Sarko ? T'es toujours là ?
…
Ça fait deux jours que tu restes planté ici, faut te bouger, on a besoin de toi ailleurs.
Il peut pas mourir, pas lui non plus.
Sarko…
Marone, puis Salem… puis tous les autres à Drum… et tous ceux de Jaya maintenant…
Sarko…
Pas un de plus… Pas lui, c'est la goutte de trop. Pas deux capitaines de suite…
Viens là.
…
…
Qu'est-ce qu'on vaut, s'il meurt ? Hein ? Qu'est-ce qu'on vaut Ketsuno ?
J'sais pas Sarko, j'sais pas.
J'veux dire, c'est notre boulot, non ? D'être là pour lui ? On est ses subordonnés, ses défenseurs ! On devrait pouvoir barrer la route aux ennemis qui veulent sa tête ! On devrait être ceux qui meurent avant lui ! C'est comme ça que ça devrait se passer, pas vrai…?
Mais lui il a toujours été différent. Il a jamais voulu que les autres se mettent à sa place. Salem était…
…était pareil, ouais. Ils font tous ça, ces héros…
Il se sera battu jusqu'au bout, Sarko.
DIS PAS ÇA ! C'est comme s'il était déjà parti !
Excuse moi…
Non, excuse moi, plutôt… J'ai pas beaucoup dormi…
Il sait encaisser, tu sais, il s'est toujours fait casser la gueule et il s'est toujours relevé.
Mais tous les médecins du Lév' s'y sont mis pour le soigner merde ! Que des diagnostiques négatifs ! Que des diagnostiques négatifs ! Combien de temps tu penses qu'il peut rester là, dans l'coma, branché sur intraveineuse toute la journée à respirer par poumon artificiel ?! Ils ne savent même pas comment le réveiller ! C'est stupide ! STUPIDE !
Arrête de crier Sarko… ça sert à rien.
Pourquoi tu dis ça ? Pourquoi ça servirait à rien ? Si même la science a pas réussi à le faire s'relever, pourquoi crier servirait à rien ? Peut-être que c'est m'égosillant comme lui que j'vais le faire sortir de sa torpeur ? Qu'est-ce qu'on en sait ? Hein ? Réveille toi Oswald ! Réveille toi OSWALD ! Merde…
On est tous en mode survie. Pour chacun de nous il manque un truc. T'es pas le seul à le prendre mal.
Toi on dirait même pas que ça te dérange. C'est comme si t'en avais rien à foutre. C'est parce qu'il s'éparpillait trop à ton goût, hein ?
On le vit tous différemment Sarko…
Toi t'as déjà perdu Salem alors t'en a plus rien à foutre, c'est ça ? Tu t'en fous de l'avenir de l'équipage ? Presque tous les hommes du navire, ce sont les hommes que Oswald a formé lui-même à Navarone ! Ce sont ses hommes À LUI ! S'il s'en va, ils écouteront qui putain ? ... Hé... Où tu vas ?
À plus Sarko... On se reverra quand t'auras les idées plus claires.
Putain… merde… Oswald…
Le chevet.
Salut.
Salut. Hm. On se connaît ?
Non, on se connaît pas. J'viens surveiller l'état du commodore.
Vous êtes... toubib ?
J'en ai pas la gueule, mais ouais.
Je... C'est pas ce que je sous-entendais. Désolé. Dites moi sincèrement si vous pensez qu'il s'en sortira ?
S'il en a envie, probablement. Sinon, non.
Comment ça ?
Quand la vie et la mort font match nul, c'est le mental qui départage. La science fait pas dans le miracle. L'esprit, si.
Et vous pensez que... ?
... j'en sais rien.
...
...
Vous le connaissiez bien ?
J'ai pu lui causer.
J'aime pas entendre un médecin me parler de miracles...
Faut bien se raccrocher à quelque chose. Devenir un héros durant une telle boucherie, ça tenait déjà du miracle.
Et s'il s'en sort, dans quel état ? Un légume baveux ? La cervelle en compote ? Son équipage lui servira plus qu'à lui changer ses couches ? Vaut mieux qu'il crève en héros, ou qu'il vive sans dignité ? Putain ! Y a pas d'issue...
Bah. Si je raisonnais comme ça, j'aurais plus qu'à bouffer ma blouse.
