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Les natifs


Amerzone, village de zoniens, trou du cul du monde, la définition taudis misérable conviendrait mieux, ce n’est qu’un ramassis de tôles rouillées et de cabanons en bois bouffés par les termites et autres bestioles virales. L’endroit transpirait la crasse et la déchéance, les ruelles étaient de simples chemins boueux aux bords desquels des détritus vieux de plusieurs mois se faisaient une guerre de conquête. Le soleil était absent, comme la plupart du temps, recouvert par une épaisse couche de nuage grisâtre, ce qui donnait un aspect encore plus maussade et déprimant pour toute personne peu commune à l’endroit.

Étrangement, les habitants de ce bourbier ne semblaient pas plus malheureux que le reste du monde comme on pourrait s’y attendre. Une certaine lueur de défis et de fierté même se cachait dans les yeux de la plupart des passants que l’on pouvait croiser, bien qu’imbibés de cet alcool noir Amezonien pour la plupart. Liqueur qui faisait des ravages à l’estomac et au cerveau d’un non habitué, capable de te tuer un homme en quelques jours. Les habitants de l’ile eux semblaient avoir développés une sorte de résistance à ce poison qu’ils appréciaient tant et dégustaient matin, midi et soir. Un peu comme le café, en beaucoup plus nocif.

Il y avait énormément de mendiants et d’orphelins dans les rues sans parler de voleurs, coupe-jarrets et femmes de joie, agglutinés à chaque coin de rue. Les enfants couraient en groupe et jouaient dangereusement entre  jambes et roues de chariots, sans manquer de se prendre torgnoles et coups de pieds pour les moins agiles. Il n’y avait aucune solidarité en ces lieux, aucun ordre ni respect, si ce n’était celui du « mêles-toi de ton cul ». A tel point que beaucoup de meurtres avaient lieu en plein jour, personne n’intervenait en général, et c’était tellement fréquent qu’à part quelques gosses en guise de fidèles spectateurs, les adultes n’y faisaient même plus attention, traçant leur route vers d’autres activités toutes aussi sombres.

Cet endroit était le berceau d’Olek, son chez lui, son paradis. Il est aisé de comprendre les troubles psychiques d’un homme lorsque l’on apprend son passé, son enfance. Ce fut dans ce monde de noirceur et de déchéance qu’un môme rencontra pour la première fois une anomalie, une déviance dans son quotidien palpitant qui se résumait en bagarres et jeux espiègles.

Un homme à l’allure altière passa devant lui alors qu’il mâchouillait son morceau de pain rassis, dissimulé sous le porche d’une taverne. Le regard pourtant inexpérimenté du gamin remarqua immédiatement la propreté du personnage, immaculé, absent de toute tache de boue ou de sang. Personne ne s’approchait de lui et les passants s’écartaient de son chemin, comme effrayés par quelque chose que sa jeunesse ne lui permettait pas de discerner. Olek, lui, ne comprenait pas, seule sa curiosité enfantine le poussait vers ce personnage qui bouleversait son petit monde, ainsi que le désir égoïste d'un enfant inconscient. Il avait l’air fort, diffèrent, voilà ce que concevait au moins le bambin, il ressentait quelque chose en regardant passer l’étranger, non pas comme un humain mais comme un animal sauvage. Cet instinct naturel, ce sixième sens qui le rapprochait plus de la bête que de l’homme depuis qu’il était née.

Olek le rattrapa en courant sur ses petites jambes, éclaboussant les alentours et ses habits déjà décolorés par une crasse vieille de plusieurs semaines. Il coupa la route à l’imposante silhouette en se positionnant devant lui dans une glissade grotesque, le gosse mit les mains sur les flancs et tenta d’afficher son regard le plus intimidant possible, fronçant les sourcils et serrant fort sa petite mâchoire alors qu’il avalait difficilement son dernier bout de pain. Ne parlant pas très bien et seulement par phrases simples et courtes, il lui lança d’une voie qu’il espérait semblable à celle de son Père, profonde et virile.


- Donne-moi, ton chapeau !


Dernière édition par Olek le Ven 27 Fév 2015 - 10:21, édité 1 fois
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Dix ans que je me suis tiré et rien ne semble avoir changé sur le tas de fumier natal. Et je n'arrive toujours pas à savoir si je dois trouver ça parfaitement déprimant ou légèrement réconfortant. Hum... C'est long dix ans, et pour le coup, moi j'ai changé.

Suffit de voir la façon dont on me regarde dans la rue, dont on s'écarte sur mon chemin, dont on évalue le prix de mes fringues, de mes armes, en se demandant si je suis trop dangereux pour que tenter de me coincer dans une ruelle sombre soit rentable ou au contraire en vaille le coup.

Pff, paysans...

Je réponds aux regards et j'écarte assez ma veste pour qu'on puisse y remarquer une partie de l'arsenal que je trimballe. Comme le décor, les coutumes ici n'ont pas changées. Il me faut quelques instants pour retrouver l'accent que j'ai mis des années à abandonner pour ne pas passer partout pour un bouseux. Le temps de changer de catégorie dans le crane des rapaces du coin, passant de touriste perdu et tas de fric potentiel à local ayant réussi à l'étranger.

Un danger, pas une proie...

Je continue ma plongée dans le ghetto. La dernière fois que j'ai eu des nouvelles de lui Druss habitait dans le coin. Si on peut parler d'habitat pour ce gourbi évidemment. Druss, un nom qui n'est pas d'ici. Mais pourtant celui du seul type avec qui j'ai gardé le contact depuis que j'ai embarqué pour ne jamais remettre les pieds dans le coin. Faut jamais dire jamais hein ? Le vieux tas de boue est une de ces marques dont on ne peut pas se défaire complétement. Quelle que soit ce qu'on devient dans le reste du monde on vient toujours d'ici.

Et même si je lui la pour le boulot je peux difficilement me retenir de passer demander des nouvelles des vieux et de la famille. Pas en allant les voir évidemment. Un départ sans prévenir et dix ans sans nouvelles, c'est devenu un passif trop lourd pour que j'ose me repointer la bouche en cœur. Et puis pour leur dire quoi ? Non... Druss suffira bien à me rencarder.


Je m’arrête entre deux flaques, bien forcé de reconnaitre que je suis paumé et parfaitement incapable de situer les indications que m'a fournies Druss . Fais chier. Obligé de demander des renseignements au môme qui veut me piquer mon chapeau, bravo l'agent de terrain...

-Non, ce chapeau c'est le mien. Mais si tu m'aides a trouver quelqu'un je t'en donnerai un autre.


Dernière édition par Red le Mar 24 Fév 2015 - 9:41, édité 2 fois

    -Suis moi.

    Olek fit rapidement demi-tour, faisant signe à l’étranger de le suivre. Il se mit à marcher le dos bien droit et le torse en avant, comme le faisait son père quand il allait mieux et se baladait en ville pour affaires. Il jetait des regards hautains se voulant dissuasifs aux personnes qu’il croisait sur son chemin, comme s’il venait de prendre en importance et était passé de simple gamin des rues à escorteur personnel d’une personnalité importante. Le bonhomme avait tout l’air d’être spécial, au moins aux yeux du garçon.  

