Jack Tipiak. Jack la légende. « Hit the road » Jack et une chiée d’autres surnom tous plus improbable les uns que les autres. Mais, Jack est méconnu du grand public. Pirate médiocre du passé, il avait visé la lune, mais ne l’avait jamais décroché. Et pourtant son histoire avait bien commencé. Primé sur les Blues pour avoir mis au point une arnaque à grande échelle, son style et son bagout ont vite fait le tour des Blues en attirant au passage leur lot de curieux et parmi eux, ses futurs compagnons d’aventures. Et l’aventure parlons-en. Ces flibustiers ont parcouru les mers pour dénicher des trésors tout en ayant la marine et les autres pirates aux trousses. C’était une époque bénie pour lui, tout lui souriait. Au cours de ses nombreuses traversées, il mit la main sur quelque chose de plus rare encore que l’or accumulé, il avait forgé des liens avec chacun de ses nakamas qu’il considérait comme sa famille. Les beuveries, les rires aux éclats et les prises de bec jalonnaient leurs parcours au même titre que leurs péripéties. Pas réellement des sanguinaires des mers, rien que des forbans en quête, à la recherche d’un jour de plus sous le soleil, à la recherche d’eux même et de la liberté. Si tout avait bien commencé, la fin elle, fut tragique.
Cette petite histoire nous conduit bien des années plus tard. Sur une triste caravelle à quelques encablures des côtes du Royaume de Bliss. L’heure était tardive. Sur le pont, le bosco veillait à ce que chaque matelot soit à son poste. L’homme était grand. Un bandana noué sur la tête peinait à cacher sa crinière blanchit par le temps et les affres d’aventures aussi bien glorieuses qu’horribles. Sur son passage, on relevait la tête et on le saluait. Plus par respect que par crainte, il le savait. Contre le poids des années, nul n’était immunisé. Serrant le poing comme pour mesurer les forces qui lui restaient, il finit par sourire à l’infini qui se tenait devant lui, à l’horizon où se mélangeait la pénombre du ciel et la noirceur de l’océan. Un vent froid venait à présent souffler sur les eaux. Eddy s’emmitouflait un peu plus dans sa peau de loup. Si jadis un vent aussi faible le laissait de marbre, aujourd’hui il en était autrement pour le timonier. Du haut du plus grand mât, il observait le lointain à l’aide de sa longue vue. Ses yeux aussi n’étaient plus aussi affutés que par le passé et alors qu’il ajustait son instrument, il vit le Bosco aux avant-postes parler tout seul. C’était une habitude qu’il avait pris avec le temps. D’aucuns diraient aussi que la folie le rongeait. Quoi qu’il en soit il se revoyait au cœur des batailles navales avec son quartier maitre à ses côtés. Et puis le vent se mit de nouveau à souffler. Il chassa les souvenirs pour le rappeler à la dure réalité.
Albafica rodait sur le pont, il avait faim, il avait froid mais s’attelait au cordage. Il avait vite apprit qu’il était préférable de rester en activité plutôt que de rester oisif. Depuis quand naviguait-il avec eux déjà ? Quelques semaines, peut-être plus, oui. Si peu et pourtant il s’était lié à chacun d’entre eux. En particulier avec les vieux loups de mer. Le bosco n’était pas toujours aussi froid et distant, il se plaisait à jouer aux jeux d’échecs où à jeter les plus jeunes à la flotte. Eddy lui, était un buveur de première. Il était vieux et sec, mais tenait l’alcool comme personne. Aujourd’hui, ça doit lui réchauffer le cœur et l’âme. Bien que cette nuit personne ne devait boire la moindre goutte, ordre du capitaine. Ordre de Jack. Il venait de congédié la moitié de l’équipage voir plus. Son dernier speech en avait refroidit plus d’un. Nombreux sont ceux qui ont quitté le bord après avoir appris que ce navire ne les conduirait pas vers un avenir radieux, ni vers un avenir tout court. Ce n’était plus qu’un de ces radeaux à la dérive comme il en existe beaucoup, certes en un peu plus imposant. Un cercueil flottant, voilà les termes exacts employés par le capitaine Tipiak. Un tombeau à ciel ouvert qui voguait à présent vers sa dernière destination. Une destination que montrait à présent du doigt Eddy le timonier après avoir agité sa lampe pour prévenir l’ensemble des matelots. Le « Cassius Blue » était en vue.