Z'avez l'air optimiste, vous. Malgré votre gueule d'enterrement, sans mauvais jeu de mot. Et vos cernes qui vous coulent jusqu'aux joues.
J'ai oublié comment dormir.
Vous lui avez causé quand ? J'vous avais jamais vu.
Peu après le débarquement d'ma troupe. On a fait connaissance... hmmm.
Quoi ? Votre nez, quoi ?
Rien. Il me démangeait.
...
Tout le monde attend son retour. Ça m'étonnerait qu'il abandonne.
Et...
Chacun de nous est une raison pour lui de s'accrocher. Autant de liens qui l'attachent à sa petite vie. Il se sait ciment d'une famille solide et unie.
...
On gamberge, dans un coma comme le sien. Il est pas seul dans l'noir complet, au contraire. Ses souvenirs l'escorteront jusqu'à la fin de son voyage, peu importe où il termine. Il va voir sa vie défiler, encore et encore. J'espère qu'il appréciera son film. Et qu'il en redemandera, hinhin.
Votre sourire...
J'espère qu'il voudra écrire une meilleure fin à son histoire. Moi, j'ai pas arrêté. De frôler la mort. La mort colle un nouveau sens à tout ce qui l'a précédé. Comme la fin d'un bon bouquin. L'auteur de mon bouquin à moi, il m'envoie des hordes de péripéties à la gueule. Il m'emporte dans des tempêtes qui m'arrachent mes racines. Secoue mes profondes convictions, s'attaque à ce que j'aime, aux gens auxquels je tiens. La finalité ? Devenir quelqu'un de bien. Un héros, qui sait de quoi il parle. Je mourrai pas tant que ce sera pas fait.
Excusez moi...
Mais l'auteur de Jenkins ? Il lui a refilé la gloire, la reconnaissance, la satisfaction de contempler sa justice triompher, et surtout, surtout, merde, une franche famille. Ce genre d'histoire... ça se termine bien. Toujours. Non ?
Vous êtes vraiment médecin ?
Bref. Ses constantes sont stabilisées. Sonnez moi si l'un des bidules bippe trop fort...
Oui, oui. Merci. Pour ce que vous faites.
Hmm.
Salut. Hm. On se connaît ?
Non, on se connaît pas. J'viens surveiller l'état du commodore.
Vous êtes... toubib ?
J'en ai pas la gueule, mais ouais.
Je... C'est pas ce que je sous-entendais. Désolé. Dites moi sincèrement si vous pensez qu'il s'en sortira ?
S'il en a envie, probablement. Sinon, non.
Comment ça ?
Quand la vie et la mort font match nul, c'est le mental qui départage. La science fait pas dans le miracle. L'esprit, si.
Et vous pensez que... ?
... j'en sais rien.
...
...
Vous le connaissiez bien ?
J'ai pu lui causer.
J'aime pas entendre un médecin me parler de miracles...
Faut bien se raccrocher à quelque chose. Devenir un héros durant une telle boucherie, ça tenait déjà du miracle.
Et s'il s'en sort, dans quel état ? Un légume baveux ? La cervelle en compote ? Son équipage lui servira plus qu'à lui changer ses couches ? Vaut mieux qu'il crève en héros, ou qu'il vive sans dignité ? Putain ! Y a pas d'issue...
Bah. Si je raisonnais comme ça, j'aurais plus qu'à bouffer ma blouse.
Z'avez l'air optimiste, vous. Malgré votre gueule d'enterrement, sans mauvais jeu de mot. Et vos cernes qui vous coulent jusqu'aux joues.
J'ai oublié comment dormir.
Vous lui avez causé quand ? J'vous avais jamais vu.
Peu après le débarquement d'ma troupe. On a fait connaissance... hmmm.
Quoi ? Votre nez, quoi ?
Rien. Il me démangeait.
...
Tout le monde attend son retour. Ça m'étonnerait qu'il abandonne.
Et...
Chacun de nous est une raison pour lui de s'accrocher. Autant de liens qui l'attachent à sa petite vie. Il se sait ciment d'une famille solide et unie.
...
On gamberge, dans un coma comme le sien. Il est pas seul dans l'noir complet, au contraire. Ses souvenirs l'escorteront jusqu'à la fin de son voyage, peu importe où il termine. Il va voir sa vie défiler, encore et encore. J'espère qu'il appréciera son film. Et qu'il en redemandera, hinhin.