    Le petit n’avait pas réfléchis longtemps, avec un chapeau comme le monsieur avait, il deviendrait le garçon le plus envié de tout le village. Il savait qu’il devrait surement se battre pour garder son nouveau bien, mais il n’avait pas peur, il se battait pour rien et sans aucune raison quotidiennement, le faire pour protéger quelque chose qu’il possédait semblait être une nouveauté bienvenue, lui qui n’avait encore jamais rien eu à lui. Voilà la seule et unique raison qui le motiva à aider cet homme, l’appât du gain et peut-être également un ego déjà surdéveloppé pour un âge aussi jeune.

    Il l’amènerait voir son père, Paps connaissait tout le monde au village et tout le monde le connaissait, même si personne s’en approchait. Il faisait peur, voilà ce que les gens disaient de lui, qu’il était cinglé et dément, que c’était un menteur, bien sûr, personne n’osait le lui dire en face. Olek lui n’était pas d’accord et se disputait souvent à cause de ça, il connaissait la vérité même si son âge précoce ne lui permettait pas de comprendre toutes ses facettes.

    Olek était sur d’une chose, son père était un héros, il savait que les histoires qu’il lui racontait la nuit avant de dormir étaient trop détaillées pour être fausses, puis y’avait cette hache maléfique dans leur cabane comme preuve, même si personne ne le croyait. Paps refusait qu’il s’en approche, mais même l’enfant qu’il était pouvait discerner l’aura sombre et destructrice qui entourait l’objet de malheur.  Snagga qu’elle s’appelait. Quelques fois Paps mentionnait son nom dans les histoires et sa voie devenait tout de suite plus sérieuse, ce qui à la fois l’excité et l’effrayé, le tenant très souvent éveillé tard dans son lit.

    Ils commençaient à s’éloigner du village et olek regarda par-dessus son épaule pour s’assurer que son escorte le suivait toujours. Ils étaient proche, encore quelques minutes et ils arriveraient dans le creux d’un arbre gigantesque, mort depuis des décennies, baobab ancestral, antre naturel qui faisait office de demeure au garçon et son père. Loin de toutes civilisations, l’endroit permettait au paternel de piquer ses crises à l’abri des regards indiscrets. Ils vivaient heureux, en reclus, sans jamais personne pour venir les importuner, sauf aujourd’hui.

    Son père était assis au même endroit que quand il l’avait laissé pour aller jouer au village, à l’extérieur, assis sur son banc en osier, vêtu de sa toge blanche dénudant des épaules robustes mais douloureuses, vestiges d’une vie de combats. Les muscles de l’enfant, contractés par l’inquiétude, se détendirent en voyant qu’il n’avait plus les yeux vitreux, signe que tout aller bien pour le moment. L’homme puissamment bâti au regard qui vous sondait l’âme accueillit le duo avec un sourire nostalgique.

    - Paps, faut que tu l’aides à trouver quelqu’un !
    - Je ne crois pas fils.

    L’homme autrefois appelé Druss, légende vivante d’une époque révolue se redressa de toute sa hauteur.  Il semblait avoir récupéré une partie de sa force d’antan et Olek se souviendrait toute sa vie de cette vision. Celle d’un homme solennel, cachant l’éclat d’un soleil déjà trop faible par une présence colossale et chaleureuse. Il accueillit l’étranger à bras ouverts. Les traits du visage adoucis par une présence qu’il jugeait plus que surprenante mais oh combien bienvenue.


    - Ainsi tu es de retour, Red.
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    -De retour c'est peut être un peu fort. De passage disons.

    Druss à vieilli oui, mais pas au point que je redoutais. Les rides sont plus profondes, les cheveux plus gris, les membres plus noueux. Mais aujourd’hui encore plus qu'hier il continue de faire penser à ces arbres centenaires qu'on peut marquer mais que rien ne peut abattre.

    Il se lève et m'offre une accolade fraternelle qui me décolle du sol. Il n'a pas l'air d'avoir perdu les muscles qui vont avec son physique d'hercule de foire, et il semble toujours assez fort pour affronter un ours à mains nues. L'affronter et le tuer. Je l'ai quitté à douze ans quand je me suis embarqué comme mousse sur le premier navire qui a voulu de moi, et je craignais un peu de retrouver une épave, un vieillard essoufflé au bout du rouleau. Mais non. Druss est inamovible.

    Ou presque...

    Vu de plus prés je remarque de nouvelles rides autour des yeux, de nouvelles veines rouges dedans. La vieille blessure qui l'a forcé à se ranger des affaires et à s'échouer ici continue à lui jouer des tours et a lui pourrir la vie. Je m'en doutais. C'est aussi pour ça que j'ai décidé de passer le voir avant de repartir. En souvenir de toutes ces heures ou je suis venu ici l'écouter me parler du vaste monde et me farcir la tête de tout ce qu'on peut y trouver de plus qu'ici.

    C'est quasiment lui qui m'a mis dehors.

    -C'est bon de te revoir face à face. Et salut môme, je m'appelle Red.

    Je suis un vieil ami de ton père.


    -Voila qui me vieillit encore un peu plus. Tu es dur avec moi Red. Entre donc. Olec, trouve à boire pour mon ami.

    Un fils. Moi qui ait toujours cru que s'il passait tant de temps à faire fuir les autres mômes c'est parce qu'il n'en voulait pas à lui dans les pattes. Peut être que je me suis trompé finalement, et que ses crises vont mieux.

    -Tiens gamin, va donc acheter un truc à manger aussi, j'ai bouffé trop de poussière aujourd’hui.

    La poignée de billets que je file au gamin est surement suffisante pour les nourrir lui et son père pendant trois jours. Druss n'a jamais roulé sur l'or et ça n'a pas l'air de s’être amélioré. Pas évident de ne vivre que sur les souvenirs, ça ne se mange pas et ça se vend mal.

      Druss regardait d’un mauvais œil la liasse de billets qui tombait dans les mains de son fils mais ne souffla mot. Ce n’était pas un homme du genre à refuser la bonté d’un autre, et il n’était pas dupe, les temps étaient durs et sa santé mentale l’empêchait de travailler longtemps. Il remercia Red d’un léger hochement de tête silencieux et l’invita à le suivre à l’intérieur de son humble demeure, alors qu’Olek repartait en courant vers le village.

      Le môme était impressionnant d’indépendance, forcé de subvenir à ses besoins et à ceux de son père lors de ses attaques, il grandissait à une vitesse ahurissante. Le père regarda d’un œil fière son petit larbin disparaitre au loin par-delà la colline menant au village, avant de fermer la porte derrière lui et reporter son attention sur l’invité, un homme qu’il considérait comme son tout premier fils.


      - De passage alors, hein ? Tu deviens quoi ? Et ce monde qui te faisait tant rêver ?

