Les Regrets.
Ça pourrait être le titre d'une nouvelle d'Albert Camus, mais ça n'est qu'une des facettes qui organisent ma morphologie en strates éparses et chacune en froid avec sa voisine. J'ai quelque part au niveau du coude gauche la couche de graisse et de nerfs qui s'apparenterait à la culpabilité. Un truc directement relié au poing par un tendon à fleur de peau et comme une corde de piano : pas besoin d'y toucher fort pour qu'il réagisse au quart de tour et n'emboutisse des murs ou quelques nez tournés dans ma direction. Plutôt ferrugineux, y'a le pessimisme, présent dans un bon tiers de ma cage thoracique volumineuse, qui se partage la place avec le côté je-m'en-foutiste de mon corps. Frangins par naissance et chacun cherchant à empiéter sur l'espace de l'autre, tout en étant généralement d'accord. Y'a bien sûr au milieu de tout ça ma tête mon cœur et mes couilles, des putain d’égoïstes qui ne s'entendent avec personne, pas même avec moi. Dans mon pied droit se tassent les remords, qui s'agitent les nuits courtes ou les journées sales. Et ils s'entendent bien avec les regrets, ce qui est assez rare pour le noter.
Là, on vient de finir une journée sale. La seconde sur les flots en compagnie d'une fille qui se prétend grande à cause de ses expériences et d'un vieillard qui se bloque le dos toute les trois heures parce qu'il se prend pour un jeune. Alors moi, comme le soleil descend lentement se cacher derrière un horizon qu'il prend pour son lit deux places et bien chauffé, je fume tranquillement en tenant la barre. J'essaie de pas trop penser à n'importe quoi – ce qui est clairement peine perdue – et m’abîme dans la contemplation des jeux de couleurs sur les nuages livides à cause d'une vie de merde. Même leurs dessins me donnent l'impression qu'ils veulent se suicider, les pauvres cumulus. Allez pleuvoir sur la tronche d'un monstre marin, il l'aura bien cherché, et ça aura tout d'une fin héroïque pour vous ; vous feriez presque peine à voir si vous aviez des émotions et des sentiments. Mais je me rends vite compte à mon pied droit qui bat frénétiquement une mesure visiblement acouphène que je retranscris une fois encore mes propres humeurs sur ces pauvres êtres blancs. D'une chiquenaude, je balance ma clope à la flotte et me tourne vers le vieux peintre qui, ostensiblement, a le mal de mer uniquement quand le soleil menace de se coucher.
T'as vraiment peur du noir ?
-'Si j'vois pas tout autour, comment qu'je fais pour peindre un truc de beau et d'fugace ?
Tu feras comme avec l'oiseau de paradis. Et tu la fermeras.
Une nouvelle nuit s'annonce, aussi longue et chiante que la précédente. Non pas que dormir au milieu d'un océan vide me pose des soucis, hein. Du moins pas plus que de dormir dans une baraque pleine de termites et bouffée par les flammes jusqu'au cœur. Mais c'est plutôt ne pas dormir au milieu d'un océan qui me fait chier. Entre le dégarni qui ronfle dans mon lit, le Cormoran qui RONFLE et la blonde qui... qui... rah merde alors. Elle y est pour rien cette fois. Con de réflexe, j'aurais vraiment cru pourtant. Bref, je passe des pseudo nuits blanches et je regrette presque le confort acide des rues de Hinu Town. Je regrette un peu plus à chaque heure qui passe. Tout en étant persuadé d'avoir fait le bon choix. Juste, faudrait que mon pied droit s'en rende compte. Et puis que niveau journée sale, j'ai déjà connu pire.
En parlant de ça, mes narines tiquent soudain et je tire la tronche. Ça sent le cramé. Et sur un navire, c'est jamais bon. Mais lorsque tu sors des entrailles du Berkois, pourtant pas bien profond, c'est l’œil goguenard et pour annoncer que le repas est prêt. J'arque un sourcil en te voyant plonger à nouveau dans l'une des cales aménagée en cuisine. Et je regrette de t'avoir demandé de faire la cuisine. Autant la première fois, t'as refusé avec un air dédaigneux, mais visiblement, devoir tenir la barre dans le soleil couchant pendant que je m'en occupais avait filé des idées saines et absconses au primé vieillard sans nom. Rapport à la lumière, ou une connerie comme ça. Il t'a peint, toi et un bout de Cormoran qui passait par là, en photobomb, et faut croire que ça t'a coupé l'envie de tenir la barre pour les prochains couchers de soleil. Et me voilà assis en tailleur devant un plat carbonisé quand tous les autres ont l'air vachement appétissants. Et vachement moins cuits.
