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A deux pas et demi du Paradis

Lorsque j'avais lu dans le rapport préliminaire les  termes de « Messies » et de « Temple »,  j'avais craint d'avoir à faire face à une sorte de secte bizarre angesque, soit totalement déphasée de la réalité en mode ultra méditatif, soit en grosse anarchiste aux tendances sacrificielles sanguinolentes. Il se trouva que Héailleutou n'était rien de cela. Le Temple n'était en soi pas si différent architecturalement des autres maisons : pas de fronton audacieux, pas de décoration particulière. A quelque chose près, il passait pour un manoir, une habitation plus luxueuse que les gentilles maisonnettes de nuages que j'avais rapidement vu lors de ma traversée express de la ville.
La salle du Conseil Privatif où nous étions actuellement réunis me faisait penser à un croisement entre une salle d'audience de tribunal, avec les trois Messies d'un même tenant, assis en face de moi, et d'une salle de réunion, puisque nous partagions en fait la même table ovale. Aux extrémités les plus fines de l'arrondi, à ma droite et gauche, des secrétaires ou quelque chose du genre, prenaient des notes.  Le chef de la sécurité de l'île – si j'avais bien compris l'utilité du groupe qui s'appelait les bérets blancs – se tenait en position de chien à l’affût au fond de la salle, à l'extrémité de mon champ de vision. Ainsi, il avait vu sur la salle entière et la seule porte d'entrée. Bon, puisqu'il y avait en face de moi une énorme baie vitrée grande ouverte à laquelle les Messies tournaient le dos, je ne voyais pas trop l'intérêt.
De mon côté, j'étais accompagnée du capitaine du Ptérodactyle, un ancien commandant d'élite qu'une blessure avait requalifié, à son plus grand damne en colonel et du jeune lieutenant-colonel qui me déplaisait d'un peu trop. Ils s'appelaient respectivement, comme je l'avais appris depuis, Colonel Kadren (prénom inconnu au bataillon) et Lieutenant-colonel Lain Zieger. Ce dernier se tenait derrière nous, pendant que le round 1 commençait.

D'un premier abord, il semblait que la tactique du pouvoir partagé en triumvirat avait été mise en place avec succès sur Héailleutou. Castel-Berium, Odendron et Valériane ne pouvaient pas être plus différents les uns les autres. Cela promettait des points de vues divers sur la même question, et donc la capacité de prendre une décision éclairée. Il ne me fallut pas longtemps pour réaliser que Valériane ne manquait pas que d'un nom de famille – chose courante chez les anges en fait, mais je ne l'appris que plus tard. Tout comme j'ignorais en fait le mode d'élection des Messies ; auquel cas, j'aurais compris comment elle s'était retrouvée à ce poste où elle n'avait clairement rien à faire. Loin de moi l'idée de dire qu'un habitant lambda n'est pas assez intelligent pour prétendre à siéger à un gouvernement local. Valériane n'était pas idiote... Mais tout le monde ne peut pas prétendre à être un bon meneur. Elle, clairement, était une bonne mère et c'était déjà bien.
Entre Gisèle et Phil, par contre, je n'arrivais pas décider lequel me déplaisait le plus. Je ne saurais dire pourquoi, mais à l'instant où j'avais été présentée, j'avais pensé que la situation était encore pire que je ne le pensais.
Ce en quoi je n'avais pas tort. Après les salutations d'usage, nous en vîmes rapidement aux faits.

- « Je m'étonne... » commença Gisèle, « … de ne pas voir Amaury de Danemark avec vous. » Kadren et moi avons prévu cette question.
- « M. de Danemark a été assez grièvement blessé lors de son voyage. Bien que ses jours ne soient plus en danger, il est encore en convalescence et ne peut être déplacé. »
- « Le Gouvernement Mondial prend le plus grand soin de lui. » assura de son côté le Colonel, enchaînant après moi comme si nous parlions d'une même voix. Ceci ne manqua pas de m'étonner. Je pensais que sa présence à la réunion était pur décorum et courtoisie, mais qu'il allait rester silencieux, me laissant à mes petites affaires de diplomate. Voilà qu'il semblait vouloir participer activement, et clairement, il possédait des informations ou des ordres différents des miens. Ce qui ne m'allait absolument pas ; pour le moment, cependant, je hochai la tête.
- « Oh... je vois. » Non, tu ne voyais pas, et c'était bien ça le problème.
- « Du fait de ses blessures, M. de Danemark n'a pas été en mesure d'être très... explicite sur la situation actuelle. Si vous me faisiez un point sur cette guerre civile ? » Mon regard glissa sur les Trois Messies. Il était clair que Valériane n'allait pas l'ouvrir et que Phil... Phil ouvrait la bouche pour parler mais Gisèle le prit de court et je sus à ce moment que le duumvirat de facto établi par l'inutilité de Valériane couvait une sorte d'antagonisme latent non déclaré. Restait à savoir pour qui Valériane votait, puisque finalement, c'était encore elle qui avait le pouvoir de décision entre les deux forces en jeu.

Gisèle m'expliqua - nous expliqua – en quelques mots posés la situation : les affrontements Shandia-Ange qui provoquèrent la scission entre les Anges et la fondation respective du GUANO et de Héailleutou, la venue des envahisseurs Sélénites, la chute de Giant Jack et la mort de Dieu, la création de la Lune Noire puis de la Secte des Fils d’Hécate, et le statut quo qui durait ainsi depuis treize ans. A mes côtés Kadren remua deux-trois fois avec ce que je pensais être de la nervosité.

- « Je crois que je comprends la situation actuelle. » fis-je après quelques instants de silence après ce discours. Les noms, aux sonorités inhabituelles, étaient griffonnés sur mon cahier, tandis que je cherchais à remettre tout le monde à sa place. « Cependant... je dois vous demander ce que vous attendez très précisément du Gouvernement. »
- « Votre aide, me semble-t-il. » me répondit Gisèle d'un air un peu perdu.
- « Mais pour faire quoi exactement ? »
- « Protéger les Anges de Héailleutou. » Je soupirai doucement. A mon tour de me lancer dans un petit laïus de ma concoction.
- « Voyez-vous, la situation est bien plus compliquée que ça. Il me semble, mais je me trompe peut-être, que les combats ne portent que sur l'île de... de...  »
- « L'île Vearth ? » me proposa Kadren.
- « Voilà. Vearth. Votre île, Héailleutou, ne semble pas concernée par cette guerre entre les 3 factions en conflit ouvert, plus cette alliance Lune Noire. Êtes-vous en danger ? »
Encore une fois, Gisèle réussit à parler avant Phil.
- « Mais Vearth, c'est aussi notre héritage. Nous ne pouvons pas laisser notre pays en guerre comme ça ! » Je fronçais les sourcils.
- « Vous voulez donc reconquérir Vearth ? … pourquoi ne pas rester ici, sur Héailletou ? Pour autant que j'ai pu en juger, vous avez fait un excellent travail ici. »
- « Ce n'est qu'une illusion. » Valériane surprit tout le monde. Devant les regards qui se tournaient vers elles, l'ange rougit un peu et interrogea Gisèle silencieusement, comme pour obtenir son approbation. Un hochement de tête plus tard, la mère de famille continuait. « Un jour où l'autre, quelqu'un finira par gagner cette guerre. Et quelque soit le camp, Héailleutou ne sera pas en sécurité. »
- « Même si c'est le GUANO qui gagne ? »
-  « S'il avait dû gagner, ça aurait été fait depuis longtemps. » Stalone Silverstone venait de couper court à tout discours. Le chef des bérets blancs n'admettrait pas une opinion contraire. « Il est clair qu'ils ne gagneront pas. Et depuis que nous avons coupé tout lien avec eux... Chaque année, quelque-uns de nos jeunes font fi du bon sens et de l'accord passé avec les Sélénites et rejoignent le GUANO. On ne les a jamais revus. Combien encore devrons-nous perdre dans ces combats sans fin ? »
Kadren se redressa. De guerrier à guerrier, le courant semblait passer.
- « Mais toute action de votre part en faveur d'une reprise de Vearth pour le compte des Anges sera vu comme un alignement avec le GUANO. »
- « C'est pour cela que nous avons décidé de solliciter votre aide. » Phil se rembrunit. Ah, Monsieur Odendron n'avait pas été pour cette mesure. C'était donc Gisèle, avec l'appui de Valériane, qui était à l'origine de la descension d'Amaury.
- « Mais pour faire quoi exactement ? Ma collègue a posé la question à juste titre. Que désirez-vous obtenir de nous ? » Devant l'air de nouveau perdu des anges, il développa. « Voulez-vous que nous postions des bâtiments en défense autour de votre île ? Que nous formions vos forces à notre façon de combattre, pour que vos guerriers soient capables de remporter les combats ? Voulez-vous un soutien humanitaire ? Ou que nous portions le combat sur Vearth, en y engageant nos troupes ? »  
Gisèle ne prit même pas le temps de consulter ses co-Messies avant de parler :
- « Sûrement un peu de tout ça, en fait. Vous devez comprendre, nous ne sommes pas un peuple guerriers. Ange Silverstone ici, et ses estimables Bérets Blancs, sont plus des protecteurs que des attaquants. Et nous n'avons juste pas les moyens d'attaquer, même si nous le voulions. Nous sommes peu nombreux, et nous n'avons que peu de ressources. » Ça sonnait creux, cet argument. J'avais du mal à y adhérer.
- « … D'exactement combien de troupes ennemies parlons-nous ? » finit par demander mon colonel, après un gros moment de flottement. « Combien de Shandias et de Sélénites ? »

