Le temps, c'est abstrait. Relatif à tout un chacun, insupportable à perdre pour tous, il fait partie de ces facteurs qui, sans que jamais personne ne lui rejette directement la faute dessus, peut amener satisfaction, colère, ou toute sorte de sentiments contraires. La chose est si vaste qu'on peut même lui admettre des sous-catégories. La linéarité par exemple, preuve d'un écoulement perpétuel et constat triste décrivant l'avancée d'un monde qui n'attend personne. Rockfor, lui, n'était intéressé que par deux sous-catégories : la ponctualité et le sens du timing. Si ni lui, ni son narrateur n'étaient très au point sur le premier, ils portaient tout deux un sens aigu du second. Ainsi, il ne faisait pas bon être un étranger à Endaur par les temps qui courent, l'île de bûcherons ayant été ravagée par un maudit canard durant le bal annuel. Pourtant le roi blanc débarqua là, frais comme un gardon, à peine surpris de découvrir des arbres encore fraîchement carbonisés, des mères en pleurs devant le bobo au doigt de leur fiston, et des bûcherons à l’œil noir placarder, sur les quelques rares arbres et maison encore en état, le portrait du criminel le plus impitoyable qu'Endaur ait connu : celui d'un volatile, à l'air docte et pas bien frais. Aux yeux de notre roi, rien de moins qu'un royaume sur le déclin tout prêt à être reconquis. En toute logique, lorsqu'il posa le pied à terre, il jugea donc bon de venir sur la place publique et déclarer les festivités dues à son couronnement. Et sans réellement comprendre pourquoi, l'homme en blanc n'eut pour seule réponse que la haine vengeresse des habitants envers son futur compagnon. Soit une quinzaine de poings dans la gueule. En à peu près autant de secondes._______________________
Jean-Roberto grattait son petit doigt meurtri tandis qu'il regardait d'un air sceptique l'homme en blanc qui sortait de nulle part, assommé, aux pieds de ses confrères. C'était à lui de décider du destin de nouveau venu. Le chef Chirp ne s'était toujours pas remis du combat qui l'avait opposé à ce satané Canard, aussi les villageois avaient choisi comme leader intérimaire la première personne à avoir vu venir le mauvais plan la veille, soit notre concerné. Et si ce dernier, d'abord sceptique à l'idée puisque désireux d'accomplir sa vengeance sur le volatile, avait fini par accepter devant l'insistance de ses congénères, il ne réussissait pas encore à apprécier le rôle de chef dans tous ses aspects. Le bureau des plaintes et des pleurs, très peu pour lui, tout comme les responsabilités qu'impliquait la reconstruction du village. Être l'homme sur qui les gens comptent lui était bien peu familier. Et finalement, en réalité, à part le fait d'avoir un jugement absolu, il n'appréciait rien du tout. Car oui, Endaur, sous ses airs de village des plus humbles, n'avait rien d'une démocratie. Et lorsque jugement devait être donné, seul le chef possédait le droit de décision. Aussi, lorsqu'un bonhomme aussi suspect que le dandy pâlot était soumis à son sort, Jean-Roberto ressentait une certaine satisfaction qui n'avait réelle comparaison. En retenant un petit rire cruel, il toisa donc du regard successivement le roi blanc allongé au sol puis l'assemblée pendue à ses lèvres. Puis, non sans un certain sadisme, il inspira doucement avant de prononcer pour la deuxième fois de la journée, le châtiment le plus cruel de la ville bûcheronne."Jetez moi ça aux fers."
"... pardon?"
"... en prison, Simon."
"... mais c'est quoi le fer?"
