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Un gamin au pays de Monsieur-Madame

Le Monsieur a les cheveux plus longs que ceux de ma mamie. Un peu blanc mais pas trop. On dirait une fille qu'aurait mangé trop de soupes et d'épinards quand il était petit. En plus, il est méchant. Il râle sur les gens alors qu'ils n'ont rien fait de mal. Il hurle beaucoup et ça en donne mal aux oreilles. J'ai un peu peur. J'ose pas trop parler. Alors je reste dans mon coin.

Les gens doivent rester tout droit comme des I et surtout pas bouger sinon le Monsieur-Madame vient râler. Alors bah moi, je reste droit, comme I, mais comme un petit I. Parce que les autres sont bien plus grands, bien plus forts. Même en me mettant sur la pointe des pieds et en levant bien haut les bras je n'arriverais même pas à les dépasser. C'est injuste...

Ma mamie me racontais quand j'étais bébé l'histoire du minuscule petit oiseau noir, et à la fin, l'oiseau noir devenait un magnifique signe blanc. Moi je n'y crois pas trop, je ne crois pas que des ailes vont me pousser et c'est pour ça que je veux faire un avion. En plus je ne suis pas né noir, c'est plutôt le contraire. Plus je grandis et plus je me salis, et plus je me salis et plus je deviens noir.

Tout autour, les gens ont les mêmes habits, des uniformes bleus avec une mouette dessinée. La mouette elle est jolie. En plus elle vole haut dans le ciel. La seule différence c'est que la mouette dessinée est bleu. C'est bizarre parce que normalement les mouettes ce n'est pas bleu. Je n'ai pas compris mais je n'ai pas non plus osé demander parce que le Monsieur – Madame, il fait peur.

Il a plein de griffures sur les joues. Les griffures, c'est comme les traces d'une vie, c'est comme celles qu'on voit sur les cœurs des troncs d'arbre : ça marque les années. Moi je n'ai pas de griffures parce que je ne suis pas assez fort. Pas assez grand, mais ma mamie disait que les vraies griffures, celles qui laissent de vraies traces, on les trouve comme dans les arbres, enfouies au fond du cœur.

Le Monsieur-Madame nous donne encore des ordres, il hurle et je me demande comment il fait pour ne pas perdre sa voix. Mes muscles me font mal. C'est dur de rester doit comme un I. Moi j'ai envie de me tenir mou comme un chewing-gum. Ça me tire sur les bras et les jambes comme après avoir passé la journée à courir. Alors je me relâche.

Au fond, ça ne doit pas avoir beaucoup d'importance. Les marines, ils servent à aider les gens, à arrêter les méchants, pas à rester droit comme un I. Mais le Monsieur-Madame n'a pas l'air d'accord, il s'avance vers moi avec des sourcils tout remontés. On dirait que ses sourcils veulent venir se mêler à ses cheveux, c'est bizarre. Il manque de se mordre les lèvres et s’arrête juste devant moi. Quand il me regarde il est obligé de pencher sa tête tout en bas pour me voir.

-Alors comme ça, on ne reste pas au garde à vous ?
-Ça fait mal, Monsieur...
-Et une balle dans le cœur, ça ne fait pas mal, peut être ?
-Si, Monsieur.
-Et un coup d'épée sur le front, ça réveille, hein ?
-Non, Monsieur, ça endort, pour de bon même, que ça endort.
-Et tu te moques de moi, en plus ?
-Non, Monsieur.
-On ne dit pas Monsieur, on dit commandant.
-Oui, M's... Commandant.
-Tu feras le tour du QG autant de fois qu'il le faut en te rappelant ça. Je ne suis pas ton « Monsieur », je suis ton « Commandant » !

C'est bizarre. Je n'ai jamais su que courir aidait la mémoire. Écrire si, mais écrire c'est embêtant. Moi je préfère quand ma tête sert de post it. En plus ça prend moins de places que des gros livres. Mais là, je crois que je n'ai pas le choix, alors je me mets à courir. C'est dur parce que tous mes muscles sont engourdis. On dirait que des poids se sont attachés à mes jambes. Mais je le fais. Les premiers tours sont longs, les autres encore pires. Des fois je m’arrête devant l'entrée et je croise le regard du Monsieur Madame. Il me regarde à peine et dès que je ralentis un peu il me hurle dessus.

C'est vraiment bizarre, la marine.


    Hadz ! Les nouveaux sont déjà arrivés !
    Et merde, Mephis est avec eux ?
    Ben... ouais.
    Les pauvres, j'y vais alors.
    Bon courage.

    Du courage, il m'en fallait. Blessé au terrain, on m'avait accordé des vacances au QG. Pour eux, c'était paperasse et gueulante sur les recrues. C'était aussi devoir supporter le Commandant Toffel plus strict qu'une belle mère longée pendant qu'il aboyait comme un demeuré sur des gamins de seize ans. J'arrivais cheveux brossés et galons aux manches. Mephis était déjà là, à hurler. Entrainement avant tout. Mais pour moi, ça ne marchait pas comme ça...

