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Rédemption


Je sentis la désapprobation dans la posture de Mangrove, mais elle ne dit rien, se contentant de finir de soigner mes plaies.  J'avais l'impression d'être une gamine que sa gouvernante traitait avec un peu de froideur pour l'obliger à présenter des excuses de soi-même, plutôt que de lui sortir une tirade de remontrances.
- « Vous n'allez pas me dire que vous approuvez ce qu'il m'a fait ? »
- « Non. Je n'approuve pas ce qu'il vous a fait, mais pas plus que je n'approuve ce que vous me dites que vous aller faire. » Et dans sa voix, il y avait une déception palpable.
- « Alors, vous, à ma place, vous feriez quoi ? »
- « Il y a bien longtemps que j'ai arrêté de faire quoi ce que soit, et c'est bien là le problème. J'ai abandonné. Je les ai laissé me museler. Je pensais que vous étiez différente, mais je vois que vous n'êtes qu'une guerrière, comme tous les autres. »
- « Mangrove, nous ne nous connaissons pas depuis très longtemps, mais vous savez que je ne suis pas une guerrière. Ni de corps, ni d'esprit. »
- « Oh que si, vous êtes une guerrière. Vous êtes toujours en train de vous rebeller, de vous agiter, à vouloir faire changer les choses par la force de votre action. »
- « Si c'est ça, être guerrière, alors oui, j'en suis une. Mieux faut être une guerrière qu'être un mollusque assis sur son arrière-train à laisser regarder passer le temps. »
- « Peuh ! » Mangrove eut un ricanement court. « Regardez où en sont les choses : près de soixante ans de guerre ! Ah oui, ça a vraiment servi à quelque chose, toutes ses morts en agitant son dial ou sa lame.  »
- « Hé quoi ? Donc, vous seriez prêts à vous faire massacrer par les Anges, dans ce cas ? »
- « Jeune fille, il faut, une bonne toute, que vous appreniez la différence entre être émotive, celle qui a tendance à se laisser emporter par ses émotions, être émue, celle qui se trouve à un moment sous l'effet d'une forte émotion et être empathe, celle qui à la capacité de se mettre à la place de l’autre pour comprendre ce qu’il éprouve. »

Je clignai les yeux, comme un hibou qui se prenait le captiver. En fait, depuis notre rencontre, j'étais... Je ne saurais dire si c'était mon haki nouvellement maîtrisé, ma victoire sur l'emprise d'Alincourt, mon état physique lamentable, mais j'avais l'esprit clair. Je n'allais pas dire que je rayonnais, mais j'étais étrangement en paix. Dans cette cabane de bric et de broc aménagée dans un sous-sol de Shanda, nous n'étions pas comme coupées du monde, non, car il était là. Je le sentais, à la limite de mon champ de vision. C'était comme si j'avais fait un pas de côté, si je m'étais assise sur un banc pendant que l'univers défilait sur un tapis roulant devant nous. Ce n'était pas n'être que spectatrice, je n'étais pas passive. Non, pour la première fois depuis longtemps, je prenais conscience que je pouvais revenir à tout moment et que si cela ne changeait pas grand chose, j'allais tout de même changer quelque chose. A moi de définir où et quand je retournerais dans le grand jeu.

