Un miracle ? Et puis quoi encore ?
Une semaine qu’on est en mer, une semaine que j’ai aucune foutue idée de comment je vais pouvoir procéder pour résoudre mon problème. Et ça, c’est moche.
Et vous savez ce qui est le plus moche dans tout ça ? C’est que le QG de West Blue est en vue, et que Barry a sonné le branle-bas de combat.
Et merde.
Le capitaine ordonne de hisser le drapeau noir, pour bien montrer qu’il est là. Son idée, il l’exprime haut et fort : ça va leur donner tellement la frousse qu’ils vont se rendre.
Mon dieu mon dieu mon dieu… Comment on peut être aussi loin de la réalité ?
Au QG, la réaction est immédiate. Dès le pavillon pirate bien en vue, cinq navires quittent le port, cinq bâtiments de la Marine, lourdement armés, dont le seul but est de couler l’embarcation de Barry avant même qu’il puisse faire feu. Et là, une idée me traverse l’esprit. Un « sauve qui peut » assez représentatif de la situation.
L’équation est simple : le QG contre cent onze pirates. Aucune chance bien évidemment pour le pauvre équipage. Mais un détail me chagrine pas mal, je dois l’avouer : je suis à bord du navire qui ne va pas tarder à rejoindre les abysses de West Blue. Je suis sur ce bateau, et je n’ai pas le moyen de prévenir la Marine d’éviter de me tuer. Premièrement parce qu’ils sont trop loin, et deuxièmement parce que je me ferais étriper par Barry. Et ça, j’en suis pas particulièrement fan.
Les prochaines minutes, je les vois comme ça : soit je me prends un boulet sur le coin de la gueule et je meurs sur le coup, soit je fais du slalom, j’ai du bol, et je coule avec le navire. Avec un peu de chance, j’évite de le suivre dans les profondeurs de la mer, et je flotte. Et là j’me fais tirer par la Marine, qui veulent pas s’encombrer avec des prisonniers.
Bon, c’est quand même pas super bien parti comme aventure.
Et là, solution, juste devant mes yeux. Barry donne des ordres :
- Amenez-moi le Den Den ! Je vais leur proposer de se rendre, magnanime que je suis !
Un escargophone ! Mais évidemment ! Quel abruti je fais… Je fonce à la cale, passant inaperçu auprès des membres de l’équipage, trop occupés à idolâtrer l’immense grandeur de leur idiot de capitaine.
Mais bordeeeel, où est-ce que j’ai foutu ça ? Une semaine en mer, et c’est le bazar pas possible dans les affaires. Je retourne tout, mets les réserves sans dessus dessous, et tombe enfin sur mon graal : mon bel escargophone, acheté ici même à West Blue, quelques semaines auparavant.
Sur son ventre, un numéro inscrit, celui du standard de la B.N.A., à contacter en cas d’urgence. Bein mon vieux, si ça c’est pas une urgence…
Pulupulupulu… Pulupulupulu…
- Ouiiii ?
- Oui allô, bonjour, ici Bartimeus, j’ai un problème, j…
- Oh attendez une seconde, j’vous cherche dans les registres, mmm ? Alors…
- Non mais c’est une urgence, je suis à b…
- Prenez pas ce ton là avec moi mon bon monsieur, attendez je vous prie, ne quittez pas.
Clic.
Une petite musique de fond met l’ambiance pour me faire patienter. Numéro d’urgence hein, bah y peuvent me laisser tout le temps de crever ! Au-dessus de moi, ça commence à s’agiter, on sent l’hésitation à la barre, le capitaine ne sachant pas trop à quel bord faire face.
Clic.
- Oui monsieur, vous m’avez bien dit Bartolomew ? Parce que je ne vous trouve pas…
- Mais non, Bartimeus !
- Ah ! Attendez je reviens.
Clic.
Tata talala ta-ta-ta, tata talala ta-ta-ta, ta-ta-ta, ta-ta-ta tatataaa tataaaaaa.
Musique de… raaaaaa !
Clic.
- Désolé monsieur, je ne trouve aucun Bartimeus. Je vais devoir raccrocher, passez une bonne…
- Non attendez ! Euh… Bartimeus Lew U. Ether ! Chez à… Oh et puis merde, cherchez Blue ! B.L.U.E ! Blue !
- Ne me faites pas perdre mon temps monsieur avec d’autres noms…
- Non non, cherchez, ce sont les initiales de mon nom, tout le monde m’appelle comme ça, je vous en prie !