Albafica redoublait d’effort pour tirer les voiles au plus vite et permettre à leur navire de rattraper celui de la marine. Tirailler, oui il était tirailler par la peur. Son corps s’appliquait à suivre les ordres du capitaine tandis que son esprit lui intimait l’ordre de quitter au plus vite ce lit de mort. Et pourtant il était resté là tout en sachant pertinemment que c’était dangereux et qu’il y resterait certainement. Alors que son regard se portait sur le capitaine Jack qui venait de quitter ses quartiers, son esprit se mit à quitter son corps pour retourner dans son passé. Il revoyait les chemins qu’il empruntait avec l’image du dos de son père face à lui. Il le suivait, encore et toujours pour finalement tenter de le dépasser, mais son visage s’effaçait à chaque fois qu’il essayait. Finalement, il ne lui restait que le visage du capitaine pour lui rappeler celui de son défunt père. Un visage résigné, un visage tiré par le temps et les saloperies de la vie. C’est surement pour ça alors qu’il n’a pas pu prendre les jambes à son cou quand Jack avait annoncé la nouvelle de cette bataille : il ne voulait pas voir se dessiner sur ce visage une blessure de plus.
Jack Tipiak
Nous nous rapprochions. La houle et le vent portaient littéralement le vaisseau vers l’avant, vers la bataille. Le tonnerre malmenait le ciel et la mer. Il faisait noir, on ne distinguait rien aux alentours. Rien si ce n’est les lumières du Cassius Blue éclairant sa proue si particulière en forme de lame. Une lame qui obnubile et torture depuis tant d’années le capitaine Jack. Un tricorne sur la tête, une moustache bien garnie et des yeux aussi clair qu’un ciel d’été, l’homme était apprécié par les siens, le capitaine lui, était idolâtré par les anciens. Grand et imposant, il tenait un pistolet dans sa main droite et un sabre dans la main gauche. Son manteau sur les épaules, il était la parfaite représentation de l’image que l’on se faisait d’un capitaine pirate. Toutefois, on pouvait voir des ombres danser sur son visage parcheminé par le temps. Des ombres nourries par la peur de ce qui s’était passé et les doutes de la bataille à venir. Il se souvenait de tout. Des moindres détails. Il revoyait le Cassius Blue dans son esprit comme il le voyait aujourd’hui. Tout avait été très vite. Harponné par ce diable des eaux en pleine mer, il n’avait rien pu faire pour le distancer ou pour le repousser. Plusieurs marines avaient envahi le pont en dérobant tant de vies au passage. Des vies dont les cris résonnaient en lui si fort qu’ils ne lui laissaient aucun répit, de jour comme de nuit. Bataillant avec courage, il n’y eut que quelques rescapés, les plus forts seulement, les plus lâches assurément et il en faisait partie. Dès lors, le périple de Jack l’aventurier avait touché à sa fin. La suite n’eut été que douleurs et souffrance. Que survie un jour après l’autre. Reniant son honneur pour des larcins qu’il laissait jusqu’ici à d’autres, il n’avait reculé devant rien pour subsister encore un peu. Retaper le bateau, recueillir quelques âmes isolées et leur faire miroiter un avenir radieux qu’il savait à présent hors de portée. Il n’avait qu’une idée fixe. Tout ce qu’il avait fait depuis ce jour malheureux n’avait jamais eu qu’un seul but et c’était celui-ci. Revenir dans le temps, revenir à cette bataille et la livrer comme elle aurait dû être livrée : avec courage et panache.
