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Confession

[HRP : je vais tenter un nouveau style d'écriture dans ce RP, qui mélange la narration « à la Shaïness » donc à la première personne en « je », et la narration omnisciente du narrateur neutre en « il/elle descriptif ». Du coup, la fluidité du texte va sûrement en pâtir, le temps de trouver mes marques, si jamais j'en trouve.]


Finalement, je restai pour dormir. Le GUANO m'offrit un repas sommaire et une petite place pour dormir dans une sorte de baraquement, et ce fut bien assez pour moi. Je ne savais pas pourquoi, mais j'étais absolument éreintée, comme si j'étais passée à la lessiveuse. Je trouvai la force de joindre Kadren et Rafaelo, pour les informer de l'avancée positive des négociations  et de mon départ futur vers Shanda, les ruines où se trouvaient les Shandias. Le premier ne fut pas vraiment enchanté de cette nouvelle, n'aimant pas me savoir en terrain inconnu seule, et le second n'eut pas droit au chapitre, puisqu'il était sur répondeur. De mon côté, je me sentais capable d'accomplir cette mission d'ambassadrice représentant la paix et la voix de Dieu sans problème, puisque Dieu lui-même m'en pensait capable.
De temps à autre, j'avais un sursaut, avec ce sentiment que je ratais une marche. Littéralement cette impression de tomber dans le vide sauf que ce n'était qu'un émoi passager. Un peu comme on se réveille le matin en se souvenant parfaitement d'un rêve et qu'à partir de la seconde où on veut en coucher sur papier les détails pour s'en rappeler, pouf, plus rien. C'était exactement là : la sensation de toujours oublier quelque chose dont j'avais une parfaite connaissance, un « petit truc » auquel j'avais pensé il n'y a pas une demi-seconde.

Cela ne m'empêcha pas, bien au contraire, de suivre mon guide quand vint le matin. De ce trekking à travers la forêt, je ne m'en rappelle pas vraiment. Il fallait dire que l'Ange qui m'accompagna sut déjouer les pièges de cette jungle – hormis les moustiques. A chaque pas, j'avais l'impression de franchir un rideau de ces bestioles. Déjà tôt dans la journée, le soleil dardait ses rayons impitoyables sur une terre peu protégée des nuages, puisqu'elle s'y trouvait ancrée. La chaleur semblait pétrifier l'air en une masse poisseuse m'emprisonnant comme un insecte dans l'ambre. Autant dire que je fus ravie de me retrouver arrivée à destination. J'avais fait les derniers kilomètres seule, en suivant un petit cours d'eau, le soldat du GUANO s'étant éclipsé dès qu'il était arrivé à limite de la zone Shandia. Au delà de ce point, ce n'était même pas des terres disputées, c'était un territoire qui avait toujours appartenu aux « envahisseurs ». Quand j'essayais de discuter avec lui, notamment du fait que techniquement, les Shandias n'avaient pas envahi Vearth, mais que c'était Vearth qui était arrivée par accident au milieu de la Mer des Nuages et les Anges qui avaient ensuite envahi Vearth, il se referma complètement. Au temps pour moi.

J'avançai tranquillement, sans me cacher. L'idée était de me faire repérer. Peut-être aurais-je dû prendre un drapeau blanc, pour signifier mon statut d'émissaire de paix, mais je trouvais ça peu approprié, puisque je n'étais pas impliquée dans ce conflit. Bref, rien d'étonnant à ce que rapidement, des Shandias vinssent à ma rencontre.
N'en ayant jamais vu, je ne pouvais dire s'ils tiraient la tronche ou pas, mais je les trouvais d'un avenant peu sympathique. Mais vu que je n'éprouvais aucun sentiment, cela ne me fit ni chaud ni froid. Je me contentai de constater qu'à part un teint généralement plus hâlé, ils étaient tout d'un naturel ailé. Honnêtement, j'avais devant moi une brochette d'Anges adeptes de la bronzette.
- « Bonjour. » fis-je d'une voix neutre. « Je m'appelle Shaïness Raven-Cooper. Je voudrais parler à votre chef. »
- « Une humaine... » constata l'un des guerriers en crachant à mes pieds. Ce qui aurait provoqué un sentiment de colère indignée en moi, en d'autres temps. Je le savais. Pourtant, je trouvais reposant de ne rien sentir ou plutôt, ressentir.
- « En effet, je suis humaine. Et vous tous, vous êtes Shandias. Maintenant que nous avons établi ce fait, pourrions-nous nous rendre auprès de votre chef, je vous prie ? »
Il y eut une vague de murmures, une rapide concertation et nous fûmes partis. J'aurais dû m'étonner qu'on me fouillât pas. En effet, je portais mes dérouleurs de fils bien visibles et je ne cachais pas le fourreau de ma lame courte. Excès de confiance ? Mésestime de ma dangerosité ? Que m'importait. Pour la première fois, je faisais face à ses questions sans le cortège de doutes, de peurs, d'incertitudes douloureuses habituels. J'étais en paix.

On m'amena dans un village assez incongru au milieu des ruines de Shanda. Là où il semblait logique de construire en pierres prélevées de ce qu'il restait de cette antique cité, et en bois collecté depuis la jungle, les Shandias avaient préféré vivre dans des tipis. Ils étaient faits en peau de Rois de la Mer Blanche, un mélange étrange entre poils et écailles. Je ne savais pas pourquoi je me focalisais sur ce point. Je n'avais après tout jamais été une grande fanatique d'architecture ou de décoration intérieure, mais je crois que l'absence de sentiment provoquait chez moi un détachement suprême. Car ce fut de cette manière que je jugeait la femme qui me fit bientôt face. Ayant à peu près le même âge que moi, elle avait ma taille, sans les talons, et ma cuisse faisait la taille de son bras. Mais il n'y avait pas un pet de gras en elle. Bien au contraire, elle se dressait telle une amazone sculpturale, chez qui la fermeté de la chasseresse remplaçait la rondeur de la féminité. Sauvage plus que dure, décidée avant d'être sage, elle était l'incarnation de tout ce qu'il y avait de plus noble chez les guerriers de Vearth.
- « Manguelita, chefesse Shandia. » m'annonça mon garde-du-corps attitré. Il n'y avait pas plus cérémonie que ça, alors que même au sein du GUANO, il y avait encore un zeste de protocole. Un rien de théâtralité. Avec des individus comme Dieu, quoi de plus étonnant.

Du coup, il n'y avait pas de salle d'audience. Non, maintenant que je regardais au-delà des peaux-écailles, je voyais que nous étions au centre du village, les habitants réunis autour de nous, et tous avaient à portée de main une lance, un arc, un dial, une arme. Tous, depuis le gamin haut comme trois pommes, jusqu'à la mémé donnant dans le ridé. Apparemment, la Mer des Nuages n'avait pas d'algues célestes qui auraient pu faire un masque de nuit acceptable. Ou dans le cas, emplâtre de nuit.
- « Pourquoi n'habitez-vous pas dans les ruines ? » fis-je doucement, la tête penchée sur le côté. Franchement, ça me titillait. Ce gens, ils ne me semblaient pas débiles, bien qu'ils fussent en guerre fratricide depuis plus d'un demi-siècle. J'avais l'impression que la réponse à cette question serait la clé de compréhension.