      Le vieil homme préparait deux cafés tout en l’écoutant parler. Ses mains tremblèrent subitement, il lâcha l’une des tasses qui se fracassa au sol et manqua de ‘s’effondrer tant la douleur au crane lui était insupportable. Druss criait et se débattait dans tous les sens, renversant tables et meubles sur son passage, il se battait contre un ennemi invisible et maudissait des adversaires tout aussi imaginaires. Des larmes coulaient sur ses joues, le damné hurlait le nom de camarades mort au combat ou dans ses bras, revivant à  nouveau leur décès dans une illusion beaucoup trop réel, beaucoup trop douloureuse. Le blessé reprit petit à petit ses esprits, il respirait difficilement et se maintint tant bien que mal debout en s’accoudant à  une poutre au centre de la petite pièce en désordre. Il ferma les yeux, forçant à se calmer et accepter cette douleur, ce retour à la réalité devenue une compagne sadique et familière. Quelques minutes passèrent avant qu’il ne redevienne lui-même, ou plus exactement l’ombre de ce qu’il avait été. Le poids des années et de cette blessure mortelle se faisant plus que jamais sentir, il s’avachit sur une des chaises en bois et afficha un sourire contrit à Red.

      - Je suis pathétique, n’est-ce pas ?

      Une douleur inexprimable, une haine de soi, de sa propre faiblesse était visible dans son regard. Mais il ne s’agissait en aucun cas des yeux d’un vaincu. Druss était un guerrier, un combattant, il lutterait jusqu’à sa mort parce que c’était la seule chose qu’il savait faire. C’était un homme fatigué qui en avait trop vu, mais jamais il ne céderait.  

      Cette maladie au crane le tuait à petit feu, Red devait s’en douter. Il perdait plusieurs fois par jour le control de ses membres, et revivait dans le pire des cas des souvenirs de carnages qui le plongeaient en plein cauchemar éveillé. Il ne voulait plus que son vieil ami le voit dans cet état. Pour l’amour de dieu, ou de quelconques autres divinités, il espérait pouvoir rester lui-même encore quelques heures. Cela faisait trop longtemps qu’il n’avait pas eu de visiteur, et savoir qu’il s’agissait de Red, cet enfant si curieux et à l’ambition démesurée, savoir qu’il avait survécu aux dangers du monde et réalisait ses rêves, lui  enlevait une inquiétude vieille de plusieurs années. Revoir ce visage caractériel était une bénédiction pour le sénile vieillard qu’il était devenu.

      Comme s’il ne s’était rien passé, il changea de sujet, sans doute peu désireux de s’attarder sur cet événement de faiblesse et de souffrance.


      - J’aimerai que tu fasses quelque chose pour moi Red.

      Druss était comme ça, direct, brut de décoffrage, quand il voulait quelque chose il le demandait, ou le prenait si cela lui revenait de droit. C’était un homme bon, prêt à sacrifier sa vie pour des codes et valeurs qu’il se forçait de suivre depuis des décennies. Son problème était qu’il était tout aussi exigeant avec les autres, il ne se posa même pas la question de savoir si Red allait refuser. Il connaissait le bonhomme surement mieux que personne, il y avait de la bonté derrière cette carapace de dur à cuire et il savait que même si ça ne lui plaisait pas, ce bougre de Red ne refuserait probablement pas, quelle que puisse être la demande...
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      -Oh tu sais, je navigue, je vends des trucs, je fais des affaires, ça se passe plutôt bien. Et je voyage beaucoup.

      Faire des affaires. Pour un amerzonien à l'étranger ça signifie généralement qu'il chasse des primes, et qu'il magouille un peu aussi. Et que si l'occasion se présente il se livre modérément à la piraterie. Il fait des affaires, il fait ce qu'il faut pour survivre sur le dos du reste du monde avant de revenir cousu de fric à la terre natale. Ou de ne pas revenir.

      Je me demande si Druss sait que je mens. Probablement pas. Ou plutôt il doit se douter que j'ai des raisons de rester évasif, mais ne doit pas se douter que ce que je protège c'est mon boulot d'agent. Red d'amerzone, agent du Cipher Pol 5. De quoi perdre définitivement tout ami dans ce coin ou on respecte nettement plus les truands et les pirates que les larbins d'un gouvernement qu'on ne fait que tolérer parce qu'on a pas le choix.


      Druss lache prise...

      Il m'avait parlé de ses crises, mais elles n'ont rien a voir avec les douleurs mineures dont il me parlait dans les rares lettres qui me sont parvenues. A l'époque ce n'était que des gènes passagères, des moments d'absence, des contractions involontaires qui passaient rapidement. Pas étonnant qu'il vive à l'écart. Tout le monde doit le prendre pour un fou dangereux.

      Je maitrise les émotions qui me traversent pour rester impassible. Pour qu'il ne voit pas que je le plains. Pour qu'il voit que je ne le trouve ni affaibli ni diminué. Pour ne pas avoir à répondre à sa question à voix haute. Je fais une blague sur le café frappé, j'élude le reste...

      -Dis moi. De quoi t'as besoin ?

        - Le gosse n’a que moi, et je ne suis pas sûr que les autres orphelins du village soient d’une bonne influence, Olek déborde de vie et de curiosité mais étrangement le départ de sa mère ne semble pas l’affecter. La dernière fois je l’ai attrapé en train de se battre  contre trois gars deux fois plus gros lui. Je suis fier bien entendu, il sera encore plus fort que moi ce petit con, mais ça dit-il en englobant d’un geste de la main la petite pièce qui représentait l’ile entière. Ce n’est pas l’avenir que je lui souhaite…

        Druss ne tournait pas autour du pot, il voulait simplement que les choses soient claires. Il n’avait jamais eu d’ambition, jamais eu de rêves démesurés qui l’avaient poussé à parcourir le monde et les quatre mers. Sa vie avait été vide de sens ou de joie pendant plusieurs décennies si ce n’était ce désir sanguinaire, ou seul le sang de ses ennemis venait peindre d’une couleur malsaine des journées ternes par beaucoup trop d’aspects. Mais son fils était différent, il le savait, le sentait.  Le petit Olek méritait l’opportunité de rêver, d’espérer une vie meilleure. Le guerrier déchu n’était pas un manipulateur, il n’aimait pas les machinations mais le père qu’il était avait besoin de Red pour ouvrir les yeux à son fils. Que quelqu’un d’autre que lui insuffle les graines d’une ambition future, lui fasse comprendre que les merveilles du monde extérieur valent bien tous les sacrifices. Qui de mieux qu’une personne venant du même trou à rat et étant un exemple de succès, l’un des seuls qui fut capable de surprendre le monde et surpasser son destin ?

        - Montre lui qu’il est en droit d’attendre de la vie plus que ce qu’il connait pour le moment. Fait lui vivre quelque chose de différent.

        Etait-ce là l’inquiétude d’un père ou tout simplement le vœu d’un homme espérant voir sa progéniture réaliser ce que lui n’avait pu atteindre? Druss lui-même ne le saurait jamais et n’y réfléchirai plus, sa psychologie simpliste ne lui permettant pas de s’attarder sur une philosophie qu’il jugeait inutile.