Je sentis la lampe dans laquelle Rafaelo se dissimulait et depuis laquelle il entendait parfaitement la discussion, tressaillir dans mon sac. Quelque chose l'avait offusqué au plus profond ! J'imaginais qu'il avait « explosé » de nouveau, dans l'espace réduit de ses appartements. Discrètement, je poussai du pied le sac, pour l'enfoncer encore plus sous la table, là où il pourrait se manifester sous sa forme de fumée en toute discrétion. De mon côté, je disséquais les propos de mon allié, avant de trouver qu'il allait bien vite en besogne. Il avait dès à présent, pris parti des anges contre les Shandias et les Sélénites, et semblait déjà envisager une action.
- « Hum. » Je toussotai pour reprendre le contrôle de la situation. « Le Gouvernement Mondial sera, une fois notre rapport fait, très concerné par votre devenir. Il semble en effet que vous soyez dans une position difficile. Mais nous le sommes tout autant.
Voyez-vous, nous ne pouvons pas arriver comme ça et commencer à canarder Vearth et ses occupants. Le Gouvernement Mondial n'est pas un conquérant, ou un vengeur. Vearth n'est pas sous sa juridiction. »

- « Mais nous vous av---. »
- « Le Gouvernement, et donc la Marine, » je saluai d'un coup de tête le Colonel Kadren – huuum, nous n'avions pas pensé à leur présenter dans le détail les institutions du GM... m'enfin, ce n'était pas nécessaire. « force armée du Gouvernement Mondial, n'agit que dans le bien être des membres qui la composent. Or, pour le moment, vous ne faites pas partie du Gouvernement. Nous n'avons même pas de relations diplomatiques stables. » Je captai de justesse le sourire satisfait de Phil. Oh oh, quelque chose me disait que ce manque n'était pas si involontaire que ça. Finalement « l'accident » qui avait fait qu'Amaury soit blessé... était-il à ce point accidentel ? Je repris mon explication, en veillant à le garder à l’œil. Pourvu que Raf fût déjà en train de regarder la scène de son côté. Nous allions avoir des notes à comparer. « Si j'ai bien compris, les Shandias ont également de bonnes raisons de revendiquer Vearth comme leur appartenant. En tant que... élément extérieur à ce qui se passe ici, nous ne pouvons pas prendre parti aveuglement. »
- « MAIS NOUS AVONS BESOIN D'AIDE ! VOUS N'ALLEZ DONC RIEN FAIRE ?? » s'écria Gisèle en donnant dans le colérique à moitié larmoyant.
- « Parce que le Gouvernement doit aussi et avant tout aider les siens. Que se passerait-il si nos actions étaient considérés par les Shandias ou ces Sélénites comme une attaque contre eux, et qu'ils s'en prenaient en retour à nos royaumes ? Comment expliquer à notre population qu'elle souffre parce que nous avons déclaré la guerre à des peuples qui ne nous avaient rien fait, que nous sommes entrés dans un conflit qui ne nous concernait pas ? »
- « Alors, vous allez nous abandonner ? » Valériane gémit à son tour.
- « Il en est absolument hors de question. » Kadren abattit son poing sur la table. « Mais nous devons agir avec précaution, pour le bien-être de tous. Vous avez agi suffisamment tôt pour qu'il n'y ait aucune urgence imminente. Vous avons donc le temps de décider de la meilleure action à prendre. »
Bien que cela me faisait horreur, j'approuvais énergétiquement.
- « Si, par exemple, nous devions conclure dans les jours à venir un accord diplomatique entre Héailleutou et le Gouvernement, votre demande prendrait un tout autre chemin : en tant qu'allié, votre bien-être serait.... » comment dire ça diplomatiquement ?
- « serait bien plus prioritaire. »

Si j'avais encore le moindre doute, me voilà fixée. Kadren avait plus que clairement reçu des ordres pour pousser l'Île des Anges à entrer dans le giron du GM. Et si je me plaçais d'un point de vue légal, c'était la meilleure solution pour faire face aux menaces les plus urgentes, notamment celle de Maselfush. Tout dragon céleste qu'il était, il ne pouvait pas ouvertement mettre à sac une île placée sous la protection du Conseil des Cinq Étoiles.
Et là, je sentis mon sang se figer sur place. Kadren n'était pas seulement un ancien commandant relégué dans la Marine classique pour cause de blessure. Il avait amplement mérité sa place et nul doute qu'il comptait bien monter en grade. Car en plus d'être un combattant porté sur l'excès, comme tout commandant des forces spéciales qui se respectait, il était un cerveau retors des plus admirables. Pas étonnant que son lieutenant-colonel fut aussi éveillé : le poulain avait appris à bonne école. Karden avait dès à présent fait son choix : il allait diriger Maselfusch sur Vearth et le laisser s'en donner à cœur joie. Puis la Marine arriverait et nettoierait ce qu'il resterait et l'affaire était bouclée.
J'étais absolument affolée. Comment allais-je, moi la révolutionnaire,  pouvoir contrer cette proposition ? Et je réalisai que moi aussi, j'avais fait mon choix. J'avais depuis la minute où le premier briefing avait pris fin sur Alabasta, que je ne désirais pas sauver les Anges que de Maselfush, mais aussi de la Marine. La révo en moi avait décidé que Skypiea ne tomberait pas. Si je n'avais pas encore pris conscience de tout cela, c'était à cause des événements qui s'étaient enchaînés à toute vitesse : mon départ d'Alabasta, mes relations avec Solomon/Rafaelo, le combat avec le Roi des Mers, la préparation de la mission avec Zieger et Kadren...

Il était impératif que je discutasse avec Rafaelo. Nous devions faire quelque chose. Quoi ? Je ne savais pas encore. Pour le moment, je devais gagner du temps :
- « Ni le Colonel Kadren ni moi n'avons le pouvoir de négocier un réel traité, de quelque nature que ce soit. Nos attributions nous autorisent cependant à signer une déclaration bi-partite d'amitié, qui finalement ne nous engagent ni l'un ni l'autre à autre chose que reconnaître ce qui existe déjà : l'amitié entre le gouvernement de Héailleutou... » je pris bien soin de ne pas mentionner « gouvernement de Skyepia » « … et le Gouvernement Mondial...
Je réalise que ça fait beaucoup à 'digérer' si vous me permettez l'expression. Je propose que nous vous laissez discuter de tout cela. »