Manguelita leva un sourcil circonspect, presque étonné. Enfin, je crois. Plus le temps passait, moins je me souvenais de ce que c'était que de ressentir. Et quand on n'éprouve plus grand chose, voir rien, c'était difficile d'être en empathie avec autrui. Tout coup, j'avais l'impression que tous autour de moi affichaient des visages grimaçants. Et pourtant, un Shandia, c'est bien loin d'être hyper expressif, croyez-moi.
- « Les ruines sont sacrées. Seuls les initiés peuvent y aller. »
- « Oh ben, décidément... » ronchonnai-je. « Nan, je ne critique pas vos ruines. Il semble en fait que je sois attirée par les ruines sacrées ou maudites.... La dernière fois, j'ai fini Asherafi des tribus nomades d'Alabasta, alors ici, qui sait comment je fais finir. »
- « Morte, probablement. » répondit placidement Petite Manguelita en s'examinant la manucure. « Si vous avez vos ruines, retournez-y. »
- « Hum ? Oh, non, ce n'est pas mon style. J'ai d'autres trucs à faire, vous voyez. »
- « Comme mourir, par exemple ? »
- « Ou vous sauver la vie. »

La remarque qui avait eu son petit effet chez Dieu fit un plat monumental chez les Shandias. Ces gens avaient sérieusement besoin de s'acheter un sens de l'humour.... c'était quoi, l'humour, déjà ? Pourquoi est-ce que ce mot m'était venu à l'esprit ? Tsss. Pendant que j'avais ce débat interne sur l'humour, les pointes des lances s'étaient baissés vers moi.
- « Vous nous menacez ? »
- « Hein ? Non. Je vous préviens. Vous êtes en danger, alors j'essaie d'aider. »
- « Oh, je vois. Vous pensez que nous avons besoin de l'aide d'une humaine qui fraternise avec les Anges ? »
- « Fraterniser est un bien grand mot. »
- « Pourtant on vous a vu arriver, avec votre bateau, et aller jusqu'à Héailleutou. Et c'est vers le GUANO que vous êtes allée après. »
- « Ah, vous êtes au courant, c'est bien, ça ira plus vite. A la base, il y a un Dra--- »
- « Rien de cela m'intéresse. Pourquoi es-tu venue ici ? »
- « Je vous ai dit, vous sauver de--. »

Manguelita soupira. Cette fille l'agaçait. Elle ressemblait vraiment aux Anges, avec leurs circonvolutions d'esprit et leurs babillages. La question était pourtant simple. Alors qu'elle avait jusqu'ici fait preuve d'une retenue peu habituelle aux yeux de qui la connaissaient, sa main se leva presque malgré elle, et s'encastra dans la joue de cette humaine, en une claque retentissante.
- « Là, maintenant, tout de suite, tu voulais quoi ? Tu venais pour me dire quoi ? Les plans sur le futur, ce n'est pas notre truc. Alors ? »

Sonnée par la force du coup à défaut de se sentir humiliée, Shaïness se massait la pommette avec une moue boudeuse.
- « Je venais négocier une paix entre les Anges et les Shandias. »
Les yeux de Mangualita s'étaient étrécis de suspicion. Cette réaction n'avait rien de normal. Quiconque s'étant mangé une gifle avait une réaction, de colère, d'outrage, de peur. Elle ? Elle n'avait que la douleur. Or, ce n'était pas la première fois qu'elle voyait un tel phénomène. Alincourt – puisque aucun Shandia ne croyait au caractère suprême de l'Ange – avait fait partie de sa vie depuis... depuis sa naissance. Avec le temps, elle avait appris à se méfier des effets de son fruit, bien que le chef du GUANO en eût un usage très modéré. Une chose qu'elle-même ne comprenait pas : à sa place, elle aurait défait les armes ennemies depuis longtemps, si elle avait un tel pouvoir ! Voilà une preuve que le peuple des Anges était faible, couard. La cheffesse attrapa le menton de l'intruse, la forçant à la regarder droit dans les yeux alors qu'elle la scrutait du regard.
 
- « Il t'a envoyé ici, comme un pion facile à sacrifier. A moins qu'il ne crut que vraiment, j'allais tomber dans le panneau ? » me cracha-t-elle au visage.
- « J-je-je ne vois pas quoi tu parles... » balbutia-je. Ses doigts pressaient durement sur ma joue qui comme vrombissait encore suite à son coup.
- « Bien entendu, que tu ne vois pas, espèce de... d'humaine. Si faible, si pathétique... Qu'est-ce qu'il t'a demandé ? De venir me tuer ? Il t'a raconté des salades, n'est-ce pas, si le compte des Shandias et comment cette terre appartenait aux Anges ? »
- « Je... NON ! Il ne m'a rien dit. Il veut vraiment négocier une trêve temporaire ! Pour le bien de tous !!! » Ce qui était la stricte vérité enragea encore plus Manguelita. En mon fort intérieur, je trouvais complètement inouï que des gens qui savaient autant de choses sur qui allait où et quand, pouvaient ignorer le contenu d'une conversation. J'avais oublié, dans la passion du moment, les limites du Haki, dont beaucoup ici haut étaient dotés ; or si le mantra permettait de traquer facilement les mouvements des autres, aussi précisément qu'un radar, il ne permettait pas la télépathie ou autre. Dommage.
- « Ah oui ? Une trêve ? Après tout ce temps ? D'un coup, comme ça, il veut faire une trêve ? Et bien sûr, c'est toi qui l'as convaincu ? Tu penses vraiment que je vais avaler ça ? Toi et ton pauvre petit bateau ? Ton gouvernement ne se soucie pas de nous, il nous a ignoré pendant toutes ses années et hop, tu arrives et d'un coup, Alincourt veut une trêve ? »
- « Mais c'est qu--- »

Manguelita appuya sur mes joues encore plus fort et je dus céder, sous peine de souffrir le martyr pour que dalle. Du coup, elle m'infligea la grimace de la bouche de poisson, tout en me désossant la nuque, car j'étais complètement déséquilibrée suite à cette empoignade.
- « Tu crois que tu peux me bercer de ces petits mots ? Que je vais te permettre de faire couler du poison dans le cœur de ma tribu ? »
- « Je--- » J'avais pris appui sur son poignet pour me retenir et je tentai de la faire plier, de saper sa force. Mais pas un muscle, pas un nerf ne bougeait alors qu'elle me tenait à bout de bras.
- « Si tu veux parler, tu dois mériter ce droit. Or, ici, c'est la loi du plus fort. » m'informa-t-elle en me lâchant d'un geste dérisoire qui pourtant me fit reculer de trois pas. Je la regardais, pas certaine d'avoir compris ce qu'elle me disait. « Non, c'est exactement ça. Tu vas devoir te battre, l'humaine. Et te battre bien. Je ne fais pas de cadeau. »

Pour elle, c'était logique. En dépit de ce qu'elle m'avait dit, Manguelita ignorait beaucoup de choses sur le Gouvernement. Pour elle, ce n'était qu'une tribu comme la sienne, mais plus large, avec de « nombreux guerriers », soit... peut-être mille hommes et femmes ? Pour eux qui peinaient à dépasser une population de cent âmes, cinq cent soldats faisaient office d'armée légendaire. Donc doubler ce nombre permettait d'imaginer, pour ces ploucs des nuages, ce qui leur semblait conforme à la réputation de la Marine. L'un dans l'autre, Manguelita sous-estimait le Gouvernement tout en pensant que l'institution fonctionnait comme les Shandias. Or, chez eux, les chefs n'avaient pas représentant : ils allaient eux-même affronter l'ennemi ou négocier avec lui. Ainsi donc, si j'avais été choisie comme intermédiaire du GM, c'était que j'en avait les compétences : je le représentais, corps et âme. Tout ce que j'étais ou n'étais pas, le GM l'était ou ne l'était pas. De plus, j'étais censée être son égale, c'est-à-dire, la meilleure guerrière, puisque, pour elle, pour eux tous, un chef l'était pour ses compétences martiales. Aussi, si je n'arrivais pas à la battre, c'était la preuve que mon armée à la mouette ne valait rien. Or, rien que le fait que je fusse là, en intermédiaire, dévaluait le GM : seul un faible ou un lâche à besoin d'un émissaire.
Et c'était dans les situations comme ça qu'on se dit qu'être faible, avoir peur et implorer pitié pouvait servir à quelque chose.
Sauf que je n'avais rien de tout cela. Juste mes poings. Hum, tiens, j'avais un ongle de cassé.
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Les coups tombaient comme des gouttes d'eau pendant une averse d'été. Vous savez, ces orages aussi brefs que violents, avec des grosses gouttes molles, presque paresseuses, que vous pensiez inoffensives au départ, avant de vous rendre compte plus tard que vous êtes bel et bien mouillé jusqu'à la moelle. Ce n'était pas les gouttes des giboulées de printemps, précises et minuscules aiguilles transperçant tissu et peau, ce n'était les petites pluies de marée montantes. Ce n'était pas plus les prémices de la tempête qu'une tempête. C'était juste de la pluie.
Manguelita assenait chacun de ses coups avec une force calculée, une expertise que seule la pratique régulière pouvait apporter. On sentait qu'elle se battait depuis qu'elle était née. Moi ? Je n'avais jamais été une guerrière. A peine une combattante. Et puis, clairement pas faite pour le corps à corps. Je pratiquais un style défensif fondé sur ma capacité à empêcher mon adversaire de bouger, depuis la distance confortable que m'offraient mes fils. Pourtant c'était bien à mains nues que nous nous affrontions. Dès que je prenais de la distance... disons plutôt, dès que je tentais de prendre de la distance, elle me rattrapait. A un moment, je crus qu'elle avait le haki mais non, c'était juste de la pure vitesse. Non que ça faisait une différence : au bout du compte, j'en reprenais plein le pif.