- « Parfois, il ne faut pas se battre contre les choses. Il faut savoir les accepter. J'ai accepté depuis longtemps que ces combats ne menaient à rien. J'ai accepté le fait qu'il fallait partager cette terre avec les Anges, tout comme les Anges devaient partager leurs nuages avec nous. J'ai appris à ne plus être émotive, à me laisser guider par des émotions qui, bien que légitimes, ne sont pas forcément positives. Faire des compromis, faire des concessions, ça a un côté de « forcé ». On ne m'a forcé à rien. J'ai accepté,  et c'est de moi-même que j'ai demandé à ma petite-fille d'arrêter ces combats. »
- « Hum, hum. » Ses histoires de famille m'indifféraient. J'avais assez des miennes.
- « Et Manguelita a refusé. Elle m'a exilée ici et---. »
- « HEIN ? C'est votre petite-fille ? La cheffesse bad-ass ? »
- « Oui. Et c'est pour ça que ça été difficile, d'en arriver où je suis. J'aime Manguelita. Mais je ne laisse pas mes émotions obscurcir mon jugement. »
- « D'accord. OK, je ne vais pas tuer Alincourt. Mais je suis censée faire quoi, alors ? Je veux dire, il m'a manipulée, et je ne sais même pas pourquoi !! Je me vois mal revenir vers lui la bouche en cœur, surtout si c'est pour qu'il recommence à patafioler mes sentiments. »
- « Quoi que vous ferez ne changera pas ce qu'il vous a fait. Vous pouvez le laisser encore plus gagner sur vous, en laissant votre colère, votre peine, votre indignation, donner à ce geste encore plus d'importance. Ce qui vous est arrivé est horrible, j'en conviens. Mais pourquoi en faire la pierre angulaire de votre futur ? Pourquoi ne pas « juste » lui donner la place qui lui revient, accepter ce viol de votre intimité pour pouvoir décider, en votre âme et conscience, ce qui est le mieux pour tout le monde. Pour vous, pour lui, pour les Anges et les Shandias que vous avez dit vouloir sauver. »
- « Empathe, pas émotive. » conclus-je. « Même si vous saviez parfaitement que ce n'était que des mots de colère. »  
- « Deux choses, ma chère. Il est parfois bon de rappeler certaines choses, quitte à enfoncer des portes ouvertes. Également, il faut se méfier des choses dites, avec colère ou pas. Une pensée, ça reste secret. Une parole l'est beaucoup moins. On a déjà tué pour un mot. Alors, une menace directe sur un chef politique local... »
- « Hum. »

Je n'ajoutai rien. Maintenant que Mangrove m'avait ôté la possibilité d'aller demander des comptes à Alincourt, je ne savais pas trop quoi faire. J'essayai de me convaincre que ma détermination aurait été émoussée par le long voyage à travers la jungle, encore plus si on prenait en compte mon état général.  
Qu'allais-je bien pouvoir faire, maintenant ? Les Shandias ne semblaient pas ouverts à la discussion, Alincourt et le GUANO ne m'inspiraient aucune confiance. Finalement, je n'avais envie de sauver ni les uns, ni les autres. Qu'ils s’entre-tuent tous, tiens ! Encore un accès d'émotion, entre colère et frustration. Cependant, force m'était de reconnaître que mes approches diplomatiques, fondées sur l'échange courtois et sage, n'avaient pas abouti. Peut-être était-ce le moment de leur faire goûter à leur propre poison. Je n'étais pas en-dessus de la persuasion à coup de chantage ou de demi-vérité. Mais c'était mal, de les pousser à faire la paix en leur mentant. Je le savais. Si je les manipulais pour arriver à mes fins, je ne vaudrais pas mieux que le Gouvernement : j'aurais imposé mes vues, mes opinions. Qu'importe que ce fussent les bonnes. A partir du moment où le Bien était infligé, il devenait le Mal. L'enfer est pavé de bonnes intentions, disait-on. Comment les faire écouter et comprendre la vérité sur leur situation ? La Lune Noire tout comme Mangrove avait échoué. En quoi ferais-je, serais-je différente ?

