu, on dirait que tu convertis ta frayeur en hargne. Tu snobes maintenant les danseurs noirs qui te narguent dans la nuit. Car maintenant, c'est vers une silhouette dans la brume baignant les alentours du sinistre bâtiment que se dirigent tes yeux écarquillés.
Oui, enfin ! Il est là. Il t'attend. Prétentieux, stupide, trop confiant, exactement la description qu'on t'en avait faite ! Tu sais ce qu'il te reste à faire ? Le poignarder, l'éventrer, lui prendre sa tête comme trophée et comme gage de bonne foi. Puis toucher sa prime, sacrifiant une nouvelle âme pitoyable sur l'autel de la résurrection de ta richesse et de ton rang. Tu as fais le plus dur, Balty. Et maintenant, tu t'avances vers lui à un rythme toujours plus effrenné, tel un prédateur qui a repéré sa proie.
Mais son dérangeant sourire te fige lorsque tu parviens quelques mètres devant lui. Tu flaires un piège.
Et sa voix caverneuse résonne dans tout le jardin et te fait vibrer tes oreilles prostrées par le froid.
Vous savez...
J'suis pas bien malin. Mais m'sieur Yannick est très intelligent. Et il me raconte des choses, plein de choses...
Hum. A quoi joue-t-il ? Sceptique, Balty ? Tu ne crois pas aux fantômes, toi, hein ?
Alors il a du vous prévenir de la façon dont vous alliez finir, minable !
Hinhinhin...
Une mascarade pour gagner du temps ? Ne me prenez pas pour...
Mon nouveau maître me demande de vous communiquer quelque chose !
Quoi ?
Il a arrêté votre montre.
Arrêté ma...
Sérieusement, Balty. Tu ne vas pas croire ses salades ? Tu ne vas pas... Allons bon. Tu sors ton bijou, d'un geste vif et nerveux. Tu l'ouvres, en mire le cadran. Que découvres-tu ?
Sei-seigneur...
TU TREMBLES ?! BALTY ! Ça fait des lustres que tu possèdes cette camelote ! C'est déjà un miracle qu'elle ait tenu jusque là ! NE LUI DONNE PAS CE QU'IL ATTEND, BALTY ! REPRENDS-TOI ! Tes yeux s'imprègnent de terreur, ton front devient une véritable fontaine de sueur et j'entends tes dents claquer. C'en est trop, je me montre à toi. VOILA, Balty, un vrai spectre. Comme d'habitude, c'est à ta vieille mère de réparer les pots cassés. Reprends-toi ! Vois ta proie se terrer dans la chapelle. Son rire sinistre raisonne dans le jardin gelé. Il se gausse de toi. Il a semé les graines du doutes dans ton bien fragile esprit. Balty...
Reprends toi, suis-le. Conclus ta mission. SOIS PLUS QU'UN HOMME ! SOIS UN NOBLE !
M-Maman...
Dernière édition par Balthazar B. Brixius le Ven 26 Déc 2014 - 2:54, édité 1 fois