D'habitude, dans ce genre de combat inégal, j'abandonnais rapidement. Ce n'était pas la peine de se faire mal pour rien. Autant chercher une autre stratégie. Admettre sa défaite, perdre une bataille, ce n'était pas perdre la guerre. Au contraire, ça permettait de donner au vainqueur une fausse idée de ma valeur. Ça le poussait à me sous-estimer, à ne pas penser que j'étais capable de faire autre chose de bien, maintenant que j'avais démontré ma faiblesse.
Pourtant, ce jour là, dès que je touchais le sol, je me relevai. Pas forcément dans la demi-seconde, et de plus en plus lentement, mais je me relevais. Après tout, je n'avais aucune raison de m'arrêter. Dieu avait fait de moi une guerrière presque mécanique, en enlevant mes sentiments. C'était peut-être ce qu'il voulait, après tout, bien qu'il semblait singulier qu'il eût penser que j'eusse pu réussir là où tant d'autres avant moi avaient échoué. Je sentais la douleur, intimement. Mais je ne sentais que ça. Je n'avais plus peur, dans toutes ses déclinaisons : peur de souffrir, peur de devoir garder une apparence, peur de faillir à ma mission. Mon intelligence dénuée à sa fibre la plus basique ne trouvait rien à redire à cette idée saugrenue que tôt ou tard, j'allais réussir à lui en mettre un, et pas qu'un petit. Toutes les barrières que je m'étais imposées jusque là, ma réticence de toujours à utiliser la force, plus rien ne restait. Rien que l'amour factice que Dieu avait implanté à son égard en moi.
Et nous revenions toujours à ça : dès que je formulais l'énoncé d'un fait, comme « il me manque des sentiments, ce n'est pas normal » ou « l'amour que j'éprouve n'est pas bien réel », le pouvoir de Dieu court-circuitait la réaction logique.  Pouf, j'oubliais ce que je venais de penser. Ou cet amour pas bien réel se mettait à travailler, susurrant insidieusement à mon oreille que puisque je l'aimais, il ne pouvait pas me vouloir du mal. Et encore et toujours, je me relevais, sans hargne, sans colère, sans impatience ou quoi ce que fut, si ce n'était une détermination à toute épreuve. Perdre ce combat mettait en péril toute l'opération de sauvetage des Anges, et même si j'étais presque assurée de perdre, je ne pouvais pas m'arrêter avant avoir donné le meilleur de moi-même. Manguelita allait devoir m'assommer – ou pire - si elle voulait régler cette histoire.

C'était à peu près la conclusion à laquelle la Cheffesse Shandia était arrivée. Dès les premières minutes, elle avait très bien compris que cette Shaïness ne valait rien en combat, et ce fut sans la moindre once de pitié qu'elle avait multiplié ses frappes. Non seulement venait-elle se mêler d'affaires qui ne la regardait pas, non seulement avait-elle été assez faible pour se faire piéger par Alincourt, mais en plus était-elle juste faible. Bonne à rien. Ce n'était pas déjà glorieux de la part de « Dieu » d'utiliser ses pouvoirs quasi démoniaques, mais aller jusqu'à se servir de cette pathétique petite chose ? C'était un affront à la tribu Shandia, que Manguelita allait se faire un plaisir de laver. La jeune femme avait bien l'intention de tuer Shaïness, au nom de la loi de la jungle, mais alors que son 'adversaire' continuait à lui faire face, elle sentit un sentiment agacé monter en elle. Elle n'avait pas que ça à faire. Puis, petit à petit, ce fut l'incompréhension : pourquoi n'admettait-elle pas sa défaite ? Pensait-elle vraiment qu'elle allait pouvoir la toucher, elle, la chef des Shandias ? C'était ridicule. Et Manguelita n'aimait pas perdre son temps ou se salir les mains en des actions aussi... peu honorables. C'était comme si on battait au sang un enfant qui avait fait une simple bêtise. C'était de trop disproportionné.
Les minutes passaient alors que le combat s'éternisait. Déjà dans les rangs, deux-trois murmures avaient fusé entre l'écho des coups. Le silence planait sur la cité Shandia et Manguelita décida d'en finir. Un dernier enchaînement pieds-main mit l'étrangère KO. Elle s'écroula dans la poussière presque sans mot dire.
-  « … on en fait quoi, Manguelita ? On la ramène au GUANO ? »
- « Non. Je ne sais pas ce que à quoi ce soit-disant Dieu pensait arriver avec cette fille, mais ce n'était clairement pas juste la sacrifier. Sa mort doit vouloir avoir une signification quelconque. Agir trop vite serait dangereux. Jetez-la dans le Puits, en attendant qu'on démêle ce qu'il se passe. Et que les chefs d'équipe me rejoigne, on a du boulot. »
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Il y avait les ténèbres et il y avait le froid. Un froid mordant, sans pitié. L'eau suintait de partout, imprégnant jusqu'à ma moelle. J'étais gelée, mes membres me semblaient aussi solides que de la glace ou de la pierre. Même mes os me paraissaient douloureux. J'essayai de bouger mais le moindre mouvement éveillait une souffrance terrible. Celle-ci grossissait comme une créature monstrueuse et hurlait en moi, terrifiante, prête à me terrasser. Loin, très loin, je voyais un pan de ciel avec quelques étoiles disséminées. Je perdais conscience, revenais à moi, perdais de nouveau conscience.

Ce n'était pas que les Shandias manquaient d'imagination. Bien au contraire. Ils avaient un folklore des plus éclectiques possibles, avec des racines « terriennes » qui se retrouvaient dans leurs contes et légendes, et un présent ici sur la Mer Blanche. Comment pourrions-nous dire de personnes qui ont toujours cru qu'ils venaient d'un 'autre monde', qu'elles manquaient d'imagination. Non, c'était que les Shandias, peuple guerrier, avaient privilégié le pragmatisme comme mode de vie, de pensée.
Aussi ne voyaient-ils pas pourquoi ils appelleraient autrement que « Puits » ce qui était un puits, fut-il tari. Oh, ils auraient pu l'appeler « Prison » puisque c'en était son usage désormais, mais le mot était comme étranger à leur langue. Les Shandias ne faisaient pas de prisonniers. D'un point de vue martial, déjà, ils avaient imposé leur loi de 'passe ou casse'. De plus, dans les conflits actuels, avec tout le monde qui savait à peu près qui était où et quand – Haki aidant, la notion d'espion, d'informations, était complètement stérile.    Donc pas besoin de prisonniers, pour les interroger ou s'en servir comme otage et monnaie d'échange. D'un point de vue logistique, ensuite, les Shandias n'avaient juste pas assez de ressources pour s'enquiquiner à nourrir et garder une bouche supplémentaire – et inutile, comme l'exposé l'a précédemment démontré. Aussi il n'y avait pas de prison ici et j'avais été jetée dans l'ancien Puits, car dans mon état, je n'allais sûrement pas m'échapper de cette longue colonne de pierre qui plongeait jusqu'au cœur des ruines.