Parce que je n'avais pas sommeil, parce que je ne voulais pas rester enfermée dans cette « cabane », j'avais repoussé les pans de peaux pour marcher un peu, m'éloigner de tout ça. La vieille Shandia avait fait des miracles. Ma cheville ne me faisait absolument plus mal et si j'avais encore l'épaule qui craquait, je pouvais la bouger ; si je prenais mes précautions, j'en avais même une mobilité totale. Je pouvais donc me dégourdir les jambes et rapidement j'avais compris que j'étais remontée assez près de la surface : le soleil se faufilait ici et là à travers des fissures.  Mangrove et son compagnon devaient donc vivre dans l'entresol de Shanda.
Je m'étais éloignée, sans peur de me perdre cette fois. J'avais le haki et surtout, je n'étais pas aux tréfonds d'un bâtiment construit par une civilisation étrange, risquant d'être ensevelie vivante si je cassais un mur ou deux pour retrouver mon chemin.
Je la qualifiais d'étrange, cette civilisation de Shanda, parce que les sculptures, les formes et même l'architecture des lieux m'étaient complètement inconnues. En général, il y avait toujours un petit quelque chose quelque part, qui faisait qu'on retrouvait la trace de telle ou telle époque. Je n'étais pas férue d'histoire – et surtout pas en décoration intérieure – mais j'avais un minimum de culture, en plus d'avoir roulé ma bosse sur pas mal d'îles. Or là, je ne reconnaissais rien.
Je compris pourquoi au détour d'un couloir. Là, baignant d'un large rayon de lumière opaline de l'aube dans lequel les grains de poussière volaient comme autant d'étincelles d'or pur, un poneglyphe. Je n'en n'avais jamais vu, mais je sus à l'instant même où je vis le grand cube de pierre, ce qu'il représentait. Les Shandias l'avaient mis à l'abri ici après le passage de Nico Robin, suivant les conseils de la jeune femme. Je l'ignorais encore, mais depuis j'ai appris la vérité sur le long et pénible travail que cela avait consisté, que de traîner l'énorme bloc sur cette distance. Quant à le faire descendre ? Je ne voulais même pas m'imaginer.
Du coup, pas étonnant que rien ici ne me fut familier : j'avais sous les yeux... non sous les pieds... l'une des dernières traces du Siècle Oublié. Ce pan de l'histoire que le Gouvernement Mondial avait irrémédiablement effacé, et qui correspondait justement à l'époque de l'émergence dudit Gouvernement. Je ne savais pas lire les runes gravées, et je ne savais même pas ce que cela racontait. Les rumeurs voulaient que les poneglyphes mis bout à bout racontassent la vérité sur ces événements, en une sorte de testament, peut-être accusateur des dérives du GM. La révolutionnaire en moi frémit.
D'un côté, je m'opposais à la corruption qui envahissait le Gouvernement, la Marine, les CP, la Justice. Le système actuel n'était pas « bon » ou «honnête ». Si j'étais devenue révolutionnaire, c'était uniquement parce que c'était le seul moyen de changer les choses. Mais je n'étais pas une terroriste, ou une anarchiste. Je croyais aux bienfaits d'un ordre généralisé, au service des populations locales. Aussi, l'idée de fournir à la Révolution, avec tout ce qu'elle réunissait d'illuminés vengeurs, la preuve nécessaire pour publiquement accuser le GM de « crimes », de telle sorte qu'il exploserait en une purge aveugle de ses membres.. non, je n'étais pas pour plonger le monde entier dans un siècle ou deux de chaos.
La racine du mal ? Les soi-disant dragons célestes. Oh, ces nobles ! L'émotive en moi voulait les passer à la casserole. L'empathe voulait encore chercher à les excuser en se disant que quelque part, ce n'était pas leurs fautes. Ils étaient nés et avaient grandi dans un système qui les lobotomisait à force de gavage de fausses idées. Cependant, j'étais le contre-exemple parfait : moi-aussi, j'avais eu la tête farcie de lieux communs et des principes comme quoi la Marine, c'était chic, c'était choc, et que le summum de ma vie serait d'épouser un de mes semblables et de mettre au monde minimum trois gosses. Pourtant, j'avais réussi à casser ce carcan. Si je pouvais, n'importe qui le pouvait.