    Bonjour mon Commandant.
    Ha Hadz', enfoiré ! Tu crois que tu peux te pointer en retard quand je dois supporter ces morveux !?
    Vous avez raison mon Commandant. Je suis désolé. Allez vous reposer...
    Quoi!?
    J'essaierai d'être aussi brillant que vous et d'apprendre à ces gamins que la Marine n'est pas fait pour les tirs au flan. Il faut viser haut, et viser haut, c'est viser Toffel !
    Hm... T'as raison Hadz ! C'pendant, sois plus dur avec celui que j'ai envoyé courir, là bas, il est insolent !
    Très bien mon Commandant.

    Il tournait du pas mais s'arrêtait aussitôt. Ah oui...

    ALLEZ GRINGALETS, C'EST PAS PARCE QUE LE COMMANDANT PART QUE VOUS AVEZ LE DROIT DE COMPTER LES MOUTONS, AU TRAVAIL !

    Satisfait, le Commandant Toffel repartait, poussant la chansonnette. J'attendais de ne plus du tout le voir pour arrêter les activités qui à mon sens ne servait à rien, et aussi rappeler celui qui courrait depuis une trentaine de minutes. Les gamins ne comprenaient pas, mais je leur faisais signe de se rapprocher et de s'asseoir en formant un cercle.

    Désolé pour la présentation, c'est difficile de faire ce qu'on veut avec le Commandant Toffel qui surveille... Héhé. Je suis le Lieutenant Jäak Hadži, appelez moi Hadz, c'est plus simple. Et vous, c'est comment ?

    Je passais la parole à chacun des gosses, j'aurais du mal à le retenir, c'est clair, mais c'était toujours important de connaitre ses futurs matelots.

    Avant de commencer l'entrainement, il me semble important de vous demander pourquoi est-ce que vous avez tenu à rejoindre la Marine ? Ayez pas honte, moi par exemple, c'était une affaire de famille. Et aussi que j'en étais passionné. Rien d'extraordinaire. Mais parfois, y a des raisons qui méritent vraiment qu'on tende l'oreille. Alors, dites ?
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    Le Monsieur ressemble à un papa. Peut-être un peu au miens. Il a la voix triste comme ceux qu’ont vus trop de choses affreuses. Il a exactement la même que lorsque le miens parle des pirates qu’il a croisé. Il a le visage tout froid de ceux qu’ont eu trop d’espoirs brisés. Mais des fois, au creux d’un mot, au creux d’une idée qui se lance, à l’instant d’un souvenir qui se crée, il y a un sourire qui se glisse, tout timide. C’est comme si ce sourire-là n’avait pas sa place dans la vie de ce monsieur. C’est comme s’il n’avait plus le droit de sourire et qu’en faisant ça, il faisait une bêtise.

    Le Monsieur papa nous demande de parler de nos choix.

    Le choix d’une vie, il parait que c’est celui du cœur. Il parait que le choix d’une vie, ça ne se dit pas. Mamie dit que le choix d’une vie, ça se garde comme le plus beau des secrets. Ça, c’est un vrai choix.
    Il parait que ceux qu’on lance comme ça, ceux qu’on envoie valser, ceux qu’on fait danser dans nos langues et dans nos bouches, il parait que ceux-là, ce sont les rêves des autres. Alors je ne sais pas trop comment faire parce que ceux qui crient leurs rêves, qui parlent de leurs choix, on dirait qu’eux aussi ils le font avec le cœur. C’est vrai que le cœur est proche de la trachée et que le sang se mêle bien entre tous les organes. Alors c’est peut être ça la vie. Penser avec le cœur et parler avec la tête.

    Moi ce que je veux, c’est voler, voler plus haut que jamais personne n’ait fait. Moi je veux regarder les oiseaux en baissant les yeux et admirer les hommes comme je regarde mes pieds. Je veux voir les chevaux comme des fourmis et admirer les nuages comme un joli lit douillet. Moi, je veux tout ça. Je veux comprendre le monde à la loupe. Oui, c’est ça que je veux. Je veux voler. Je veux faire voler. Je veux que mes mains soient des ailes poussées par le sang de mon cœur et les neurones de ma petite tête.

    "La marine, ce n’est pas que des gros bras. Les miens sont petits. Mon corps est minuscule mais ma tête, elle, pense bien. Et mes mains dansent avec la mécanique. Je transforme une chaudière en énigme, un moteur en puzzle. Et en jeux de société, je suis bon. Alors j’offre ma tête plutôt que mes bras pour que la marine m’offre ses moyens."

    Tout le monde sourit, comme une blague qui fait rire l’esprit mais pas les lèvres. Et puis les autres aussi disent leurs envies. Ils racontent leurs histoires. Il y en a où les mots s’emmêlent, se font manger par l’émotion. Il y en a d’autres où ce sont des syllabes qui sortent comme une machines, comme une aditions de lettres sorties sans même y penser parce qu’on les connait par cœur. Personne d’autre ne parle. C’est un mélange de curiosité mal placée et puis tout le monde se juge. Tout le monde juge l’autre et surtout, on voit si l’on est comme les autres.