        Olek était encore jeune, l’esprit vierge de tout vice et pensées encombrantes, si ce n’était celui d’apprécier déjà la castagne. Il était aisé de créer quelques souvenirs susceptibles d’influencer son subconscient. Les histoires qu’il lui racontait la nuit étaient un début, un commencement, une infime flamme que Druss espérait devenir brasier d’ici quelques années. Sans se douter que le destin avait réservé à son fils un autre choix.

        Au-delà de ce souhait de voir son enfant quitter le berceau de déchéance qu’était l’Amerzone, de le voir voler de ses propres ailes, le héros déchu voulait qu’Olek s’endurcisse, le plus vite possible. L’on pourrait parler de cruauté, avoir de telles pensées envers un enfant d'une demi-douzaine d’années ans,  mais cela serait d’un ridicule ignare. Les bonnes attentions et la protection familiale n’avaient jamais forgé un homme aux dangers du monde, Red et Druss, eux, en étaient capables, vétérans de la vie, experts des situations critiques.


        - Prend le quelques jours avec toi, ou même une après-midi. Je ne te demande pas de t’occuper de lui, simplement qu’il t’accompagne, laisse-le se débrouiller, observer, apprendre de toi. Enseigne lui comme je l'ai fait avec toi il y à si longtemps.

        Son visage tendu par la douleur se radoucit à ce souvenir, bien que le souvenir en lui-même n'avait rien de doucereux, Red en avait morflé et bavé à l’époque, mais ces expériences passées l'avaient surement aidé à faire de lui l'homme qu'il était aujourd'hui. Olek profita de cet instant pour revenir, son petit corps dissimulé par un tas de paquets qu'il tenait difficilement de ses bras frêles. Le fait qu'il fut capable de revenir jusqu’à la cabane sans s’être fait voler relevait du miracle, pour toute personne ne remarquant pas son œil tuméfié et les bleues sur ses bras. Aucun des deux hommes ne semblait s'en soucier, tout comme Olek qui arborait ces marques fièrement et affichait un sourire éclatant, rougi par le sang.
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        S'occuper du môme... Hum...

        -Fais péter la bouffe gamin, j'ai les crocs.  

        Pour Druss le plus dur semble être passé. Il a l'air plus calme. Soit parce qu'il m'a lâché ce qu'il avait sur le cœur, soit parce que l’accès de violence vient de le vider pour un moment. En tout cas aucun des sujets ne revient sur la table pendant que je pioche a manger et que le gamin s'empiffre comme si on allait tout lui piquer dés qu'il va arrêter de baffrer.

        Ce qui est peut être le cas d’ailleurs...

        Entre deux échanges de nouvelles Druss m'apprend tout ce qu'il y a savoir sur le devenir de la famille. Les vieux sont en vie et nous enterrerons, frangins et frangines prospèrent comme ils peuvent et hormis moi aucun ne manque a l'appel. Faut croire que j'ai loupé un bout de l'éducation parentale. Ou que le reste de la portée était plus réceptive que moi.

        Et pendant qu'on cause et que je rattrape mes années d'absence, intérieurement je me creuse le cerveau pour répondre à la demande de Druss. M'occuper du môme...

        Et je réfléchis en tentant de me mettre à la place d'Olek.

        Qu'est ce qui m'aurait plu à l'époque ? Qu'est ce j'aurais trouvé assez énorme pour m'en souvenir un moment, et si possible pour épater le reste du quartier. Qu'est ce que j'aurais révé de faire ou d'avoir dans les mains ?

        Qu'est ce que je pourrais lui montrer qui a échappé à l'éducation paternelle ?

        Bordel ouais ! C'est évident, j'ai trouvé !

        -Debout gamin. Suis moi. On va aller faire du bateau.

        Tu sais manœuvrer une chaloupe ou t'as jamais mis le pied sur un navire ?


          Druss sourit en entendant les paroles de Red, le petit n’avait jamais mis les pieds sur un bateau et sa proposition était plus que ce qu’un père tel que lui n’aurait espérer. Lui-même n’aurait jamais eu les moyens, ni le temps de faire connaitre une telle expérience à Olek. Il n’existait pas de meilleure idée, que cela soit de voir l’horizon s’étendre à perte de vue sur une mer houleuse ou bien de se rendre compte des limites qu’une ile aurait toujours, quelle que soit sa taille : une frontière naturelle qui vous retenait prisonnier.

          Le vieil homme était ému et il détestait ce sentiment, il finit rapidement son repas et fit signe a son invité qu’il avait besoin de repos. Il ne supportait pas qu’on le voit dans cet état, Druss avait un cœur d’artichaut d’aussi loin qu’il se souvienne, étrange combinaison étant donné son passé sanguinaire. Une faiblesse qui lui avait toujours valu de se retrouver dans les pires emmerdes du monde, mais également de rencontrer des personnes qui lui étaient si chers aujourd’hui, Red étant surement le dernier représentant encore en vie…

          Cette pensée lui fila un coup au moral et lui serra douloureusement le cœur. Il se serra la poitrine d’une main crispée, froissant sa toge blanche. Une grimace fugace déforma ses traits ridés quelques secondes avant que son visage ne retrouve sa solennité naturelle.  


          - Merci.

          Fut tout ce qu’il trouva à dire avant de se lever et de s’éloigner avec une agilité faussement retrouvée. Un merci roque, provenant d’une gorge nouée par l’émotion et d’une voie rendue bancale par la reconnaissance.

          Olek, lui, ne remarqua rien de l’échange, trop occupé à  dévorer des quartiers entiers de viandes et de fromages. Il n’avait pas encore avalé ses bouchées qu’il se resservait instantanément, ne se donnant même pas la peine de mâcher sa nourriture.  Le gosse ne jeta qu’un rapide coup d’œil à son père qui disparaissait dans une pièce annexe, avant de reporter une attention curieuse sur Red, ses sourcils blonds froncés en signe de réflexion. Son cerveau venait seulement d’assimiler la proposition de l’homme qui était encore un étranger il y’a une heure, mais qui était maintenant passé au rang de demi-dieu.

          - Je sais.

          Dit-il  d’un ton borné et fière qui n’attendait aucune réponse ni soupçon. Un mensonge, évidemment. Mais pas question pour le petit merdeux qu’il était d’admettre qu’il ne savait pas faire quelque chose, surtout pas devant un homme qu'il voulait impressionner. Il se fourra quelques morceaux de viandes et de pains dans les poches de son pantalon crasseux et se releva d’un bond de sa chaise. La bouche encore pleine et les bras ballant le long du corps, il regardait Red dans l’expectative, avec des yeux brillant d’excitation.

          - et mon chapeau ?Dit-il alors qu'il le suivait à l’extérieur.