La suggestion fut acceptée, mais dans le brouhaha qui suivit la levée de séance, Kadren m'attrapa par le bras pour me chuchoter d'un ton furieux :
- « On aurait pu les ferrer directement ! Pourquoi avoir retardé la signature de cette foutue déclaration ? Rappelez-vous, Maselfusch arrive ! »
- « Colonel, je ne suis pas sûre que ça soit dans notre intérêt d'engager le Gouvernement auprès des Anges de Héailleutou aussi directement. Nous devrions sonder les autres groupes, non ? »
- « Et pour Maselfusch ? » Oui, je l'aimais bien, ce Capitaine au Ptérodactyle. Il se souciait de sa mission, dans la forme comme dans le fond. Il lui manquait juste une vision plus large. Mais ce n'était pas un mauvais Marine.
- « Tant qu'il n'est pas là, nous sommes bons. Peut-être devrions-nous, pour être rassurés, détacher une petite troupe à l'entrée de la Highest Way ? »
- « Au mieux, ça nous fait gagner une heure. »
- « Une heure, c'est déjà mieux que rien. Je sais que nous sommes pressés, mais je sais aussi qu'agir trop précipitamment, ne sert à rien. »
- « Le troisième Messie, Odendron, il n'a pas ouvert la bouche. » rappela soudain ce cher lieutenant-colonel Zieger. Que la peste fût des imbéciles qui n'en étaient pas !
- « En effet, c'est louche... Je vous propose de nous scinder. Zieger, allez fraterniser avec Silverstone. Parlez de trucs militaires, brossez-le dans le sens du poil... Obtenez le max d'info. Colonel... Je pense que Gisèle Castel-Bérium sera impressionnée par votre expérience et vos galons. Une visite du Ptérodactyle, pour la mettre en sécurité ? » Les deux Marines acquiescèrent. Si je donnais des ordres, en ma qualité de chef de mission, je n'étais pas techniquement autorisée à diriger des Marines aussi directement. Mais nous travaillions en bonne intelligence – trop d'ailleurs – loin des clivages de CP Vs Marines, d'âge ou de sexe. « Et moi, je me garde Phil. Je vais essayer de visiter la ville. »  
- « Rapport ce soir dès que possible. Essayez de rester logée à bord du Ptérodactyle. » Ne pas être séparés, pouvoir fuir si nécessaire : c'était logique. Mais c'était exactement ce que je ne voulais pas faire. Espérons de Phil avait une chambre d'ami confortable...
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Faire face aux questions soulevées pendant la traversée. Il avait eu tout le temps de repenser à leur conversation, de percevoir les doutes de Shaïness qui étaient encore là. Leurs hakis semblaient être entré en résonance. Ou quelque chose qui s’en approchât. Une violation de l’intimité qui lui faisait encore l’effet d’ongles qui s’acharnaient sur son échine. Un instant, ils s’étaient accordés et avaient partagé la même pensée, le même but. Ils se comprenaient à un niveau qu’il ne lui semblait pas avoir jamais atteint. Et cela le terrifiait. Shaïness n’était pas une enfant de cœur, elle avait une idée précise de ce qu’elle voulait faire de sa vie, malgré ses airs papillonesques. Il la sentait aussi retorse qu’il pouvait l’être, aussi téméraire qu’il ne pourrait oser le devenir. Lui ne faisait que tourner en rond dans une lampe qui le compressait à l’état d’un spectre de fumée. De temps en temps, sous l’effet de l’agitation, la lampe tremblait et vacillait. Shaïness pouvait certainement le percevoir. Quoi qu’il en fût, il se raccrochait à cette idée qui avait germé dans sa tête. S’il avait été un homme important, alors il n’y aurait que Freeman qui pourrait le juger. Cela semblait presque logique. Ceux qui étaient en-dessous de lui, ceux dont il ne recevait pas de commandements, ne pouvaient savoir. Alors il lui faudrait rencontrer le mythe. Le toucher du bout du doigt, peut importât ce qu’il fut. Qu’il sache pour qui il se battait. Pour qui il faisait tout cela.

Mais avant d’en arriver là. Avant de se sauver, il y avait un peuple que Shaïness avait pour but de sauver. La paranoïa latente de l’assassin, puisqu’il en était visiblement un, ne pouvait s’empêcher de penser aux conséquences d’une telle mission. Si elle parvenait à ses fins, les chances qu’elle soit radiée du Cipher Pol étaient maximales. Ou alors il faudrait maquiller cela d’une main de maître … pas comme Goa … Maudit soit cet Uther Dol qui avait mené des milliers d’âmes à la mort par sa seule folie. Shaïness avait réussi à redonner un peu de baume au cœur de l’assassin en lui expliquant la rivalité qui le liait à cet homme. Rivalité marquée par la cicatrice qui lui barrait l’œil droit et marquée par … sa femme. Céline Dol. Shaïness connaissait, en vérité, beaucoup de choses sur la vie de Rafaelo. Ce dernier se demandait de plus en plus si c’était un hasard. Mais la jeune femme maintenait que nul n’aurait pu prévoir l’avancée des choses. Alors il plaçait cela sous l’aune du Destin. Peut-être qu’en trouvant un moyen de rencontrer à nouveau Hebieso, il lui poserait les bonnes questions cette fois ? Mais l’homme était resté sur Alabasta, impossible qu’il ait pu les suivre ici.

De ce fait, il n’était qu’un mouchard au service de sa majesté, si on pouvait dire ainsi. Caché dans les effets de la jeune femme, il étendait ses sens et percevait les voix des différents anges qui trônaient ça et là. La situation de l’île était terrible, comme avait pu lui annoncer Shaïness auparavant, mais il ne voyait pas comment résoudre cette situation insoluble. Mais ce qui l’irritait au plus haut point c’était ce Colonel. Ses questions incessantes lui donnaient l’impression de ne pas avoir le choix, comme si la venue du Pterodactyle n’était qu’un prétexte par rapport à quelque chose qui avait été décidé à l’avance. Plus le temps avançait, plus il se confortait dans cette idée. Il perçut soudain le monde bouger autour de lui, se rendit compte que Shaïness l’avait déplacé. Son agitation devait être perceptible. Il se mura de nouveau dans les recoins de cette lampe, compressé à un point qui en était presque douloureux. Il ne devait pas laisser sa voix s’échapper de la pièce, il ne devait pas se faire percevoir. Visiblement, la jeune femme avait la même sensation que lui, puisqu’elle haussa le ton, reprit le contrôle du cours des évènements. Il sondait la pièce de ses sens étendus par l’action du mantra, spécialité locale en plus de cela. Il percevait la scène sous un angle totalement différent, mais il entendait les dissonances dans certains discours. Malheureusement, pas plus. Ainsi, il entendait l’agitation gagner les anges, ou la colère s’emparer du cœur de Stalone aux paroles mesurées de Shaïness. Il fallait lui accorder qu’il l’aurait prise pour une vraie femme du gouvernement à l’entendre.

Décidément, il n’aimait pas ce Colonel trop propre sur lui, trop au fait de sa mission. Pas plus que sa familiarité avec Shaïness. De son temps, jamais un autre révolutionnaire n’aurait osé l’alpaguer comme cela, reprochant ses choix. De son temps ? De quel temps, au juste ?

L’assassin se rematérialisa dès qu’ils se fussent éloignés de la salle de réunion. S’échappant de la lampe sans un bruit, il reprit la forme qui était la sienne, adossé à un mur. Ils étaient assez éloignés des oreilles indiscrètes, et surtout de celles de Phil. Quelque chose soufflait à l’oreille de l’assassin qu’il n’était pas forcément passé inaperçu mais ce n’était qu’un simple petit doute qui ne voulait pas s’échapper de son esprit. Il avait eu l’impression d’être regardé plusieurs fois dans cette pièce. D’être envisagé comme autre chose qu’une lampe. Il savait comment se rendre tout petit, mais sa voix restait … sa voix. C’était une couleur et une odeur à la fois qui le définissait. Et si lui, Rafaelo, n’oubliait aucune de ces voix, une nouvelle rencontre avec l’un de ces hommes pourrait être malvenue dans une échelle aussi courte.

« Je crois que Kadren va nous ennuyer bien lontemps. Je n’aime pas sa façon de prendre le commandement des choses. Je ne sais pas s’il a une autre mission ou si il fait un peu trop de zèle. » fit simplement l’assassin, laissant le temps à Shaïness de souffler un peu.

« La situation ne me semble pas très enviable. Trois forces armées qui se mettent sur la tête, une faction pacifique qui essaye de s’en sortir et une association pseudo-révolutionnaire qui est la seule a avoir fait bouger le cours de la guerre … mais toujours à l’encontre d’un des trois peuples. Je ne pense pas qu’une paix soit envisageable tant que le GUANO et les Shandias perdureront dans leur haine. Mais comment expliquer qu’ils peuvent vivre en harmonie, hein ? Hé hé … tout ça saupoudré de l’arrivée imminente de ce nobliau … » poursuivit Rafaelo, soupirant de dépit.

Une petite voix lui dictait de tuer tous les leaders de faire émerger les plus raisonnables d’entre eux pour arriver à une situation avantageuse le plus rapidement possible. Il réfréna cette idée stupide le plus rapidement possible. C’était un mauvais choix. Ce n’était pas ainsi qu’il avait envie de sauver les anges de cette terre.