Que faire ? Devais-je prévenir la Révolution de ma découverte ? Je savais que si Raven était au courant, des navires révo débarquaient dans les deux jours ici, pour protéger l'île. Mais protéger l'île, ce n'était pas protéger les habitants de l'île, même si ces derniers étaient assez débiles pour se taper dessus. J'avais toujours dit que je me battais, en tant que rebelle, pour sauver le GM de lui-même. Apparemment, j'allais faire de même avec la brochette d'imbéciles autour de moi. Je ne laisserai personne, y compris la Révolution, utiliser les Anges et les Shandias, leur promettre monts et merveilles, pour simplement satisfaire des objectifs personnels. Je ne dis pas que la lutte contre les Dragons Célestes et l'Injustice menée par Adam n'était pas digne d'admiration. Après tout, je faisais partie de ce mouvement. Mais la fin ne justifiait pas les moyens, et je n'étais pas prête à admettre le sacrifice de Skypiea. A côté bon prétendre vouloir sauver le monde si je ne pouvais pas sauver une île ?
L'image du tapis roulant revint à moi. C'était peut-être ça, mon problème. J'avais toujours vu le plan, le grand plan. Et je m'étais toujours sentie petite, faible, inadéquate. Sans importance. Moi ou une autre, quelle différence ? Que mes gestes finalement, n'avaient que très, très peu de conséquences. Cela avait toujours provoqué une peine immense, une frustration sans fin. Il me manquait un but intermédiaire. Quelque chose de plus petit, de local. Petit à petit, l'oiseau faisait son nid. SON nid, et pas celui du voisin.
Il était temps que je mis en route MA révolution.
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- « Mangrove, j'ai besoin de votre aide. Je veux tout savoir. Tout sur cette île, depuis la plus insignifiante information. Je dois trouver un moyen d'unir ces têtes d'ânes. »
J'étais retournée au tipi, pleine de détermination. Encore une fois, la Shandia avait eu raison : j'étais trop émotive. L'idée d'aller tuer Dieu était complètement idiote, en plus d'être dangereuse et stérile dans le contexte actuel. Mais pourquoi avais-je écarté l'idée de le confronter ? Lui opposer une colère froide, posée, une fin de non recevoir, c'était tout aussi combatif que de lui faire cracher des molaires. Lui montrer que j'étais la plus forte, mais que je ne le marquai pas par une domination physique. Tiens, une leçon que Manguelita avait besoin d'apprendre, elle aussi. Finalement, Anges, Shandias, même combat.

Je la questionnai, en long, en large, en diagonale et même en transversale. Ce fut à peine si j'acceptais de me reposer pendant quelques heures, durant lesquelles je tombais dans un sommeil de plomb. A mon réveil, je n'avais toujours pas de plans, mais encore plus de questions.
- « Pourquoi est-ce que je n'ai pas encore vu votre compagnon ? »
- « … Chris est d'un naturel suspicieux. Il ne fait plus confiance à grand monde. Aussi, il évite de se montrer en journée. Il est... à peine toléré par ceux qui connaissent son existence, et ceux-là n'agissent ainsi que par amitié pour moi. »
- « … dois-je en conclure que Manguelita ignore sa présence ici ? » Si elle avait banni sa grand-mère parce que cette dernière lui avait parlé de « paix et pardon », je la voyais mal accepter un beau-grand-papa illicite comme ça. « Il a fait quoi, à la base, pour être détester des Shandias ? » Dans ma tête, Chris était un Shandia exilé, comme Mangrove. Pas une seconde il me vint à m'interroger sur ce prénom très peu Shandia.
- « Chris a le double handicap d'être Ange et d'être techniquement, aux yeux de tous, mort. »
- « Chris, l'ange qui devait être mort... » J'ironisais mais là, pour une fois, mon cerveau ne me fit pas défaut. « Attendez, Mangrove. Ne me dites pas que vous sortez avec Chris Antème, l'ancien Messie d'Héailleutou ? »
- « Je ne 'sors' pas avec lui en tant que tel, mais oui, c'est bien lui, mon compagnon.  »
- « Mais il est censé être mort !! »
- « Et voilà exactement pourquoi il ne se montre pas. »
- « J'vois pas l'intérêt. Je l'avais déjà hakisé. »
- « Je n'ai jamais dit que je trouvais sa réaction logique. » Elle eut un sourire en coin. Ah, les hommes. Mais je ne partageai pas ce moment de complicité féminine.
- « Ce que je ne trouve pas logique, c'est qu'il soit en vie, et encore plus, en vie ici, dans ces ruines. Pourquoi n'est-il pas retourné à Héailleutou. »
Mangrove m'expliqua que Chris avait été victime d'une tentative d'assassinat et que cela avait mis fin, non à ses jours, mais à ses aspirations de protéger son peuple. Tout comme elle, il avait fui, laissant les autres imposer leur loi. Et il avait fui vers son premier, ancien et unique amour. Voir la mort de près, ça vous faire mettre en perspective beaucoup de choses, notamment les regrets et les actes manqués.
- « Mais il y a autre chose. Je vous sens perturbée. »