          Druss, le dos contre la porte de sa chambre avait les yeux fermés, il tentait de discerner jusqu’au dernier petit bruit que le duo faisait en s’éloignant, un sourire affectueux aux lèvres. Le cœur et l'esprit chargés d’émotions, il espérait que Red ne lui en voudrait pas trop de s’être retiré aussi vite. Mais les signes annonciateurs d'une nouvelle crise ne mentaient pas, il s'effondra sur son lit incapable de tenir debout plus longtemps. Il fut prit de violents tremblements qui le laissèrent dans une inconscience bienvenue, des larmes de soulagement perlant sur les joues.
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          -En mer c'est pas pratique. A cause du vent. Et puis un vrai marin a toujours un oeil sur les voiles, alors les visières te gênent. Non ce qu'il te faut c'est un foulard. C'est ça que portent les vrais loups de mer...

          Et les pirates aussi.

          Tiens, prends celui la et accroche toi le sur la tête.


          Prenant les devants, je précède le môme sur le port. Port ou il m'est facile de trouver une chaloupe potable et un propriétaire qui accepte de me la louer sans faire d'histoires pour une poignée de berrys. Il nous laisse même de quoi pécher. Le temps de s'acheter deux bouteilles et une poignée de beignets frits pour assurer la survie en mer, et on est parti.

          Je laisse Olek se griser du vent et de la flotte qui jaillit a la proue pendant qu'on cingle vers le large. Le temps est beau, la mer calme. Sans être vraiment un marin de métier j'ai assez rodé sur la flotte pour reconnaitre un grain qui se prépare. Mais tout baigne...

          Et quand Olek commence a se lasser de se manger des embruns dans la gueule, je me mets à lui faire le tour du propriétaire, le vocabulaire des marins qui ne savent pas dire droite et gauche comme tout le monde et qui appellent chaque bout de corde et chaque voile par un nom différent. Je le colle au gouvernail qu'on tourne du coté ou on ne veut pas aller. Je l'envoie se promener en haut du mat de la chaloupe pour lui donner un avant gout de ce que ressent la vigie au poste le plus agréable du bâtiment.

          Et quand il redescend je sors les beignets et lui colle la longue vue dans les pattes. Qu'il puisse voir un peu comme toutes les iles sont petites vue de l'horizon...


          Tiens Olek, tourne un peu la tête par la. Tu vois le rocher la bas ? C'est fort Plud, la fierté de la marine. Et ben c'est la qu'on va...

          Mais on va attendre un peu que le soleil descende un peu plus bas sur l'horizon, s'agirait pas de se faire repérer.

          Tiens, attrape la canne derrière toi. En attendant je vais te montrer comment attraper du poisson qui ne soit pas nourri à la vase comme celui de chez nous.

            Olek faisait la moue en suivant Red qui, d’après lui,  était entrain de lui raconter des salades et de se trouver une excuse pour ne pas lui donner son chapeau. Il accepta le foulard d’une main dédaigneuse qu’il garda et observa sceptiquement quelques minutes, pesant le pour et le contre entre le garder ou le jeter sur le bord de la route. Au moins comme ça le grand menteur de Red verrait qu’il boudait. Il s’apprêtait à le balancer au loin d’un geste colérique quand quelque chose le retint à la dernière seconde. Il s’arrêta subitement au milieu du chemin, en pleine réflexion. C’était vraiment ce que mettaient les pirates ? S’il portait ce foulard sur le crane il aurait vraiment la classe des loups de mer ?

            Sa tête se mit à  osciller doucement de bas en haut, signe physique d’affirmation d’une argumentation solitaire enfantine. Puis il pourrait toujours raconter que c’était un seigneur pirate qui lui avait donné et il taperait sur quiconque le traiterait de menteur. Oui, c’était décidé, il allait garder le foulard et créer une légende autour de lui.  Fier de son imagination débordante et sans se douter à quel point il était proche de la réalité, il le noua autour du front et rattrapa Red en courant.


            -------------------------------------------------------------------------------------------

            L’enfant était à la proue du petit navire, les bras écartés il se tenait bien droit face à la mer, s’éclaffant et riant comme un bien heureux, ce qu’il était. Ses genoux étaient légèrement fléchis, instinctivement, lui permettant ainsi d’anticiper les mouvements de balancier du bateau qui tranchait langoureusement les vagues. Olek manqua cependant de tomber à l’eau une bonne demi-douzaine de fois et plus par soucis de finir mouillé qu’une véritable peur des fonds marins, il termina son manège et revint vers Red, les joues rougies par le froid marin. S’ensuivit une description barbante des divers appellations marines qu’Olek n’écouta qu’à moitié, plus captivé par le mat  qui tanguait et le défis que serait son ascension.

            Au moment où Red lui donnait le feu vert il était déjà à mi-chemin du sommet, l’adrénaline lui faisait tourner la tête et il n’avait surement jamais été aussi heureux de sa vie qu’en cet instant. Savoir que la moindre erreur pourrait le faire chuter plusieurs mètres plus bas et lui être fatal l’excitait comme jamais rien ne l'avait fait. Ce fut surement à ce moment-là qu’il découvrit pour la première fois son amour pour la chaleureuse faucheuse, dame la mort, et les sensations fortes, incomparables, qui la suivaient, fidèles amants.

            L’océan à perte de vue, cette odeur iodée enivrante, ce vent frais revigorant, le bruit de la coque fendant les vagues et le cri des mouettes. Ce monde était nouveau pour Olek et il ne savait où donner de la tête. Il regardait de tous les côtés, incapable de garder son regard au même endroit plus de quelques secondes. Il y avait tant à découvrir !

            Apres les premières heures d’euphorie du à la découverte d’un nouvel univers, véritable fauve en liberté, Olek se calma et décida enfin d’écouter les conseils et histoires de Red. Les personnes bienveillantes à  son égard étaient rares et le môme s’en voulut un peu de son comportement. Remords qui disparurent aussi rapidement qu'ils étaient apparus. Le regard perdu vers l’horizon et le petit point au loin que Red lui indiquait, la longue vue en main, il apprenait et tentait d’enregistrer tout ce qu’il lui disait.


            - On va y faire quoi à fort Plud ?

            A la fois curieux et inquiet, sa question fut mise de coté avec la perspective d’apprendre à pêcher. Bien sûr, avec sa chance hors du commun le petit Olek n’attrapa pas un seul poisson malgré ses dizaines de tentatives, alors que Red, lui, en ressortait toujours un de l’eau, comme par magie. L’humeur du gamin s’assombrit, ce qui semblait amuser l’homme au chapeau et ne faisait qu’agacer un peu plus un Olek mauvais joueur. Mais la joie de vivre du gamin revint à la seconde ou ses dents mordirent dans la chair tendre et parfaitement cuite de ces poissons de grand large.

            Un barbecue en pleine mer, leur embarcation ballottée par les vagues, Olek se remplit la pense de nourriture et l’esprit de souvenirs et d’histoires, en compagnie d’un homme qu’il considérerait plus tard comme un grand frère. Le tout loin de la puanteur de la ville, des bruits et de la présence parasite d’une civilisation humaine corrompue.