« Phil doit être au beau milieu de tout ce petit monde. Gisèle et Valériane sont trop volubiles, trop prévisibles. Lui … lui il a l’air d’être dans une autre machination. Par contre, je crois qu’il m’a … senti. Peut-être qu’il n’a pas parlé pour ça. Quoi qu’il en soit, vous avez une mission à réaliser pour le Gouvernement par ici, ce qui signifie que chacun de tes mouvements sera sujet à question. Voilà un point sur lequel je peux aider. Je peux indifféremment espionner chacune des factions et voir ce qu’il en ressort. Je te propose d’aller rencontrer la Lune Noire de mon côté, vu qu’ils ont des idéaux assez … nobles. Concernant le GUANO ou les Shandias, j’ai peur que ça finisse dans le sang. Il nous faut plus d’indices sur ces deux factions et la Lune noire, composée des deux castes, pourrait nous y aider, qu’en penses-tu ? » proposa l’assassin, en croisant les bras.

Il ne lui donnait, en vérité, pas vraiment le choix. Et si Shaïness ne s’y opposait pas fermement, ce serait ainsi que les choses se passeraient.

« Cependant, il y a un point que nous devront éclaircir avant tout. Le nœud du problème en vérité. La priorité est de les aider, bien entendu. Mais il faut aussi que cette alliance avec le Gouvernement ne se fasse pas. Skypeia doit devenir révolutionnaire. » poursuivit Rafaelo, étendant son mantra assez loin pour être sûr qu’on ne puisse pas les entendre, encore une fois.

« Ainsi, nous devons agir sur deux fronts. Ainsi je pense qu’il est important que j’endosse mon rôle sur cette île. Que j’aille voir la Lune Noire et que je me présente en temps que Rafaelo. As de la Révolution. Je leur tendrai ma main et te dirai tout ce qu’il nous faut savoir concernant le GUANO et les Shandias. Vu leurs informations, ils doivent aussi avoir pas mal de renseignements sur les Sélénites et la secte qui les fanatise. Enfin, tout ça si j’arrive à me faire entendre des fondateurs de cette Lune Noire, bien sûr … » continua l’assassin, se relevant de son mur.

Il fit quelques pas et posa sa main sur l’épaule de Shaïness.

« Je serais ton agent infiltré, tu n’auras qu’à m’appeler et j’accourais. » conclut-il, cherchant une approbation dans le regard de la jeune femme.
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Il était là. J'avais beau être au courant de ses pouvoirs, cela ne m'empêchait pas d'être étonnée à chaque fois. Étonnée, et un peu jalouse. L'espionne en moi ne pouvait que s'émerveiller des capacités du logia de la fumée ; qui pourrait me dire ce que j'aurais pu faire avec ce fruit du démon plus que le zoan du papillon ?
- « Kadren est un Marine. » lui répondis-je dans un premier temps. « Tu les connais, pourtant. Tout au nom de la mission. Ils ne réfléchissent jamais aux conséquences politiques. Il sait qu'il ne peut pas s'opposer à ce Maselfush. Alors, il fait du mieux qu'il peut. Je préfère l'avoir en allié plus qu'en ennemi, mais c'est sûr que là, il nous met des bâtons dans les roues. » Je n'irais pas à dire que c'était de notre faute, à être révolutionnaire, mais quelque part, ça revenait à ça.

Le plan que Rafaelo était d'une logique sans faille. Mais je n'aimais pas ça. L'idée de me séparer de lui me répugnait. Déjà, être seule, sans ses conseils ? C'était fou, la vitesse avec laquelle on pouvait s'habituer à avoir une présence. Mosca, ou le chevalier des Embrumes, ou quelque soit le nom qu'il se donnait, et maintenant, Rafaelo. Et puis... le laisser seul... alors qu'il avait encore du mal à se convaincre qu'il était capable d'autre chose qu'être un monstre ? Le laisser endosser son propre rôle, alors qu'il ignorait tout de lui, ou presque ? Je ne sais pas pour vous, mais ça ressemblait vraiment à la recette parfaite pour courir à la catastrophe. Ou comment se planter magistralement en deux leçons. Mais je ne pouvais pas ne pas faire confiance à mon ami.
- « Je n'aime pas l'idée qu'on se sépare, mais nous n'avons pas le choix. Sois prudent, surtout. Et si tu peux, reste encore dans les parages, pour espionner les uns et les autres. Surtout la conversation à venir avec ce Phil. Je pense qu'on ne sera pas de trop avec deux paires d'oreilles... Et je vais tenter de convaincre le GUANO de revenir à Héailleutou, sous prétexte de protéger l'île... Et surtout, je me dis que le départ des anges de Vearth pourrait apaiser ces Shandias... »
Difficile de savoir vraiment. Après tout, nous n'avions eu qu'un son de cloche, celui de Gisèle. Et justement, c'était le moment d'aller discuter avec Phil. Je gardai à l'esprit ce que Raf m'avait dit sur le fait qu'il avait été senti, et qu'il se méfiait de ce Messie. Je réservais encore mon avis sur la question, mais je devais avouer que son silence m'avait plus que surprit durant la réunion.

Avec un dernier échange, je quittai Rafaelo, m'éloignant du coin où nous nous étions retrouvés, pour aller à la recherche de ma cible. Pour autant que je pusse en juger, les Messies avaient fini leur consultation et les deux Marines allaient bientôt agir en vue de l'opération Dispersion, comme je me l'avais nommée. Cependant, au dernier moment, Zieger eut une remarque bien enquiquinante.
- « Mais où étiez-vous ? »
- « Je n'ai aucune obligation à vous répondre, mais sachez donc que je me repoudrais le nez. » lançai-je assez sèchement. Toi, j'allais bientôt me pencher sur ton cas. Je n'allais tout de même pas laisser un Lieutenant-colonel me critiquer ou penser qu'il pouvait me donner des ordres, non ? Et avant qu'il ne pût rétorquer quoi que ce fut, nous passions à l'attaque. Un beau chassé-croisé de tentatives plus ou moins discrètes de la part des deux groupes, puisqu'il ne faisait pas l'ombre d'un doute que les Messies voulaient aussi arranger les circonstances et les conditions de la réunion en leur faveur.
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« Je te fais confiance pour Phil, je m’en fais certainement pour rien. Ce n’étaient peut-être que le comportement d’un homme qui se lassait d’avance de cette conversation. » trancha-t-il, se fondant une fois de plus dans le moule de Rafaelo.

Ou peut-être pas. Il savait que le mantra était né ici, peu ou prou, alors il se méfiait de toute cette foule d’anges. Mieux valait qu’ils ne se marchent pas sur les pieds et ne pas compromettre la couverture de celle qui l’avait sauvé. Il lui vouait une sorte de reconnaissance mêlée d’admiration. C’était compliqué à expliquer, d’autant plus qu’ils avaient une relation plus longue que celle dont il se souvenait. Il sentait que ce qu’il lui disait avait une mécanique assez huilée pour être instinctive. Il n’aimait pas cette parfaite froideur avec laquelle il avait calculé les choses. Il étouffa la petite voix de son instinct de tueur et se racla la gorge pour effacer ses réflexions sur son visage.

« Je vais aller sur le Ptérodactyle. Quelques petits trucs à vérifier pour avoir l’esprit tranquille. Et puis en profiter que les gars soient pas là pour fouiller. Bon, à plus tard. » termina-t-il, avant de se volatiliser en fumée et de s’enfuir par la fenêtre sous la même apparence.

L’assassin reprit consistance sur le toit du bâtiment, tandis que les autres s’en donnaient à nouveau à leur monotone réunion. Il avait bien autre chose à tramer que de se prendre le chou avec des ronds de jambe. Surtout après autant de temps dans ce mouchoir de poche. Il respira le grand air, frais et libre de vices. Il ne savait pas à combien de mètres ils étaient montés mais son corps lui paraissait légèrement plus léger … et il lui était difficile de respirer. L’oxygène avait dû se raréfier. Il était étonnant de voir que la majorité de ses connaissances étaient restées intactes, comme si son esprit s’était cloisonné et lui refusait l’accès à certaines parcelles de sa mémoire. Son palais mental était constellé de portes closes.

Il ne fallait pas perdre de temps et se rendre directement à l’assaut du Ptérodactyle avant que la joyeuse compagnie n’y revienne. Il se serait bien arrêté dans un bar quelconque pour refaire le plein de courage mais il n’avait pas le temps, encore et toujours. Après tout, vu le comportement de Kadren, s’il y avait anguille sous roche, mieux valait le déterminer tout de suite. Son absence de mémoire lui laissait quelques doutes sur l’état de la couverture de Shaïness et sur les plans retors du Gouvernement. Tout ce qu’il savait, c’était qu’ils étaient des enfoirés. Et pour les doubler, il fallait être le plus gros enfoiré de tous. Ça il savait faire.