Le chef temporaire soupira avant de tourner les talons, ne daignant pas expliquer à son fidèle et jeune apprenti qu'il existait d'autres matières que le bois sur cette terre. Déjà las de sa nouvelle fonction, Jean-Roberto s'éloignait calmement en direction de sa propre cabane calcinée, bien décidé à la réparer pendant qu'il réfléchissait au meilleur moyen de corriger son ennemi juré. Mais alors qu'il s'apprêtait à ramasser pour une énième fois son marteau, il se rendit soudain compte d'un pouvoir de chef qu'il ne soupçonnait pas : la force du nombre. A ses pieds._______________________
Tyme avait toujours su compter. Dans un monde qui ne laissait pas place aux petites carrures, il avait réussi à trouver la sienne à la seule puissance de son talent unique. Du moins à Endaur. Entourés de gros bras, de grandes gueules et de fortes têtes, ce fluet bonhomme d'un petit mètre soixante-cinq fils de Dahlia Grômuscl, la bûcheronne coquine, vivait dans la peur de décevoir depuis sa tendre enfance. Il n'avait jamais coupé le moindre arbre, jamais monté la moindre cabane. Aux yeux du biceps, le garçon ne valait pas mieux qu'une écorce névrosée. Et pourtant, au jour qui nous intéresse, il était devenu cet indispensable, cet irremplaçable compteur. Il était celui qui dénombrait les réserves de bois, celui qui déterminait le nombre d'arbres à abattre et lesquels possédaient le plus de branches. Oui, Tyme, délicat de son état, n'avait rien d'un bûcheron. Et ça le rendait heureux. Sauf les jours où il n'avait plus de choses à compter. Et dans ce genre de moments, il ne lui restait rien d'autre à faire que d'en trouver d'autres.
"C'est pour ça que je suis venu ici. Comme ça, je peux compter le nombre de prisonniers."
"Eh bien, si j'en avais eu quelque chose à cirer, c'eut été avec plaisir, maintenant tu peux le constater mon gaillard, on est tout autant deux que tu vas pas aller loin avec ça."
"Mais... cette phrase ne veut rien dire?"
"Ah bah d'accord, monsieur ne sait que compter et s'improvise prof de français, tu crois pas que tu me ramasses assez les moules avec tes histoires?"
"... mais..."
"Maintenant tu vas m'faire plaisir et me ramener le trousseau avec la clé qui nous libère dessus, et si t'es gentil, j'pourrais même peut-être te laisser compter le nombre de breloques qui sont accrochées dessus."
"Oh ! Merci monsieur, vous avez un cœur gros comme ça !"
"Entre nous, le fait d'écarter les mains fera jamais apparaître un truc entre les deux, et si vous voulez faire un câlin à la demoiselle qu'est derrière moi, c'est pas avec une technique aussi pourrie que vous ..."
"Ce sont ces clés que vous désirez, homme en blanc?"
Jean-Roberto marchait calmement avec le trousseau de clé entre les deux mains. Car oui, faut pas déconner, les bûcherons ne sont pas des artisans : faire un passe-partout de moins de 25 centimètres de long pour 5 de hauteur était un petit exploit. Et s'il n'était pas aussi clinquant que son homologue en métal, il est d'usage de concéder qu'un trousseau de breloques en bois avait cela d'incroyable qu'il permettait un effet dramatique des plus incertains. En l'occurrence, beaucoup de ridicule. Ce qui ne manqua pas de faire pouffer Rockfor Egry, sous l’œil paniqué d'un Tyme persuadé d'apparaître comme un sympathisant à la cause prisonnière. Il s'apprêtait à se mettre à genoux, à fondre en excuse, mais Jean-Roberto le dépassa pour s'approcher des détenus sans prêter attention au bonhomme, essentiellement parce qu'il n'en avait pas grand chose à foutre.
"Quel est ton nom, étranger?"
"Alors d'une, hein, parce qu'on on est pas chez Tonton Claude ici, il va me donner du votre le monsieur doigt moche, là, parce que sinon ça va mal se mettre et d'une, parce que je sais pas compter après un, c'est Rockfor Egry, roi de son état. Idéalement d'ici. Et d'ailleurs. Et m'en faites pas une chanson hein, parce que bon on connaît la musique."
"Écoutez, l'Egry. Jusqu'à preuve du contraire, vous êtes prisonniers, et je suis seul décisionnaire de ce qui peut vous arriver. Donc vos histoires, vous les gardez pour vous pour l'instant et vous m'écoutez."
"... ok tu m'as convaincu."
"Je peux vous libérer. A trois conditions, et sans poser de questions. Aidez moi à devenir le héros de mon peuple, l'icône à suivre à travers les monts et marrées, déclarez-vous comme associé du canard ..."
"... hm?"
"Et assassinez le chef Chirp. Puis portez le chapeau."
"Ah, enfin quelque chose qui me plaît."