Alors que je gisais comme j'étais tombée, les côtes fracturées, une épaule démise, une pommette enflée jusqu'à atteindre la taille d'un melon – du moins, c'était ainsi que je ressentais la chose – couverte d'ecchymoses et de coupures à divers stades de guérison, il me plaisait à planifier mon escalade. C'était d'une facilité déconcertante, avec des pierres apparentes et des fissures un peu partout. Mais j'étais dans un tel état que juste le fait de m’asseoir me prit des heures, tout en me tirant des haut-le-cœur. Concussion cérébrale, à n'en pas douter. J'essayai bien de faire comme dans les récits de mes frères et cousins, de me remboîter l'épaule en la cognant contre le mur, mais à part me faire un nouveau bleu – et pas un petit – je n'arrivais à rien. Fallait croire que c'était une technique propre à la Marine, et qu'en tant que CP, je n'y avais pas accès. Et quand ce n'était pas mon épaule qui m'élançait, c'était ma cheville. Elle n'était que « foulée », sans signe de fracture. Pourtant, elle faisait mal, et il était donc hors de question de passer en mode geppo dans ces conditions. Quand à ma forme papillon ? Je n'étais même sûre de pouvoir me transformer sans me tuer. Alors, voleter jusqu'au ciel.
Et c'était d'un frustrant ! Voir la liberté, là, s'inscrire en petits clignotements célestes, comme autant de signaux pour vous narguer ! Savoir que dans d'autres conditions, ce Puits ne serait même pas un obstacle. En être réduite physiquement à tellement peu qu'on se sent encore plus médiocre que le plus ordinaire des péquins... A force de développer des techniques étranges, à coup de fruit de démons, de cyborgisation, de haki, les agents du Gouvernement, CP comme Marine, en oubliaient souvent qu'ils n'en restaient pas moins humains. En tous les cas, pour la plupart. Manguelita n'avait rien de tout ça, et pourtant, je la savais capable de tenir tête à bien des hommes et des femmes.
C'était humiliant. Mais humiliation sonnait un peu comme humilité, et je réalisais que ce n'était pas parce que je n'avais plus les pouvoirs sur lesquels je me reposais d'habitude que je ne valais rien. Et comme il m'était juste impossible de rester là jusqu'à ce que les Shandias se souvinssent de mon existence ou me trouvassent un intérêt particulier, j'allais devoir me sauver toute seule, et me débrouiller pour réussir cette évasion.

Et tout ça, sans la moindre race d'orgueil blessé ou de colère. C'était la conclusion d'un raisonnement logique, paramétré. Je comprenais maintenant pourquoi les robots, comme les Pacifistas, étaient considérés par certains comme meilleurs que des soldats à jambes, pattes ou tentacules. La vie sans sentiment n'était peut-être pas plus joyeuse, mais qu'est-ce qu'elle était plus facile ! En tant qu'arme de guerre, un individu qui ne faisait « que » penser – surtout si on avait programmé ses modes de pensée – qui continuait d'avancer, qui trouvait toujours un moyen d'avancer. Qui n'avait jamais rêvé de ça ?

Sortir du Puits.
Plus facile à dire qu'à faire.
J'estimais, non j'espérais, que cette nuit qui me surplombait n'était que la première depuis mon arrivée à Shanda, et je n'avais perdu qu'une journée à être stupidement inconsciente. Ce qui me laissait au maximum quelques heures avant que Rafaelo et Kadren ne lançassent une expédition de recherche pour me retrouver. Les Shandias n'avaient pas jugé nécessaire de me délester de mon équipement. Mais rien de ce que j'avais ne pouvais me servir : j'étais trop faible pour manier mes fils, et à cette profondeur, les den-dens ne se connectaient pas.
Il fallait dire que le froid était tombé, et pas qu'un peu. On était loin des écarts de température à la alabastienne, mais les nuits ici étaient plus que fraîches. Mon esprit désormais scientifique me susurra que ça avait à voir avec le manque de nuages qui retenaient la chaleur, mais quelque part, les explications, je m'en foutais. Les faits étaient tout ce qui m'importaient. Et en plus de la nuit, il y avait cette humidité constante. Le puits était peut-être asséché, mais l'eau n'était pas loin. Les Shandias n'avaient pas approfondi la cavité parce qu'ils avaient trouvé une autre source pour s'approvisionner en eau, mais il était clair qu'elle n'était pas loin.
Et ceci me donna une idée. Forcément, la terre était  molle, et les pierres friables. Après des années, des siècles d'infiltration, la maçonnerie avait du jeu. Je n'avais précisément un plan en tête. Quelque part, je cherchais l'illumination, bien que j'avais le vague projet de faire monter l'eau, et moi avec, comme un bouchon. Je savais nager, et quelle chance (!), c'était de l'eau douce. Sinon, j'aurais été pas dans la mouise, avec mon zoan. Bien sûr, cette solution était complètement crétine: pour atteindre l'eau, cela supposait que j'allais devoir creuser profondément. Mais que voulez-vous ? Je n'étais totalement moi-même avec mon cerveau mode concussion. Pas une seconde il me vint à l'esprit que j'allais faire s'écrouler le puits sur moi. Pourtant c'était un gros risque.

Puisque mon épaule était blessée, je ne pouvais utiliser que ma main gauche, et ce fut donc gauchement que je délogeai les premières pierres, brassant la terre presque boueuse derrière. Adieu manucure ! Chaque mouvement faisait naître une onde de choc de douleur, et allez savoir pourquoi, le pire dans tout ça, fut cette impression que j'avais une rage de dents. Forcément, c'était à peu près la seule partie de mon corps qui ne souffrait pas trop, donc ça ne pouvait pas continuer. C'était trop beau. Je creusais, je tirais vers moi pour rejeter en arrière, comme une bonne petite taupe. Ou un gros vers rose, à me trémousser comme ça, bancale de tous les côtés, avec un œil, une épaule et une cheville hors service, et bien entendu, pas tous du même côté.
Petit à petit je dégageai une sorte de tunnel, aussi large que ma cuisse, assez profond pour que j'y glissasse le bras – le bon – jusqu'à l'épaule. Une bonne chose que je n'avais pas de sentiments parce que sinon, le contact de la glaise, des racines gluantes et des trucs qui s'agitaient sous mes doigts aurait été l'une des pires épreuves de ma vie de sérial-shoppeuse. Là, j'enfournai mon membre, et c'était parti comme en 1520. Je tâtonnai, cherchant le plus loin possible, la joue collée à la pierre, et je finis par toucher quelque chose d'intensément froid et lisse. Du métal. La cité avait été d'or, à un moment donné, avant qu'Ener ne s'en empara. Peut-être étais-je en train de palper un élément qui avait échappé à sa razzia. Ou alors, c'était simplement du métal. Si les premiers Shandias avaient de l'or, ils pouvaient bien avoir du cuivre ou du fer.
Quoi qu'il en était, c'était du métal et ça sonnait creux. C'était donc mon chemin de sortie. Je redoublai d'efforts pour élargir le tunnel. Au-dessus de moi, très haut, le ciel restait d'un sombre nocturne. Pourtant, j'avais l'impression que cela faisait des heures que je m'échinais. Finalement, j'obtins un passage dans lequel je pus me faufiler, à grand peine. Une chance que je n'étais pas claustrophobe ! Bah, fus-je bête, je n'avais plus peur de rien...
Le bras tendu devant moi, je rampai, pour inspecter plus avant ce qui se passait. Et ce fut à ce moment que tout bascula. Littéralement. Le sol se déroba sous moi, tout en se soulevant, ce qui me fit glisser plus en avant. Je m'attendais à m'écraser contre la surface de métal, mais il y avait désormais un trou béant entre elle et moi et j'y continuai ma dégringolade. Descendant une pente de plus en plus abrupte, me cognant dans tous les sens, recouverte à moitié de terre, bombardée de pierres plus ou moins grosses, je finis par tomber à la verticale. Ce fut un moment d'éternité où l'idée d'une chute infinie fut remplacée par celle d'une chute à travers la Mer Blanche. Puis je fus avalée par une masse d'eau après une chute de quelques secondes. J'avalai de l'eau, luttai pour retrouver le haut du bas, nageai avec un désespoir que je ne pouvais pas ressentir, mais qui me fis oublier que j'avais une épaule en compote. Les réflexes avaient pris le pas sur l'intellect et il n'y avait pas de place pour l'hésitation. J'étais une machine alimentée par l'instinct de survie.
Avec force de crachotements et de jurons à moitié noyés, je refis surface et après un moment à nager dans le noir le plus total, je trouvais une sorte de rebord sur lequel je me hissai pour agoniser en paix.