C'était pratique, le Haki. Mangrove hésita, mais puisqu'elle avait décidé, depuis le début, de me faire confiance, elle finit par m'avouer la vérité sur la paternité de sa fille, et par filiation, de Manguelita. Ça me scia sur place.
- « Ni Chris ni Manguelita ne sont au courant, et –-. »
- « Pourquoi ? Pourquoi justement ne pas avoir dit la vérité à Mangue ? Elle est la preuve vivante que vos deux races peuvent vivre en paix !. »
- « Ou elle se serait sentie indigne de sa place de chef, se serait ouvert les veines pour en faire sortir le quart ange qui y coule. »
- « Vraiment ? »
- « Vraiment. Elle en est capable. »
- « Et dire que je la trouvais bassement terre-à-terre. En fait, c'est une grosse drama queen. » Croyez-en ma parole d'experte.

A ce moment la terre trembla. Ce ne fut qu'une très légère secousse, mais moi avec mon haki, et Mangrove avec sa connaissance des lieux, la sentîmes tout de même.
- « C'était quoi, ça ? »
- « Aucune idée. Allons voir. »

Je récoltai mes affaires. Cette fois, hors de question d'être prise au dépourvue et nous empruntâmes des couloirs et des escaliers pour revenir à la surface. Le soleil était haut désormais, on approchait du milieu de matinée. Au dépit de l'épaisse jungle qui nous entourait, nous pouvions voir un nuage de fumée s'élever dans le ciel.
- « Hum, ça vient du côté des Sélénites, je crois. »
- « … Qu'est-ce que ça serait ? »
- « Ça ne ressemble pas à une de leur attaque en tous les cas. Mais ça ne me dit rien qui vaille, tout ça. »
- « Je vais tenter de contact--. »
- « Mangrove. » Un homme sortit de l'ombre. Âgé, portant une longue barbe qui aurait donné envie à un des membres du Conseil des Cinq Étoiles, Chris s'avançait sans bruit, et surtout, sans difficulté. Pas de canne pour papi Chris. Il était sec, noueux, mais fringuant. « Les autres ne vont pas tarder à venir. Ils vont forcément scanner le coin, et ils sauront avec ça qu'elle est encore en vie, et ici. » Elle, c'était moi, eux, c'était les Shandias, et ça, c'était le haki.
Après l'effondrement du Puits que j'avais plus ou moins aidé à provoquer, mes ravisseurs m'avaient cherché sans grand succès. Les décombres n'étaient pas praticables et ceux qui avaient le mantra m'avaient bien identifiée comme étant en train de ramper à des pieds sous terre. Avec leur pragmatisme habituel, les Shandias m'avaient donc étiquetée morte en sursis, car personne ne retrouvait jamais son chemin dans le labyrinthe des entresols de Shanda.
Sauf que j'avais survécu et bientôt le monde le saurait.