« J'ai voulu faire flamber le whisky des fruits de mer... » m'explique-t-elle en guise d'excuse en haussant les épaules.
Je me demande si t'auras encore le goût des saloperies si je t'arrache la langue.
-'Tadakimasu !
-Braaaaaaak !
Ouais c'est ça. Bon app'.
Autant dire que j'ai pas mangé des masses. Et c'est un euphémisme.
Après le repas, la barbu se propose pour faire la vaisselle et le Cormoran se blottit à ses pieds et s'endort, la tête entre ses ailes, secoué de hoquets. Sans doute à cause de son allergie qui ne l'empêche pourtant pas de dormir à poings fermés malgré que le vieux fredonne un air guilleret qui avait dû inspirer à Mozart son Requiem. Je retourne faire semblant de digérer mon repas déjà assimilé et me promets que demain, c'est moi qui ferai à manger. Toi, tu allumes une lampe à huile avant qu'il ne fasse trop sombre pour qu'on ne puisse plus y voir. Je garde le cap vers l'Ouest, comme nous l'avait indiqué la dame qui tenait la prison/vente de tapis à Là-Bas. Vers la lumières résiduelle du soleil couchant. Mon étoile du berger. Parce que mine de rien, j'aime pas trop la nuit non plus. Trop sujette à hallucinations dans le noir et les ombres. Ouais, ça me fait chier d'écrire des conneries comme un puceau qu'aurait vécu un drame familial avec morts atroces et images traumatisantes et terreurs nocturnes et plein de trucs sombres, mais putain c'est douloureux comme c'est vrai en fait. Mon pied s'agite un peu plus vite et finit par instaurer dans le silence d'une mer paisible un métronome qui m'aurait agacé à ta place. J’oublie ta présence. Peut-être est-ce la même chose pour toi, ton regard plongé dans le lointain, vers l'horizon que je cible avec une détermination que je sais fabriquée de toute part, falsifiée par mes désirs inavoués de pardon et mes penchants coupables qui m'empêchent de fermer l’œil, certaines nuit, sans les y voir, toutes les deux, les orbites vides, les mains tendues dans cet appel auquel jamais je n'aurai
« Je savais qu'il y avait un truc étrange. »
Je sursaute presque alors que tu m'arraches à mes pensées grotesques. Le monde s'illumine à nouveau des couleurs que mes yeux ont savamment occultées et je t'en serais presque reconnaissant. Je grogne un coup, parce que je sais pas quoi dire d'autre pour l'instant et que, de toute façon, je suis pas sûr que j'aurais pu articuler quoique ce soit de compréhensible d'ici les cinq prochaines secondes et j'attends la suite de ta phrase.
« C'est pas le soleil. C'est une île »
Tu veux parler de la lumière que je suis ? Sérieusement ? Vache d'éclairage sur la suivante. J'espère au moins qu'elle aura un nom l'île cette fois-ci. Je veux dire un vrai quoi.
Et comme tu le disais, il faut moins d'une demi-heure pour que la ville se découpe dans le ciel noir qui lui sert d'arrière plan.
Les tours sont gigantesques. Elles ont peut-être la taille d'une tour Eiffel. Et les tours sont nombreuses. Pas moins de dix, concentrée sur la côte Sud, avec deux ou trois légèrement vers le centre. Le reste de l'île est très large, vraiment vaste. Je ne suis pas sûr d'arriver à discerner l'horizon des côtes et des flots, mais en revanche je vois clairement la montagne, au Nord, qui borde la ville mais dont je perçois les flancs rapiécés, usés, écornés, érodés. Mais les tours, elles, fument. Comme si en leur cœur se terrait un Dragon géant ou des fourneaux d'Erbaf. Mais le plus fantastique reste cette lueur irréelle qui illumine la voie et les cieux. J'aurais presque l'impression de regarder Rome sous le joug de Nero.
Et c'est là qu'on va...
Mais si je devais être honnête avec moi-même, ce qui reste à la fois extrêmement facile et d'une difficulté frustrante, je ne pourrais même pas regretter d'être parti. Parce que j'ai troqué un non foyer contre un non foyer. Parce que j'ai échangé une errance psychologique contre une errance physique. Parce que je n'ai pas su me débarrasser de mes défauts ou de ma violence. Mais aussi parce que j'ai envoyé bouler ma solitude d'un revers, que j'ai ouvert une porte que j'ai toujours craint de pousser, et que j'entame enfin mon pèlerinage vers le repentir. Pourtant, je me demande vraiment
Mais pourquoi j'ai pris ce Con avec moi ?
