Les grands mâles blancs

Première fois que je voyais la maison de Melchior.

Mon mentor venait de me surprendre. Je savais pas qu'un esclavagiste avait sa maison.

Il allait me surprendre une nouvelle fois. Je n'imaginais pas -ou mal- que ce genre de mec aurait une famille.

Enfin, si on pouvait considérer ça comme ça.

La pluie tombait drue. Comme à chaque fois qu'on accostait le navire. Même la météo pourrissait ce que j'allais estimer comme un connard de premier choix. Qu'on se comprenne bien, ma famille (du moins ce qu'il en restait) je leur pissais à la raie. Jamais satisfaite de ce que je pouvais leur apporter quand je leur apportais quelque chose. Mais là ...

J'étais un gringalet à côté de cette grande masse noire. Noire à cause de son imper. Moi, je me tripais la gueule. Mais je m'en foutais. J'essayais juste de pas laisser ma crête tomber comme une vieille crêpe. C'est curieux comme lettre peut tout changer. Rajoutez un "i" au vol et vous passez des mains coupées à une lapidation. Fallait pas faire d'erreur, et moi j'allais en faire une.

J'avais une place de choix. Bras droit de ce qui avait été mon mentor. Une belle connerie. Quand tu sais que t'es bourré, faut que t'arrêtes de boire, ça va pas aller en s'arrangeant.

Bah quand tu te plais dans une situation, essaie pas de viser plus haut si t'es pas sur de tenir le choc.

Chez lui, c'était pas trop dégueulasse. Il avait pas trop à se plaindre le cochon. C'est que ça rapporte du fric les gamins.

Il s'assit sur un de ses canapés en cuir qui se mit à crier pitié en silence. Moi, juste en face, sur un autre canapé qui avait le bon sens de fermer sa gueule même si j'aurais rien entendu, parce que je pèse pas son poids, à mon mentor.

- Scotch ?
- Ouais, si tu veux Boss.

Le voilà qui se mettait à se vautrer dans son canapé. A ce moment là, je crois qu'il l'achevait. Mais on aurait dit un pacha.

- Oh, grognasse, va nous chercher deux scotchs. Et fais vite, ça te changera.

Premier choc.

- "Grognasse" ? Vous avez aussi des larbins ?

Il se mit à rire et moi à être mettre mal à l'aise. Pourquoi j'avais posé cette question ? Bien sur que je savais la réponse, mais je crois même que ça me gênait ... Sachant Spica partie je savais pas trop où ...

- T'es marrant toi ! Nan, sache que madame se tape des mecs derrière mon dos ! Vieille catin ! Tu vois comment elles sont ? Je pars et je reviens pour la couvrir d'or et je la retrouve avec un autre mec dans notre pieu. Salope !

Je voyais qu'à son tic de la main droite, il s'impatientait.

- Bouge pas, je reviens.

Il s'en allait. Ca gueulait, ça criait.

Et pis plus rien.

Second choc.

Je savais. Au fond de moi, je savais.

Dans ce que je pensais être sa chambre, son gamin pleurait.

- Hoy.

Sa femme arrivait, elle sanglotait à peine dans toute sa dignité.

- Refoule la, on a un invité. Et va lui faire fermer sa gueule.

Alors elle se mit à lui obéir sans broncher. Lui, il avait pas eu le temps de s'asseoir.

Mon sang avait fait qu'un tour et je voyais noir.

Sans penser ni réfléchir, animé comme un bête, je m'étais levé et je lui avais décoché une droite de toutes mes forces.

Je l'avais seulement salement amoché au visage.

Il prit le haut de mon crâne dans la paume de sa main et l'encastra dans le mur le plus proche.

- T'aurais été mon gosse, tu serais plus de ce monde. T'as dix minutes pour te ramener au rafiot.

Il part. Sans émotion.

Sa femme revient me voir avec son gamin dans les bras. Son gamin devait le maudire. Même à son âge. Même à son âge il devait rêver que d'une chose : le voir crever.

J'étais en sang.

- Désolé ...

Mais plus important.

- Qu'est ce vous foutez encore avec ce connard ?
- Même quand il part il me fait mal.

Choc. Malgré tout, elle l'aimait encore ? C'était possible ?

Allez gamin, dors encore en silence, y'a encore longtemps avant que papa ne se lève plus.