Amerzone, village de zoniens, trou du cul du monde, la définition taudis misérable conviendrait mieux, ce n’est qu’un ramassis de tôles rouillées et de cabanons en bois bouffés par les termites et autres bestioles virales. L’endroit transpirait la crasse et la déchéance, les ruelles étaient de simples chemins boueux aux bords desquels des détritus vieux de plusieurs mois se faisaient une guerre de conquête. Le soleil était absent, comme la plupart du temps, recouvert par une épaisse couche de nuage grisâtre, ce qui donnait un aspect encore plus maussade et déprimant pour toute personne peu commune à l’endroit.
Étrangement, les habitants de ce bourbier ne semblaient pas plus malheureux que le reste du monde comme on pourrait s’y attendre. Une certaine lueur de défis et de fierté même se cachait dans les yeux de la plupart des passants que l’on pouvait croiser, bien qu’imbibés de cet alcool noir Amezonien pour la plupart. Liqueur qui faisait des ravages à l’estomac et au cerveau d’un non habitué, capable de te tuer un homme en quelques jours. Les habitants de l’ile eux semblaient avoir développés une sorte de résistance à ce poison qu’ils appréciaient tant et dégustaient matin, midi et soir. Un peu comme le café, en beaucoup plus nocif.
Il y avait énormément de mendiants et d’orphelins dans les rues sans parler de voleurs, coupe-jarrets et femmes de joie, agglutinés à chaque coin de rue. Les enfants couraient en groupe et jouaient dangereusement entre jambes et roues de chariots, sans manquer de se prendre torgnoles et coups de pieds pour les moins agiles. Il n’y avait aucune solidarité en ces lieux, aucun ordre ni respect, si ce n’était celui du « mêles-toi de ton cul ». A tel point que beaucoup de meurtres avaient lieu en plein jour, personne n’intervenait en général, et c’était tellement fréquent qu’à part quelques gosses en guise de fidèles spectateurs, les adultes n’y faisaient même plus attention, traçant leur route vers d’autres activités toutes aussi sombres.
Cet endroit était le berceau d’Olek, son chez lui, son paradis. Il est aisé de comprendre les troubles psychiques d’un homme lorsque l’on apprend son passé, son enfance. Ce fut dans ce monde de noirceur et de déchéance qu’un môme rencontra pour la première fois une anomalie, une déviance dans son quotidien palpitant qui se résumait en bagarres et jeux espiègles.
Un homme à l’allure altière passa devant lui alors qu’il mâchouillait son morceau de pain rassis, dissimulé sous le porche d’une taverne. Le regard pourtant inexpérimenté du gamin remarqua immédiatement la propreté du personnage, immaculé, absent de toute tache de boue ou de sang. Personne ne s’approchait de lui et les passants s’écartaient de son chemin, comme effrayés par quelque chose que sa jeunesse ne lui permettait pas de discerner. Olek, lui, ne comprenait pas, seule sa curiosité enfantine le poussait vers ce personnage qui bouleversait son petit monde, ainsi que le désir égoïste d'un enfant inconscient. Il avait l’air fort, diffèrent, voilà ce que concevait au moins le bambin, il ressentait quelque chose en regardant passer l’étranger, non pas comme un humain mais comme un animal sauvage. Cet instinct naturel, ce sixième sens qui le rapprochait plus de la bête que de l’homme depuis qu’il était née.
Olek le rattrapa en courant sur ses petites jambes, éclaboussant les alentours et ses habits déjà décolorés par une crasse vieille de plusieurs semaines. Il coupa la route à l’imposante silhouette en se positionnant devant lui dans une glissade grotesque, le gosse mit les mains sur les flancs et tenta d’afficher son regard le plus intimidant possible, fronçant les sourcils et serrant fort sa petite mâchoire alors qu’il avalait difficilement son dernier bout de pain. Ne parlant pas très bien et seulement par phrases simples et courtes, il lui lança d’une voie qu’il espérait semblable à celle de son Père, profonde et virile.
- Donne-moi, ton chapeau !
Dernière édition par Olek le Ven 27 Fév 2015 - 10:21, édité 1 fois