Votre sourire...
J'espère qu'il voudra écrire une meilleure fin à son histoire. Moi, j'ai pas arrêté. De frôler la mort. La mort colle un nouveau sens à tout ce qui l'a précédé. Comme la fin d'un bon bouquin. L'auteur de mon bouquin à moi, il m'envoie des hordes de péripéties à la gueule. Il m'emporte dans des tempêtes qui m'arrachent mes racines. Secoue mes profondes convictions, s'attaque à ce que j'aime, aux gens auxquels je tiens. La finalité ? Devenir quelqu'un de bien. Un héros, qui sait de quoi il parle. Je mourrai pas tant que ce sera pas fait.
Excusez moi...
Mais l'auteur de Jenkins ? Il lui a refilé la gloire, la reconnaissance, la satisfaction de contempler sa justice triompher, et surtout, surtout, merde, une franche famille. Ce genre d'histoire... ça se termine bien. Toujours. Non ?
Vous êtes vraiment médecin ?
Bref. Ses constantes sont stabilisées. Sonnez moi si l'un des bidules bippe trop fort...
Oui, oui. Merci. Pour ce que vous faites.
Hmm.
-Oh ! Vous tombez bien, je
-Qu'est-ce que vous voulez ?
Elle a le regard acerbe et le ton tranchant. Okay, je tombe mal, c'est pas le moment. Puis d'ailleurs, c'est limite malsain. Je venais pas là pour ça. Je tourne sept fois ma langue dans ma bouche pour trouver une sortie pas trop compromettante. Lui parler d'Owen et d'Andy sur le seuil de la chambre de Jenkins, c'est même plus de la maladresse ; c'est de l'erreur diplomatique majeure. J'sais pas ce qui me prend, en ce moment. J'ai pas le quart de la jugeote de Jeska ; c'est pas peu dire.
-Si c'était pour me parler des deux salopards de l'autre jour, vous faites bien de la boucler, lieutenante.
-Vous êtes injuste. Ce que je voulais, c'était
-Comment, injuste ?
Sa main m'attrape au col. Je l'ai pas vu venir, et je cherche pas à me dégager ; j'suis brutalement plaquée contre un mur, une rangée de phalanges collées au menton, le regard de la haine enfoncé dans le mien, qu'essaye de rester calme. Rester calme pour pas m'emporter, ce qui reviendrait à cramer littéralement les alentours ; ou à geler Ketsuno sur place. Ce que je veux pas, même si ce qu'elle dit me fait l'effet d'un bloc de glace dans la poitrine.
-... vous souhaiter la bonne année.
-Je vous demande pardon ? Vous vous foutez de ma gueule, en plus ?
-Vous êtes la seule que j'avais pas encore vue depuis la fin.
-Oh.
Elle me lâche, mais reste soupçonneuse ; et me retourne le souhait du bout des lèvres. Sarkozyzy ne tarde pas à suivre sa démarche furieuse. Les yeux tellement cernés qu'on croirait des tranchées minées, mais un sourire imperceptible aux lèvres, il me percute pas plus que si j'étais un tonneau vide. Alors, la paume contre la porte, je souffle un coup ; et j'entre. Ça sent encore le squale marécageux. Il a du sortir en douce y'a pas longtemps. L'aération fonctionne à blinde pour éviter l'air stagnant.
-Salut Oswald.
La chambre déborde d'instruments branchés d'un peu partout, qui ronronnent comme de gros chats aux aguets. Je me trouve une place, sur l'une des chaises calées un peu partout autour du pieu. La nuit est tombée depuis longtemps. Je viens de finir mon service à l'infirmerie, et j'ai pris le temps de me doucher avec la bouteille d'antiseptique avant de venir. J'ai vu les ravages de la fièvre de Jaya sur les blessés, les débuts de gangrène et le reste. Ça m'a fait tellement flipper que j'en ai oublié que les vrais vétérans y étaient immunisés. Bilan, je pue le formol. Si jamais t'as encore conscience des odeurs, tu dois croire qu'on vient prendre tes mesures pour le cercueil... désolée, capitaine. J'suis pas présentable. Mais j'suis fidèle à moi-même. Je parle juste un peu plus, des fois que ça te fasse sentir que les vivants ont encore besoin de toi. Pas fort. Mais assez pour que t'entendes, si jamais.