Tyme en eut le sang glacé. Jean-Roberto avait toujours toujours été son astre, sa figure paternelle. Mais il n'était pas au courant de tant de cruauté et de fourberie dans le corps de son maître. Tiraillé par sa fidélité à son idole, sa lâcheté et son sens du devoir, il réfléchissait calmement à ce qu'il devait faire, tout en se posant la question de savoir ce qui plaisait au roi blanc entre tuer un homme ou porter un chapeau. Ce dernier eut vite fait de le rassurer sur la question en fixant sur sa tête son haut de forme blanc, armé d'un sourire idiot. Puis le compteur se souvint soudain que, beaucoup plus discrètement au fond de la cage, un autre prisonnier se tenait là. Caché dans l'ombre."Au vu de sa réaction, il semblerait que Monsieur le roi se soit rangé à ma cause mais qu'en est-il de vous..."
Tyme déglutit de peur alors que sortait des ténèbres une jeune femme - qu'il trouvait sommes toutes parfaitement à son goût.
"... Mademoiselle Jorgensen?"
Tout vient à point à qui sait attendre. Si si.
Pour comprendre la réponse qu’allait sans nul doute donner la jeune comédienne à son geôlier il fallait remonter de quelques heures dans le temps -quelques mois si l’on prend en compte le temps d’écriture du récit. En effet, on serait en droit de se demander comment, et bien entendu pourquoi, une demoiselle aussi respectable que ladite Elie Jorgensen se retrouvait dans une cellule d’Endaur, aux côtés d’un parfait crétin chapeauté et retenue prisonnière par un ahuri qui rêvait de pouvoir. Et bien qu’on pourrait résumer ça fort simplement en une phrase, nous ne voudrions pas gâcher au lecteur le plaisir de découvrir selon un mode de récit plus réaliste les abracadabrantes aventures de la comédienne.
***
L’arrivée d’Elie sur l’île s’était faite sans la moindre anicroche. Des gens respectables, qui ne différaient pas, pour la plupart, des critères de normalité de ce qu’on pouvait attendre d’une île des Blues. Elie avait lu, en feuilletant le South Magazine, que contrairement à la rumeur, les femmes d’Endaur n’avaient aucunement le physique de Guenons musculeuses, que c’était plutôt le contraire, et le S.M. rajoutait même que c’était très bien comme ça, parce que d’abord, il n’y avait pas de raisons... et le rédacteur du journal avait ensuite été viré sans avoir le temps de terminer sa phrase dans des circonstances qui nous laissent perplexes. Soit dit en passant, la compréhension de ce post devenant de plus en plus difficile, y compris pour son rédacteur, revenons à nos moutons.
Elie s’installa donc dans un hôtel pas trop miteux, sortit ses affaires et exécuta plein de petites tâches quotidiennes dont le lecteur n’a absolument rien à foutre et que je ne me permettrai pas de décrire ici, sous peine d’ennuyer les rares personnes qui trouveront la force de lire jusque là. L’idée de la jeune femme en venant sur l’île, n’était certainement pas de se trouver du travail. Elle était en vacances et pensait user son temps à visiter l’île, faire quelques emplettes et s’exercer à une nouvelle tendance qu’elle avait apprise de ses collègues comédiennes, le jogging.
Enfilant donc rapidement short moulant, débardeur pratique et lunettes de soleil, elle accrocha à ses oreilles les deux longues antennes de son escarwalkwomen portable qu’elle avait obtenu pour la modique somme de 1000 Berrys, ce qui aurait pu être une affaire si ce dernier n’avait pas un léger problème de fuite qui obligeait son propriétaire à l’entretenir très régulièrement. Puis bon, le son qui tournait en boucle n’avait rien à voir avec une quelconque sorte de musique puisque la description la plus proche qu’on pouvait en faire semblait être “Tirage de cuvette bien bouchée”, ce qui en soit, calait Elie dans son rythme de course, plutôt lent.
Lorsqu’au bout d’une dizaine de minutes, la jeune femme se retrouva hors d’haleine, elle regarda derrière elle, avec le mince espoir de ne plus voir la ville et de se dire qu’elle avait bien couru. Malheureusement, en plus d’être dotée d’une endurance fort peu encourageante, sa vitesse égalait tout juste celle d’une tortue galopante, ce qui, dans un monde autre aurait pu être très rapide, mais dans notre univers où la normalité se situait bien au delà du simple humain lambda, on pouvait presque considérer que la comédienne ne s’était pas du tout déplacée, voir même qu’elle avait reculé plus que la normale.