La cité qu'avait été Shanda du temps où elle se trouvait sur Grand Line avait été un petit bijou de vision et de modernité, du temps de sa construction. Ce n'était pas pour rien que la civilisation de l'époque avait un ponéglyphe sur ses terres. De ce fait, il n'était pas étonnant que les bâtiments, de pierre jadis recouverts d'or, fussent équipés en plomberie intérieure. Mais le système avait été pensé pour une ville qui se situait sur une grande île ancrée dans le monde « normal » et non pas un petit bout de terre éjecté dans un autre écosystème. Le puits, qui avait été connecté avec une rivière locale, permettait autrefois d'alimenter tout un réseau de tuyaux et de bassins de rétention -il en était d'ailleurs lui-même un. Avec le changement de climat et la disparition de la source – restée sûrement sur Jaya – le puits avait perdu son utilité. Petit à petit, il n'avait plus rien desservi, les tuyaux avaient séchés et/ou pourris sur place et le terrassement que j'avais entrepris n'avait fait qu’accélérer un processus commencé depuis longtemps. La structure entière, poreuse et instable, avait fini par s'écrouler, m'enterrant sous des tonnes de gravas, car elle avait entraîné un pan entière du bâtiment à laquelle elle était accolée.

Et me voilà donc encore plus meurtrie que jamais, trempée jusqu'à l'os, dans les entrailles de la terre, errant dans les ténèbres, à chercher mon chemin dans les sous-sols des ruines de l'El Dorado d'antan.
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Des voix, parfois nombreuses, qui naissaient peut-être de mon imagination, ou provenaient de l'ombre inhospitalière qui m'entouraient, je n'aurais pu le dire, furent ma seule compagnie au bout d'un moment.
 « Shaïness la Chochotte! » Ce ton moqueur, c'était mes frères, qui avaient toujours trouvé amusant de me titiller sur mon côté petite princesse. C'était par ailleurs ces constantes provocations qui m’avaient poussée à devenir ce que je pouvais devenir de mieux. Ma famille, mon orgueil. C'était à cause de mes frères et de mon enfance – ou grâce à ? - que j'avais toujours pris bille en tête le moindre défi, et que je ressentais comme une remise en cause de ma valeur intrinsèque toute insinuation sur l'existence d'une limite. J'avais envie de dire que j'avais toujours considéré rien ne m'était impossible. J'avais appris, parfois de façon cruelle, que ne pas pouvoir ne voulait pas forcément échec personnel.
 « Miss Marine ! » Mes années de formation à l'EGLISE n'avaient pas été les plus douces de ma vie. Mes origines Marines n'avaient pas facilité mon intégration au sein des forces Cipher Pol. Mes origines, et mon caractère déjà bien trempé. Mais trouvez-moi un agent CP qui ne souffrait pas d'un égo démesuré, je vous prie ? Mais je n'avais jamais caché mon ambition d'être meilleure, et de beaucoup, que mes petits camarades, et que tout ce que j'étais, Marine, jolie, manucuré et autre, faisait de moi une personne supérieure. J'avais non seulement du mérite pour être arrivée où j'étais arrivé, mais je ne devais rien à personne, si ce n'était qu'à moi.
 « Mademoiselle Shaïness... » Oh, ces accents de petite fille ingénue, c'était Raven. Elle m'avait fait redescendre au grade de novice, C'était elle qui m'avait convaincue de ne pas me satisfaire de la médiocrité, fus-je à la première place. Mieux valait être la dernière des premiers, que la première des derniers. J'avais de mes propres mains détruit tout ce à quoi j'avais travaillé ces années durant, tué mon ambition, enterré mes ce que je considérais comme m'étant dû, sacrifié mon éducation et mes références culturelles, pour me rebâtir.

 « Elle est perdue, perdue ! » chantonnaient-elles toutes à mes oreilles, glissant autour de moi comme les courants d'air que je sentais, multipliant la chair de poule qui me mordait la peau.  « Elle s'est perdue, perdue! ». Ça, ce n'était pas nouveau ! J'avais toujours été, au final, seule contre tous. Je le savais. J'étais une fille saumon, à nager à contre-courant. Finalement, tout ça pour en arriver à errer comme un âme en peine dans les couloirs d'une cité en ruines, sans eau, sans nourriture, sans lumière. Seule avec moi-même, mais un moi-même qui m'était complément étranger. Ce corps mû par une simple volonté - la mienne – par un intellect – toujours le mien – et un sentiment – et cette fois-ci, ce n'était pas le mien. Oui, j'éprouvais quelque chose approchant de l'amour envers Dieu. Comment pouvais-je savoir ce qu'était l'amour, puisque l'Ange m'avait enlevé toute autre émotion ? Mon esprit jaugeait que c'était de l'amour. D'un point de vue scientifique, c'était de l'amour. C'était surtout ce qui m'avait empêché de devenir folle. Un être vivant doué d'une conscience, humain, homme-poisson, longs-bras et autre, ne pouvait pas plus vivre sans émotion que sans oxygène. « Elle erre, elle erre, celle qui est s'est perdue. Elle erre parce qu'elle s'est perdue ? Ou elle s'est perdue parce qu'elle erre ? » Comme s'il y avait une différence ? C'était comme dire qu'il y avait une différence entre l'amour que Dieu avait instillé en moi, et celle que j'aurais pu ressentir, avant, envers une autre personne, que ce fut amour paternel/maternel, fraternel ou sexuel. « Elle cherche un chemin, et elle cherche son chemin. Elle est perdue, perdue ! Elle s'est perdue, en cours de route. » Ça aussi, je le savais. J'allais mourir ici, de faim, de soif, d'inanition. Mon dernier repas remontait à ce matin, pris sur le pouce dans le camp du GUANO, avant de partir en trekking vers les Shandias. Toute une journée s'était écoulée pendant que je gisais inconsciente au fonds du Puits... et Dieu seul savait encore combien de temps j'avais passé à marcher dans le noir. Un long périple commencé après m'être relevée, sur le bord du réservoir, trempée de la tête aux pieds, ayant exploré ce monde nouveau du bout des doigts. J'avais fini par découvrir une porte donnant sur un couloir, qui s'était divisé en deux, et j'avais suivi, à défaut de toute autre indication, le souffle du vent, à remonter son trajet jusqu'à sa source, avec l'espoir que ça serait un gros trou dans un mur.

Le couloir que j'empruntais actuellement serpentait dans les entrailles en granit de Shanda, sinueux passage oppressant et poussiéreux. Les toiles d'araignées déchirées et abandonnées depuis bien longtemps improvisaient un ballet fantomatique à mon passage ; lorsque je passais, je pouvais sentir les fils s'agiter comme les doigts désarticulés d'un noyé cherchant une prise. Des pelotes de lien soyeux s'accrochaient à mes cheveux et se collaient à mon visage, me forçant à marcher une main en avant pour protéger mes yeux. Il m'arrivait de sentir sur mes doigts quelque petite chose à pattes dont je venais de déranger la toile, et je m'immobilisais alors un instant, tête basse, pour laisser filet le tremblement de dégoût qui me parcourait le corps.
L'air devenait plus froid, et les parois trop proches semblaient exhaler leur humidité. La pierre s'était effritée par endroits, les piles de gravât qui jonchaient le sol s'élevaient parfois si haut au centre du passage étroit que je devais me faufiler dos au mur pour passer.
J'étais justement en train de me glisser dans une de ses brèche entre le mur et le reste d'un effondrement, lorsque je ressentis une douleur intense sur ma main et dans tout l'avant-bras. Et là, je vis l'horreur : des centaines, non des milliers de petits araignées blanches translucides, luisantes d'une lueur maladive, juste assez pour se faire voir, couvraient mes doigts, entrant dans ma manche et me mordant comme un millier de feux brûlants. Je hurlai et frappai mon bras contre le mur, faisant pleuvoir la boue et la poussière sur ma tête et mes yeux déjà bien abîmés. Mes hurlements de douleur résonnèrent dans le couloir puis s'évanouirent. Je tombai à genoux dans la terre humide tapant encore et encore mon bras cuisant sur le sol, jusqu'à ce que l'atroce douleur commençât à se calmer, puis parcourus à quatre pattes dans la précipitation la plus totale quelques mètres, pour m'éloigner de l'horrible nid.