-On se sent con dans ces cas là, commodore. J'aimerais pouvoir régler ça comme l'autre soir. Vous savez, ce soir avant Jaya, sur le pont du Leviathan. Partir ennemis et finir amis. C'était l'heure de l'apéro, même. Là, ce coup-ci, faut juste que vous vous reposiez... ouais. On a du vous le dire un paquet de fois, ça. Ça doit pas vous révolutionner votre journée ce que je vous raconte...
Je parle autant pour moi que pour toi ; pour me rassurer, me convaincre au plus profond qu'il te reste assez de vie pour toucher le fond et te propulser d'un coup de talon jusqu'à la surface ; pour faire en sorte que tu te sentes pas seul même si t'es dans les ténèbres, sourd, aveugle et paralysé. Nos voix à tous, elles pourraient peut-être faire office de guides, des lampions allumés comme pour te dessiner un chemin au milieu du silence. Non ? Aller ; ça coute rien, j'en allume un.
-Je compte sur vous pour pas nous laisser tomber. Sans vous, ça serait pas ça... je veux dire. Vous m'imaginez tenir le face-à-face avec Jeska ? Et Lilou... Wallace, Jaya, ça l'a rendu fou. Ceux de l'Hypérien sont des mecs biens, mais ça m'étonnerait qu'ils restent longtemps avec nous. Et puis même. De base, les équipages, c'est pas pour moi.
… ouais, je sais, je dis de la merde. De toutes façons, c'est pas ce qui compte. Vous êtes un espoir pour nous tous à bord, et c'est pas de la formule officielle, ça. Sincère comme on en voit jamais des comme ça dans les rangs, ou pas aussi haut. J'avais entendu parler de Jenkins comme d'un mec violent, bizarre et salement borné ; c'est vrai, vous l'êtes. Vous vous rappelez Navarone ? Je vous ai détesté ce jour là, avec vos lubies et votre putain d'insouciance gorgée de pouvoir. Mais vous êtes beaucoup plus que ce qui doit être listé dans votre dossier. Vous aimez vos gars. Si je vous avais pas rencontré, je serais peut-être restée à Jaya en trahissant les Rhinos. J'espère qu'on enregistre pas pour stocker dans les archives, tiens. Vous m'avez pas mal aidé à y croire alors que la marine, j'y ai jamais cru. Si vous voyez ce que je veux dire.
… au pire, c'est pas bien grave. Survivez. C'est tout ce qu'on vous demande. Ce que je te demande, chef. Survis.
…
…
-Qu'est-ce que vous voulez ?
Elle a le regard acerbe et le ton tranchant. Okay, je tombe mal, c'est pas le moment. Puis d'ailleurs, c'est limite malsain. Je venais pas là pour ça. Je tourne sept fois ma langue dans ma bouche pour trouver une sortie pas trop compromettante. Lui parler d'Owen et d'Andy sur le seuil de la chambre de Jenkins, c'est même plus de la maladresse ; c'est de l'erreur diplomatique majeure. J'sais pas ce qui me prend, en ce moment. J'ai pas le quart de la jugeote de Jeska ; c'est pas peu dire.
-Si c'était pour me parler des deux salopards de l'autre jour, vous faites bien de la boucler, lieutenante.
-Vous êtes injuste. Ce que je voulais, c'était
-Comment, injuste ?
Sa main m'attrape au col. Je l'ai pas vu venir, et je cherche pas à me dégager ; j'suis brutalement plaquée contre un mur, une rangée de phalanges collées au menton, le regard de la haine enfoncé dans le mien, qu'essaye de rester calme. Rester calme pour pas m'emporter, ce qui reviendrait à cramer littéralement les alentours ; ou à geler Ketsuno sur place. Ce que je veux pas, même si ce qu'elle dit me fait l'effet d'un bloc de glace dans la poitrine.
-... vous souhaiter la bonne année.
-Je vous demande pardon ? Vous vous foutez de ma gueule, en plus ?
-Vous êtes la seule que j'avais pas encore vue depuis la fin.
-Oh.