Eddy ne répondait plus. Niché seul sur le montant du mât le plus grand, dans une petite cache, il avait le regard fixé sur le monstre devant lui. Un monstre fait de fer et de bois. Un monstre qui l’avala tout cru pour le recracher ensuite le dépossédant alors de sa fougue, de son courage et du feu intérieur qui brulait en lui avant cette terrible rencontre. Albafica vint près de lui pour lui remettre sa peau de loup sur les épaules. Le jeune homme intriguait beaucoup Eddy qui ne l’aimait pas du tout à l’image des vieux de la vieille de se rafiot à la dérive. Il faisait preuve d’un calme olympien. On pensait même qu’il était un peu beaucoup faible d’esprit. Un de ces zinzins gentillet qui ne comprenait pas grand-chose et qui d’un rien était satisfait. Image renforcée par son art musicale vieillot qui n’était plus chanté nulle part ou presque. Cependant, même s’il n’était pas le plus géniale des gamins, il était ingénieux à sa façon et était bien loin d’être aussi simple d’esprit qu’ils le pensaient. Non la raison était toute autre, ils le détestaient, car il était la parfaite représentation de tout ce qu’ils haïssaient chez eux même. La hardiesse d’Albafica, son entrain au quotidien et son courage rappelait aux anciens leur âge d’or et leur propre lâcheté qui causa leur échec.
- T’as peur le vieux ?
- Ferme la petit con ! Si t’étais pas aussi bête, t’aurais peur toi aussi.
- Mais j’ai peur, j’suis pas fou, on risque de tous y passer.
- Encore plus con que j’croyais... Tu sais ça et tu viens quand même en enfer avec nous ?
- A quoi bon se risquer en mer si c’est pour s’tirer dès que le vent souffle pas de not’ côté ? Si je pars maintenant, je fuirais toujours. Je fuirais comme vous.
- Silence avorton ! Tu sais rien de ce qu’on a traversé ! Tu sais rien de ce qu’on a fait pour survivre !
- J’en sais rien. Ce que je sais c’est que s’tirer ça a du bon pour sauver sa vie. Mais qu’en fuyant vous avez laissé les autres derrière vous. Moi j’veux pas vous laissez derrière moi. Mais j’tiens pas à mourir non plus et je me casserais si ça tourne trop au vinaigre ou si j’trouve un truc à refourguer.
- T’es vraiment qu’une petite crapule Albafica, mais t’es franc, je t’apprécie un peu plus on va dire. Et maintenant va à ton poste, ça va bientôt commencer.
- J’y vais... T’as l’air d’avoir retrouvé du poil de la bête...
- Merci d’avoir replacé ma peau de loup sur mes épaules, ça m’a aidé, ça et puis...
- ... Ouai ouai, j’me casse à mon poste.
- Tire-toi ouai ! Et que j’te vois pas t’enfuir pendant le combat !
- Ça risque pas. J’veux chanter cette bataille plus tard et pour ça, j’suis obligé d’rester pour connaitre la fin.
Le Cassius Blue, l’une des plus anciennes caravelles des Blues. L’une des plus respectables aussi. Un fléau des mers qui, grâce à sa vitesse et à un équipage discipliné a su perpétré tout au long de son histoire des attaques éclairs en pleine nuit pour surprendre les navires ennemis. Les suivre sans se faire repérer, garder ses distances et attendre le bon moment pour frapper en naviguant au jugé, sans aucunes lanternes ni autres lumières pour s’éclairer et se situer. Opérer ce genre d’attaque, ils en sont devenus des spécialistes. Le navire naviguait au large. En sommeil, le chasseur ne chassait pas cette nuit-là. Eraflé de toutes parts, brisés par endroit, le gouvernement n’avait pas jugé bon d’engager des frais de réparations pour cette antiquité des mers. Il était en fin de vie, mais n’avait pas encore rendu son dernier souffle. Un souffle que voulait s’approprier Jack Tipiak au prix de sa vie. Sur le pont de l’illustre navire, on pouvait voir les marines disciplinés opérer dans une mécanique aussi bien huilé que complète. Les surveillants relayaient ceux qui étaient de quart avant eux. Cordages et bastingages étaient régulièrement vérifiés tout comme les voiles et les autres points névralgiques du vaisseau.