***
À quelques mètres de là, Fernando Scùaron, flibustier de la pampa et tueur en série émérite fixait d’un regard déterminé les jambes à nu de la jeune femme. Déguisé de manière fort habile en buisson, il se mouvait avec la rapidité d’un fauve et la grâce d’un félin, son énorme sac transformé en une plante potagère, il pouvait d’un mouvement léger et délicat attraper n’importe laquelle de ses armes meurtrières pour assassiner ses victimes. Dans le cas présent, il en était toujours à la phase d’observation : il y avait trois phases dans les approches tactiques de Fernando. La première consistait à observer le sujet -d’abord pour vérifier que celui-ci était bien une femme et qui plus est, une jeune joggeuse solitaire (car oui, Fernando était professeur es-violetmeurtredejeunesjoggeuses, et il enseignait sa passion à une dizaine d’élèves dans tout South Blue)- la seconde étape prenait en compte toute la partie d’action véritable avant que la personne ne décède -le viol principalement, mais c’était un art extrêmement compliqué et il ne cessait de progresser tout au long de sa carrière- la troisième et dernière étape consistait à tuer la personne et prouver que c’était bien de sa faute à elle si elle était morte.
Fernando jeta un coup d’oeil en arrière pour bien vérifier que personne d’autre que les dix buissons camouflés -qui bougeaient aussi imperceptiblement que les nuages célestes et augustes- ne pouvait voir ce qui allait se passer, puis il se releva, exécuta une manoeuvre d’esquive de regard qui l’entraîna hors du champ de vision de la demoiselle s’avança doucement, et lorsqu’il fut à moins d’un mètre de sa victime il tourna vivement la tête vers ses élèves, qui, tant bien que mal notaient absolument tout ce qui leur serait utile dans un futur proche, lorsqu’ils auraient obtenu leur diplôme de VMJJ. Il leur désigna successivement les détails qu’il ne fallait absolument pas oublier lorsqu’on s’apprêtait à violer une jeune joggeuse, notamment la disponibilité du sol -il valait bien évidemment faire ça sur un terrain pas trop inconfortable de façon à ce que le viol ne soit pas non plus pénible- vérifier la position du soleil pour que l’ombre du tueur ne le trahisse pas, veiller toujours à se brosser les dents avant l’acte, afin de ne pas être repéré de loin, et bien entendu, éviter de se retrouver devant les yeux de la jeune joggeuse comme dans l’exemple.
“Qu’est ce que vous ? Demanda Elie intriguée à l’adresse de l’homme buisson.
-Oh, pas de soucis mademoiselle, je suis à vous dans quelques instants, j’explique à mes élèves les erreurs à ne pas faire lorsqu’on s’apprête à violer une jeune femme.
-Mais je… Non.”
Dans un élan de force extraordinaire, la comédienne poussa son futur violeur qui tomba à la renverse, déséquilibré par le poids de son sac. Il atterrit lourdement sur ce dernier, déclencha l’une des diverses armes meurtrières qu’il contenait et décéda subitement, provoquant un hoquet de frayeur et d’indignation chez dix arbustes alentour. Elie regarda intriguée la verdure se relever, s’approcher d’elle et l’attraper par le bras en lui criant qu’elle n’avait pas le droit de faire ça, et que c’était contraire aux moeurs et que c’était le meilleur professeur des environs, et qu’ils avaient payé une fortune pour son enseignement et qu’elle allait être traînée devant la justice pour un meurtre aussi bas. Ce qui faisait beaucoup de “et que” dans une seule et unique phrase, mais bon… passons.
Complètement désorientée, Elie s’était vue amenée le plus rapidement au poste où elle s’était vue transférée en cellule sans aucune autre forme de procès. Elle répétait à qui voulait bien l’entendre que c’était un accident et qu’elle n’y était pour rien, mais le gardien faisait la sourde oreille. Quand elle en eut marre de s’égosiller pour prouver son innocence, elle s’étala dans un coin et dormit jusqu’à ce qu’on amène dans la même cellule que la sienne un curieux bonhomme vêtu d’un costume et d’un chapeau qui la regardait d’un air supérieur et qui semblait doté d’un encore plus haut taux de crétinisme que feu Fernando Scùaron et sa classe.
Le reste, vous savez à peu près ce qu’il en était jusqu’à la question fatidique, seul point qui nous intéressait vraiment dans cette histoire. En entendant son nom, Elie s’était levée, avait approché son joli bout de visage des barreaux et de son plus joli sourire adressa quelques mots à Jean-Roberto.
“Je veux bien réfléchir à votre proposition. Mais en échange je ne demande pas seulement ma propre liberté.
-Comment ça ?
-Les personnes qui m’ont amené ici, je les veux tous aux fers.
-Nous n’avons pas leurs identités.