Elle me lâche, mais reste soupçonneuse ; et me retourne le souhait du bout des lèvres. Sarkozyzy ne tarde pas à suivre sa démarche furieuse. Les yeux tellement cernés qu'on croirait des tranchées minées, mais un sourire imperceptible aux lèvres, il me percute pas plus que si j'étais un tonneau vide. Alors, la paume contre la porte, je souffle un coup ; et j'entre. Ça sent encore le squale marécageux. Il a du sortir en douce y'a pas longtemps. L'aération fonctionne à blinde pour éviter l'air stagnant.
-Salut Oswald.
La chambre déborde d'instruments branchés d'un peu partout, qui ronronnent comme de gros chats aux aguets. Je me trouve une place, sur l'une des chaises calées un peu partout autour du pieu. La nuit est tombée depuis longtemps. Je viens de finir mon service à l'infirmerie, et j'ai pris le temps de me doucher avec la bouteille d'antiseptique avant de venir. J'ai vu les ravages de la fièvre de Jaya sur les blessés, les débuts de gangrène et le reste. Ça m'a fait tellement flipper que j'en ai oublié que les vrais vétérans y étaient immunisés. Bilan, je pue le formol. Si jamais t'as encore conscience des odeurs, tu dois croire qu'on vient prendre tes mesures pour le cercueil... désolée, capitaine. J'suis pas présentable. Mais j'suis fidèle à moi-même. Je parle juste un peu plus, des fois que ça te fasse sentir que les vivants ont encore besoin de toi. Pas fort. Mais assez pour que t'entendes, si jamais.
-On se sent con dans ces cas là, commodore. J'aimerais pouvoir régler ça comme l'autre soir. Vous savez, ce soir avant Jaya, sur le pont du Leviathan. Partir ennemis et finir amis. C'était l'heure de l'apéro, même. Là, ce coup-ci, faut juste que vous vous reposiez... ouais. On a du vous le dire un paquet de fois, ça. Ça doit pas vous révolutionner votre journée ce que je vous raconte...
Je parle autant pour moi que pour toi ; pour me rassurer, me convaincre au plus profond qu'il te reste assez de vie pour toucher le fond et te propulser d'un coup de talon jusqu'à la surface ; pour faire en sorte que tu te sentes pas seul même si t'es dans les ténèbres, sourd, aveugle et paralysé. Nos voix à tous, elles pourraient peut-être faire office de guides, des lampions allumés comme pour te dessiner un chemin au milieu du silence. Non ? Aller ; ça coute rien, j'en allume un.
-Je compte sur vous pour pas nous laisser tomber. Sans vous, ça serait pas ça... je veux dire. Vous m'imaginez tenir le face-à-face avec Jeska ? Et Lilou... Wallace, Jaya, ça l'a rendu fou. Ceux de l'Hypérien sont des mecs biens, mais ça m'étonnerait qu'ils restent longtemps avec nous. Et puis même. De base, les équipages, c'est pas pour moi.
… ouais, je sais, je dis de la merde. De toutes façons, c'est pas ce qui compte. Vous êtes un espoir pour nous tous à bord, et c'est pas de la formule officielle, ça. Sincère comme on en voit jamais des comme ça dans les rangs, ou pas aussi haut. J'avais entendu parler de Jenkins comme d'un mec violent, bizarre et salement borné ; c'est vrai, vous l'êtes. Vous vous rappelez Navarone ? Je vous ai détesté ce jour là, avec vos lubies et votre putain d'insouciance gorgée de pouvoir. Mais vous êtes beaucoup plus que ce qui doit être listé dans votre dossier. Vous aimez vos gars. Si je vous avais pas rencontré, je serais peut-être restée à Jaya en trahissant les Rhinos. J'espère qu'on enregistre pas pour stocker dans les archives, tiens. Vous m'avez pas mal aidé à y croire alors que la marine, j'y ai jamais cru. Si vous voyez ce que je veux dire.
… au pire, c'est pas bien grave. Survivez. C'est tout ce qu'on vous demande. Ce que je te demande, chef. Survis.