- « Elle veut partir, n'est-ce pas ? »
- « Hé ! Elle, elle est là. Et elle, elle veut partir, en effet, et surtout, elle veut aller voir le GUANO. Enfin, je veux retourner au camp du GUANO. »
- « Alors, je vais t'y mener. Je t'accompagne sur un bout du chemin. Il vaut mieux pour toi et moi qu'on ne traîne pas dans le coin. »
- « Ah, là, maintenant, comme ça ? »
- « Oui. »
- « Bon, ben... je suppose qu'on y va. Mangrove, je vous promets, je vais trouver un moyen de vous sauver, de Maselfush, du GM et –-. »
- « Pas maintenant, fillette. »
Et nous fûmes partis.
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Chris et moi progressions aussi rapidement que possible. J'étais raide comme un piquet, les muscles presque tétanisés par les épreuves de la veille, et je n'avais pas eu le temps de m'échauffer convenablement. Mon guide avait beau avoir 'l'heptacennie heureuse', il n'en restait pas moins une personne âgée pour qui gambader dans la jungle n'était pas aisé. Nous nous déplacions sans parler, essayant de mettre autant de distance entre les Shandias et nous. Je sentais que se retrouver nez à nez avec Manguelita n'était pas ce qu'il fallait pour sauver Skypiea en ce moment.
Alors que nous n'étions plus très loin du camp du GUANO – Chris m'avait averti qu'il ne tarderait pas me laisser continuer seule – nous tombâmes dans une embuscade. Des Anges surgirent de toutes parts, nous menaçant de leur lames et de leurs dials, et clairement, ils n'étaient pas là pour rigoler. Bien entendu, je protestai, mais cela ne changea pas la situation. Les mains nouées en arrière, nous fûmes tous deux escortés sous haute surveillance jusqu'au camp. Il régnait dans l'air un excitation farouche, presque féroce. Partout, des signes flagrants que le GUANO était sur le pied de guerre. Cela allait avec le fond de l'air : il y avait de l'orage dans le coup, je le sentai.
- « Mais qu'est-ce qui se passe ? » demandai-je aux Anges autour de moi.