- Bon, c’est bien parce que c’est vous…
Clic.
Tata talala ta-ta-ta, tata talala ta-ta-ta, ta-ta-ta, ta-ta-ta tatataaa tataaaaaa.
…
Clic.
- Ah oui, j’ai bien un Blue dans le registre. Effectivement, membre de la B.N.A. depuis quelques semaines, membre premium même ! Je vous écoute, dites-moi ce qui vous arrive.
- Il y a un navire pirate en vue du QG de West Blue, la Marine vient d’y envoyer cinq bâtiments de guerre pour le couler, et…
- Non mais je sais, ça, c’est l’événement ici ! Comment des abrutis pareils peuvent faire ça, franchement… On trouve ça hallucinant ici, pas vous ?
- Si ! Evidemment ! Et je disais, moi je suis à l’int…
- Alors monsieur, pourquoi me dites-vous quelque chose que je sais, vous savez les canulars sont mal vus, et moi je n’ai pas de temps à perdre avec ça, alors venez-en au fait !
- Mais je vous résume la situation pour vous expliquer mon problème !
- Venez-en au fait, monsieur !
- Je suis dans ce navire pirate !
- Pardon, j’ai dû mal entendre, les canons viennent de tirer ici, ça a mangé vos mots !
- Je suis d…
Les canons ?
Fiiiiiiiiiiiiiuuuuuuuuuuuuu BAOUM
BAM BAM BAM
Le navire tremble, des éclats de bois volent, mon escargophone en reçoit un et s’éteint sur le coup. Je lui aurais bien fait une petite cérémonie, mais j’ai pas spécialement le temps là. La Marine a ouvert le feu, et moi je suis au milieu du massacre. Le feu à volonté a été décrété immédiatement, sans sommation, sans tirs de visée. La cible est tellement simple à avoir…
D’après les bruits, je dirais que les cinq navires sont tout autour du bâtiment de Barry, et qu’on est vraiment dans la merde.
BAM
Un tir explose la coque, juste à côté de moi. Le choc m’assourdit un temps, mais ça n’est pas vraiment le problème. Je suis seul, dans la cale, empêtré dans des morceaux de bois, et l’eau rentre à gros débit par l’ouverture tout juste créée. Je suis trempé, mes pistolets et ma poudre sont noyés.
Même si je suis très mal parti pour survivre à un pareil bazar, je garde toujours une même idée en tête : capturer Barry. Alors je me saisis de mon couteau à dépecer et je grimpe quatre à quatre les marches pour rejoindre le pont.
Là, j’assiste à un spectacle de dévastation. Le bois vole, brûle, la fumée est partout, les boulets déchiquètent tout, sans laisser à personne une seule chance. Au bout de la proue, je vois Barry qui s’efforce de se protéger à l’aide de son fruit du démon. Il envoie des parties de son corps dans tous les sens pour se prémunir des dégâts, arrêtant les boulets comme les débris.
Fruit du démon…
Là, une idée s’impose à mon esprit, une idée vachement osée, mais la meilleur – enfin, la seule – qui me vienne à l’esprit.
Armé de ma lame, je traverse le pont à vive allure, me débarrassant à coups secs des pirates qui courent en pleine pagaille, sautant d’un corps à l’autre. Mon but : atteindre Barry avant qu’il ne se fasse tuer.
Arrivé à sa hauteur, j’accélère encore, conscient que mon élan sera ma seule chance de réussir. Mais, là, il se retourne et, me voyant foncer sur lui une arme à la main, me lance un regard noir. Instinctivement, je lui crie :
- Attention Barry !
Mon doigt pointe le vide, derrière lui, dans le but fictif de le prévenir d’un danger. Et cela fonctionne à merveille. Comme pour me donner raison, un boulet traverse l’écran de fumée qui englobe le navire et le capitaine utilise son pouvoir pour s’en protéger.
Et moi, à cet instant, j’arrive sur lui. De tout mon poids, de toute ma force, je le bouscule pour qu’on chute tous deux à la mer, sans lui laisser la possibilité de se ressaisir. Pour lui, dans l’instant, je ne suis pas une menace car je viens de le prévenir d’un danger. Alors il ne réagit pas assez vite.
Et notre duo tombe à l’eau. Là, un doute s’installe en moi, quelque chose d’idiot mais de bien réel à mon esprit : et si je m’étais trompé ? Et si la mer ne faisait pas son effet sur ses pouvoirs ?