…
…
Hé, Oswald. C'est Freyga. Freyga Hijiro, le frère de Staline. On m'a laissé venir voir ce dont t'avais l'air après notre combat… Har… har…
J'écoutais la petite par le hublot et… snif… c'était émouvant quand même. Tous ces gens, comme ça, qui viennent attendre que tu te relèves. On dirait qu'ils espèrent tous être les élus de ton réveil, ceux qui seront là au moment où tu ouvriras les yeux. "Survis. Chef." C'est c'qu'elle a dit… On te demande même plus de vivre, l'ami, on te demande de survivre. Survivre ? C'est juste le début de quelque chose, ça, c'est même pas un accomplissement… Survivre… Tu peux pas que survivre Oswald. Non. Tu peux pas. Toi, tu vis à cent à l'heure, tu survis pas. Survivre, c'est pas un truc de guerrier, tu le sais autant que moi. Au combat, il y a ceux qui vivent et ceux qui meurent.
Si j'suis toujours vivant et que Flist l'est aussi… ça veut dire que c'est toi celui qui doit mourir, non ?
… La petite a raison, t'es un mec borné Jenkins. Et t'es assez borné pour déjouer la Faucheuse, alors arrête ton cinéma et relève toi, parce que putain, tu peux pas mourir. Y te reste pas mal de mes frères à tabasser, des rêves à réaliser, des méchants à arrêter… Je sais pas moi, mais vis quoi, VIS.
Comment on va faire pour se remettre sur la gueule si tu meurs, hein ? Comment tu veux qu'on fasse ? Je veux bien essayer, moi, de me battre, mais quand y'a personne pour te remettre le coup, ça sert à quoi ? Tu peux me le dire ça ? Tu peux te réveiller, là, quelques secondes, pour m'expliquer à quoi ça sert de se battre… quand ton adversaire t'a délaissé …?
Oh ça ? C'est juste la brise marine qui condense dans ma barbe. Nan j'te dis, c'est pas une larme. J'suis pas une fillette quand même. Oh arrête, je pleure pas j'te l'jure !
…
Allez. À plus Double Face.
Excusez-moi.
Euh, vous êtes qui vous ?
Oh, ça…
Vous avez pas l'droit d'entrer sans permission ! Et j'vous ai jamais vu d'ma vie ! Vous avez même pas d'uniforme ? Mais vous êtes qui ?
Oh, tassez cet arme de mon visage ! Je suis là pour me recueillir aussi.
… Vous le connaissiez ?
Pas spécialement, mais je suis tout de même venu payer mes hommages.
… Qu'est-ce qui vous amène ici ?
Le Destin, j'imagine.
Hein ?
Il est comme ça depuis plusieurs jours déjà, n'est-ce pas ?
Oui…
C'est parce qu'il est rongé par son démon.
Mais de quoi vous parlez ? Vous êtes médecin ?
Non, mais je sais que parfois, il faut se débarrasser d'une partie de soit pour progresser. Et c'est ce qui retient Double Face.
Oh, mais qu'est-ce que vous faites là ? Le touchez pas !
Trop tard, c'est fait.
Qu'est-ce qui est fait ?
Vous me remercierez une autre fois. Bonne journée.
Hé, mais restez ici j'vais vous faire arrêter merde ! Ne sortez pas par le hublot !
Essayez de m'en empêcher pour voir.
… Il est parti. Mais qui c'était …
S … Salut Oswald.
J’ai mis du temps à venir.
Je sais. J’étais … pas bien. Jaya c’était pas une sinécure, hein ? ‘fin … voilà. Je suis là. J’ai un peu trop forcé, j’ai dû me faire mettre au vert.
Faut dire que tu m’as pas offert un beau spectacle … Tu aurais dû me voir, t’aurais certainement ricané du sort. Le Docteur en proie à ses démons. J’ai … j’ai failli tuer Flist. Enfin, je le voulais. Rei, toi. Tous les autres qui sont morts à cause de ses actions. Ça m’a …
Ça m’a …
Hm.
Tes constantes vitales ont l’air bonnes. Le … le machin est pas plat. C’est déjà ça.
J’ai verrouillé la porte, j’ai besoin … d’un moment seul. Tu sais, j’ai beaucoup réfléchi à tout ça. À tout ce qu’il s’était passé. Les rapports que j’ai allégés de quelques pages. Mes mémentos légèrement altérés … Si … si j’avais pas fait ça, le Léviathan serait pas parti. Il serait resté à quai après Drum ou on aurait fait demi-tour ? Salem serait pas …
Personne serait mort tu sais ? Vos carrières auraient été terminées, mais une carrière dans la Marine, aussi reluisante soit-elle … ça vaut la mort ? Enfin, le prix d’une vie … J’en sais trop rien, trop rien … Si on avait pas agi, Flist aurait encore fait des victimes mais … mais j’ai changé. J’ai … voulu tuer quelqu’un. Tuer quelqu’un, bon sang. Ça m’était pas arrivé depuis …
Tu m’écoutes ?