-Je pense que si.
-Vous doutez de moi ?
-Je pense plutôt que la personne que j’ai accidentellement assassiné comme vous dites, devait posséder la liste complète de ses élèves, non ?
-Ah… Et si je refusais ?
-Vous comptez sérieusement à ce que votre plan réussisse en le confiant uniquement à un type qui comprend une phrase sur trois ?
-Mh…
-...
-Mh…
-Vous réfléchissez là ?
-Ma décision est prise, c’est d’accord. Si vous tentez par un quelconque moyen de vous enfuir de l’île avant d’avoir exécuté le plan, je vous envoie les dix buissons qui seront ravis de vous ramener ici.
-Très bien. Quand sortons nous ?”
***
L’arrivée d’Elie sur l’île s’était faite sans la moindre anicroche. Des gens respectables, qui ne différaient pas, pour la plupart, des critères de normalité de ce qu’on pouvait attendre d’une île des Blues. Elie avait lu, en feuilletant le South Magazine, que contrairement à la rumeur, les femmes d’Endaur n’avaient aucunement le physique de Guenons musculeuses, que c’était plutôt le contraire, et le S.M. rajoutait même que c’était très bien comme ça, parce que d’abord, il n’y avait pas de raisons... et le rédacteur du journal avait ensuite été viré sans avoir le temps de terminer sa phrase dans des circonstances qui nous laissent perplexes. Soit dit en passant, la compréhension de ce post devenant de plus en plus difficile, y compris pour son rédacteur, revenons à nos moutons.
Elie s’installa donc dans un hôtel pas trop miteux, sortit ses affaires et exécuta plein de petites tâches quotidiennes dont le lecteur n’a absolument rien à foutre et que je ne me permettrai pas de décrire ici, sous peine d’ennuyer les rares personnes qui trouveront la force de lire jusque là. L’idée de la jeune femme en venant sur l’île, n’était certainement pas de se trouver du travail. Elle était en vacances et pensait user son temps à visiter l’île, faire quelques emplettes et s’exercer à une nouvelle tendance qu’elle avait apprise de ses collègues comédiennes, le jogging.
Enfilant donc rapidement short moulant, débardeur pratique et lunettes de soleil, elle accrocha à ses oreilles les deux longues antennes de son escarwalkwomen portable qu’elle avait obtenu pour la modique somme de 1000 Berrys, ce qui aurait pu être une affaire si ce dernier n’avait pas un léger problème de fuite qui obligeait son propriétaire à l’entretenir très régulièrement. Puis bon, le son qui tournait en boucle n’avait rien à voir avec une quelconque sorte de musique puisque la description la plus proche qu’on pouvait en faire semblait être “Tirage de cuvette bien bouchée”, ce qui en soit, calait Elie dans son rythme de course, plutôt lent.
Lorsqu’au bout d’une dizaine de minutes, la jeune femme se retrouva hors d’haleine, elle regarda derrière elle, avec le mince espoir de ne plus voir la ville et de se dire qu’elle avait bien couru. Malheureusement, en plus d’être dotée d’une endurance fort peu encourageante, sa vitesse égalait tout juste celle d’une tortue galopante, ce qui, dans un monde autre aurait pu être très rapide, mais dans notre univers où la normalité se situait bien au delà du simple humain lambda, on pouvait presque considérer que la comédienne ne s’était pas du tout déplacée, voir même qu’elle avait reculé plus que la normale.
***
À quelques mètres de là, Fernando Scùaron, flibustier de la pampa et tueur en série émérite fixait d’un regard déterminé les jambes à nu de la jeune femme. Déguisé de manière fort habile en buisson, il se mouvait avec la rapidité d’un fauve et la grâce d’un félin, son énorme sac transformé en une plante potagère, il pouvait d’un mouvement léger et délicat attraper n’importe laquelle de ses armes meurtrières pour assassiner ses victimes. Dans le cas présent, il en était toujours à la phase d’observation : il y avait trois phases dans les approches tactiques de Fernando. La première consistait à observer le sujet -d’abord pour vérifier que celui-ci était bien une femme et qui plus est, une jeune joggeuse solitaire (car oui, Fernando était professeur es-violetmeurtredejeunesjoggeuses, et il enseignait sa passion à une dizaine d’élèves dans tout South Blue)- la seconde étape prenait en compte toute la partie d’action véritable avant que la personne ne décède -le viol principalement, mais c’était un art extrêmement compliqué et il ne cessait de progresser tout au long de sa carrière- la troisième et dernière étape consistait à tuer la personne et prouver que c’était bien de sa faute à elle si elle était morte.
