-Je vous sens mal à l'aise ce soir. Voulez vous que je vous aide ?
-Vous pensez à quoi ?-En fait c'est plutôt vous qui devriez répondre a cette question, mais je peux le faire pour vous. Vous préférez que je parle de ce que vous êtes venus chercher ou de ce que vous cherchez vraiment ?
-Ce n'est pas la même chose ?-Vous ne le savez pas ?
-Répondre a une question par une autre c’est de la triche, je sais, je le fais aussi. -Je suis trop jeune pour avoir toutes les réponses, et vous les donner ne servirait à rien.
-Plutôt étrange comme observation pour un homme qu’on dit omniscient non ?-Vous trouvez ? Quel valeur accorde t’on a ce qui n’a rien couté ? Donner des réponses n’accorde aucune satisfaction à celui qui les entend. Et puis, croiriez vous vraiment ce que je vous dirais ?
-Probablement pas.-Vous voyez ? Comme disait l’une de mes précédentes incarnations, qu’importe le bout du chemin pourvu qu’on trouve la voie. Toutes les réponses sont en vous, mais je peux vous aider à trouver les bonnes questions.
-Toutes les réponses sont en vous… Facile à dire, ça c’est botter en touche ou je m’y connais pas. Donnez moi un miroir que je m’interroge, on verra si je me réponds.-Je pensais justement à quelque chose comme ça. Mais nous pouvons trouver mieux qu’un miroir.
La porte s’ouvre sans sommation, laissant le passage à un môme que j’ai jamais vu dans le coin. Il a les cheveux en bataille, la démarche conquérante et les fringues du gamin qui passe plus de temps a trainer dans les ruelles qu’a l’école. Il me regarde, et d’un geste qu’il doit répéter cent fois par jour il rabat en arrière la mèche qui lui cache les yeux.
Putain, c’est moi !
-Mais, c’est moi ?-Juste avant que vous ne quittiez l’Amerzone oui.
-C’est dingue, ça fait un choc…-Ouais, et ben choc ou pas je vous conseille d’arrêter de faire genre que je suis pas la ok ? Le môme nous toise de son regard d’apprenti gros dur. S’il n’y a qu’une chose qu’apprend une enfance en Amerzone, c’est bien le non respect des grades et titres du reste du monde… Héhé, je me souviens…
-Alors t’es devenu un pirate c’est ça ? Le plus fort ? -Pas encore. Mais bientôt peut être.-Hum…Le môme jauge ma tenue, évaluant probablement le prix global de ce que je porte pour savoir s’il doit me ranger dans la catégorie de ceux qui ont réussi ou pas. Il à l’œil acéré de ceux qui n’ont pas les thunes dont ils rêvent. Je dois lui paraitre carrément cousu d’or…
-Révo c’était mieux. Mais pirate c’est pas si mal… Luffy était au moins aussi fort que Dragon. -Il n’y a que ça qui compte ?-Bien sur, si tu es fort tu peux faire tout ce que tu veux.-Et qu’est ce que tu veux ? -Je veux être dans les bouquins. Comme Dragon.-Barbe noir aussi est dans les bouquins.-Ouais, mais personne veut être lui.Limpide. Enfantin. Evident ?
Une porte s’ouvre, un autre moi rentre dans la pièce. Il est plus vieux, mais pas de beaucoup. Il a cette façon de marcher caractéristique de l’ado des rues, ce pas glissé a la fois visiblement nonchalant et malgré tout prudent, prêt à bondir et à se défendre au quart de tour. Sa main dans sa poche tripote un poinçon on ne peut plus méchant, et je sais le bord de sa casquette renforcé de pièces aiguisées. Le genre d’atout qui peut faire la différence dans une baston.
Dans l’ombre de son chapeau il a le regard noir, colérique.
-Maintenant ce qu’il faut c’est que tu leur fasse payer.-A qui ?-A tous ! A tous ses sales profiteurs qui s’enrichissent sur le dos des pauvres, tout ces salauds de gouvernementaux qui nous prennent tout avec leurs taxes et leurs impots depuis leurs sièges confortables à Marijoa. Tous ses enfoirés de marines qui font appliquer leurs lois pourries…Je ne sais plus qui disait, celui qui n’est pas révo a seize ans est un lâche, et celui qui l’est encore a trente est un idiot
-Il faut tout raser, tout détruire, abattre le gouvernement et ensuite…-Ensuite quoi ?-Ensuite on pourra reconstruire sur des bases saines, ou on sera tous égaux et ou chacun aura sa part !Bordel. Est-ce que j’ai vraiment pu manquer de conscience politique a ce point la ?