Non, tes pupilles bougent à peine. La lumière te fait rien. Tu rigoleras, mais on m’a affirmé qu’un étranger était venu te voir ici. Tant de monde pour toi … C’est ça la … la famille ? J’en sais rien, tu sais. J’ai jamais eu ça avant. Peut-être pour ça que je me suis laissé abuser … que j’ai cédé. Que j’ai cru vous aider.
J’ai travaillé d’arrache-pied pour te remettre droit, mais rien à y faire. J’suis un expert de ce qu’il se passe au fond du crâne, dans le subconscient … Là, dans tes veines … je peux rien faire. Comme si un malin s’amusait à t’injecter du granit marin petit à petit. Sadiquement … Piètre métaphore, hein ? Tu …
Non. Ce n’est pas un adieu. Pas du tout. Je fais pas partie de cette tripotée de gens qui reviennent pleurer sur tes draps. Mince. Voilà que j’y mets mon sang … attends, je nettoie. Hm. C’est pire.
Bon, ça se voit pas trop. Mes blessures me font un peu mal. Encore. Craig est vraiment très doué tu sais ?
Faut que j’arrête de tourner autour du pot. J’ai … Hm. Dans ces phases là, y’a que l’esprit qui peut aider, il paraît. Enfin,tu me connais. Je sais que l’esprit peut faire force sur le corps. Toi-même tu l’as prouvé. Hein, Jenkins ? Hé hé. Bien sûr que tu m’entends. Je serais fou de parler dans le vide comme ça.
Avec KETSUNO qui m’écoute à travers la porte.
Hé hé. Non, t’inquiète, elle pensait que je l’entendrais pas. Elle met beaucoup trop de parfum. J’ai remarqué qu’elle avait tendance à se maquiller bien plus, à se mettre en valeur mieux qu’avant. Ça traduit un profond besoin de ne pas se sentir seule chez elle. Oui, tu sais, depuis que Salem est …
Ahem.
Ton pouls a l’air régulier. Toujours pas de réaction aux stimuli lumineux. Les analyses sanguines on révélé que t’étais pas malade. C’est qu’un simple … coma. On en sort. On en sort pas. Enfin, toi t’en sortiras. Tu m’as dit que tu lutterais jusqu’à la fin. Donc c’est ce que tu feras.
Au moins tu respires tout seul, sans assistance. C’est un très bon signe ça.
Bon. Je tourne autour du pot. J’ai … j’ai plein de choses à te dire. On m’a dit qu’il fallait penser à moi, arrêter d’intérioriser tout ce qui se passait dans ma caboche. Le psy’ qui a besoin d’un psy’. C’est plutôt caustique comme humour.
Si tu te réveilles maintenant, t’as … t’as le droit de te moquer de mon physique. Allez, Os’. Hmpf. Ouais.
Bon.
D’accord.
Je … j’ai pas toujours été un Wallace bon médecin. J’ai pas toujours été quelqu’un de recommandable – si je le suis à présent. Y’a pas si longtemps que ça, je vivais dans les égouts. Dans le coin de … hm. Pas d’importance. Mon aspect m’a jamais valu la chaleur d’un foyer. Pire encore, c’était une maladie. Tu comprends pourquoi je me suis caché avant qu’on ne m’enferme pour une batterie de tests. Ma pathologie pourrait me valoir une place de cobaye dans …
Je m’égare.
Toujours est-il que j’ai un jour été poussé à bout. Une seule fois … Jaya c’était la seconde. La première fois, SAM n’était pas là. Tu … tu es le premier à qui je dis ça. Tu sais ?
Pas de réaction rétinienne …
Oswald … Bon. Je continue. Tu comprendras que j’ai du mal à arriver à la fin de cette histoire.