Plus tard, je poursuivis ma route. Je devais certainement me trouver maintenant bien en dehors des ruines elles-mêmes. Une certitude me rongeait le ventre : celle d'avoir pris un mauvais chemin, d'avoir raté un embranchement qui m'aurait ramené à la surface, et que dans cette obscurité et confusion, j'étais en train de m'enfoncer toujours plus en avant dans un gouffre sans fond dont je ne m'échapperai jamais. Je marchais depuis si longtemps, avait tourné si souvent et pris tant de couloirs que le souvenir de la carte mentale que je m'étais tracée n'avait plus la moindre utilité. J'avançais, comme un animal blessé. Ramperai-je ainsi jusqu'à la fin du monde ? L'obscurité avait gagné mon corps, mon cœur. Je me sentais presque intangible, un noyau de pensées sans queue-ni tête glissant dans les entrailles secrètes de la terre.
« On n'y arrivera jamais. Toute la section s'est écroulée. »
« On ne pouvait pas compter sur elle. »
« Elle n'est pas encore morte, mais je ne peux rien pour elle. »
« JE SUIS RAFAELO DI AUDITORE. JE SUIS ICI POUR RENCONTRER VOS DIEUX ET LEUR FAIRE ENTENDRE MA VOIX ! JE NE SUIS NI UN ANGE, NI UN SHANDIA MAIS MA VICTOIRE M’ACCORDE LE DROIT DE LES RENCONTRER ! JE RECLAME CE DROIT EN TEMPS QUE TRIBUT POUR MA VICTOIRE. »
« Petite chochotte. »
« Cela s'appelle le libre-arbitre. Le choix laissé aux espèces conscientes, humains, cornus, grand-bras et autres anges. Lorsque, quelque part, quelqu'un a le pouvoir de décision, cela amène forcément à la division . »
« C'est une règle d'or dans l'espionnage : ne jamais jouer son propre rôle. C'est trop confortable, on devient imprudent . »

Plus tard, je me rendis compte que les murs du tunnel étaient couverts d'une végétation fibreuse, aussi entremêlée que de la laine non peignée, mais sous les ramures entrecroisées brillaient par endroits des taches luisantes reflétant... une lumière ? Une minuscule lueur. Un trou d'épingle dans l'obscur linceul de la nuit. Tout comme avec les araignées, je bénéficiai à nouveau d'une clarté. C'était comme une aube sur ma vie. Ce n'était qu'un halo minuscule, tremblotant, mais je pouvais voir ma forme de mes mains tendues devant moi. J'étais belle et bien une personne, faite de chairs et de sang. Je pense donc j'existe ? Pff, laissez-moi en douter. Je souffre donc je suis avait été une bonne devise, mais c'était étonnant la rapidité avec laquelle un être pouvait s'adapter aux pires circonstances de son existence. Finalement, nous les bipèdes et autres formes humanoïdes, avions conquis le haut de la chaîne alimentaire parce que nous avions un instinct de survie plus développé. Ça et rien d'autre.
Je clopinai jusqu'au mur pour mieux voir et j'avançai la main, mais à peine mes doigts étaient-ils entrés en contact avec la mousse grasse, que je les retirai avec un haut-le-cœur. La lumière m'avait rendue une partie de mon identité, mais je vacillai encore à l'idée de ce à quoi j'avais échappé.

Cette lumière, comme un lumignon, se retrouvait à intervalles irréguliers sur la mousse qui poussait sur des carreaux souvent fendus ou ébréchés. Le couloir était plus large, s'élargissant vers des entrées voûtées de douzaines d'autres tunnels. De larges dalles recouvraient maintenant le sol sous mes pieds ; j'avais rejoint la civilisation. Certes, elle était morte depuis des siècles, mais ici l'homme avait vécu.
Je passai la tête dans une des ouvertures, profitant du moment de répit offert par ces lucioles végétales, avec les plus grandes précautions. Je me souvenais de l'essaim de petites araignées ; qui pouvait savoir ce qui se cachait dans les recoins de Shanda ? Et là, je me figeai. Je voyais, oui, clairement, et je voyais une chambre magnifique, parfaite sous la lumière feutrée, aussi éternelle que si quelqu'un venait de la quitter. Le plafond était haut et couvert de nervures délicatement peintes, en une forme qui rappelait un buisson de lierres florissants, ou les méandres de mille ruisseaux enchevêtrés. Les pierres étaient des miracles de sculptures, et les formes d'oiseaux jaillissaient, comme prêtes à prendre leur envol. Au centre de la pièce, une fontaine ou un bassin, de pierre polie. Quelque part dans ma tête, je pouvais imaginer à quoi je ressemblais : sale, débraillée, couverte de boue, peut-être avec un filet de bave pendant à la lèvre. Et j'étais comme intruse à ce monde féerique, d'une douceur infinie, d'une beauté lyrique à vous couper le souffle. Une barbare, voilà ce à quoi j'avais été réduite.

L'odeur de l'eau et de pierre était partout, alors que je mourrais de soif. Il me semblait que mon odorat et mon ouïe s'étaient aiguisés pendant cette éternité dans le noir. Tandis que je parcourais les couloirs de ce monde étrange, ses senteurs m'envahirent : le parfum du terreau humide, aussi riche que le pain – ce que j'avais faim ! - et celui morne mais tenace de la roche inerte.
A mesure que je passais d'une pièce à l'autre, les constructions se faisaient plus visibles sous le manteau de l'érosion. Elles dessinaient d'étranges silhouettes sous la pénombre du pâle miroitement vert-blanc qui éclairait le couloir. Des travées déchirées qui avaient dû être des balcons, des colonnes effondrées, longs blocs de terre gisant à terre comme autant de tombeaux, entrelacés de fleurs gravées. Mais lorsque je me tournai pour mieux voir, il n'y avait plus qu'à cet endroit qu'un amas de vieilles pierres couvertes de mousse et de poussière. Les ténèbres s’incurvèrent aux limites de mon champ de vision et ma tête m'élança. Le sang battait à mes tempes et le bruit incessant de l'eau qui tombait quelque part hors de ma portée, résonnait maintenant comme autant de coup de marteau. Les voix folles revinrent se quereller comme des débauchés par une musique particulièrement rythmée.
 « Shaï la chochotte....
Ayons pitié, elle est perdue !
Folle, pauvre folle.


Quelque chose avait disparu ici. Quelque chose de beau avait été détruit sans le moindre espoir de retour. Le monde était mort ici, et son dernier cri s'était enfoncé dans mon cœur comme une lame. Même ma froide indifférence avait fait place à cette terrible tristesse qui me déchirait et me secouait de violents sanglots, tirant des larmes de mon corps que je croyais depuis longtemps asséché. La Shaïness de Dieu était perplexe de voir la Shaïness des Ruines perdre autant de temps sur des cailloux, mais la Shaïness des Ruines ne voyait là que des reliques, témoin d'un temps glorieux pour ne laisser aux spectateurs que de l’amertume et des regrets. Comme si le Destin et le Temps avaient agi de concert pour nous laisser ce hommage, pour nous confondre en de coupables élans, pour nous narguer : voici tout ce que vous ne serez plus jamais. Et cette perte me meurtrissait. Mon instinct de survie me poussait à continuer de marcher, mais mon âme torturée désirait rester ici, où finalement tout était beau et calme. A quoi bout retourner vers une vie de douleur, de manque, d'amour factice, où je savais que tout était faux mais dont je me contentai, car j'oubliai immédiatement le souvenir de ce qui avait été véritable ? Or, ici, c'était. Ou avait été. Vrai ou pas, c'était ce que l'Histoire retiendrait de Shanda l'Ancienne. Si ça se trouve, le bassin devant moi avait été empli du sang de jeunes vierges au court de rites sataniques, mais personne ne le saurait jamais. Et si je mourrais, quelle empreinte laisserais-je au monde ? Rafaelo ne se souvenait pas de moi, ma famille ignorait tout de moi, la révolution ne pleurerait pas ma mort... Est-ce que MOI, je pleurerai ma mort ? Dans mon état actuel, non. Mais dans ce cas, pourquoi étais-je encore en train de me poser toutes ces questions, le cul assis dans la poussière d'éons ? J'aimais Dieu... mais je le haïssais encore plus pour ce qu'il m'avait fait. Et tout l'amour qu'il avait mis en moi ne suffisait plus à m'aveugler. C'était comme cette lueur, cet endroit : ça ressemblait à la vie, mais ça n'en était pas.
Embrassant l'obscurité, je repris ma marche. Derrière moi, la bataille-fantôme et la chambre fantôme avaient rejoint l'ombre et le silence.
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Mes réflexes CP se mirent en branle au moment même où je me réveillai. J'étais passée de la douceur du sommeil à la lucidité de la sentinelle en un claquement de doigts, mais je restai allongée, le souffle lent et profond comme tout bon rêveur. Derrière mes paupières closes, j'étais pourtant déjà en train d'analyser la situation.
J'étais allongée sur une couche sommaire qui mettait peu d'espace entre le sol et moi. Je sentais les dalles, mais heureusement, pas le froid. Ce fut à ce moment que je réalisai que je n'avais pas/plus froid, grâce à la couverture sous laquelle j'étais blottie, et grâce au feu dont j'entendais les crépitements, quelque part sur ma droite. Au-delà du grésillement des flammes, quelques trilles solitaires d'oiseaux, indiquant l'aube ou la fin de journée et je compris à ce moment que j'étais sortie des ruines.