Oui, bien sur que oui…
-Œil pour œil…-Et le monde entier sera aveugle, ouais, on me l’a déjà sorti celle la, et putain on s’en branle de ces citations philomerdiques à deux berrys. La seule révolution possible c’est par les armes et en liquidant toutes ces crevures ! Et tous ceux qui croient le contraire se gourent, c’est juste des conneries de trouillard sans couilles !Comment lui dire qu’il a tort, alors que même moi je ne suis pas convaincu. La seule chose que mon cynisme me souffle c’est que l’histoire a prouvé que les révolutionnaires armées faisaient des très mauvais gestionnaires. Et que toutes les révolutions donnaient d’abord des périodes de répression bien plus violentes que les régimes qu’elles dénonçaient.
Ce qui n’invalide évidemment pas la méthode, pas plus qu’elle ne valide la faisabilité d’une autre…
Une porte, encore un moi. Affuté celui la, ce n’est plus un jeune chien, c’est un loup. Il dégage cette impression que j’ai appris à assimiler a ce genre de types aussi froid que la mort, capable de trucider un autre type sans même y réfléchir avant de passer immédiatement a autre chose. Comme on accomplit n’importe quelle tache du quotidien.
Avant même qu’il ait finit son premier pas je sais qu’il a embrassé toute la salle, notant nos positions, nos armes, les issues de secours, cataloguant les objets utiles…
Non, pas même un animal, juste un objet, juste une arme qu’on pointe sur une cible et qu’on relâche. Une période de ma vie qui se définit en deux fois trois signes.
Red, CP5.
-Putain… Comment t’as pu merder à ce point…-Tu verras, je veux pas te gâcher la surprise…-En attendant c’est moi qui suis censé t’aider maintenant que tu t’es paumé. Qu’est ce que tu veux que je te dise hein ? Pirate ? Hors la loi ? Autant te tirer une balle tout de suite.-Je pensais plutôt à autre chose.-Quoi ? Redevenir révo ? Allons. La révolution est un mythe qui sert autant le GM que tout le reste. Tu crois vraiment qu’ils peuvent gagner ?-Non.-Exactement. Ils peuvent pas, et si par hasard ils y arriveraient ça ne ferait qu’empirer les choses. Regarde l’histoire, il y a cent ans que Dragon est mort et ils ne sont pas plus avancés qu’a l’époque. Rien ne peut faire tomber le GM à part le GM lui même. Même si tu pouvais faire oublier ton passé aux révos, ce dont je doute, qu’est ce que tu feras ? Tu crois que tu tiendras combien de temps a les aider a sauver le peuple alors que tu sais très bien que ce putain de peuple dont ils se glorifient n’a strictement rien à foutre de leurs principes à la con. Le peuple se fout de la liberté ou de la justice, tout ce qu’il demande c’est une vie sans histoire et de quoi se payer à bouffer et un peu de bon temps.-Il y a d’autres moyens…-Conneries. Tu veux que je te dise quoi faire maintenant que tu es grillé non ? Oublie la révo. Oublie ces conneries qui te trainent dans la tête. Tu ne dois pas te racheter, tu ne dois rien aux cadavres que tu as laissés dans ton sillage, tu ne dois pas sauver un monde qui n’en a rien à foutre. Si les gens ne savent pas jouer pour eux c’est leur problème, pas le tien. Prends ce que tu peux prendre, profite en, et oublie tout le reste.
Joue pour toi Red. Et le défilé continue. Jusqu'à celui qui me ressemble presque assez pour qu’il puisse me servir de miroir.
-Et toi, t’es lequel ? A part le bras je ne vois pas de différences.-Moi ? Moi je suis le mec qui s’est fait sécher par cet enfoiré de Tetsuda. Franchement, je sais pas comment t’as fait pour t’en sortir vivant…-Un Red parallèle alors, on est même plus dans le passé. -Moi j’y suis, et c’est pas la joie. Alors je viens quand même poser mon conseil. Il faut que tu arrêtes de te prendre la tête. Profite. Après c’est fini. Alors fais n’importe quoi, on s’en fout. Et retrouve la ! Il n'y a qu'elle qui compte.-ça fait quand même bizarre comme conversation.-M’en parle pas. Je suis mort mec. Un gradé de la marine m’a vaporisé à l’acide !-Je sais, j’étais la.-Ouais, veinard. Si tu le recroises et que t’as pas le choix, met y un pain de ma part.-Si j’ai l’occase, promis. -Parfait, alors à la prochaine.-La prochaine ? -Ouais, on se recroise quand tu seras mort quoi. Et non, je peux pas te donner de date, je ne suis qu’une voix dans ta tête.-Ouais, ça se tient. Juste une question quand même. Tu as revu Duval ?-Tu verras. Salut Red.-Salut Red. Et je me retrouve de nouveau seul avec Hubert qui me regarde avec son petit sourire en coin. Sale mioche. On devrait pas confier ce genre de pouvoir à un gamin…
-Je vais vous laisser un peu seul. Pourriez vous venir ce soir ? J’aimerais que vous me parliez de Marijoa….