« Hey, t’as vu ? »

« C’est le vent, laisse. »


Le hublot se referma après le passage de l’assassin qui se posa sans un bruit à l’intérieur de la cabine de Shaïness, laissée ouverte au cas où. Il fouilla dans ses effets, débloqua la cache habituelle et en tira un denden blanc. Celui-là même dont il avait hérité à Alabasta, rangé ici par précaution. Voilà pour la communication. Elle ne l’y avait pas vraiment autorisé mais elle comprendrait. Il en profita pour consulter rapidement ses notes personnelles sur la situation puis verrouilla le tout avec précaution. Il se pencha contre la porte et écouta quelques secondes. L’avantage de son pouvoir restait encore le silence dont il faisait preuve. La fumée se glissa à travers les maigres interstices pour redonner forme à l’assassin. À voir l’utilité de son pouvoir, il n’osait imaginer tous les torts qu’il avait pu causer … Il se secoua la tête. Il en était venu à la conclusion qu’il arrêterait de réfléchir trop, ça lui foutait des ulcères. Mieux valait se vider la tête et agir, comme avant.

La cabine de Kadren était un peu plus haute et il lui faudrait passer outre la vigilance d’une dizaine de gardes. Il n’avait pas le temps de s’encombrer de ce genre de choses. Il se glissa dans l’ombre et attendit le passage – et la pause clope – de l’un d’entre eux. À peine le gars eut grillé sa cigarette qu’il se servit de la fumée pour le faire glisser et choir par-dessus le bastingage. La faute au vent, à la nuit et à la pluie. Oui voilà. On cria au secours et on vint le chercher. Rafaelo était déjà dans les quartiers de Kadren. Il passa à travers la serrure de la porte close. Il disposait de quoi … cinq minutes ? Espérons que cela suffise.


« Hmm … Ptérodactyle … Shaïness Raven-Cooper … hmmm … Skypéia. Voilà. »

Ils avaient donc leur propre mission, selon le journal de bord obligatoire que le Marine tenait. Ils devaient escorter Shaïness. Bien, au moins ça c’était sûr. Dans le même temps, petit détail inquiétant, l’assassin remarqua qu’une des pages du journal avait été arrachée. Détail, ou pas. C’était très propre, il ne l’aurait pas vu si il ne cherchait pas la petite bête. Ou étaient-ce les vieilles habitudes qui lui soufflaient la procédure ? Ça aussi c’était inquiétant. Il passa le doigt dessus et se demanda ce qui pouvait se passer pour qu’un Colonel décidât d’arracher une page aussi méticuleusement. Ce qu’il pouvait bien se passer … alors qu’il escortait un agent du Cipher Pol. Des choses à cacher, monsieur Kadren ? Pas à Rafaelo, pas à Rafaelo. L’assassin retourna la page, s’empara de l’encrier. Il farfouilla dans les parchemins et en tira un en vélin, plutôt propre. Si il avait écrit quelque chose, il devrait en avoir laissé la marque. N’était pas espion qui voulait. Il se baissa sur le vélin, entreprit de transposer ce que les marques lui donnaient. C’était ardu, difficile à décrypter surtout que Kadren avait réécrit par-dessus. Sortir de la chambre du Colonel serait plus compliqué après ça … Ah, voilà ce qu’il avait cherché à cacher !

« Entrée du journaux de bord du dimanche … Il a arraché une page entière pour une putain de … de … FAUTE ?! »

« Y’a quelqu’un ? »
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- « Vous ne portez pas le même uniforme que vos deux collègues. »

J'avais dès le début perçu que Messie Odendron n'avait pas apprécié se retrouver avec moi. Si j'avais dû parier, j'aurais mis mon argent sur la case « disparition sans laisser de trace », avant même celle « parler avec l'homme plus expérimenté que Kadren semblait être ». Phil n'avait pas parlé de toute la première partie de la réunion, bien qu'il en eusse eu envie. Quelque chose me disait, maintenant que je papotais avec lui, qu'il savait parfaitement que cela avait attiré nos soupçons. Il avait tenté de jouer le rôle de l'ange évaporé, contemplatif, un peu naïf, mais les propos de Rafaelo à son encontre m'avaient poussée à être hyper vigilante. Il l'avait « senti ». Ça ne pouvait dire que « haki de l'empathie » ou « mantra » comme ils disaient dans le coin. Et quelqu'un avec le mantra ne pouvait pas être un gros couillon. C'était juste impossible... comme si un poisson qui ne respirait pas sous l'eau.

Je n'avais mordu à aucun de ses hameçons, et puisqu'il était acculé, Phil venait de rejoindre la table de jeu. La façon dont il allait utiliser le peu de cartes qu'il avait en main, par contre... Comme cette première remarque. Bien moins candide qu'il n'y paraissait.
- « En effet. Vous l'avez sûrement remarqué lors des présentations, nous n'appartenons pas au même corps. » fis-je d'une voix de velours. Je n'allais pas le laisser penser que je croyais qu'il avait eu une révélation. Quiconque ayant écouté nos débats depuis le début aurait pu – aurait dû – arriver à la même conclusion. « Je suis chef d'équipe au Cipher Pol ; le cinquième bureau, pour être précise. Les colonels Zieger et Kadren font partie de la Marine. » Bien entendu, j'aurais pu développer les définitions, mais je n'allais pas le faire. Phil n'allait pas être assez bête pour ne pas poser la question, et c'était la manière de la formuler qui m'intéressait.
- « En quoi consistent vos missions respectives, et pourquoi « cinquième bureau » ? » J'eus un sourire fin.
- « Les Cipher Pol sont... une sorte d'administratifs de terrain. Nous traitons des affaires courantes du Gouvernement Mondial, et chaque division vise une mission spécifique du Gouvernement. La Marine est le bras armé du Gouvernement. Pour simplifier les choses, quand les CP découvrent quelque chose qui ne va pas, on y envoie d'abord les diplomates, puis après la Marine. »
- « Dans notre cas, votre gouvernement a envoyé les deux. »
- « En effet. Et pour que vous compreniez bien la situation, je fais partie d'un bureau « polyvalent ». Je suis capable de faire un peu de tout. Le but de notre venue ici est d'analyser la situation. Les Colonels sont là pour l'expertise militaire, et moi, pour le reste. Nous ne savions pas vraiment ce à quoi nous attendre et nous ne pouvions pas mobiliser des ressources en quantité suffisamment pour parer à tous « les cas où ». »
- « Et maintenant que vous êtes là, qu'avez-vous analysé ? »
- « Je pensais avoir été claire durant la réunion. »

Nous nous baladions dans les jardins, ma nature de papillon étant attirée par les espaces verts. Cela permettait aussi d'enrober notre échange d'un zeste de civilité. En fait, nous croisions le fer depuis le moment où j'avais réussi à l'isoler, à l'empêcher de s'enfuir.
- « La seule chose que j'ai retenu de ce.... cette réunion... » et en ne masquant pas le mépris qu'il ressentait pour ce premier contact, il faisait une erreur monumentale. Mais Paranoïa ma bonne copine était là pour me souffler que ça pouvait être un piège. Raaah, ce que c'était chiant, que de ce méfier même de son ombre ! « … j'ai surtout où l'impression que vous n'étiez pas au diapason avec les deux hommes de votre équipe. »
- « Hum, c'est une réaction toute naturelle. Nous n'avons pas la même grille d'analyse. Mais cela ne nous empêche pas, bien au contraire, de mener notre mission à bien. »
- « Et votre mission est donc d'analyser la situation. Bien. Et maintenant ? Vous retournez faire votre rapport ? »
- « Pas vraiment. Il me semble que nous avons encore bien des choses à voir, avant de formuler une analyse. »
- « Comme quoi ? »
- « Hé bien, je vais vous dire franchement : la véracité des propos que vous nous avez tenus. Le Gouvernement Mondial est étranger à ce conflit, et bien que nous sommes très... empathiques... » et toc ! « … à la situation apparemment précaire des Anges d'Héailleutou, c'est justement une situation apparente. Vous n'êtes pas neutre dans cette histoire et votre récit est forcément influencé. Or, le GM ne peut pas foncer tête baissée dans un conflit qui ne le concerne pas. »
- « Vous voulez dire, dans un conflit qu'il n'est pas sûr de gagner. »
- « En général, une mission telle que celle-ci ne peut s'envisager que gagnante. »
- « Laissez-moi donc formuler plus précisément ma pensée : le GM ne s'engagea que dans le camp des gagnants; et  le camp qu'il soutiendra, c'est là où il a le plus à gagner. » Je jouais l'étonnée en levant mes sourcils jusqu'au ciel. Mince, nous y étions, au ciel. Je n'étais pas sémantiquement préparée à cette mission !