Cinquante bons hommes étaient à bord. Chargé de défendre les mers sur ce symbole de fierté sur lequel ils naviguaient. Mais pour le bosco, Eddy et le capitaine Jack Tipiak, ce vaisseau était un monstre à éradiquer. Il était une blessure, une insulte et un coup de poignard porté en plein cœur. Il était une flèche sifflante qui avait atteint leur honneur de pirate à jamais envolé. Envolé jusqu’aujourd’hui.
Le Flint était sur eux. Ce lugubre vaisseau retapé par l’opiniâtreté acharné d’un capitaine blessé. Le chasseur était devenu le chassé. Il était immobilisé et eux étaient en mouvement. Il était éclairé et eux naviguaient en aveugle. Il était discipliné et eux n’avaient plus rien à perdre.
Collision !
Criât un des matelots de la vieille garde. La cloche d’alarme retentit dans tout l’vieux bâtiment perforé en plein milieu par la proue du Flint dont la quille s’était brisée nette à l’impact. Un sourire amer et sinistre se dessina sur le visage du capitaine qui remerciait du tirefond de son âme son ami le plus fidèle qui, comme lui, avait tenu bon toutes ses années pour finalement mourir dans cet ultime assaut.
Mais avant de trépasser, le capitaine ordonna une salve et trois canons crachèrent le feu à bout portant sur l’antique vaisseau qui n’avait plus aussi fière allure. Des grappins étaient jetés pour s’accrocher au bastingage et prendre d’assaut le Cassius Blue. Au front, les marines avaient sorti les fusils pour tenir en respect les pirates en contrebas. Le bosco et une petite dizaine de pirates répliquaient tant bien que mal sous les feux nourri de ces hommes endurcis. Pendant ce temps, le capitaine Jack et une poignée d’homme dont Eddy et Alba’ avait pris la caravelle à revers jusqu’à se hisser à bord, au nez et à la barbe des marins.
Feu !
Les fusils des piratent firent mouche sur les dos comme sur des cibles faciles et à porter de tire. Le Bosco ordonna également une salve qui prit encore de court les marins assaillit sur deux fronts différents. Toujours en surnombre, ils répliquèrent aussitôt. Impeccable, sans rien lâcher et sans paniquer, ils avaient à présent constitué deux lignes de feu sur deux fronts à la fois. Alors qu’Eddy prit la tête du groupuscule à bord du Cassius Blue, le capitaine, lui, se dirigeait à fond de cale en entrainant Albafica avec lui qui, bien que bousculer par Jack, regardait encore en arrière alors que ses yeux croisèrent ceux du timonier qui lui était encore reconnaissant.
C’est ici qu’il tombera.
Froid, calme et sans pitié, Jack Tipiak continua son périple à travers les sombres artères de la vieille dame. Secondé par Albafica et un vieux mousse, ils hantaient les longs et étroits couloirs du navire. Reclus derrière des caisses en bois, pistolets et fusils chantèrent en même temps pour repousser les assaillants. Le vieux mousse observa le capitaine et d’un commun accord, il courait seul et à découvert avec une bouteille de verre enflammé dans la main. Arrivé au bout du chemin, le vieil homme se fit dispersé de toutes parts par les balles assassines. Mort, sa main délivra le cocktail enflammé qui dévora homme et bois sur son passage. Le visage toujours dur et le regard sombre, Jack enjamba son compagnon calciné, sans un regard, sans un merci, sans même un au revoir. La tête basse, Albafica assistait tristement à ce terrible évènement. Les doutes émergeaient par vague dans son esprit. Etait-il vraiment à sa place ? Voulait-il aidé à ce genre de vengeance ? Il ne savait plus. Les yeux posés sur le dos du capitaine Jack, il n’échangea aucun mot avec lui et poursuivit alors son périple, en silence.