- « Ah, vous êtes déjà réveillée ? » Une voix douce perça mon rideau de feinte quiétude et je sursautai,  mon corps réagissant avant moi. Il avait été réveillé par quelque chose qui m'avait échappé. Ça s'appelait le sens du guerrier. Ou dans mon cas, de la guerrière. Cette aptitude à ne dormir que d'une oreille, que d'un œil et de sentir quand une mouche faisait zap zap au lieu de zip zip, et de s'en inquiéter. Du coup, je me retrouvai en position défensive, un genou à terre, prête à pousser sur mes muscles pour échapper à un coup. Et là, je me rappelai que mon corps n'était pas en état de quoi ce que fut, et je m'écroulai avec un grognement frustré.
- « Qu'est-ce--- que... je vous connais... » J'étais perdue. D'un côté, il y avait mes réactions, de l'autre, le cours de mes pensées et les deux étaient en dissonance totale. Une migraine me rongeait le cerveau. Pourtant, je savais que ce visage me disait quelque chose.
- « Mon enfant, vous divaguez. Vous feriez bien de vous reposer. »
- «Je ne peux pas. Je dois... » Je m'arrêtai, les sourcils froncés. Tout était flou dans ma tête. « Je... je suis où et quand en fait ? »
- « Vous êtes dans les Ruines de Shanda, et nous sommes le matin après votre arrivée. »
- « Ah. Merci. » J'étais encore en train de chercher à mettre le doigt sur une pensée vagabonde quand j'associai deux et deux. « Attendez, ça ne fait qu'une soirée ? Je n'ai passé qu'une soirée dans... ce labyrinthe ? »
- « Ah, la nuit tombe vite ici. La soirée a donc été longue. Vous devriez vous reposer, vraiment. » Cette voix douce. Elle me rappelait quelque chose. C'était ça, que je traquais.


Je me souvenais.
Le Puits, la chute, l'eau, les araignées, la longue marche dans les ruines, dans cette obscurité qui était pourtant préférable à toute lumière. Les voix, moqueuses, irréelles. A s'en cogner la tête contre les murs. Ce mal de tête, ce n'était peut-être pas si étonnant. Je me rappelais avoir leur avoir hurlé de me laisser tranquille, de leur avoir imploré de m'aider. Les chuchotis n'avaient pas cru ou décru. J'aurais voulu les ignorer, mais comme ces satanés moustiques, ils voletaient en ellipses autour de moi, le son devenant plus ou moins fort. ZOOooum. ZOOOouUUUum. Énervant. Ça vous empêchait de dormir et le fait était que ça vous empêchait de vous perdre en paix. Quitte à mourir, j'aurais voulu le faire avec un minimum de dignité. Non, là, j'allais vers la folie furieuse bien avant la déshydratation et la famine.
Puis il y eut cette voix. Elle bourdonnait elle aussi, mais je trouvai dans son son une élégance particulière. Elle, elle faisait Ffffff, FFFfff en passant.... elle froufroutait. Légère, aérienne, et pourtant, chaleureuse. Et puis, elle ne me causait pas. Elle.... si je devais vraiment utiliser un mot, je disais qu'elle cristallisait. Ça ne veut rien dire, une voix qui cristallisait, je le sais bien, mais comment traduire cette impression de reflet, de bruissement légèrement crépitant, qui s'accompagnait toutefois d'une sorte d'arpège musical ? A défaut de tout autre chose, je me mis à la suivre. C'était comme jouer au « chaud-froid » : plus je m'approchais, plus j'entendais cette espèce de mélopée.
Au final, j'avais débouchée sur une grande salle, et elle était là. La torche qu'elle tenait à la main m'éblouit et je m'étais plus ou moins écroulée au sol.

Elle, c'était la femme devant moi, et non pas la voix qui fff-fffetait. J'étais peut-être paranoïaque, mais folle. Me redressant dans une position confortable, je regardai autour de moi.
- « Je vous remercie, mais... je suis trop fatiguée pour dormir. » Pas envie de faire de mauvais rêves, nés de toutes mes douleurs et des questions restées en souffrance. « On est toujours dans les ruines, vous m'avez dit ? »
- « Oui, mais nous sommes assez loin du village. Ne vous inquiétez pas, vous êtes la bienvenue ici, aucun mal ne vous sera fait. »
J'eus un sourire pale. Évidemment, vous ne pourriez pas comprendre, pas tant que je ne vous auriez décrit mon interlocutrice. Mangrove était un petit bout de femme qui avait dû être splendide du temps de sa jeunesse et qui avait gardé pour elle un air digne. On pourrait dire qu'elle avait la vieillesse tranquille. Elle paraissait frêle, à tel point que la mettre à terre ne semblait pas bien compliqué. Bon, mon état m'interdisait quoi que ce fut, mais la réciproque se tenait : je la voyais mal soulever ne serait-ce qu'un couteau à beurre. Donc, me faire du mal ?

Il vint alors à l'esprit qu'elle n'était pas toute seule. Non seulement il y avait le fait que je n'étais plus dans cette grande pièce où je l'avais rencontrée – enfin, si cette scène n'était pas un fragment de mon imagination mise à mal – et que si elle ne pouvait me blesser, elle ne pouvait m'avoir transportée ici – quoi que fût ce ici... Non seulement ça, mais je sus avec une certitude frôlant la perfection qu'il y avait quelqu'un d'autre à proximité. Automatiquement, en dépit pour le coup de toutes mes leçons CP, je tournai la tête en direction d'un recoin des ruines, m'attendant à voir quelqu'un sortir des ombres.
- « Non, Chris ne vous fera aucun mal, lui non plus. »
- « C'est qui, Chris ? » demandais-je bêtement.
- « Mon compagnon. Celui que votre Haki vient de repérer. »
- « J'n'ai pas le Haki. Enfin, pas comme ça. » Je continuais à parler avant d'avoir réfléchi.
- « Bien sûr que si, vous avez le Haki, et que vous l'avez comme ça. Comment voudriez-vous l'avoir ? »
- « Ben moi, quand j'utilise le Haki, je vois tous les futurs possibles. Et ça me fait un mal de tête. Pire encore que celui que j'ai. »

Mangrove fronça les sourcils et sans mot dire, s'agita de son côté. Je pris conscience alors que nous étions dans une sorte de cabane. Les murs et le sol en pierre étaient clairement des ruines de l'ancienne cité, mais les poteaux en bois et les peaux tendues délimitaient des espaces. Le foyer qui éclairait chichement la scène, seule source de lumière, me séparait pour le moment de mon hôte. Je suivis des yeux la fumée qui montait, notant qu'elle passait dans un trou pratiqué dans la toile et que celle-ci se gonflait par intermittence. Il y avait du vent, et surtout, une certaine hauteur au-delà de ce « plafond ».  Puis je clignai les yeux et mon cœur s'affola.

