Voilà deux jours que j’observe l’équipage des Chopés. Par chance, j’ai pu arriver avant eux et cacher mon embarcation dans un bosquet, pas loin de la plage. Les légendes parlent d’un monstre, alors j’évite quand même de rentrer trop profondément dans les terres. Pas que ça à faire de vérifier les mythes du coin.
Sur l’île, pas de civilisation, rien. Enfin, peut être cachée, mais j’ai pas spécialement le temps de les chercher. Et ça ne me servirait à rien. Peu de temps après mon arrivée, bon coup du hasard, un imposant navire pirate est apparu à l’horizon. Barry, te voilà enfin. Et depuis qu’ils ont débarqué sur une immense plage, je les espionne.
Effectivement ils sont très nombreux. J’ai essayé à plusieurs reprises de les compter, mais rien à faire. On dépasse certainement les cent hommes. Voire cent vingt.
Fichtre.
Durant toute la journée qu’a duré mon observation, Barry s’est baladé parmi ses hommes, donnant des coups de chope de partout. Crainte, ou respect ? Un peu des deux je dirais. Trois lieutenants toujours collés à lui, appliquant les sanctions qu’il donnait à ses matelots pour diverses raisons. Vêtements salles, sacs mal positionnés, ou que sais-je encore. Tout semblait bon pour recevoir une punition.
Crainte.
Pendant ce temps, quelques gus arrivaient sur des barques de fortune, certainement ayant entendu parler de l’équipage des Chopés qui faisait halte ici, et désireux de se faire recruter. Tous sans exception ont été acceptés. Mais pourquoi la Marine avait-elle tant de mal à avoir ce type d’information, alors que tous ces clampins savaient très bien où trouver Barry et parvenaient à s’y rendre sur une coque de noix ? Mystère…
Le soir, concours d’alcool. Personnellement, j’ai préféré me « saouler » au café. Question de personnalité. Point central du concours : Barry. Non seulement il se bat avec sa chope, mais en plus il sait la vider à une vitesse inégalable, sans en renverser une seule goutte à côté. Et il y a mieux : chez les Chopés, il y a une tradition : renverser de l’alcool étant considéré comme un crime pour eux, si quelqu’un est surpris à en faire tomber il écope d’une sanction. Courir à poil autour de la plage. Très spirituel.
Finalement, Barry est resté le seul debout, complètement ivre mort, donnant des coups de son arme favorite dans les corps saouls étalés partout. Grand gagnant du concours, plusieurs litres de rhum ingurgités, une vessie vidée des dizaines et des dizaines des fois. Finalement, il est retourné dans son navire avec une chaloupe, ramant de travers, pour y passer la nuit.
Respect.
J’y ai vu l’opportunité de tous les attacher pendant leur coma et de tuer Barry, pour toucher la prime d’une manière aisée. Mais je me suis rapidement ravisé, préférant la sûreté à la précipitation. Car il aurait suffi d’un réveil impromptu pour alerter tout l’équipage. Et j’avais pas tellement l’envie de me prendre une centaine de pirates sur la tronche.
J’suis pas fan des challenges de ce type. J’suis trop vieux pour ces conneries.
Donc j’ai profité de leur ivresse pour dormir à poings fermés.
Et maintenant, nous sommes le lendemain matin. Réveillé par la lumière du jour, j’émerge rapidement et jette un œil à mes futures proies. Toujours là, étalés dans la même position qu’hier. Des loques.
Rapidement, voilà que revient Barry, toujours en chaloupe. Il a l’air frais, même pas de gueule de bois. Alors il crie à tout le monde de se réveiller, qu’il est temps d’arrêter les conneries, et que « tiens pendez moi ce type ». Comme ça. Alors bien entendu, tous s’exécutent comme ils peuvent, et le pauvre zouave qui a rien fait se retrouve pendu. Comme ça. Mais bon, ses bourreaux doivent s’y reprendre à plusieurs fois !
Déjà, pas foutus dans leur état de faire un nœud coulant. Pas les yeux en face des trous. Il y en a même un qui s’attache les pieds en essayant d’appliquer une soi-disant technique infaillible. Mouais. Ensuite, ils essayent de le pendre en tenant la corde bien haute. Et dans leur état, c’est juste pas possible. Après, c’est « ah je sais, monte sur une chaise ! ».
…
J’vous l’fais pas dire. Du coup, quand la lumière est parvenue à leur cerveau engourdi, ils comprennent que faut utiliser un arbre. Et voilà qu’ils y arrivent. Enfin, du coup ils ont perdu la victime, qui a réussi à s’enfuir. En rampant. Et il s’est caché ! Sous un brin d’herbe.
Je crois que j’ai rarement vu quelque chose d’aussi pathétique. J’en viens presque à me marrer tout seul dans mon coin, mais je me retiens. Après une demi-heure de recherches en tournant autour de lui, ils mettent enfin la main dessus et le pendent. Par les pieds.
Ouais.
Bon, du coup, le condamné vomit ses tripes et se noie dans sa gerbe.
Ouais.
Sur ce, une idée de génie me vient. Un moyen de m’intégrer immédiatement à l’équipage et en me faisant bien voir. Bon, le risque c’est que je me fasse trop remarquer, mais bon… Pour que mon plan final se déroule correctement, je pense devoir passer par là.
Alors je prépare mon attirail à café et j’emmène tout l’outillage sur la plage, me faufilant entre les pirates zombifiés par la gueule de bois. Certains me regardent bizarrement, se demandant qui je suis, mais je n’y prête pas attention. Et puis, la plupart ne me voient même pas, alors…
Et je commence à préparer un café bien noir et bien fort en quantité industrielle. J’en offre à tout le monde, leur disant que ça ira mieux après. Et je suis sincère, là, pas de coup fourré, rien. Vraiment une solution à leur gueule de bois. Après tout, je dois rejoindre l’équipage, pas vrai ?
Au bout de quelques temps, plusieurs reviennent à un état plus ou moins normal, notamment l’un des lieutenants de Barry. Il me remercie, remarquant au passage qu’il ne me connaît pas. J’en profite pour me présenter, Bartimeus que j’leur dis. Juste ça, parce que si je dis le nom complet ses neurones vont sauter. Et il va vouloir abréger ça en Blue. Et peut-être qu’il fera le lien avec le chasseur de primes, et ça, ça ne me plairait pas tellement.
Du coup, me voilà dans leur équipage.
Super ! On part quand ?
Ah.
Dans une semaine.
Long.