Personne ne me répondait, et Chris n'en avait pas plus à m'apprendre de son côté. Il fallait dire qu'il était dans une situation on ne pouvait plus délicate : plusieurs membres du GUANO le reconnurent. Après tout, cela ne faisait que quatre ans qu'il était « mort », et non seulement son absence n'avait-elle pas été assez longue pour effacer le souvenir de l'homme qui avait fait sécession pour fonder Héailleutou, mais aussi son visage n'avait-il pas suffisamment changé. Je me doutais qu'Alincourt avait senti sa présence à Shanda depuis le temps. Avec le haki, difficile de passer inaperçu, en fait. Pourtant, il n'avait rien dit. Décidément, essayer de comprendre les stratégies d'Alincourt... Peut-être était-ce le signe qu'il n'avait justement aucune stratégie. J'essayai pendant quelques minutes de me mettre à sa place. Ce n'était pas comme si j'avais mieux à faire : on m'avait fait asseoir par terre dans la « salle du trône », et si les soldats gardaient sur moi un œil attentif, ils n'avaient pas l'intention de m'expliquer quoi que ce fut.
Alincourt était devenu « Dieu » extrêmement jeune. Je ne savais pas s'il avait été formé convenablement pour ce poste de meneur. Je ne savais même pas s'il en avait les capacités, en fait. Ce n'était pas parce qu'on vous collait un titre sur le dos ou une couronne sur le front, que ça fait de vous un leader éclairé. C'était bien ça le problème pour bon nombre de gouvernements locaux. En fait, c'était encore et toujours le problème du Gouvernement Mondial : les premiers membres des vingt familles fondatrices semblaient avoir de la suite dans les idées. Leurs descendances, aucune.
Donc, le voilà devenu Dieu, peut-être sans envie et/ou sans compétence. Dieu d'un peuple à couteaux tirés avec des... Je clignais des yeux, un peu perdue. Comment les Anges voyaient-ils les Shandias ? Au départ, ils avaient été des envahisseurs, avec une partie de l'île de Jaya qui se matérialisait d'un coup sur leur Mer des Nuages. Mais j'imaginais très bien la peur panique des Jayaniens de l'époque. Finalement, qui avait porté le premier coup ne comptait pas plus que ça. La question essentielle était : vous êtes-vous vraiment parlé à un moment donné de votre existence ?
Un comme dans mes dragons célestes, Alincourt n'avait pas une seule seconde pensé qu'il pouvait exister autre chose que la haine entre son peuple et les Shandias. Il manquait de perspectives. Il n'avait jamais connu la paix, après tout. Et voilà justement qu'un vieux machin, un Chris Entème, se permettait de lui cracher à la gueule des reproches et de le désavouer publiquement. Bon d'accord, Chris n'était pas vieux à cette époque, mais c'était presque pire.
Malgré cette tentative, je n'étais pas plus avancée sur le cas divin. A part me dire qu'il devait être amer et fatigué, je ne voyais pas ce qu'il voulait ou ne voulait pas.  A mon avis, il avait besoin de se détendre, le Dieu. Des vacances. Et d'amour. Concept assez surprenant, que se dire que la personne capable de créer des faux sentiments était en fait en manque d'amour.

- « Hé ! Hé ! Lullaby !! » La vue de la jeune fille m'avait ramené sur terre. Enfin sur terre sur nuages. « Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi je suis prisonnière !!? »
- « Ah, c'est toi... » Pas besoin d'être télépathe pour voir qu'elle ne s'attendait pas à ma présence, et qu'elle ne savait pas quoi faire.
- « Mais qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi le GUANO se prépare à passer à l'attaque ? Je croyais qu'Alincourt était prêt à m'aider à sauver Skypiea ! » Et sans pouvoir me retenir, je me mis à la noyer sous le flot de mes revendications. « Mais à quoi vous jouez, tous ? Est-ce que tu es au courant de ce qu'il m'a fait ?!! Il m'a... il m'aurait violé que ça aurait été pareil !!! Tout ça pour quoi ? Pensait-il vraiment que j'allais réussir à battre Manguelita ? J'en ai marre de me faire trimballer d'un endroit à un endroit ! J'estime en avoir assez fait pour qu'on m'explique les choses !! »
- « Il n'y a rien à expliquer. Comme tu l'as dit, tu es venue nous prévenir d'une menace. Dieu a décidé d'agir en conséquence. Si tu veux tout savoir, il est parti pour régler le problème Sélénite, et moi, je supervise l'opération 'Héailleutou'. »
- « … Comme si faire la guerre allait changer quelque chose !!? Depuis tout ce temps, je pensais que quelqu'un l'avait compris !!! Tout ce temps en guerre, et rien n'a jamais changé ! Alors, pourquoi maintenant ? » Lullaby s'accroupit pour se mettre à mon niveau, et je réalisai à quel point elle était belle. Un véritable Ange, tel que l'imaginaire collectif se les représentait. Mais elle avait ce quelque chose qui dépareillait. Une dureté dans le pli de sa bouche, une détermination froide dans son œil.
- « Justement. Pendant tout ce temps, Dieu n'a rien fait. Il a retenu ses coups, il a tempéré nos ardeurs. Il n'a jamais voulu se battre, et encore moins utiliser ses pouvoirs pour ça. Mais voilà que les circonstances ont changé et il n'a pas eu le choix. Cette fois, il a lancé toutes ses forces dans ses attaques, et il compte bien résoudre la situation une bonne fois pour toute. »
C'était extraordinaire comment elle semblait croire qu'un seul homme allait réussir une fois pour toute à faire non seulement quelque chose, mais aussi quelque chose de bien, et de durable. Sauf que j'avais appris depuis que si un camp gagnait, cela ne déboucherait pas sur une paix durable, juste sur une nouvelle raison pour les perdants d'engranger de la rancœur.
- « Ben voyons, Dieu n'a pas bougé ses fesses par bonté d'âme, de peur de blesser les Shandias.. » raillai-je. « … par contre, me manipuler, m'imposer sa volonté, ça, pas de problème. »
- « NON ! » me coupa-t-elle presque. « Il n'a pas fait ça sans regret. Il aurait tellement voulu que ça se passe autrement. Mais il n'a pas eu le choix ! Tout est arrivé si vite. Il faut parfois se salir les mains, et Dieu ne laissera personne d'autre que lui endosser une telle responsabilité ! »
- « D'accord, je peux comprendre pourquoi tu penses ça. Mais moi, je sais que ce n'est pas la solution !  Ni me manipuler, ni jouer les sacrifiés sanctifiés !! La violence ne résoudra rien ! Pas devant un dragon céleste ! Maselfush se fiche bien de qui gouvernera qui ! Il vous mettra tous aux fers, Shandias comme Anges ! Quand je parlais d'unité, c'était d'unité face à cette menace, ce n'était pas un but en soi, même si ça serait bien !  »
Lullaby fut troublée.