- « Pour quelqu'un qui ignore tout des instances du Gouvernement Mondial, je vous trouve très acerbe à son encontre. »
- « Qui a dit que je n'y connaissais rien ? »
- « Oh. Dans ce cas dois-je en déduire que vous avez un contact répété avec le monde-d'en-dessous ? Peut-être avez-vous déjà visité Grand Line ? »
- « Vous semblez oublier que des humains sont venus ici. Ceux que vous appelez Luffy Chapeau de Paille et son équipage. Nous avons conservé les archives concernant son passage. Et la description qu'il fait de votre gouvernement n'est pas glorieuse. »
- « Ah, Luffy Chapeau de Paille. Un pirate, un criminel. »
- « Ici, c'est un héros. Il nous a délivré du Dieu Ener. »
- « Ah, vous voyez bien que tout est question de point de vue ! Vous-même êtes prêt à juger l'intégralité d'une institution vieille de près de deux millénaires, sur la seule foi d'un gamin de quoi... seize ans à l'époque ? »
- « Il n'avait rien à gagner à nous mentir. »
- « Et pourtant, Héailleutou a continué à commercer un peu, tout au long des cent dernières années, avec le vil oppresseur. »
- « Oh, s'il n'avait tenu qu'à moi, j'aurais fermé la frontière depuis longtemps. »
- « Vous êtes hostile à notre venue. » Pas besoin d'être chef d'équipe pour en arriver à cette conclusion. « Vous seriez donc prêt à refuser notre aide, quitte à laisser votre peuple mourir ? »
- « Les Anges ne vont pas mourir pour si peu. »
- « Si j'ai bien compris, pourtant, ni les Sélénites, ni les Shandia ne veulent de vous sur Vearth ou même dans les parages. »
- « Oui, mais nous sommes encore là. Ce qui ne sera pas le cas une fois que vous serez là, avec votre expansionnisme colonial. J'ai parlé, moi, aux quelques marchands qui venaient ici. Je suis resté en contact avec quelques uns des anges de Skypiea qui ont descensionné. Je sais très bien comment les choses vont se passer. »

Je m'arrêtai, pour le regarder, calmement. Lui aussi était d'une maîtrise parfaite. Pourtant, sous le gentleman, je sentais un guerrier. Il n'était pas juste un Messie. Oui, il n'avait pas cette indolence pragmatique que j'avais perçue chez Gisèle ou Valériane. Et s'il avait le Haki, « voir comme les choses vont se passer » prenait un autre sens.
- « Très bien. Racontez-moi donc ce que vous pensez qu'il va arriver. » Je m'assis sur le muret encerclant un étrange arbre, tout en me demandant le genre de racines qu'il pouvait avoir, puisqu'il poussait sur... un nuage.
Phil soupira lourdement, et m'examina longuement, les yeux plissés. Il me sondait, je le savais. Peut-être que le fait d'avoir travaillé aux côtés de Rafaelo m'avait permis d’affûter mon haki à ce niveau, être capable de sentir quand on me hakisait. Je ne sais pas. Après tout, si on savait comment fonctionne le haki, on ne se poserait pas toutes ses satanées questions.
- « Je ne peux pas vous faire confiance. » grommela-t-il au bout du compte.
- « Vous savez très bien que oui. Votre haki vient de vous le confirmer. » C'était un coup de bluff monstrueux. Si Raf s'était planté, je venais de griller toutes mes cartouches. Par contre, s'il avait vu juste, je venais non seulement de prouver que j'avais une capacité intéressante, mais que je jouais cartes sur table avec lui. Ceci dit, avec Paranoïa dans le coin, tout était un risque calculé. A partir de l'hypothèse selon laquelle Phil aurait le mantra, se dire qu'il l'avait autrement plus développé que la moyenne, puisqu'il était ange, les spécialistes de la chose... Et à la base, le mantra, c'était ressentir les émotions et dans la situation actuelle, c'était ressentir si je disais la vérité ou non. Ce qui était le cas. J'étais un livre ouvert sur ce point. Donc ouais c'était à sa portée.

Pour marquer le coup, je pris délicatement la main de Phil, pour poser ses doigts sur mon autre poignet.
- « Tenez, prenez mon pouls. Si vous avez le moindre doute, ça, ça va les balayer. J'ai appris ça au BAN. L'accélération du pouls, la déglutition, les yeux qui fuient. Personne, je dis bien personne – sauf capacité spéciale dont je n'ai pas entendu parler – ne peut mimer tout cela. »
- « Je n'ai pas besoin de ça pour savoir si vous mentez. » me fit-il avec un soupir résigné. Et voilà, ce n'était pas si difficile de confirmer mes soupçons, Petit Phil.
- « Je ne mens pas quand je dis sincèrement vouloir aider les Anges d'Héailleutou. »
- « Les Anges de Skypiea. » me reprit-il, acerbe.
- « Non, Messie. Les Anges d'Héailleutou. Skypiea... c'est un nom, une image, un souffle de vent. Pour le moment, la seule chose concrète que je vois, c'est le Gouvernement d'Héailleutou. Je veux aider les anges d'Héailleutou. » répétai-je en le regardant droit dans les yeux, convoyant tous mes sentiments les plus sincères dans chacun de mes mots. « Il se pourrait aussi que j'aide les Anges de Skypiea... ou plutôt les habitants de Skypiea, mais pour cela, vous devez me faire confiance, et me dire ce que vous savez, et ce qui m'a été caché, par omission ou délibérément. »

Le haki ne ment pas. Surtout pas à son niveau. Surtout que je ne cherchais pas à me cacher. Phil m'examina une seconde fois, et je sus qu'il n'arrivait pas à faire concorder l'image radar-haki qu'il venait d'obtenir de moi, avec celle datant de la réunion, où l'empreinte de Rafaelo avait forcément dû se superposer à la mienne.
- « Faites-moi confiance, et je vous révélerai ce petit secret. » Ce qui ne me coûtait rien d'avouer que j'avais un ami avec moi, dont la Marine ignorait tout. Puisque Phil était au courant des errances du Gouvernement, cette méthode CP du pion en plus ne le surprendrait pas plus que ça. Et s'il était anti-GM à ce point, lui avouer notre nature de révolutionnaire ne serait pas un problème.

Il me fit signe de me relever et m'entraîna dans une nouvelle partie des jardins. Petit à petit, nous laissâmes les pelouses bien entretenues pour des chemins parcourant la campagne hors de la petite ville. Loin des oreilles. D'accord, ça m'allait.
- « Bien. Ce que je sais du GM ? Qu'il ne va pas forcément prendre le parti des Anges de... des Anges au bout du compte. » Sa concession sur le titre des Anges de Skypiea ou de Tombouctou me fit plaisir. Il voulait avancer. « Ce que Gisèle s'est bien gardée de vous dire, et pour une fois qu'elle a suivi mon conseil, c'est que les Sélénites, ce ne sont pas justes des envahisseurs d'une autre île céleste. »
- « Hein ? Vous voulez dire qu'ils viennent de chez nous ? » Des pirates humains, ici ? Ah ouais, pas étonnant que Phil se fût montré prudent. C'était le genre d'excuses parfaites pour justifier une intervention GMesque hors toute convention territoriale. Sus à l'ennemi de la nation.
- « Oooh non. Bien pire. Ce sont des habitants de la Lune. »
- « … la Lune ? Comme dans la Lune dans le ciel ? Le machin blanc et rond qui croit et qui décroit ? » Autant pour la diplomatie, mais elle était forte, celle-ci.
- « Exactement. La Lune. »
- « Vos Sélénites sont donc... quoi, des extra-terrestres ? » Mon cerveau n'arrivait pas à intégrer cette donnée.
- « Parfaitement. Mais ils ressemblent parfaitement aux anges. Ils ont des ailes comme nous. On pense que nous, les Anges, descendons d'eux, en fait. »
- « Ah... ben, si vous êtes cousins, pourquoi vous n'êtes pas copains ? » Le très mauvais jeu de mots tira à Phil un rictus. Il entreprit de m'expliquer le devenir d'Ener et déroula la vérité sur ces Sélénites.
- « –-et donc, j'ai très peur qu'une technologie comme celle-ci, entre les mains du Gouvernement... Je le pense capable de s'allier avec les Sélénites au détriment des Anges. »
- « Ce qui ne serait pas idiot. Les Sélénites sont coincés ici, voués à l'extinction raciale. Même s'ils se reproduisent avec des Anges ou des Shandias, la connaissance de leur technologie va disparaître et le GM en serait rapidement le seul dépositaire après eux. » Et je connaissais bien la puissance des légions scientifiques de Vengapunk.
- « … Vous savez, c'est exactement ce genre de réaction qui fait que je n'ai pas vraiment confiance en vous. »
- « Oh, vous voulez bien arrêter, oui ? Je croyais qu'on avait franchit cette étape. Ce n'est pas parce que je suis capable de penser comme le Gouvernement, que je suis le Gouvernement. » - « Vous êtes pourtant un agent CP. » railla-t-il. « Plus gouvernemental que ça.... »
- « Et alors ? Vous êtes bien un Messie, et vous n'avez pas du tout les mêmes idées que vos collègues. »
- « Bah, c'est facile. Valérianne n'a pas d'idée et Gisèle veut juste finir son mandat tranquille. »
- « Ben, c'est bien, non ? » Pour le coup, je ne comprenais pas son animosité envers la vieille dame qui m'avait semblé débonnaire.
- « Vous dites ça parce que vous ne comprenez pas qu'elle agit juste par intérêt personnel, pas pour l'intérêt collectif. Si elle avait pu faire traîner les choses encore plus longtemps, ça lui aurait été tout autant. A partir du moment où elle avait envoyé De Danemark, elle pouvait dire qu'elle avait fait son boulot. » Devant mon air perdu, Phil m'expliqua les subtilités de leur système électoral, et comment un Messie ne retrouvait ses biens confisqués à sa nomination qui si la population jugeait le résultat de son mandat positif. « A se demander si ce n'est pas elle qui a fait attaquer ce crétin d'Amaury, pour qu'il n'atteigne jamais Grand Line. »

