Il y a une semaine, Alrahyr Kaltershaft et son équipe ont saccagé la zone militaire de la Marine, à Lavallière. Il y a une semaine, ils se sont battus sous le symbole de la Main Noire, répandant son image. Il y a une semaine, ils ont laissé derrière eux des centaines et des centaines de corps sans vie, pour la plupart enfouis sous des amas de pierres.
Il y a une semaine, le Colonel Earl Grey, en charge de l’île, est mort dans d’atroces circonstances.
Après l’accomplissement de leur tâche, organisée pour se venger de ce que la Marine a pu leur faire subir par le passé, les six hommes sont retournés sur Bocande. Ereintés, ils avaient besoin de repos, et la demeure familiale des Kaltershaft constituait un excellent point de chute. Accueillis avec plaisir par les parents d’Alrahyr, ils ont pu séjourner dans le calme pour bénéficier d’un repos bien agréable.
Ce qu’ils ne savent pas, c’est qu’ils sont observés et surveillés d’extrêmement près.
Karl Kaltershaft, le père d’Alrahyr, est né en 1576. Son propre père, Ludwig, à l’image de toute sa lignée, était un maillon inévitable de l’organisation révolutionnaire à Boréa. Déjà propriétaire de la plus importante forge de l’île et d’un habitat confortable, il était facile à la famille Kaltershaft d’être au centre de la vie économique de Bocande. Génération après génération, cela avait entraîné leur implication dans les révoltes locales.
Semaines après semaines, mois après mois et années après années, les réunions révolutionnaires avaient lieu dans la grande salle de leur demeure. Certaines actions voyaient le jour, et petit à petit l’organisation s’approchait de son but : faire s’éteindre l’influence bourgeoise des nobles de la ville de Bourgeoys.
Lorsqu’il fut en âge d’être invité par son père, Ludwig, à participer à ces réunions, Karl fut mis au courant de toute la situation. Révélation après révélation, il tomba des nues, ne comprenant pas pourquoi sa famille s’évertuait autant à lutter contre les instances établies. Au début, il se fâcha à maintes reprises avec son père, demandant des explications, des justifications.
Mais rien n’y fit. Extrêmement intelligent, il décida de feindre le changement de position et entrepris d’aider à la mise en place des futures actions, sans louper une seule miette des plans.
Et, lorsqu’il eut mieux compris tout ce fonctionnement et que son âge puisse justifier un déplacement seul de l’autre côté de l’île, prétextant des livraisons d’armes fraîchement forgées, il se rendit à la caserne de Lavallière.
Son but : livrer des informations sur les plans de la révolution à Boréa pour permettre à la Marine de les en empêcher. Le hasard plaça un agent du gouvernement aux côtés du Colonel en charge de l’île, ce jour-là. Présent pour affaires relatives à la révolution, il s’émerveilla devant les informations livrées par le jeune Karl.
Et ce qu’il lui proposa ensuite ravit le jeune adulte. Continuer son infiltration pour livrer toujours plus d’informations compromettantes.
Quelques années passèrent, et les actions de révoltes avaient de plus en plus de mal à réussir. Karl commençait son travail, d’une manière si intelligente qu’il ne fut jamais ni suspecté ni débusqué.
Le Gouvernement lui proposa de devenir officiellement agent. Justifiant son absence auprès de son père comme un besoin de voyager à travers les Blues pour rencontrer d’autres forgerons – ce qu’il fit, au passage – il quitta le nid familial pour recevoir sa formation. Rapidement promu car doté d’excellentes qualités et d’un passé justifiant son grade, il fut officiellement placé au CP6 comme infiltré à Boréa, sous le nom de code de Karl Coldway.
La seule chose qu’il se refusa toujours à faire, c’est de donner les informations comme quoi sa famille était personnellement impliquée dans la révolution et que le quartier général du mouvement était la demeure des Kaltershaft. Le gouvernement n’en a jamais rien su, et c’est tant mieux.
Il continua donc sa tâche. Lorsqu’il reprit la forge à la mort de ses parents, assez jeunes, il ne lâcha pas l’affaire révolutionnaire. Les réunions avaient toujours lieu chez lui, et tout ce qui s’y disait était su par le Gouvernement. Les actions étaient empêchées, et les nobles de Bourgeoys avaient repris leur puissance.
Une sorte d’équilibre profitable à la noblesse s’était établi sur l’île.
Jusqu’à Alrahyr Kaltershaft, fils de Karl. Il reçut ses principes révolutionnaires de son père, qui lui transmit sans faire trop attention à ses réactions. Il comprit trop tard qu’Alrahyr allait mener des actions d’envergure majeure. Il lui laissa donc les rênes, misant tout sur la transmission d’informations au Gouvernement, pour empêcher le Teiko de son fils de prendre racine.
Ce qu’il réussit avec brio. Et Alrahyr disparut de l’île.
Il réapparut peu de temps après, saccageant la caserne, pour repartir immédiatement après, considéré par le Colonel Earl Grey comme mort. Karl, qui n’en crût rien, partit à sa recherche. Il réussit à le recueillir au beau milieu des épaves de son navire et le soigna. Mais Alrahyr n’en a aucun souvenir, car l’agent Coldway connaît certaines techniques de manipulation de la mémoire, moyennant des coups bien précis à la tête. Il lui fit donc oublier ce passage de sa vie et le renvoya à l’eau, sachant qu’il allait s’échouer au cimetière d’épaves.
Au fil des mois, ses actions pro-révolutionnaires firent rapidement le tour de North Blue pour arriver aux oreilles de son père, qui se désola de l’enseignement qu’il lui avait inculqué.
Maintenant, après un retour fracassant, balayant la Marine de Boréa, Alrahyr est de retour à Bocande, chez ses parents, discutant de tout et de rien avec son père. Karl est un peu perdu, ne sachant comment réagir. Il ne veut en aucun cas mettre en danger sa famille, mais il sait qu’il ne pourra pas éternellement laisser son fils perturber le Gouvernement.
Dans ses rapports officiels, Karl ne mentionnera pas le retour d’Alrahyr. Il veut préserver sa position.
Toutefois, il doit parvenir à le calmer…