Sur le pont supérieur, Le bosco était le dernier rescapé du charnier. Tapis derrière le grand mât, un fusil à la main, il rechargeait le mousquet pour un dernier cri retentissant. Sa balle avait fait mouche, celle du marine aussi. S’écroulant sur le parquet en bois, il se revoyait détaler devant la marine. Il se revoyait lâche dans ce dernier moment de courage. L’odeur de la poudre et du sang flottait dans l’air et pourtant, il était en paix, il pouvait à présent s’abandonner à la mort corps et âme.
Eddy vit son dernier ami sombrer. Un couteau à la main, il se battait au corps à corps avec trois marines. Ces derniers le frappaient à coup de crosse, mais sans céder, il agitait sa lame brillante sous la lune qui blessait les corps ici et là. Les os brisés, la peau tuméfié, il prit un des soldats avec lui pour basculer par-dessus bord, dans l’oubli et la mort, dans la délivrance d’un périple qui l’a usé et torturé bien trop longtemps.
Dans l’antre de l’antique, dans la gueule du monstre, le capitaine Jack avançait encore pour se diriger vers la poudrière. Alors même que le bateau avait déjà pris l’eau lors de la collision, Jack voulait en finir avec éclat et panache. Assis sur un tabouret, une large rame lourde entre les mains, le colosse et capitaine du Cassius Blue attendait, patientait. Immense, l’obscurité des lieux contribuait à faire de cet homme un réel monstre comme ceux qui se tapissent sous le lit des enfants. Les pirates se regardaient avant de s’écarter et d’attaquer une nouvelle fois sur deux flancs distincts. Le vieux et le jeune, l’expérience et la fougue. La montagne agitait sa rame au-dessus de sa tête avant de l’abattre sur le capitaine qui para celle-ci avec un revers d’épée. Cependant, la force et le poids étaient tous deux en faveur du colosse qui écrasait le vieil homme avec une grimace ignoble sur le visage. Les yeux du géant s’écarquillèrent quand il senti une lame se planter dans son dos au niveau des côtes. Albafica avait réagi plus qu’il n’avait agi et alors que la montagne se retournait lentement, son large poing était venu s’écraser contre le corps du gamin qui n’avait pas bougé, tétanisé par la peur du monstre.
C’était au tour du vieux d’intervenir en lacérant à nouveau le marine au niveau du torse et de la cuisse. Mais loin de l’immobiliser, c’était le géant qui avait dépossédé le capitaine pirate de son épée avant de le clouer contre le mur en le pilonnant de coups de poing à la tête et au corps. Meurtrit, tremblant et convulsionné sous les assauts répétés, le vieux capitaine vit défilé sous ses yeux, non pas les mauvais moments, mais les bons. Il se revoyait dans une taverne à jouer aux fléchettes avec son bosco et sous les applaudissements d’Eddy. D’autres moments comme sa première prime ou sa première bière. Ne voulant pas sombrer, il avait pris son pistolet en main. Dans un dernier sursaut d’énergie, il avait toutes les peines du monde à viser droit et, avant de presser la gâchette, le coup de poing en pleine tête lui fit lâcher son arme qui glissa sur le sol. Les rires gras et glauques du marine qui s’en donnait à cœur joie résonnaient dans les cales pleines d’eau de la vieille dame qui sombrait peu à peu dans l’immensité bleue. Et puis les rires firent place aux coups de feu retentissants d’un pistolet tenu par un jeune pirate qui criblait de balle un marine sans pitié et sans égard. Les yeux ronds et l’esprit consumé par la folie de son acte, Albafica revenait difficilement à lui alors que le capitaine le rappelait sur terre en lui criant dessus. Le jeune portait le vieux dans le dernier compartiment des lieux. Dans la poudrière qui était encore sèche et préservée des eaux qui n’allaient plus tardé.
Allez tire-toi fiston. J’aurais même pas de scrupule de t’emmener avec moi dans la mort.
Vous êtes un homme ignoble mon capitaine.