    Il y a des buts et des vies qui ne peuvent être celles que d’une personne, il y en a d’autres que l’on retrouve à tout un tas de chemin et moi je suis au milieu. Je suis avec ma vie normale et mes rêves d’enfant.


    Dernière édition par Sad le Mer 11 Mar 2015 - 22:24, édité 1 fois
      Chacun avait ses rêves. Du désir de devenir amiral à celui de combattre pour protéger les autres, il y en avait un cependant, qui sortait du lot. Parce que ce discours, je l'avais déjà entendu neuf ans plus tôt, de la bouche de celle qui s'est élevée à un des plus hauts grades de la Brigade Scientifique : Lilou.

      Lui était fluet, avec ses trésors sur les mains, même sur le visage, les bandages qui couvraient les blessures, les cicatrices qui ne partiront jamais. Des victoires pour lui, et ses hauts faits pour moi. Il avait un visage innocent mais rieur, et définitivement pas la carrure pour combattre. Mais hé, Kobby est bien devenu Capitaine...

      L'entrainement reprenait doucement, à un rythme plus lent que celui qu'imposait Mephis, me laissant le temps d'aller voir toutes les recrues pour leur donner des conseils. C'était une chouette activité, et ça me rappelait mes jeunes années. Jamais j'aurais pensé pouvoir me retrouver du côté des officiers.

      Sad, c'est ça ? Dis, tu dois connaître les officiers de la Brigade Scientifique. Lilou Jacob, ça te dit quelque chose ? Je l'ai rencontré quand elle avait ton âge, héhé. Alors qui sait, peut-être que tu t’élèveras au même rang qu'elle un jour.

      Le soleil tapait inhabituellement sur le camp d'entrainement, on entendait le sifflement des arbres alentours, le chant des mouettes qui volaient au dessus de nous et qui avaient toutes l'air de nous protéger.

      Alors, petit, qu'est-ce qui t'intéresse dans la mécanique ? Les bateaux, les sous-marins, les armes ? Y en a vraiment pour tout dans l'ingénierie guerrière actuelle mais malheureusement pas assez d'ingénieurs.

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      Le monsieur, je l’ai déjà vu. C’était un monsieur tout froid qu’avait le corps lourd. Il donnait l’impression de porter le monde sur ses épaules toutes cassées. Et puis c’était comme si deux ficelles lui pinçaient les lèvres vers le bas pour l’empêcher de sourire. Ce monsieur, c’est le genre de monsieur à qui l’on voudrait raconter une histoire drôle pour tenter de le faire sourire. Mais on n’y arriverait pas, forcément. Parce que ça ne rigole pas, ce genre de monsieur. Ça ne rigole pas. Ca pleure des blessures du cœur que les autres ne voient qu’à travers deux yeux brisés.

      « Lilou. C'est un nom qui sonne comme une bulle qui explose. Lilou, je ne la connais pas. Lilou ni personne d’autres d’ailleurs. Je ne connais que mes rêves de gosses. Mais mamie, elle dit que les rêves de gosses sont les pensées qui forment les hommes.

      Mamie elle dit qu’un rêve de gosse, c’est comme de la magie enfouie dans une boite qu’on cache de plus en plus au fur et à mesure que l’on grandit. Mais moi j’aime bien la magie. Moi j’aime bien continuer à rêver parce que les rêves, c’est autant de jolis cotons blancs dans lesquels on peut s’enfouir. Le rêve, c’est un magnifique matelas dans lequel on aimerait passer sa vie.
      »

      Sauf que la vie, elle est trop courte. Le fil des ans coule tant et si vite que je crois être sorti de maman hier qu’elle est déjà morte. Alors je grandis. Oui monsieur, je grandis. Je monte les escaliers de la vie en me perdant dans des chemins que je ne connais pas. Je monte et je monte en prenant le temps de m’égarer pour pas arriver trop vite en haut des marches.

      Parce que le jour où j’arriverais en haut, j’y resterai le temps d’un calin. E je redescendrai.

      Oui maman, je redescendrai, promis.

      Mais pour ça, il faut savoir voler. Parce qu’à bien y penser, c’est facile de monter. Il suffit de créer une énorme catapulte comme celles qu’on crée avec une petite cuillère et un haricot. Sauf que le haricot, il a beau voler très haut, il finit toujours par s’écraser quelques parts. Mais mon haricot à moi, c’est ma vie, et ma cuillère à moi, ça sera le plus beau des avions.

      « Je veux voler Monsieur. Je veux voler et faire voler. »

      J’ai trop parlé. J’ai la langue tout pâteuse comme après une nuit de sommeil trop longue. J’ai le corps encore mouillé de la course trop lourde et les pensées qui se perdent dans des endroits que je ne connais pas. J’ai envie de dormir. Dans un joli lit douillet, mouelleux, où mamie viendrait m’embrasser sur le front. Je sentirais ses lèvres toutes rugueuses se poser sur ma peau de bébé.

      J’entendrais sa toute petite voix venir me glisser dans l’oreille deux mots merveilleux.

      Bonne nuit.

      Je sourirais bêtement, et je m’endormirais.