            Un moment que le futur pirate chérirait toute sa vie.
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            -Ce qu'on va faire à Fort Plud ? C'est une surprise.

            Le soleil commence a chuter vers l'horizon et je range rapidement les cannes et les reliefs de bouffe avant de pointer le nez de la chaloupe droit vers le fort Plud. Je sais que les marins du coin sont surement les pires ivrognes et les types les moins attentifs de la toute la marine, mais on ne sait jamais. Et si par malheur un type se promenait quand même sur le chemin de ronde, il aurait maintenant un soleil bien rasant dans les yeux et serait tout a fait incapable de voir arriver notre bateau.

            -Bon, à partir de maintenant Olek, il va falloir qu'on fasse attention ok ? On va se glisser dans un fort de la marine et on risque gros si on se fait choper. Alors il va falloir qu'on soit discret comme des ombres et que tu fasses exactement ce que je dirais. D'accord ?

            La chaloupe se glisse dans l'ombre des murailles du fort. Une bête bâtisse carré et massive bâtie sur un bout de rocher à peine plus grand qu'elle. Quatre pans de batiment d'habitation, une cour intérieure, une porte unique donnant sur le ponton ou est amarré la chaloupe censé permettre aux marins de mettre pied à terre, et des meurtrières équipés de sabord un peu partout...Bref, le degré le plus basique de la construction militaire moderne.

            Je guide la barque jusqu’à aller taper sur les rochers à la base du mur d'enceinte, et je saute immédiatement à terre cordage en main. Le temps d'attacher le navire, tiens Olek, pour un navire on dit amarrer, et de débarquer le môme et il ne s'est rien passé. Personne sur le chemin de ronde au dessus de nous, pas de cris d'alarmes... Comme prévu, tout baigne.

            Et vu ce que j'ai vu de la garnison, à cette heure ils sont tous en train de cuver quelque part.

            Faisant signe de ne pas faire de bruits et de me suivre en éxagérant complétement le silence nécessaire et la dangerosité de l'action, je me glisse jusqu'au sabord le plus proche dans lequel je fais glisser mon poignard pour l'entrouvrir...

            -Bon, maintenant on va se glisser à l'intérieur, ce qu'on cherche se trouve surement dans les sous sols du fort. Tu me suis et tu fais comme moi.

            Go !


              L’inquiétude n’était pas un mot qui faisait partie du vocabulaire d’Olek, il écoutait donc Red tout sourire, sautillant d’un pied sur l’autre, excité par la mission secrète qu’il se voyait confié et impatient de débuter leur périple dans cette sombre forteresse aux allures hostiles.

              De l’espionnage ? Une infiltration ? Le môme qu’il était bouillé intérieurement d’une joie vorace, il du faire un grand effort pour se calmer et rester silencieux comme le lui demandait Red, il y avait tant de questions qu’il voulait lui poser et de choses qu’il voulait connaitre sur son rôle à jouer dans l’opération.  Le gamin garda cependant le silence, bien déterminé à prouver qu’on pouvait lui faire confiance malgré son jeune âge.  

              Un air résolu sur le visage il suivit son mentor à travers les dédales du bâtiment. Son cœur palpitait si fort qu’il avait l’impression que le monde entier allait le repérer, quelques torches éclairés les couloirs et escaliers de pierre, une luminosité juste suffisante pour discerner ou l’on mettait les pieds mais qui donnait un aspect lugubre à l’ endroit. Les flammes ondulantes jouaient avec les ombres sur les murs et parvenaient à faire sursauter Olek par moment, persuadé que quelqu’un les suivait. Illusion d’optique il riait alors intérieurement de sa bêtise.

              Puis d’un coup Red venait de disparaître, comme ça, sans crier gare. Le bambin manqua de laisser échapper un des nouveaux jurons qu’il avait appris tellement il était frustré. Il avait fallu qu’il le quitte des yeux quelques secondes et voilà que le gars au chapeau venait de partir en fumé ! Ou bien  c’était Olek qui avait pris un mauvais tournant un moment donné, il n’arrivait pas à savoir.

              Toujours est-il que le môme était maintenant seul au monde et perdu. Mais au lieu de rester au même endroit et attendre que Red fasse demi-tour et vienne le chercher, le petit bonhomme continua son chemin, trop curieux et insouciant pour attendre gentiment. Il finirait bien par tomber dessus, voilà le genre de pensées qui l’animait alors qu’il descendait des escaliers en colimaçon et couloirs sombre sans jamais s’arrêter.

              Red lui avait parlé de sous-sols, donc du moment qu’il descendait, tout irait bien. Une naïveté innocente et dangereuse, puisque que plus on s’enfonçait, plus on s’approchait d’un endroit qu’il fallait en général éviter, même les marines du fort ne s’en approchaient qu’en de très rares occasions : Les douves.

              Profondeur des enfers, cavernes et tunnels sans fin, demeure de criminels jugés trop dangereux pour être enfermés derrière des barreaux conventionnels. Ils étaient jetés la, sans aucun moyen de s’échapper pour y pourrir jusqu’à la mort. La marine ne gardait aucun registre des prédateurs vivants dans ces bas-fonds, considérés comme décédés à la seconde ou ils y étaient incarcérés.

              Voilà le genre d’endroit dans lequel Olek venait de tomber, glissant sur une dalle un peu trop humide. Il chuta silencieusement sur plusieurs mètres pour atterrir dans un splah assourdissant. C’est en sortant la tête de l’eau qu’il entendit quelque part dans l’obscurité.


              - Les gars, on a de la visite…

              Des rires cruels et promesses de mort s’ensuivirent qui résonnèrent contre les parois rocheuses. Il faisait un noir dense, inquiétant, presque tangible. Les problèmes commençaient.
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              A part un marine déjà ivre mort et qui ne menace les intrus que par le volume sonore de ses ronflements d'ivrogne, la descente dans les entrailles du fort ne présente aucun problème. Enfin, jusqu'au moment ou je me retourne pour m’apercevoir qu'Olek a disparu.

              Hum...

              Un couloir en arrière, retour au garde effondré, et personne d'autre. Voyons, ou est ce que le môme a pu filer. Mettons nous à sa place et regardons ce qu'on a comme choix. Hum... A droite, un escalier obscur et sombre qui doit mener aux cellules. C'est moche, c'est mal éclairé, ça pue. De l'autre coté un couloir propre et normal, et un panneau cuisine. Héhé. Facile pour un agent du niveau de Red de deviner ou est parti le môme. Direction les cuisines !

              C'est bien les cuisines, c'est plein d'endroits ou un môme comme Olek pourrait se cacher. Dans cette glacière pleine de bières par exemple. Non, pas la. Il n'est pas derrière les miches de pain. Ni du coté de ce superbe jambon, peu de chance évidemment qu'il soit planqué dans le bocal à cornichons, mais on ne sait jamais, un agent consciencieux ne doit négliger aucune piste. Oh, du beurre !

              Et puis de tour façon rien ne presse, vu le coin, il n'y a rien ici qui pourrait vouloir du mal au gamin.

              Rien ?