Cette remarque provoqua en moi une vague de culpabilité, puisque j'avais à un moment donné fortement soupçonner Phil d'une telle action, pour empêcher le GM d'être au courant de la situation locale. Force me fut de m'expliquer, puisqu'il sentit mon trouble.
- « C'est que cette histoire m'a fait penser à ce que je devais vous dire. Et ça ne va pas vous plaire. Voyez-vous, le GM, c'est peut-être pas vous qu'il va choisir, mais le truc, c'est que vous, vous allez peut-être vouloir le choisir, à tout prix. »
- « Hein ? »
- « … Il y a un dragon céleste appelé Maselfush qu--- vous savez ce que c'est, un dragon céleste ? »
- « Les quelques familles dites « nobles » qui pour une raison qui m'échappe bénéficient d'avantages immoraux ? » me répliqua-t-il pince-sans-rire.
- « Oui. Eux. »
- « Et après, vous vous étonnez que je me méfie de votre Gouvernement. » Mon air blasé le poussa à ronchonner : « Bon, quoi, qu'est-ce qu'il a, votre dragon Maselrush ? »
- « Fush. Maselfush. Il vous veut, vous. Enfin, pas vous personnellement. Les Anges. Tous les Anges. Il a... entendu parler de l'existence de ce conflit, et se « propose » de régler la chose en capturant l'intégralité de votre peuple pour le réduire en esclavage et surtout, à son service. »
- « Et-en-quoi-ça-veut-dire-que-le-GM-peut-nous-sauver ? » articula-t-il entre ses dents serrées. J'avoue, il avait remarquablement bien pris l'annonce de l'apocalypse. Personnellement, j'aurais peut-être hurlé un peu.
- « Bien que les Dragons Célestes peuvent passer outre les lois du GM, ils ne peuvent pas agir en toute impunité sur une île qui est GMisée avant d'être dragonisée. Si Héailleutou passe sous bannière GM, alors Maselfush ne pourra rien contre les Anges. Pas s'en s'exposer à de gros, gros problème après. »
- « Tu parles, Charles. Avec le monde qui passe dans le coin ? Personne ne sera au courant s'il décide de passer outre le bon sens. »
- « Je ne suis pas n'importe qui. Kadren non plus, quelque part. Nous ne laisserons pas faire ce Dragon Céleste sans rien dire. »
- « C'est-à-dire ? Que pouvez-vous faire ? » Oui, des garanties. Je pouvais le comprendre.
- « Déjà, le ralentir un peu. C'est une course contre le temps, là, qui commence. Une course où vous finissez soit dans le Gouvernement, soit dans une alliance Shandia-Ange, voir Shandia-Ange-Sélénites contre Maselfush. »
- « Vous... vous feriez quoi ? »
- « Kadren a déjà tranché de son côté. » Je sais, j'esquivais la question. Méchante moi. « Je ne suis pas certaine, mais je pense qu'il veut sacrifier tout ceux et celles se trouvant sur Vearth, pour concentrer sa protection sur Héailleutou. Il est intègre et il n'hésitera pas à témoigner contre Maselfush s'il devait s'en prendre à votre île de nuages si elle est, avant son arrivée, protégée par le Gouvernement. Mais comme je l'ai dit en réunion, pour le moment, c'est votre gouvernement qui a fait appel à nous, Héailleutou, pas le gouvernement de Vearth. Ce détail est peut-être purement technique, mais c'est le nerf de la guerre. Nous ne pourrons pas, devant un tribunal, dire que le GM a conclu une alliance qui inclut le territoire de Vearth. Le tribunal donnerait raison à Maselfush s'il devait rapporter que nous nous sommes opposés à lui sur Vearth, et pire nous condamnerait à des dédommagements. Alors que Héailleutou, ça, si vous signez, vous êtes protégés. »
- « Mais vous, dans tout ça. Vous, vous pensez quoi ? » incita-t-il. Méchant Phil. A mon tour de soupirer lourdement.
- « Je ne sais pas. Honnêtement, j'ai très peur que Kadren n'ait raison. Que la meilleure solution soit de sacrifier Vearth, en espérant surtout que Maselfush ne mette pas la main sur la technologie Sélénite. Ce qui, vous le conviendriez, relève du rêve éveillé. »
- « Ou du miracle. »
- « Oui, si vous voulez, du miracle. » Je n'avais pas vraiment envie de faire de l'humour à deux balles.
- « Non, je dis ça, parce qu'il se trouve que je connais Dieu. C'est un bon pote. »

