[HRP : je vais tenter un nouveau style d'écriture dans ce RP, qui mélange la narration « à la Shaïness » donc à la première personne en « je », et la narration omnisciente du narrateur neutre en « il/elle descriptif ». Du coup, la fluidité du texte va sûrement en pâtir, le temps de trouver mes marques, si jamais j'en trouve.]
Finalement, je restai pour dormir. Le GUANO m'offrit un repas sommaire et une petite place pour dormir dans une sorte de baraquement, et ce fut bien assez pour moi. Je ne savais pas pourquoi, mais j'étais absolument éreintée, comme si j'étais passée à la lessiveuse. Je trouvai la force de joindre Kadren et Rafaelo, pour les informer de l'avancée positive des négociations et de mon départ futur vers Shanda, les ruines où se trouvaient les Shandias. Le premier ne fut pas vraiment enchanté de cette nouvelle, n'aimant pas me savoir en terrain inconnu seule, et le second n'eut pas droit au chapitre, puisqu'il était sur répondeur. De mon côté, je me sentais capable d'accomplir cette mission d'ambassadrice représentant la paix et la voix de Dieu sans problème, puisque Dieu lui-même m'en pensait capable.
De temps à autre, j'avais un sursaut, avec ce sentiment que je ratais une marche. Littéralement cette impression de tomber dans le vide sauf que ce n'était qu'un émoi passager. Un peu comme on se réveille le matin en se souvenant parfaitement d'un rêve et qu'à partir de la seconde où on veut en coucher sur papier les détails pour s'en rappeler, pouf, plus rien. C'était exactement là : la sensation de toujours oublier quelque chose dont j'avais une parfaite connaissance, un « petit truc » auquel j'avais pensé il n'y a pas une demi-seconde.
Cela ne m'empêcha pas, bien au contraire, de suivre mon guide quand vint le matin. De ce trekking à travers la forêt, je ne m'en rappelle pas vraiment. Il fallait dire que l'Ange qui m'accompagna sut déjouer les pièges de cette jungle – hormis les moustiques. A chaque pas, j'avais l'impression de franchir un rideau de ces bestioles. Déjà tôt dans la journée, le soleil dardait ses rayons impitoyables sur une terre peu protégée des nuages, puisqu'elle s'y trouvait ancrée. La chaleur semblait pétrifier l'air en une masse poisseuse m'emprisonnant comme un insecte dans l'ambre. Autant dire que je fus ravie de me retrouver arrivée à destination. J'avais fait les derniers kilomètres seule, en suivant un petit cours d'eau, le soldat du GUANO s'étant éclipsé dès qu'il était arrivé à limite de la zone Shandia. Au delà de ce point, ce n'était même pas des terres disputées, c'était un territoire qui avait toujours appartenu aux « envahisseurs ». Quand j'essayais de discuter avec lui, notamment du fait que techniquement, les Shandias n'avaient pas envahi Vearth, mais que c'était Vearth qui était arrivée par accident au milieu de la Mer des Nuages et les Anges qui avaient ensuite envahi Vearth, il se referma complètement. Au temps pour moi.
J'avançai tranquillement, sans me cacher. L'idée était de me faire repérer. Peut-être aurais-je dû prendre un drapeau blanc, pour signifier mon statut d'émissaire de paix, mais je trouvais ça peu approprié, puisque je n'étais pas impliquée dans ce conflit. Bref, rien d'étonnant à ce que rapidement, des Shandias vinssent à ma rencontre.
N'en ayant jamais vu, je ne pouvais dire s'ils tiraient la tronche ou pas, mais je les trouvais d'un avenant peu sympathique. Mais vu que je n'éprouvais aucun sentiment, cela ne me fit ni chaud ni froid. Je me contentai de constater qu'à part un teint généralement plus hâlé, ils étaient tout d'un naturel ailé. Honnêtement, j'avais devant moi une brochette d'Anges adeptes de la bronzette.