Fernando jeta un coup d’oeil en arrière pour bien vérifier que personne d’autre que les dix buissons camouflés -qui bougeaient aussi imperceptiblement que les nuages célestes et augustes- ne pouvait voir ce qui allait se passer, puis il se releva, exécuta une manoeuvre d’esquive de regard qui l’entraîna hors du champ de vision de la demoiselle s’avança doucement, et lorsqu’il fut à moins d’un mètre de sa victime il tourna vivement la tête vers ses élèves, qui, tant bien que mal notaient absolument tout ce qui leur serait utile dans un futur proche, lorsqu’ils auraient obtenu leur diplôme de VMJJ. Il leur désigna successivement les détails qu’il ne fallait absolument pas oublier lorsqu’on s’apprêtait à violer une jeune joggeuse, notamment la disponibilité du sol -il valait bien évidemment faire ça sur un terrain pas trop inconfortable de façon à ce que le viol ne soit pas non plus pénible- vérifier la position du soleil pour que l’ombre du tueur ne le trahisse pas, veiller toujours à se brosser les dents avant l’acte, afin de ne pas être repéré de loin, et bien entendu, éviter de se retrouver devant les yeux de la jeune joggeuse comme dans l’exemple.
“Qu’est ce que vous ? Demanda Elie intriguée à l’adresse de l’homme buisson.
-Oh, pas de soucis mademoiselle, je suis à vous dans quelques instants, j’explique à mes élèves les erreurs à ne pas faire lorsqu’on s’apprête à violer une jeune femme.
-Mais je… Non.”
Dans un élan de force extraordinaire, la comédienne poussa son futur violeur qui tomba à la renverse, déséquilibré par le poids de son sac. Il atterrit lourdement sur ce dernier, déclencha l’une des diverses armes meurtrières qu’il contenait et décéda subitement, provoquant un hoquet de frayeur et d’indignation chez dix arbustes alentour. Elie regarda intriguée la verdure se relever, s’approcher d’elle et l’attraper par le bras en lui criant qu’elle n’avait pas le droit de faire ça, et que c’était contraire aux moeurs et que c’était le meilleur professeur des environs, et qu’ils avaient payé une fortune pour son enseignement et qu’elle allait être traînée devant la justice pour un meurtre aussi bas. Ce qui faisait beaucoup de “et que” dans une seule et unique phrase, mais bon… passons.
Complètement désorientée, Elie s’était vue amenée le plus rapidement au poste où elle s’était vue transférée en cellule sans aucune autre forme de procès. Elle répétait à qui voulait bien l’entendre que c’était un accident et qu’elle n’y était pour rien, mais le gardien faisait la sourde oreille. Quand elle en eut marre de s’égosiller pour prouver son innocence, elle s’étala dans un coin et dormit jusqu’à ce qu’on amène dans la même cellule que la sienne un curieux bonhomme vêtu d’un costume et d’un chapeau qui la regardait d’un air supérieur et qui semblait doté d’un encore plus haut taux de crétinisme que feu Fernando Scùaron et sa classe.
Le reste, vous savez à peu près ce qu’il en était jusqu’à la question fatidique, seul point qui nous intéressait vraiment dans cette histoire. En entendant son nom, Elie s’était levée, avait approché son joli bout de visage des barreaux et de son plus joli sourire adressa quelques mots à Jean-Roberto.
“Je veux bien réfléchir à votre proposition. Mais en échange je ne demande pas seulement ma propre liberté.
-Comment ça ?
-Les personnes qui m’ont amené ici, je les veux tous aux fers.
-Nous n’avons pas leurs identités.
-Je pense que si.
-Vous doutez de moi ?
-Je pense plutôt que la personne que j’ai accidentellement assassiné comme vous dites, devait posséder la liste complète de ses élèves, non ?
-Ah… Et si je refusais ?
-Vous comptez sérieusement à ce que votre plan réussisse en le confiant uniquement à un type qui comprend une phrase sur trois ?
-Mh…
-...
-Mh…
-Vous réfléchissez là ?
-Ma décision est prise, c’est d’accord. Si vous tentez par un quelconque moyen de vous enfuir de l’île avant d’avoir exécuté le plan, je vous envoie les dix buissons qui seront ravis de vous ramener ici.
-Très bien. Quand sortons nous ?”