Heureusement, je suis rapidement rappelé à l’ordre par la réalité de la situation. Comme je m’y attendais dans un premier temps, le corps de Barry devient inerte, ses yeux révulsés, et il demeure incapable de se mouvoir. Il est lourd et je peine à le maintenir à la surface, l’empêchant de couler à pic.
Dans des mouvements saccadés, je nous mène à un gros débris flottant, évitant les explosions qui nous entourent. Je crois que c’est le moment de ma vie où j’aurais eu le plus de chance. Une fois amarré à ce morceau d’épave, je fais tout mon possible pour que nous nous éloignions du navire en ruine toujours sous le feu nourri de la Marine. Barry est toujours dans l’eau, pour l’empêcher d’utiliser ses pouvoirs.
Alors je nage, encore et toujours, vers l’un des bâtiments de guerre le plus proche. Dans ma poche, j’arrive à mettre la main sur une affiche du capitaine, trempée mais encore utilisable. Les soldats nous ont certainement vus venir vers eux, et j’aimerais vraiment qu’ils ne nous canardent pas. Alors j’agite l’affiche le plus haut possible, espérant qu’ils comprendront.
Plus nous nous rapprochons, plus je sens le regard oppressant des yeux à travers les viseurs de leurs fusils, pointés directement vers nous. Le navire en question ne tire presque plus sur l’embarcation déjà presque détruite, laissant aux quatre autres le soin de s’en charger. Tout l’équipage est maintenant dédié à notre arrivée. Alliés ? Ennemis ? L’un pousse, l’autre semble mal en point. Il y a un type qui agite une affiche, une prime certainement. Qui est-ce ?
J’aperçois le commandant, armée d’une longue vue, qui sursaute lorsqu’il comprend enfin la situation. Ses hommes nous tiennent encore en joue, et je n’apprécie pas particulièrement cela. J’ai dans les mains une prime de 30 millions de berries, et l’officier pourrait très bien me la chourer.
On me jette une échelle de corde.
- Eh là-haut, c’est Barry La Chope que j’ai en bas, un utilisateur d’un fruit du démon ! J’ai pas envie de le sortir de l’eau comme ça !
J’entends le Commandant grommeler et fouiller dans sa cabine, puis revenir et me balancer une paire de menottes.
- Essayez-ça, ça devrait l’empêcher de nuire.
Du… granit marin ? Sérieusement ? La première fois que j’en ai entre mes mains ! Effectivement, que ça marche ! J’entrave mon prisonnier et le hisse sur le pont du navire, le portant tant bien que mal sur mes épaules. Arrivé en haut, je m’adresse à l’officier, tout inquiet que je suis.
- Chasseur de prime, Bartimeus Law U. Ether, plus connu – malheureusement – sous le nom de Blue. Voici Barry La Chope, Commandant.
Je balaie l’équipage du regard, attirant tous les yeux vers moi.
- Sa prime est à hauteur de 30 millions de berries.
Je marque une pause, laissant la somme faire son effet. Autant jouer cartes sur table…
- Je sais que la situation serait propice à ce que vous me balanciez à l’eau et récupériez la prime. Mais, Commandant…
Et je le fixe droit dans les yeux.
- Vous avez ici des centaines de témoins, tout votre équipage.
Je le sens osciller, mais je sais également que l’importante somme commence à lui faire tourner la tête.
- Et j’ai appelé la B.N.A. lorsque j’étais à bord du navire de Barry, je leur ai expliqué mon plan. Ils savent que je suis ici, avec Barry.
Pas le choix, faut bluffer.
- Commandant ?
- Mmm… Hissez les voiles, on rentre, notre cher Chasseur de Primes a un prisonnier à livrer !
Et il vient à mon oreille, me chuchoter :
- Vous avez une très mauvaise estime de la Marine, Blue. Très mauvaise.
- On n’est jamais trop prudent.
- Nous ne sommes pas des chasseurs de primes. Nous sommes des militaires. Nous avons un code de l’honneur, nous.
- Même pour trente millions ?
- Pour moi, la somme m’est égale… Mais…
- Mais ?
- J’avoue que certaines personnes se laisseraient tenter. Mais elles n’ont pas leur place dans la Marine.
- Pourtant elles y demeurent.
- Pourtant elles y demeurent. Et je le déplore.
- Merci Commandant.