- « Bonjour. » fis-je d'une voix neutre. « Je m'appelle Shaïness Raven-Cooper. Je voudrais parler à votre chef. »
- « Une humaine... » constata l'un des guerriers en crachant à mes pieds. Ce qui aurait provoqué un sentiment de colère indignée en moi, en d'autres temps. Je le savais. Pourtant, je trouvais reposant de ne rien sentir ou plutôt, ressentir.
- « En effet, je suis humaine. Et vous tous, vous êtes Shandias. Maintenant que nous avons établi ce fait, pourrions-nous nous rendre auprès de votre chef, je vous prie ? »
Il y eut une vague de murmures, une rapide concertation et nous fûmes partis. J'aurais dû m'étonner qu'on me fouillât pas. En effet, je portais mes dérouleurs de fils bien visibles et je ne cachais pas le fourreau de ma lame courte. Excès de confiance ? Mésestime de ma dangerosité ? Que m'importait. Pour la première fois, je faisais face à ses questions sans le cortège de doutes, de peurs, d'incertitudes douloureuses habituels. J'étais en paix.
On m'amena dans un village assez incongru au milieu des ruines de Shanda. Là où il semblait logique de construire en pierres prélevées de ce qu'il restait de cette antique cité, et en bois collecté depuis la jungle, les Shandias avaient préféré vivre dans des tipis. Ils étaient faits en peau de Rois de la Mer Blanche, un mélange étrange entre poils et écailles. Je ne savais pas pourquoi je me focalisais sur ce point. Je n'avais après tout jamais été une grande fanatique d'architecture ou de décoration intérieure, mais je crois que l'absence de sentiment provoquait chez moi un détachement suprême. Car ce fut de cette manière que je jugeait la femme qui me fit bientôt face. Ayant à peu près le même âge que moi, elle avait ma taille, sans les talons, et ma cuisse faisait la taille de son bras. Mais il n'y avait pas un pet de gras en elle. Bien au contraire, elle se dressait telle une amazone sculpturale, chez qui la fermeté de la chasseresse remplaçait la rondeur de la féminité. Sauvage plus que dure, décidée avant d'être sage, elle était l'incarnation de tout ce qu'il y avait de plus noble chez les guerriers de Vearth.
- « Manguelita, chefesse Shandia. » m'annonça mon garde-du-corps attitré. Il n'y avait pas plus cérémonie que ça, alors que même au sein du GUANO, il y avait encore un zeste de protocole. Un rien de théâtralité. Avec des individus comme Dieu, quoi de plus étonnant.
Du coup, il n'y avait pas de salle d'audience. Non, maintenant que je regardais au-delà des peaux-écailles, je voyais que nous étions au centre du village, les habitants réunis autour de nous, et tous avaient à portée de main une lance, un arc, un dial, une arme. Tous, depuis le gamin haut comme trois pommes, jusqu'à la mémé donnant dans le ridé. Apparemment, la Mer des Nuages n'avait pas d'algues célestes qui auraient pu faire un masque de nuit acceptable. Ou dans le cas, emplâtre de nuit.
- « Pourquoi n'habitez-vous pas dans les ruines ? » fis-je doucement, la tête penchée sur le côté. Franchement, ça me titillait. Ce gens, ils ne me semblaient pas débiles, bien qu'ils fussent en guerre fratricide depuis plus d'un demi-siècle. J'avais l'impression que la réponse à cette question serait la clé de compréhension.
Manguelita leva un sourcil circonspect, presque étonné. Enfin, je crois. Plus le temps passait, moins je me souvenais de ce que c'était que de ressentir. Et quand on n'éprouve plus grand chose, voir rien, c'était difficile d'être en empathie avec autrui. Tout coup, j'avais l'impression que tous autour de moi affichaient des visages grimaçants. Et pourtant, un Shandia, c'est bien loin d'être hyper expressif, croyez-moi.