Ça pourrait être le titre d'une nouvelle d'Albert Camus, mais ça n'est qu'une des facettes qui organisent ma morphologie en strates éparses et chacune en froid avec sa voisine. J'ai quelque part au niveau du coude gauche la couche de graisse et de nerfs qui s'apparenterait à la culpabilité. Un truc directement relié au poing par un tendon à fleur de peau et comme une corde de piano : pas besoin d'y toucher fort pour qu'il réagisse au quart de tour et n'emboutisse des murs ou quelques nez tournés dans ma direction. Plutôt ferrugineux, y'a le pessimisme, présent dans un bon tiers de ma cage thoracique volumineuse, qui se partage la place avec le côté je-m'en-foutiste de mon corps. Frangins par naissance et chacun cherchant à empiéter sur l'espace de l'autre, tout en étant généralement d'accord. Y'a bien sûr au milieu de tout ça ma tête mon cœur et mes couilles, des putain d’égoïstes qui ne s'entendent avec personne, pas même avec moi. Dans mon pied droit se tassent les remords, qui s'agitent les nuits courtes ou les journées sales. Et ils s'entendent bien avec les regrets, ce qui est assez rare pour le noter.
Là, on vient de finir une journée sale. La seconde sur les flots en compagnie d'une fille qui se prétend grande à cause de ses expériences et d'un vieillard qui se bloque le dos toute les trois heures parce qu'il se prend pour un jeune. Alors moi, comme le soleil descend lentement se cacher derrière un horizon qu'il prend pour son lit deux places et bien chauffé, je fume tranquillement en tenant la barre. J'essaie de pas trop penser à n'importe quoi – ce qui est clairement peine perdue – et m’abîme dans la contemplation des jeux de couleurs sur les nuages livides à cause d'une vie de merde. Même leurs dessins me donnent l'impression qu'ils veulent se suicider, les pauvres cumulus. Allez pleuvoir sur la tronche d'un monstre marin, il l'aura bien cherché, et ça aura tout d'une fin héroïque pour vous ; vous feriez presque peine à voir si vous aviez des émotions et des sentiments. Mais je me rends vite compte à mon pied droit qui bat frénétiquement une mesure visiblement acouphène que je retranscris une fois encore mes propres humeurs sur ces pauvres êtres blancs. D'une chiquenaude, je balance ma clope à la flotte et me tourne vers le vieux peintre qui, ostensiblement, a le mal de mer uniquement quand le soleil menace de se coucher.
T'as vraiment peur du noir ?
-'Si j'vois pas tout autour, comment qu'je fais pour peindre un truc de beau et d'fugace ?
Tu feras comme avec l'oiseau de paradis. Et tu la fermeras.
Une nouvelle nuit s'annonce, aussi longue et chiante que la précédente. Non pas que dormir au milieu d'un océan vide me pose des soucis, hein. Du moins pas plus que de dormir dans une baraque pleine de termites et bouffée par les flammes jusqu'au cœur. Mais c'est plutôt ne pas dormir au milieu d'un océan qui me fait chier. Entre le dégarni qui ronfle dans mon lit, le Cormoran qui RONFLE et la blonde qui... qui... rah merde alors. Elle y est pour rien cette fois. Con de réflexe, j'aurais vraiment cru pourtant. Bref, je passe des pseudo nuits blanches et je regrette presque le confort acide des rues de Hinu Town. Je regrette un peu plus à chaque heure qui passe. Tout en étant persuadé d'avoir fait le bon choix. Juste, faudrait que mon pied droit s'en rende compte. Et puis que niveau journée sale, j'ai déjà connu pire.
En parlant de ça, mes narines tiquent soudain et je tire la tronche. Ça sent le cramé. Et sur un navire, c'est jamais bon. Mais lorsque tu sors des entrailles du Berkois, pourtant pas bien profond, c'est l’œil goguenard et pour annoncer que le repas est prêt. J'arque un sourcil en te voyant plonger à nouveau dans l'une des cales aménagée en cuisine. Et je regrette de t'avoir demandé de faire la cuisine. Autant la première fois, t'as refusé avec un air dédaigneux, mais visiblement, devoir tenir la barre dans le soleil couchant pendant que je m'en occupais avait filé des idées saines et absconses au primé vieillard sans nom. Rapport à la lumière, ou une connerie comme ça. Il t'a peint, toi et un bout de Cormoran qui passait par là, en photobomb, et faut croire que ça t'a coupé l'envie de tenir la barre pour les prochains couchers de soleil. Et me voilà assis en tailleur devant un plat carbonisé quand tous les autres ont l'air vachement appétissants. Et vachement moins cuits.