- « Ah, la fumée !! Rafaelo !!! Je dois le contacter il doit se--. »
- « J'ai peur que vous ne soyez coincée ici. »
- « Non, j'ai un den-den et –-. » Je tapotai autour de moi, à la recherche de mes effets personnels et j'eus la frayeur de ma vie en voyant que je n'avais plus rien. Mangrove me désigna une sorte de boite posée à proximité, où je retrouvais toutes mes affaires. Malheureusement, aucun de mes escargophones ne purent se connecter.
- « Nous sommes encore assez profond sous la terre. » m'expliqua Mangrove après que je lui eusse fait part de mes problèmes. Elle s'empara d'un den-den et l'examina, et je me rendis compte que les Anges comme les Shandias devaient tout ignorer de cette technologie. « Tenez, ça calmera votre migraine. Et je vais regarder vos autres pansements. »
Elle me tendait un bol empli d'eau chaude dans laquelle flottait des herbes. Du thé. Le signe par excellence que j'étais en présence d'une grande dame. Un signe de civilisation avancée, le thé... Comme c'était du thé thérapeutique, ça sentait bizarre, et nul doute que le goût allait avec. Précautionneusement je soufflai sur la surface du liquide pour le refroidir.

- « Vous êtes médecin ? »
- « Je connais les plantes. Et j'ai vécu toute ma vie entourée de personne qui n'avait que le mot « guerre » à la bouche. J'ai appris à soigner. »
- « Et vous avez le haki. Ça doit aider. »
- « Non, je n'ai pas le mantra. » Devant ma surprise, elle s'expliqua :« J'ai passé toute ma vie entourée de personnes qui l'avaient. J'en sais suffisamment pour savoir que votre haki, tel que vous me le décrivez, est imparfait. C'est étonnant, parce que j'étais persuadée que vous le maîtrisiez. Sinon, vous ne seriez pas sortie des ruines comme ça. A moins d'être extrêmement chanceuse, et vu votre état... »
- « Je dois vous remercier, j'ai moins mal. » En effet. Je voyais des deux yeux. Ma cheville était bandée serrée et si mon épaule était encore source de vagues de douleur, elle était à sa place.
- « J'avoue que je n'ai pas agi que par bonté d'âme. Quand j'ai appris que vous étiez arrivée au village, puis que vous étiez probablement bloquée sous l’effondrement d'un bâtiment... et puis, on a senti que vous étiez en vie, mais perdue dessous... »
- « Qui ça « on » ? Chris ? »
- « Chris n'a pas plus le mantra que moi. Nous sommes deux personnes bien ordinaires. Non, j'ai encore quelques contacts avec la tribu. En fait, j'en ai beaucoup, même si tout le monde l'ignore. Mes talents sont encore appréciés, et mon exil est plus... politique que religieux. »
- « Hein ? »

Mangrove eut une hésitation et habilement reporta la conversation sur le haki. Si je ne poussais pas mon avantage, je notai de ne pas oublier d'approfondir le sujet.
- « Votre haki... Pouvez-vous... pouvez-vous entendre à volonté ? »
- « Si vous me demandez si je maîtrise ce pouvoir, sur le plan du on/off, ça oui. Mais j'évite. La dernière fois, ça ne m'a pas fait du bien. » En fait, je me demandai si je m'étais vraiment remise de ce contrecoup.
- « Alors, je vous prie, essayez. Un court instant. »

Devant son insistance, je m'exécutai. Ce n'était pas comme si je ne pouvais pas l'éteindre à la seconde où les choses dérapaient. Mais rien ne dérapa. Je ne voyais rien en triple exemplaires. Juste Mangrove, légèrement floutée car oui, sans vraiment distinguer le futur, je savais quel était son prochain mouvement. Je fis glisser mon regard sur la pièce autour de nous, mais les cloisons m'empêchaient de voir. Voir quoi ? Ben, ceux que je « sentais ». Chris donc, dans la proximité immédiate, puis trois personnes plus loin qui pêchaient. Une masse plus grouillante, que je labellisai Shanda-village. Notamment, une vibration plus forte, qui me tira un grognement animal : Manguelita. Celle-là...
Papillonnant des paupières, je mis fin au mode mantra.
- « Vous avez raison ! J'ai l'impression que je maîtrise mon haki... mais... comment ?. »
- « Oh, je pense que c'est grâce à votre cheminement dans le noir. »
- « Ouais, grâce. Comme si j'allais dire merci. » grommelai-je le nez dans mon thé. Comme prévu, il était d'une âpreté redoutable. Apparemment, rien chez les Shandias ne venait sans une certaine force qui vous plombait l'estomac.
- « C'est pourtant vrai. Mon avis est que vous vous reposiez trop sur vos cinq sens. Le mantra est quelque part, un pouvoir qui touche à l'âme. A être trop ancrée dans la réalité... c'est ce qui vous donnait cette vision des futurs. Votre pouvoir ne vous donnait que ce que vous pouviez voir ou toucher, comprendre. Or, dans le noir, vous n'aviez plus accès à rien. Vous avez donc compenser avec vos autres sens, et le mantra en est un ; une sorte de sixième sens. Votre corps a répondu à votre désir de survivre. Comme vous étiez blessée, il a fait en sorte que vous trouviez un moyen de rester en vie. »
- « .... si vous le dites. Moi, tout ce dont je me rappelle, ce sont les araignées blanches et la salle à la fontaine et-- »
- « Oh, je ne veux pas savoir. Si Shanda vous a parlé, c'est à vous seule. »
- « Nan, mais vous n'allez pas vous y mettre, vous aussi ? J'en ai assez soupé, de la voix du désert, et de l'âme des ruines, et des malédictions des djins ou autre. Des pierres en ruine, c'est des pierres en ruines, et un désert, c'est des petites pierres encore plus en ruines. »
- « Et vous vous étonnez que vous n'arriviez pas à maîtriser votre haki... Vous manquez singulièrement de confiance en vous, Shaïness Raven-Cooper. »
- « Me dire à MOI, que je manque de confiance en moi ? On voit que vous ne me connaissez pas ! » raillai-je. Alors ça, on ne me l'avait pas faite.
- « Vous paraissez certaine de vous, mais c'est un masque. Vous vous mentez à vous-même. Vous ne vous voyez pas. Vous êtes--. »
- « perdue. Je erre parce que je suis perdue, ou est-ce que je suis perdue parce que je erre ? » Je l'avais coupée, mais quelque chose me disait – le Haki peut-être – qu'elle allait me sortir quelque chose du genre.
- « C'est une bonne chose que d'avoir une destination en vue, mais il ne faut pas négliger le voyage. »
- « Vous pourriez être moins cryptique ? J'avoue que pour une Shandia, vous êtes remarquablement pas directe. »
- « J'ai été à bonne école... » Vivre avec un Ange, par exemple. Mais ça, je ne le savais pas encore, et je dus, pour le moment me contenter cette remarque. « Vous voulez être forte, je le vois. Être forte pour toutes les bonnes raisons. Mais vous n'admettez pas que vous êtes faible, que vous êtes au début de votre voyage. Votre vœu le plus cher est sûrement de devenir du jour au lendemain la plus forte possible. Malheureusement, ça ne fonctionne pas comme ça. Vous allez devoir apprendre qu'être faible, c'est dans l'ordre des choses. Et que ce n'est pas une mauvaise chose. Savoir où sont ses faiblesses permet justement de les corriger. Ce n'est pas en se mentant tout en se rappelant d'oublier de se rappeler qu'on est imparfaite qu'on y arrive. »
- « Se rappeler d'oublier de se rappeler... » répétai-je d'une voix songeuse. C'était aussi limpide qu'un seau de boue, mais ça me parlait. Exactement les mots qu'il m'aurait fallu pour décrire les effets du pouvoir de Dieu sur m--- « J'ai trouvé votre thé infect. »
- « … hé bien ! »
- « Non je ne voulais pas vous vexer. Je vous remercie de votre thé – ça n'enlève pas qu'il est dégueu. Mais... j'aurais dû ne pas ressentir ce dégoût. J'aurais dû le noter et oublier que j'avais été dégoûtée.  »  
- « Alincourt et son fruit... il vous a eue, n'est-ce pas ? »
- « Vous... vous connaissez Dieu ? »
- « J'ai vécu sur cette île plus longtemps que n'importe qui. Si nous avions été en paix à ce moment, je l'aurais vu naître. Et qui ici ne connaît pas la nature de ces pouvoirs ? »
- « Ben, ne vous inquiétez pas, je vais le tuer. Littéralement. J'étais déjà pas mal niveau acte répréhensibles et tout, mais déicide, ça manquait à mon CV. » marmottai-je entre mes dents serrées.
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