J’suis plus capitaine depuis longtemps fils. J’suis plus rien depuis longtemps. Rien qu’une enflure amer qui a un dernier travail à faire avant de clamser. Va-t’en maintenant.... Et devient pas comme moi.
Ça risque pas mon capitaine... Dites-moi une chose avant la fin, avez-vous jamais été heureux ?
Je l’ai été mon garçon... je l’ai été.
Et le gamin fit une dernière révérence à Jack la légende, à ce capitaine prêt à tout pour prendre sa revanche sur la vie et la mort. A présent, l’heure était à la survie. Vite, aller à la chaloupe. Les couloirs sombres se ressemblaient tous. Les eaux lui allaient jusqu’aux hanches. Trouver son chemin, sans faiblir, sans faillir malgré sa tête qui lui faisait un mal de chien. Le ciel, il l’apercevait enfin. Enjamber les marches quatre à quatre et s’extirper de la gueule du monstre afin de chercher une bouffée d’oxygène à l’air libre, une bouffée de liberté. La poignée de marine qui était encore présente observait le dernier rescapé se diriger vers une chaloupe. On le mit en joug, mais c’était trop tard, il était déjà hors de portée. Au milieu de nulle part, le cœur de la vieille dame implosa de l’intérieur. Brulé et détruit, le capitaine avait fini par boucler la boucle. Le dernier son avait emporté le vieil homme dans un autre monde, dans un rêve infini où sa rancœur et sa haine ne l’accompagnerait plus.
***Quelques jours plus tard, sur la terre ferme.
♫♫Jack piraaaaaate ! La fin d’un vieux fouuu ! Jack Tipiaaak ! On s’souviendra de vouuuus !♫♫
Albafica était sur scène, le visage plaintif comme pour exprimer sa douleur sans vraiment y arriver. Il était à genoux devant un public de plouc dans un bouge du coin. Une taverne paumée où se retrouvaient les soulards des environs à la nuit tombé. A croire qu’il était condamné à toujours jouer dans des endroits miteux comme celui-là. Mais il s’en moquait, il chantait, il croyait en son Enka, en cette musique et au passage il se faisait de l’argent.
Tire toi ! C’est tout bidon ton Enka ! Et pi’ c’est qui s’Jack ?! On l’connait pas !
Sorti sous les acclamations du public, sous les ovations... Enfin, sous les huées et les jets de bouteilles, Albafica souriait en levant la main et en l’agitant devant un public qui ne lui avait pas fait de cadeau. Sa guitare factice en main, quelques Berrys en poche, il avait ramassé son baluchon pour finalement se tirer par la porte de derrière. Sifflotant, il chantait encore sa musique en mettant un pas devant l'autre, en flânant et puis, arrivé au détour d’une maison, il pressa le pas pour disparaitre sans demander son reste. Le souffle court, il s’était fait tout petit dans une cache derrière un enclos duquel il scrutait le chemin par un petit trou. Un, deux puis trois marines... Pas de doute, il était suivit. Surtout qu’ils avaient en main l’affiche de son spectacle et donc son nom. Sans bouger, en réfléchissant à ce qu’il allait faire à présent, il écumait ses options. Fuir la nuit était le bon plan, mais le petit port du coin devait surement être sous surveillance.
Et toi Jack, t’aurait fait quoi à ma place ?
Le lendemain matin, quelques mômes faisaient du raffut dans la rue, devant une scène improvisé en vantant le mérite de celui qui remet l’Enka au goût du jour. Quelques personnes s’étaient réunies et les marines aussi. Mais le jeune ne s’était jamais montré. A la place, il était monté à bord d’un rafiot en partance pour ailleurs. Opérer sur deux fronts à la fois, il avait retenu la leçon. Le bateau s’en allait et lui observait une dernière fois l’ile qu’il venait de quitter. Laissant ces ennuis de la veille derrière lui, il fixa à présent l’horizon en songeant à sa prochaine escapade, là où l’attendaient surement d’autres péripéties.