              Ma tranche pain jambon beurre cornichon se coince dans ma gorge pendant que je repense soudain a un truc. L'excuse que j'ai utilisé pour passer dans le coin sans que le service me casse les couilles, le terrible équipage de Dédé les jolis Fafiots. La bande de branque la plus mauvais et la plus lamentable que j'ai jamais croisé et capturé. Des terreurs de bazar dont la prime cumulée rapporte moins que mon salaire mensuel et que j'ai liquidé aussi facilement qu'on balance la mer un panier de chats.

              Mais des terreurs tout à fait capable de faire subir des choses très moches à un môme.

              Surtout à un môme a qui j'ai indiqué qu'on allait vers le fond du fort...

              Et qui ne sait pas lire les panneaux !


              Et pendant que j'abandonne bières et sandwich et que je me rue dans l'escalier qui mène à l'unique cellule utilisée du fort, en bas dans le noir, un type gratte une allumette. éclairant une cellule et neuf yeux glauques fixés sur un pauvre gamin perdu.


              Le terrible équipage de Dédé les jolis Fafiots

              -Alors gamin, on s'est perdu ?Héhé...
              -On s'est perdu. Elle est bonne celle la chef.
              -Piéce de huit ! Crooa !
              -Tais toi poulet !
              -C'est pas un poulet, c'est un hara.


                Olek était trempé et avait froid, une odeur nauséabonde se dégageait de la petite marre dans laquelle il était tombé quelques seconds plus tôt, lui laissant un gout désagréable dans la bouche. Un homme sur la partie sèche de la prison, à quelques mètres du gamin, tenait une allumette qui vint éclairer timidement les alentours. L’homme était minuscule, plus petit que le garçon, et trois autres silhouettes pas beaucoup plus grosses se dessinaient derrière lui. Tous étaient aussi laids que le derrière d’un Wendigo, surement plus.

                Le plus gros d’entre eux s’approcha de l’eau et tendis une main faussement bienvenue pour aider Olek à sortir. Un air beaucoup trop sympathique sur le facies pour donner confiance à Olek, qui lui crachait subitement au visage et lui éclaboussait une gerbe d’eau sur la tronche avant de nager dans la direction opposée. Il sortit d’un geste souple de la mare juste à temps pour remarquer que ses poursuivants tentaient de le prendre à revers. Deux d’entre eux de chaque côté, contournaient le petit étang d’eau pour lui tomber dessus, il était fait comme un rat.

                Le garçon regarda derrière lui, il n’y avait rien, rien qu’un mur de roche, trop humide et trop haut pour être escaladé. Olek était pris au piège. Mais le gamin hyperactif et battant qu’il était ne se rendrait pas sans une lutte acharnée, il s’agissait du combat de sa vie. L’âme naissante d’un guerrier indomptable, il savait quoi faire, il s’agissait sans aucun doute la première illumination divine de sa carrière, comme il appellerait ces rares moments de génie d’ici quelques années.

                Ses adversaires avançaient lentement sur le sol rendue glissant par la moisissure et  incertain par un manque de luminosité, trop bêtes pour se souvenir des crevasses et aspérités de l’endroit même après tant d’années. Peu sur, ils avançaient avec précaution mais bien déterminés à mettre la main sur le bambin qu’ils ne discernaient presque pas, tapis dans l’obscurité, ils ne virent donc pas arriver le premier assaut, les premiers cailloux.

                Eux faisaient des cibles de premier choix, Olek avait simplement à viser la lumière provenant des allumettes. Il se mit donc à mitrailler ses assaillants de pierres de la taille de son poing, provoquant des ravages ans les rangs ennemis.  


                - Croa !
                - Aie
                - Mais Aieeeeee !
                - Merde il a eu le poulet !
                - L’enfoir… Aie !!
                - Mais BORDEL
                - Blue ? T’es la Blue ?
                - Croaaaa………..
                - Mon blue, me laisse pas…
                - Ca y’est, l’est crevé le poulet
                - On pourra le manger ?
                - Ta gueu… Aie ! Mais bordel, attrapez moi ce gamin !

                Olek riait malgré le danger dans lequel il se trouvait, insouciant des maltraitances qu'il risquait de subir très prochainement. Le comique de la situation était tel que l'enfant ne pouvait que s'esclaffer. Rire qui cessa immédiatement lorsqu'il fut à cours de cailloux et qu’une petite main pâteuse lui saisissait subitement le poignet. Des petits bras puissants l’attrapèrent au corps, l’enchaînèrent et alors qu'il s’apprêtait a hurler de défis et d'impuissance, une main se plaqua contre sa bouche, l’empêchant d’émettre le moindre son. Les allumettes furent éteintes précipitamment.  

                Un bruit de pas se faisait entendre un peu plus loin, de l'autre coté de l'eau. Il y avait un nouveau joueur dans la partie. Prédateur ou allié ? Le groupe de criminels ne comptait pas prendre le risque de le découvrir. Dans un silence de mort ils se blottirent contre la roche, Olek prisonnier de leur étreinte et réduit au silence, ils attendirent et prièrent que l’étranger s’éloigne. Pas question de partager leur butin si durement acquis.  
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                -Olek ?

                Pas un bruit dans la cellule dont je viens de crocheter la porte. Pas un bruit et pas une lumière. Je me serais gouré alors ?

                -Il est encore la?
                -Chuuut !

                -Wouaille !
                -Mais tu vas te taire ?!
                -Mais le gamin m'a mordu...
                -On s'en fout, tu vas la fermer oui ?!
                -Croaa !
                -Hey, Blue va mieux !


                Amateurs. Je l'avais dit non, la bande de truands la plus lamentable que j'ai jamais arrêté. Discret comme une ombre je me glisse dans la cellule en refermant la porte derrière moi. Et tel un crocodrille dans sa vase, j'attends que ma proie fasse une erreur.

                -Pitaine ? Je crois qu'il est parti.
                -Ok, craque une allumette qu'on y voit quelque chose, et jette un oeil.


                Gratgrat... woof !

                -Bouh !
                -Aaaah !
                -Quoi ? Tu t'es brulé ?
                -Chef, il est juste le la ! Il nous a retrouvé !
                -Mais qui ?!
                -Lui ! L'agent Red !
                -Oh non...
                -Oh si... Maintenant lâchez le gosse et je vous casse la tête .
                -C'est pas ou ?
                -Hein ?
                -Lâchez le gosse ou je vous casse la tête ?
                -Non non. ET.
                -Qu'est ce qu'on fait chef ?
                -Ben. Pas le choix, on lâche le gosse.
                -Wouaille ! Il m'a mis un coup de pied !
                -Olek, gratte une allumette s'il te plait.

                Gratgrat... woof !

                BAFF !

                -Il a séché le Pitaine !
                -Olek, encore une.
                -Ohlala...

                Gratgrat... woof !

                COGN !

                Le temps qu'Olek gratte deux allumettes de plus pour éclairer la distribution de beignes et les pirates se rejoignent tous dans les vapes. Nous laissant le loisir de ressortir en paix de ce trou puant.

