Une bouteille à la mer et une pensée à celui qui la trouvera. Il pourrait perdre son cerveau dans l'opération.
Alors, c'est ça, Armada ? C'est pas pire que les coins où j'ai vécu. Lynbrook, Dead End, le rafiot de Dédé. Ils sacralisent tous l'odeur de la gnôle et celle de endroits pas fréquentables. Mais ils ont le même regard insistant, qui se demande mais qui tu es toi et qu'est-ce tu viens foutre ici, tu veux que j't'en colle une et puis c'est quoi cette coupe de cheveux ? Joseph et Mahach parties, ils me laissent avec des semi-daubes semi-larbins a bord d'un rafiot tape à l'oeil, ah ça, qu'il l'est ! Tellement qu'on reçoit des visites discrètes. Des mecs de Mecs qui veulent savoir ce qu'on fout là. Ce qu'on fout là, bonne question. Parce qu'une bonne question c'est une question à laquelle je ne peux pas répondre. Bonne question. Tout ce que je sais c'est que Jo s'est mis en tête que c'était lui, le vrai, le bon, le sanglant capitaine de la nouvelle ère, celle des Saigneurs, celle des gens qui vont nous croiser et pis qu'y z'iront ensuite rendre visite à leurs vieux. Affreuse punition.
Aujourd'hui, je reçois ma nouvelle gnôle. Psychédélique. Un nom pourri pour un type pourri. Moi, le roi des coupes anarchistes. Et des beignes dans la gueule, et des côtés du crâne rasés. Putain quel palmarès. N'empêche que l'ambiance du Kultuur-Ecume-Santa me manque. Ils sont cinglés, que je me dis. Sauf peut-être Micha. Micha qui sortait sa poêle à chaque fois qu'un type envisageait de lui dire non je ferai pas ça non j'ai envie de me reposer, non non non. Qui sortait sa poêle ou le jetait par dessus bord... Pas de doute, maintenant que j'y pense, ils sont tous cinglés. Même moi, surtout moi, que moi. Même.
Yarost déboule de la couverte à mon épaule, alors je suppose que mes colis sont arrivés. Avant de commencer le boulot, célébration intérieure, me voilà libre et je trouve pas ça super-super. Libre avec certainement des berries sur ma tête, libre avec toute une ordre de chasseur de prime marine et gens intéressés qui voient par mois la solution à tout leur souci : monter en grade, nourrir sa famille, devenir riche pour devenir riche. Combien est-ce qu'ils vont me foutre sur le dos ? Certainement moins que ce que je porte déjà alors ça ira. N'est-ce pas Yarost ? Ya, ya, il hoche la gueule. Bon lézard.
J'abats le pont pour trouver un groom pas très propre et pas très serein, tu m'étonnes tu es maintenant sur le rafiot de Joseph Patchett le maléfique, le gars qui vendrait ses parents pour la gloire... ou pour un en-cas. Tu as le droit d'avoir les gouttes aux tempes. Je le salue d'un geste de la main et regarde les cartons qu'il a à ses pieds. Nectar psychédélique, que c'est écrit en caractère sacré. C'est joli. Et pas utile. En même temps, je me souviens de ce mec qui disait que la pièce la plus importante d'une habitation était souvent la moins propre, la moins belle : les latrines. D'ailleurs avant d'ouvrir je vais pisser sur le bord, nulle chance que ça ne dérange les poissons, eux qui vivent déjà dans leur urine. Je rezip et je demande au groom de disposer. Mais non, il reste et me dit que j'ai reçu quelque chose de plus gros encore. Ah ! Le bois. Près de quarante millions pour ces machins marrons, ça a intérêt à envoyer.
En tout cas ça me ramène à cette réalité déjà oubliée, je dois travailler. Le bateau.
Appelle moi des gens qui s'y connaissent en charpenterie, et même des gens qui ne s'y connaissent pas. Toi tu t'y connais ?
Il dit que non, je lui dis de faire attention à ce que j'ai dit en dernier. Il hoche la tête et s'en va, répondant à mes ordres.
Je m'assois bruyamment en ouvrant ce que Dead End a maintenant de mieux, nectar puissant et délicat. Non je plaisante, pas délicat pour un sou. Les bouteilles sont elles aussi plutôt jolies, ornées de fil de plombs et avec une main de gorille, rouge sang, qui pointe vers le haut. Si ça, ça fait pas anarchiste, qu'on me rase la crête ! Je m'en délecte sans trop faire attention aux autres détails et même à moi, ça m'arrache la gorge. Bordel que c'est délicieux, ça le serait encore plus avec quelque chose pour casser la croûte. J'ordonne, ça vient. Sandwich des mers. Pas mieux que ce que fait notre cuisinière. Je plonge mes yeux vers le ciel et me dis qu'en fait, elle était pas si terrible. Surtout habillée d'un tablier. Mais on se contentera de ça.
Le groom revient avec une vingtaine de bougre. Tous incompétents, mais...
Je croque dans le sandwich, il reste la moitié que je donne à mon lézard. Qu'est-ce que vous bouffez vous les verts ? Il ne comprend pas et enfonce ses dents dans le pain. Je me lève. Derrière moi Armada, devant moi des gueules d'empeigne, elles ont décoloré à cause du vent marin. Souriez les gars. Montrez vos dents.
Réceptionnez le bois, je vais au port demander comment ils peuvent bien calfater ici... ça me semble être une opération laborieuse.
Et c'est ce que je fais.
A terre, il y a du monde qui me regarde descendre, du monde avec des visages souriants qui ne me plaisent pas du tout, c'te fois. Jaunes, même vertes. Leurs dents à eux. J'en prends un au hasard et lui dis de retirer toute envie de venir piller les machins du navire, que les seuls trucs de valeurs qu'il y avait là dedans, c'étaient à moi. Par contre, au dehors, et là tout de suite, ce qu'il y a sur mon poing, mon os du mouton, je serais ravi de lui donner. Et ça ne lui plairait pas. Ses potes se ramènent et m'encercle. Je me pare de noir et il recule en s'excusant. Le Scotch fait apparemment effet.
Comment qu'on calfate ici ?
Faut aller voir Babyboat ! Et si vous voulez acheter des services, c'est Mouche. Monsieur Mouche. Normalement, Babyboat est à la Remonte, juste là bas... Voir ce dont vous avez besoin, quoi.
Dernière édition par Kiril Jeliev le Mar 30 Déc 2014 - 18:19, édité 3 fois