« J'ai voulu faire flamber le whisky des fruits de mer... » m'explique-t-elle en guise d'excuse en haussant les épaules.
Je me demande si t'auras encore le goût des saloperies si je t'arrache la langue.
-'Tadakimasu !
-Braaaaaaak !
Ouais c'est ça. Bon app'.
Autant dire que j'ai pas mangé des masses. Et c'est un euphémisme.
Après le repas, la barbu se propose pour faire la vaisselle et le Cormoran se blottit à ses pieds et s'endort, la tête entre ses ailes, secoué de hoquets. Sans doute à cause de son allergie qui ne l'empêche pourtant pas de dormir à poings fermés malgré que le vieux fredonne un air guilleret qui avait dû inspirer à Mozart son Requiem. Je retourne faire semblant de digérer mon repas déjà assimilé et me promets que demain, c'est moi qui ferai à manger. Toi, tu allumes une lampe à huile avant qu'il ne fasse trop sombre pour qu'on ne puisse plus y voir. Je garde le cap vers l'Ouest, comme nous l'avait indiqué la dame qui tenait la prison/vente de tapis à Là-Bas. Vers la lumières résiduelle du soleil couchant. Mon étoile du berger. Parce que mine de rien, j'aime pas trop la nuit non plus. Trop sujette à hallucinations dans le noir et les ombres. Ouais, ça me fait chier d'écrire des conneries comme un puceau qu'aurait vécu un drame familial avec morts atroces et images traumatisantes et terreurs nocturnes et plein de trucs sombres, mais putain c'est douloureux comme c'est vrai en fait. Mon pied s'agite un peu plus vite et finit par instaurer dans le silence d'une mer paisible un métronome qui m'aurait agacé à ta place. J’oublie ta présence. Peut-être est-ce la même chose pour toi, ton regard plongé dans le lointain, vers l'horizon que je cible avec une détermination que je sais fabriquée de toute part, falsifiée par mes désirs inavoués de pardon et mes penchants coupables qui m'empêchent de fermer l’œil, certaines nuit, sans les y voir, toutes les deux, les orbites vides, les mains tendues dans cet appel auquel jamais je n'aurai
« Je savais qu'il y avait un truc étrange. »
Je sursaute presque alors que tu m'arraches à mes pensées grotesques. Le monde s'illumine à nouveau des couleurs que mes yeux ont savamment occultées et je t'en serais presque reconnaissant. Je grogne un coup, parce que je sais pas quoi dire d'autre pour l'instant et que, de toute façon, je suis pas sûr que j'aurais pu articuler quoique ce soit de compréhensible d'ici les cinq prochaines secondes et j'attends la suite de ta phrase.
« C'est pas le soleil. C'est une île »
Tu veux parler de la lumière que je suis ? Sérieusement ? Vache d'éclairage sur la suivante. J'espère au moins qu'elle aura un nom l'île cette fois-ci. Je veux dire un vrai quoi.
Et comme tu le disais, il faut moins d'une demi-heure pour que la ville se découpe dans le ciel noir qui lui sert d'arrière plan.
Les tours sont gigantesques. Elles ont peut-être la taille d'une tour Eiffel. Et les tours sont nombreuses. Pas moins de dix, concentrée sur la côte Sud, avec deux ou trois légèrement vers le centre. Le reste de l'île est très large, vraiment vaste. Je ne suis pas sûr d'arriver à discerner l'horizon des côtes et des flots, mais en revanche je vois clairement la montagne, au Nord, qui borde la ville mais dont je perçois les flancs rapiécés, usés, écornés, érodés. Mais les tours, elles, fument. Comme si en leur cœur se terrait un Dragon géant ou des fourneaux d'Erbaf. Mais le plus fantastique reste cette lueur irréelle qui illumine la voie et les cieux. J'aurais presque l'impression de regarder Rome sous le joug de Nero.
Et c'est là qu'on va...
Mais si je devais être honnête avec moi-même, ce qui reste à la fois extrêmement facile et d'une difficulté frustrante, je ne pourrais même pas regretter d'être parti. Parce que j'ai troqué un non foyer contre un non foyer. Parce que j'ai échangé une errance psychologique contre une errance physique. Parce que je n'ai pas su me débarrasser de mes défauts ou de ma violence. Mais aussi parce que j'ai envoyé bouler ma solitude d'un revers, que j'ai ouvert une porte que j'ai toujours craint de pousser, et que j'entame enfin mon pèlerinage vers le repentir. Pourtant, je me demande vraiment
Mais pourquoi j'ai pris ce Con avec moi ?