- « Les ruines sont sacrées. Seuls les initiés peuvent y aller. »
- « Oh ben, décidément... » ronchonnai-je. « Nan, je ne critique pas vos ruines. Il semble en fait que je sois attirée par les ruines sacrées ou maudites.... La dernière fois, j'ai fini Asherafi des tribus nomades d'Alabasta, alors ici, qui sait comment je fais finir. »
- « Morte, probablement. » répondit placidement Petite Manguelita en s'examinant la manucure. « Si vous avez vos ruines, retournez-y. »
- « Hum ? Oh, non, ce n'est pas mon style. J'ai d'autres trucs à faire, vous voyez. »
- « Comme mourir, par exemple ? »
- « Ou vous sauver la vie. »
La remarque qui avait eu son petit effet chez Dieu fit un plat monumental chez les Shandias. Ces gens avaient sérieusement besoin de s'acheter un sens de l'humour.... c'était quoi, l'humour, déjà ? Pourquoi est-ce que ce mot m'était venu à l'esprit ? Tsss. Pendant que j'avais ce débat interne sur l'humour, les pointes des lances s'étaient baissés vers moi.
- « Vous nous menacez ? »
- « Hein ? Non. Je vous préviens. Vous êtes en danger, alors j'essaie d'aider. »
- « Oh, je vois. Vous pensez que nous avons besoin de l'aide d'une humaine qui fraternise avec les Anges ? »
- « Fraterniser est un bien grand mot. »
- « Pourtant on vous a vu arriver, avec votre bateau, et aller jusqu'à Héailleutou. Et c'est vers le GUANO que vous êtes allée après. »
- « Ah, vous êtes au courant, c'est bien, ça ira plus vite. A la base, il y a un Dra--- »
- « Rien de cela m'intéresse. Pourquoi es-tu venue ici ? »
- « Je vous ai dit, vous sauver de--. »
Manguelita soupira. Cette fille l'agaçait. Elle ressemblait vraiment aux Anges, avec leurs circonvolutions d'esprit et leurs babillages. La question était pourtant simple. Alors qu'elle avait jusqu'ici fait preuve d'une retenue peu habituelle aux yeux de qui la connaissaient, sa main se leva presque malgré elle, et s'encastra dans la joue de cette humaine, en une claque retentissante.
- « Là, maintenant, tout de suite, tu voulais quoi ? Tu venais pour me dire quoi ? Les plans sur le futur, ce n'est pas notre truc. Alors ? »
Sonnée par la force du coup à défaut de se sentir humiliée, Shaïness se massait la pommette avec une moue boudeuse.
- « Je venais négocier une paix entre les Anges et les Shandias. »
Les yeux de Mangualita s'étaient étrécis de suspicion. Cette réaction n'avait rien de normal. Quiconque s'étant mangé une gifle avait une réaction, de colère, d'outrage, de peur. Elle ? Elle n'avait que la douleur. Or, ce n'était pas la première fois qu'elle voyait un tel phénomène. Alincourt – puisque aucun Shandia ne croyait au caractère suprême de l'Ange – avait fait partie de sa vie depuis... depuis sa naissance. Avec le temps, elle avait appris à se méfier des effets de son fruit, bien que le chef du GUANO en eût un usage très modéré. Une chose qu'elle-même ne comprenait pas : à sa place, elle aurait défait les armes ennemies depuis longtemps, si elle avait un tel pouvoir ! Voilà une preuve que le peuple des Anges était faible, couard. La cheffesse attrapa le menton de l'intruse, la forçant à la regarder droit dans les yeux alors qu'elle la scrutait du regard.
- « Il t'a envoyé ici, comme un pion facile à sacrifier. A moins qu'il ne crut que vraiment, j'allais tomber dans le panneau ? » me cracha-t-elle au visage.
- « J-je-je ne vois pas quoi tu parles... » balbutia-je. Ses doigts pressaient durement sur ma joue qui comme vrombissait encore suite à son coup.
