_ C'est pas bien, conclus-je lorsque j'ai réussi à imposer ma présence et mon charisme au-dessus du corps de la nenette.
Celle-ci s'est justement rétamé à plat ventre. Et je peux vous dire qu'être surplombé par un gros sac de bourrelets ruisselants de deux mètres vingt, ça lui donne un sérieux traumatisme de malade. Cruk cruk cruk !
La pauvre tremble comme une feuille. Elle doit avoir à peine dix ou douze ans, je dirais. Elle porte une jolie petite robe... moins blanche qu'à ses débuts, en revanche. Mais le plus crade dans l'histoire, c'est au sujet de ses yeux. On dirait qu'elle a tellement dû pleurer toutes les larmes de son corps, qu'à présent ils sont comme bouffés... ou rongés par l'acide ? Ça, ou alors elle a dû se les frotter un peu trop souvent comme une petite folle.
Bref, j'ai dû mal à en tirer les bonnes conclusions, à vrai dire.
_ Beurk ! Capitulé-je devant l'horreur surprenante de la chose. Mais c'est quoi l'embrouille, en fait, ici ? Et puis pourquoi t'es toute seule ?
Bon, en fait, non. Là, c'est moi qui ai mal regardé. Dès que je lève le nez, je m'aperçois qu'on a dépassé la forêt depuis notre dernier footing. De ce fait, un village se dessine enfin devant moi.
Fiou ! Pas trop tôt, en fait.
Bien sûr, comme je ne suis pas au bout de mes surprises, une énigme en amenant une autre... ce nouveau lieu s'avère être des plus lugubres. Le truc bien sordide comme on n'en fait plus. Les maisons et les rues sont en très mauvais état, visiblement abandonnées depuis des lustres. Pourtant, même si on devine qu'il y a dû avoir de la manif pour tous et de la baston, quelques survivants subsistent et déambulent ici ou là, à vitesse lente, deux de tension. Comme des pochetrons qui titubent, quoi.
_ Bon ça suffit les conneries, maintenant ! Me plains-je en soulevant la fille par le col. Tu m'expliques l'anecdote que j'ignore, s'il te plaît ?
Pourquoi elle n'a pas crié pendant sa petite lévitation forcée ? Parce qu'en l'agrippant, j'ai tout fait pour également lui serrer les cordes vocales, je suppose. Ainsi, une fois plus ou moins calmée, je n'ai plus qu'à attendre qu'elle m'avoue ses petits secrets à propos de ce maudit village. Qui plus est, le sien, je présume ?
_ Quelqu'un a provoqué un jour une grosse émeute, commence-t-elle avec hésitation. Mais on a su plus tard que c'était juste pour leurs tests à la con !
_ Leurs tests ? M'étonné-je, en prime de l'interrompre. Quoi, on a les moyens de faire des expériences dans ce coin paumé, sérieux ?
_ Oui, on dirait bien.
_ Et ça consistait en quoi... ces fameux tests ?
_ À nous balancer des grenades à la tronche. En tout cas, c'est ce que les villageois ont dit. Ils n'avaient jamais vu ça auparavant. Et soudain, voilà que tout le monde s'est d'abord mis à avoir les yeux brûlants, qui piquent, qui pleurent, etc...
_ Hmm hmm, rétorqué-je quand même sceptique et pris au dépourvu.
Bah si ! C'est une gamine qui me raconte quasiment une histoire avant d'aller dodoter... ou presque. Le monde à l'envers, quoi !
Mais si on récapitule, tous ces gens se seraient donc faits griller la vue à cause d'une sorte de... bombe lacrymogène puissance dix ? Décidément, on arrête pas le progrès. Et ce, même si la Marine nous broute habituellement déjà pas mal le chou avec leurs sabres, fusils et... autres bazookas du genre, hein. Pour ne citer que cette vilaine organisation oeuvrant soi-disant pour un monde meilleur, puf puf puf.
Quoi qu'il en soit, en contrepartie, c'est ballot pour ces culs-terreux. Je comprends mieux maintenant pourquoi ils se déplacent tous avec une certaine mollesse. À force, ils ont perdu bien trop de dixièmes pour marcher droit devant, correctement, avec assurance. Et avec ceci ? Perdu l'espoir de retrouver leur vie d'antan, sans doute aussi.