Donc j’ai voulu me racheter. J’ai beaucoup lu, beaucoup appris. Puis je suis entré dans la Marine, pour protéger et servir. J’avais fait une sorte de vœux de paix à l’époque. Donc on m’a relégué à la brigade scientifique et mon parcours a été plus long et chaotique que quiconque. Je me suis versé dans la médecine pour ne plus laisser mourir personne. Pour que chacun considère à quel point le cadeau d’une vie est précieux. Qu’avoir une seconde chance n’est pas donné à tout le monde.
Une seconde chance. Tu sais. C’est important d’avoir une seconde chance. Tu ne penses pas ? Pouvoir repartir à zéro, sans les liens qui nous enchaînaient. Savoir ce que l’on aurait pu faire en d’autres circonstances.
…
Quand je suis arrivé sur le Léviathan, c’était comme entrer dans une famille. Je sais pas pourquoi, mais vous étiez si disparates, si dissemblables que j’ai trouvé une petite place dans cette dissonance. Oh, bien sûr, ça n’a pas été tous les jours facile mais … il était incroyable de voir à quel point les hommes bons pullulaient ici. De voir que protéger et secourir étaient le mot d’ordre. Loin des considérations politiques. Loin des échauffourées de la magistrature. Sur les flots. Libre d’aider qui bon nous semblait. Qu’il fut Sirène, Corsaire ou Amiral. Tu t’en souviens hein ? C’était … Je crois que ça reste un de mes meilleurs souvenirs ici. Des hommes acharnés à sauver une vie …
Puis Salem a …
Je … je dois t’avouer quelque chose, Oswald. Une promesse que j’ai fait le serment de ne pas rompre. Mais il y a des jours où cela n’importe plus. Des jours où les promesses ne sont que des chaînes qui vous entraînent dans les abysses. Je … je me libère de ce fardeau. Je …
Je sais pas comment le dire. Je crois que ça fait déjà dix minutes que j’essaie de trouver une bonne introduction. Mais je n’y arrive pas.
Bref.
Autant le dire de but en blanc.
…
…
Salem …
Hm. Ce serait bête de lâcher une larme pour si peu.
…
Salem est vivant.
Voilà. C’est dit.
Je … je …
C’est un secret que je garde depuis Alabasta. J’ai promis de …
Ça n’a plus d’importance, mais j’ai voulu vous le dire tant… tant de fois. Mes lèvres étaient scellées par ce fardeau tu sais. Votre douleur, je la partageais, je la vivais au centuple. Mais Salem … tu l’aurais vu, sur la plage … Je pouvais pas …
J’ai essayé de faire au mieux. De trouver la meilleure solution. Regarde tout ce que j’ai causé. Si je te l’avais dit dès le départ, est-ce que tu serais dans cet état ? Est-ce … est-ce que tu m’aurais pardonné ?
Non … c’est pas un adieu.
Os … Oswald ?!
Ah … non. J’ai cru un instant que tes pupilles … mais non. Hm. Je suis vraiment désolé. Sincèrement. Du plus profond de mon âme. Tout ça, c’est ma faute. Je … je suis qu’un monstre au final. Qu’un sale monstre à peau d’homme. J’ai trouvé une famille et je l’ai menée à la mort. À la fin. Je suis vraiment misérable.
‘fin … Voilà. Je vais présenter ma démission. Je vais rentrer sur les blues, ouvrir une boutique. Un petit troquet qui paye pas de mine. Je vais enterrer ma vie ici et arrêter de me prêter un destin que je n’ai pas. Je suis qu’un monstre, je suis que Wallace Johnson. J’ai pas ma place ici. Après tout, c’était couru d’avance non ?
Hm. Ketsuno est vraiment pas discrète tu sais. Je vais lui dire de te changer les draps. J’ai … Je commence à trembler, je dois aller chercher mes médicaments. Tu me verrais, j’ai perdu au moins trente kilos. Pitoyable de corps et d’esprit. Je … à … demain. On se revoit demain, Oswald, hein ? Lilou m’avait donné vingt minutes … Je crois que je vais me faire sermonner. Après tout, je suis en convalescence moi aussi …
De toute façon on va être interromp…
Non, Kestuno. Je ne lui ai pas dit adieu. Je lui ai dit à demain. Bien sûr non, il ne mourra pas. C’est Oswald Jenkins. C’est Double Face.
Et vous savez quoi, Kestuno ? Double-Face est immortel.