                -Bon, cette fois tu passes devant, hors de question que tu paumes encore.

                De toute façon, on y est presque.


                Devant nous une fin de couloir fermé d'une porte marqué archives. Exactement ce que je cherchais. On marque une pause supplémentaire le temps que je force la serrure sans même sortir les outils. Et on se retrouve tous les deux dans une cave plus encombré qu'un grenier de retraités. Un bric a brac invraisemblable d’objets de toutes sortes voisine avec les caisses métalliques habituelles de la marine. Probable que le type qui se donnait la peine de classer le coin a ses débuts ici a vite pris le pli local et a abandonné toute discipline en succombant comme les autres à la bouteille.

                Heureusement, ce que je cherche a été classé avant que les archives ne deviennent qu'un simple stock à bordel..

                -Et voila, j'ai trouvé. Olek, le bandeau c'est bien, mais ce n'est pas ça qui fait les vrais pirates ! Prends l'air d'un vrai dur, j'ai un truc pour toi.

                  Olek s’énervait, il détestait se sentir impuissant, et enfermé dans les bras puants du prisonnier, il l’était. La main crasseuse sur ses lèvres l’empêchait de parler, il vit tout rouge. Enfin il faisait noir, mais le sang lui montait tellement au cerveau à cause d’une colère sourde qu’il devint fou. D’où l’expression voir tout rouge, hein.

                  Entendre que Red l’appelait non loin le remplissait de honte et le poussa à agir, il mordit aussi fort qu’il put son tortionnaire, le gout métallique du sang emplit son palet. Il recracha à la figure d’un autre criminel le morceau de chair arraché dans un jet de liquide rouge. Mais malgré la sauvagerie de son geste ils tinrent bon et ne le lâchèrent pas d’un pouce, toujours immobile Olek s’apprêtait  à hurler de rage lorsque Red passa à l’action. Même le môme fut surpris de voir le visage de son mentor à quelques centimètres lorsque l’allumette fut craquée.

                  Red les occupait et le gamin passait à l’action, il fracassa la rotule du gars qui le retenait et lui vola son paquet d’allumettes avant de rouler souplement derrière Red, à l’abri. Honteux de s’être fait prendre et d’avoir obligé l’ami de son père à venir le sauver, Olek n’osait regarder Red dans les yeux. Il s’en voulait, ce fut donc avec plein d’espoir qu’il fit ce qu’on lui demandait, bien décidé à se faire pardonner et rattraper sa faiblesse d’avant par tous les moyens.

                  Ses yeux s’écarquillèrent en voyant Red en action, en moins de temps qu’il n’en fallait pour, le dire leurs adversaires étaient tous à terre. L’enfant commençait à réaliser à quel point l’homme au chapeau était different et au-dela d’une personne lambda. Il n’avait jamais vu personne faire ça, pas même les truands qui sévissaient au village.

                  Un respect encore grandi pour le Marin mais toujours honteux de s’être perdu et lamentable fait attrapé par de la racaille, il prit le chemin que Red lui indiquait, tout penaud et le dos un peu courbé.

                  Sa mauvaise humeur disparue rapidement alors qu’il s’apercevait que Red ne lui tenait plus rigueur de son erreur passée et qu’il recommençait à lui parler de ces pirates légendaires. Ses yeux pétillèrent d’une joie sauvage à l’annonce et il se força à afficher sa posture de dur à cuire. Jeu auquel il s’était entraîné plusieurs heures jusqu’à obtenir la position parfaite, la dissuasion lui ayant déjà évité de finir en charpie un nombre incalculable de fois. Une attitude féroce qui faisait peur même aux adolescents du village deux fois plus grands que lui. Jambes écartées, bras en croix sur une poitrine bombée, la tête légèrement en arrière. Sourcils froncés, narines relevées et rictus aux lèvres laissant apercevoir des dents encore rouge de sang.

                  Oui, Olek était satisfait de sa pose.
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                  J'actionne le mécanisme de l'appareil que je viens de sortir de sa couche de poussière, et il n'y a plus qu'a attendre. Les engrenages cliquettent, les rouages grincent, le mome me regarde d'un air interrogatif, à des lieux évidemment de comprendre a quoi sert ce bidule..

                  Du moins jusqu’à ce que le capot supérieur s'ouvre pour laisser glisser une belle feuille de papier cartonné, garanti étanche, imputrescible et résistant au graffitis. Une feuille de papier format affiche que je présente fièrement au môme.

                  -Voila gamin. Maintenant, t'es un vrai pirate !

                  Olek
                  1.000.000


                  Olek
                  1.000.000



                  -On rentre ? Faudrait éviter que la marine te mette la main dessus...

                    Sa mâchoire se décrochait, littéralement, et sa pose si théâtrale disparaissait subitement, laissant place à un gosse qui bavait et dont les yeux brillaient d’une joie indicible. Son propre avis de recherche, le sien, son tout premier. Il regardait le poster dans ses mains, puis Red, et ainsi de suite, le manège dura quelques minutes sans qu’il sache trop savoir quoi faire, sans trop savoir quoi dire. Il parvint finalement à murmurer d’un ton timide, ému, un petit :

                    - Merci...

                    Avant de refermer sa mâchoire et de garder les yeux rivée sur son cadeau cette fois ci. Plus rien n’importait maintenant, Olek était un vrai pirate et personne au village ne pourrait dire le contraire quand il leur montrerait l’avis de recherche. Un sourire espiègle se dessinait petit à petit et une lueur malicieuse était à présent visible dans son regard. Il n’en fallait pas beaucoup pour faire plaisir à un gosse d’Amerzone, et le fils de Druss ne dérogeait pas à la règle.

                    L’enfant roula avec précaution son nouveau bien dans un rouleau à parchemin qu’il vola dans la cave, tout en jetant un regard incertain à son bienfaiteur. Mais celui-ci ne semblait gère s’en préoccuper, Red l’attendait tranquillement adossé contre le battant de la porte, prêt à  dégager du fort, un léger sourire aux lèvres.  

                    Le trajet du retour fut calme, sans encombre, le gamin dormis la plupart du temps. Fatigué, lessivé par toutes les péripéties de cette journée mouvementée et chargée en adrénaline. Il était allongé, le dos contre le mat du bateau, son parchemin serré fort contre sa poitrine et son bandeau sur le front ondulant au vent. Olek était heureux, son visage enfantin était libre de tous soucis ou rides d’inquiétude. Il dormait, les jambes écartées, la tête face au ciel et la bouche grande ouverte, un léger filet de salive coulant de ses lèvres. Les nuages gris tyranniques laissèrent quelques rayons d’un coucher de soleil timide passer, qui vinrent éclairer le petit bateau d’une  douce lumière orangée et chaleureuse. Quelques petites gouttes de pluies se mirent à tomber tranquillement, il ne fut pas long avant qu’un arc en ciel se dessine à l’horizon, spectacle inédit et rare pour le plaisir personnel d’un Red au regard nostalgique.
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