- « Bien entendu, que tu ne vois pas, espèce de... d'humaine. Si faible, si pathétique... Qu'est-ce qu'il t'a demandé ? De venir me tuer ? Il t'a raconté des salades, n'est-ce pas, si le compte des Shandias et comment cette terre appartenait aux Anges ? »
- « Je... NON ! Il ne m'a rien dit. Il veut vraiment négocier une trêve temporaire ! Pour le bien de tous !!! » Ce qui était la stricte vérité enragea encore plus Manguelita. En mon fort intérieur, je trouvais complètement inouï que des gens qui savaient autant de choses sur qui allait où et quand, pouvaient ignorer le contenu d'une conversation. J'avais oublié, dans la passion du moment, les limites du Haki, dont beaucoup ici haut étaient dotés ; or si le mantra permettait de traquer facilement les mouvements des autres, aussi précisément qu'un radar, il ne permettait pas la télépathie ou autre. Dommage.
- « Ah oui ? Une trêve ? Après tout ce temps ? D'un coup, comme ça, il veut faire une trêve ? Et bien sûr, c'est toi qui l'as convaincu ? Tu penses vraiment que je vais avaler ça ? Toi et ton pauvre petit bateau ? Ton gouvernement ne se soucie pas de nous, il nous a ignoré pendant toutes ses années et hop, tu arrives et d'un coup, Alincourt veut une trêve ? »
- « Mais c'est qu--- »
Manguelita appuya sur mes joues encore plus fort et je dus céder, sous peine de souffrir le martyr pour que dalle. Du coup, elle m'infligea la grimace de la bouche de poisson, tout en me désossant la nuque, car j'étais complètement déséquilibrée suite à cette empoignade.
- « Tu crois que tu peux me bercer de ces petits mots ? Que je vais te permettre de faire couler du poison dans le cœur de ma tribu ? »
- « Je--- » J'avais pris appui sur son poignet pour me retenir et je tentai de la faire plier, de saper sa force. Mais pas un muscle, pas un nerf ne bougeait alors qu'elle me tenait à bout de bras.
- « Si tu veux parler, tu dois mériter ce droit. Or, ici, c'est la loi du plus fort. » m'informa-t-elle en me lâchant d'un geste dérisoire qui pourtant me fit reculer de trois pas. Je la regardais, pas certaine d'avoir compris ce qu'elle me disait. « Non, c'est exactement ça. Tu vas devoir te battre, l'humaine. Et te battre bien. Je ne fais pas de cadeau. »
Pour elle, c'était logique. En dépit de ce qu'elle m'avait dit, Manguelita ignorait beaucoup de choses sur le Gouvernement. Pour elle, ce n'était qu'une tribu comme la sienne, mais plus large, avec de « nombreux guerriers », soit... peut-être mille hommes et femmes ? Pour eux qui peinaient à dépasser une population de cent âmes, cinq cent soldats faisaient office d'armée légendaire. Donc doubler ce nombre permettait d'imaginer, pour ces ploucs des nuages, ce qui leur semblait conforme à la réputation de la Marine. L'un dans l'autre, Manguelita sous-estimait le Gouvernement tout en pensant que l'institution fonctionnait comme les Shandias. Or, chez eux, les chefs n'avaient pas représentant : ils allaient eux-même affronter l'ennemi ou négocier avec lui. Ainsi donc, si j'avais été choisie comme intermédiaire du GM, c'était que j'en avait les compétences : je le représentais, corps et âme. Tout ce que j'étais ou n'étais pas, le GM l'était ou ne l'était pas. De plus, j'étais censée être son égale, c'est-à-dire, la meilleure guerrière, puisque, pour elle, pour eux tous, un chef l'était pour ses compétences martiales. Aussi, si je n'arrivais pas à la battre, c'était la preuve que mon armée à la mouette ne valait rien. Or, rien que le fait que je fusse là, en intermédiaire, dévaluait le GM : seul un faible ou un lâche à besoin d'un émissaire.
Et c'était dans les situations comme ça qu'on se dit qu'être faible, avoir peur et implorer pitié pouvait servir à quelque chose.
Sauf que je n'avais rien de tout cela. Juste mes poings. Hum, tiens, j'avais un ongle de cassé.