- « Hum ? Quoi ? » Je papillonnai des cils, perdue une nouvelle fois. Je détestais ça, et il était clair que Phil s'en pourléchait les babines.
- « Dieu. Le chef des Anges avant notre scission. Il dirige le GUANO maintenant. Alincourt de Bergerac. »
- « Pas étonnant qu'il préfère être appelé Dieu... Vous avez des traditions de noms marrantes. » Phil fut troublé. Pour lui, c'était des noms tout ce qu'il y avait de plus classiques. « Donc, quoi, Dieu ? »
- « Je peux vous faire conduire à lui. Si j'ai bien compris, il est en danger s'il reste sur Vearth. Et nous, nous sommes en danger. Le faire revenir, c'est le sauver et peut-être nous sauver. Vous allez le convaincre de revenir. »
- « Rien que ça ? Si quelqu'un avait pu lui faire entendre raison, depuis le temps. »
- « Vous n'êtes pas d'ici. Si quelqu'un peut le convaincre, c'est quelqu'un comme vous. »
- « Comment ça, quelqu'un comme moi ? » C'était idiot, de prendre la mouche, surtout quand on était papillon, mais je sentais l'insulte à peine déguisée.
- « Vous êtes toute en contradiction. Pas vraiment perdue, mais sur aucun chemin. Et vous cachez des choses. Il aime bien ça, Dieu. Il adore obtenir la vérité. Résoudre le mystère. Vous l'intéresserez, pour sûr. Il vous écoutera. » En dépit de ses paroles, un frisson me remonta le long du dos.
- « Dans ce cas, pourquoi n'essayerais-je pas de le convaincre de faire une trêve momentanée avec les Shandias ? Le temps de réguler le problème de Maselfush. Ça résoudrait tous nos problèmes. Après, à vous de voir avec le GM et cette histoire de guerre civile. … c'était bien ce que vous aviez en tête en parlant de miracle, non ? »
- « J'avoue que l'idée m'a traversé, mais... mais c'est impossible. Ça dépasserait le miracle. Dieu est... particulièrement obtus sur la question des Shandias. Il pourrait par contre vous aider à régler une fois pour toute la question des Sélénites. S'il concentre ses hommes sur eux, et avec votre appui. Vos Marines qui sont entraînés... ça et le faire revenir sur Héailleutou, voilà votre mission. Si vous faites ça, je vous ferai confiance. »
- « Pas avant ? Même maintenant, vous doutez de moi ? » Alors ça, pour le coup, ça faisait mal. Avant de me souvenir. « Je vous avais fait une promesse. Alors, je vais la tenir. Lors de la réunion, vous avez senti une présence. Une qui n'était pas moi. C'est... un allié... Un allié dont Kadren et Zieger ignorent l'existence, et il serait bon que ça reste comme ça. »
- « Pourquoi doit-il rester un secret ? Qui est-il ? »
- « C'est compliqué. Je ne veux pas vous en dire plus, car ça vous mettrait en danger. Moi plus que vous, mais vous aussi. C'est quelqu'un qui travaille pour moi, qui exécute des tâches que je ne peux pas faire, même de façon non officielle. Quelque chose que je dois pouvoir jurer, main sur mon pouls, que je n'ai jamais faite. » Phil hocha la tête, d'un air entendu. Ça me faisait mal de devoir faire de Rafaelo mon exécuteur de basses besognes, mais c'était la seule explication possible qui avait suffisamment de relent de vérité pour faire l'affaire. Le Messie ne me faisait pas confiance. Alors pourquoi serais-je assez stupide pour faire un deal à sens unique, et lui avouer notre allégeance révolutionnaire ?
- « Les affaires courantes du gouvernement, hein ? »
- « Les plus courantes. Il faut bien quelqu'un pour s'en occuper. Donc, quand je vous dis que je ne suis pas comme le Gouvernement, je ne mens pas. Je n'essaye pas de faire croire que j'ai les mains propres. Ça ne sert à rien. Je pue le sang à dix lieues à la ronde. Pour une fois, j'ai été envoyée ici pour éviter justement le bain de sang. J'espère qu'à défaut de tout autre chose, vous comprendrez ma totale détermination à pour une fois, pour cette fois, mener à bien cette mission. » J'en avais les larmes aux yeux. Des larmes de colère, de frustration, de peur. Je ne voulais pas que les Anges souffrissent des maux de notre monde. Je voulais tous les protéger, d'eux-mêmes s'il le fallait. J'avais eu le même sentiment envers le Gouvernement Mondial, et je perdais espoir à chaque jour qui passait. Skypiea, c'était encore ma dernière chance de bien faire, et pas simplement de faire bien.
- « … vous allez plaire à Dieu, vous. »
Jamais les Portes de l'Enfer ne m'avaient paru plus attrayantes.


Dernière édition par Shaïness Raven-Cooper le Dim 18 Jan 2015, 14:49, édité 1 fois
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Merde … merde. Journal fermé, encrier remis en place. Vélin emporté par la fenêtre désormais ouverte. Il la ferma du mieux, mais le loquet restait inaccessible de ce côté-ci du navire. Il s’accrocha au bastingage et se hissa sur le pont, en toute discrétion. Bon. Mince. Chou blanc. Le Colonel était visiblement qu’un Marine soucieux de son devoir. Il avait pour simple ordre de mission d’accompagner Shaïness et de veiller à ce que la situation soit régularisée. Peut-être un bon gars, finalement. Mais irritant quand même. Bon, ce n’était pas tout mais il avait une autre piaule à visiter. Oui, rappelez-vous du médecin que Shaïness avait envoyé bouler lors de l’attaque du monstre marin. Ils en avaient parlé plusieurs fois et conclu qu’ils devaient faire disparaître cette information qui pourrait s’avérer compromettante pour le dossier sur Shaïness. Disparaître ne serait pas aisé. Il lui faudrait faire en sorte que le médecin le fasse tout seul. Ainsi donc il s’infiltra de nouveau, bénissant encore une fois son fruit. Il se glissa dans l’infirmerie en s’aidant de la pénombre et, la fumée filant sous les pieds du médecin sans qu’il ne puisse s’en rendre compte, il reprit consistance derrière lui, dans un coin de la pièce. Personne ne pourrait soupçonner quoi que ce soit. C’était tellement libérateur d’être aussi … libre.

Un rai de fumée se glissa à côté du médecin qui relisait ses notes, ou une quelconque publication de PubMedicale. Il s’enroula doucement autour du chandelier, le rapprocha du coude du médecin. Assez proche de ce qu’il savait être son journal. Puis, lentement, la fumée lui frôla l’oreille. La suite n’en fut que des plus hilarantes. Le docteur se gratta le lobe et tapa dans le chandelier. Ce dernier tomba sur la table, en plein sur ses parchemins et notes et le tout s’embrasa d’un seul tenant, grâce à la vieillesse des papiers. Dans un juron étouffé, le médecin essaya de sauver ses précieux papelards mais il était trop tard. Le tout s’embrasa et le temps que l’homme soit allé chercher de quoi éteindre le départ d’incendie, tout était déjà passé par le feu. En voilà un qui subirait longtemps les foudres de son infortune.

Profitant de la porte encore ouverte, Rafaelo se sauva de là et gagna le pont du navire où un soldat glacé essayait de se réchauffer. Il lui fallait revenir fermer la fenêtre du Colonel. Vingt contre un que ce dernier était ce genre de maniaque. Comment procéder à une nouvelle diversion ? Le médecin se mit alors à hurler de rage, comprenant ce qu’il avait perdu. Hé hé. Merci, Fortune. Il s’infiltra par la dite fenêtre et la ferma du mieux qu’il pouvait. Il mit de l’ordre, reproduisant à l’exacte l’état de la pièce, mis à part le vélin disparu mais Kadren en avait d’autres. Puis, il traversa la porte et refit le chemin inverse de sa première venue. L’assassin se retrouva rapidement hors du navire, hors de portée de la Marine avec pour seule consolation d’avoir fait disparaître les documents sensibles du médecin et un ‘ça n’a pas l’air’ pour toute réponse à la question de la double mission de Kadren, ou un ‘juste un bon type’. Ah, la paranoïa n’aidait pas !

Le plan, maintenant … c’était la Taverne. Et un godet derrière la cravate, ou ce qui y ressemblait le plus. Bienvenue chez les anges … où les tavernes ne courent pas les rues. Sans compter les regards louches que l’on lançait à un humain dans le coin. Hm. Ce n’était peut-être pas la meilleure idée que de se balader dans les rues à découvert. Les humaines attiraient visiblement l’œil lorsqu’ils coïncidaient pas avec le cliché habituel. D’autant plus que les visites étaient rares sur Héailleutou. Un révolutionnaire comme lui ne passait pas inaperçu, malgré le fait que son image actuelle ne soit pas possible à relier à l’affiche qu’on distribuait dans les contrées gouvernementales. Et puis, après tout, personne mis à part la marine ne ferait le lien ici. Il se balada de ruelles en ruelles sans réussir à mettre la main sur autre chose que des salons de thés ou autres imbécilités dont il ne pouvait se satisfaire. La pâtisserie des anges ne l’intéressait pas plus que ça. Il voulait quelque chose de fort, qui lui arracherait l’estomac en même temps que le cerveau.

Peine perdue. Il se contenta de grimper sur les toits sous sa forme intangible et il finit par se rendre à l’évidence : rien à boire pour lui. Il se renfrogna et revint aux propositions de base : la Lune Noire. Rapidement, il fit le tour de la cité en recherches de badins qui avaient ces mots à la bouche. Il y parvint plusieurs fois mais le sujet de la Lune Noire s’en alla aussi rapidement qu’il était venu, en faveur des tensions qui régnaient actuellement sur les royaumes de Skypeia. Enfin, royaumes. À part apprendre que la Lune Noire était localisée sur Vearth, bien cachée, il ne saurait rien de plus ici. Mieux valait rôder du côté de ce clan d’idéaliste. Une heure passa. Puis deux. Le révolutionnaire estima avoir attendu assez longtemps. Il gagna les hauteurs. Pouvoir pratique que de pouvoir voler. Le cœur de l’île était relativement épargné par les vents, ce qui était d’autant plus pratique. Il s’isola sur ce qui ressemblait à un clocher puis composa le numéro de la donzelle.

*plllplllplll* (mode vibreur)

« Hop. Tout est sécurisé. Tout. Je vais devoir les trouver à l’ancienne, pas d’infos par ici. Des conseils ? » fit-il à Shaïness, sur un ton professionnel un peu déroutant pour un Rafaelo amnésique.

Le feu de l’action, peut-être.
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