Elle avait après tout des doutes sur la démarche intrinsèque de Dieu. Elle avait quitté Héailleutou pour agir, pour faire quelque chose, mue par un sentiment fort d'impuissance devant l'immobilisme des Messies. Pourtant, elle avait accepté de bon cœur la politique « tranquille » d'Alincourt : s'il ne voulait pas combattre, ce n'était pour épargner les Shandias, mais bien sauver des vies angesques dans un conflit stérile, et clairement dominé par ses ennemis – en terme de combat, les Shandias surclassaient tout le monde ici-haut. Ainsi, elle n'agissait pas par simple loyauté aveugle, mais par choix, par discipline, par respect. Dieu avait su se faire aimer par cette décision et sa gestion du conflit.
Si Lullaby était donc « un bon petit soldat », elle n'était pas que ça. Elle avait ses opinions bien arrêtées, notamment sur les Sélénites. Finalement, elle était un peu comme Shaïness : jolie, très jolie, et absolument résolue à ne pas être réduite à sa beauté, à être  contrainte de devenir spectatrice de sa vie. Elle voulait faire, aider et surtout, ne pas laisser les autres décider sans qu'elle eusse eût droit au chapitre. Elle estimait par ailleurs que sa voix était généralement plus sensée que la plupart de celles des anges. Au bout du compte, elle avait obéi à Dieu et accepter son plan parce qu'elle avait confiance en la capacité de son leader à faire ce qui était bien, malgré le côté extrémiste du plan. Que derrière ce qui lui semblait être une très mauvaise idée, il devait y avoir autre chose, quelque chose qu'elle ne voyait pas. Pourtant, elle était loin d'être idiote. Mais elle n'était pas Dieu.
Voilà cependant que l'étrangère lui disait qu'elle avait raison.

- « Écoute-moi, Lullaby... » la pressai-je. « Il faut que tu m'enlèves ses liens, il faut que je vous parle, au GUANO ! Alincourt doit m'écouter. S'il est à ce point décidé à faire bien les choses, il DOIT m'écouter. Tu dois faire en sorte qu'il m'écoute ! S'il est vraiment cette personne bonne et pure que tu me décris... comment oses-tu le laisser se détruire comme ça ? »
- « Je ne---. »
- « Tu ne comprends pas hein ? Tu dis qu'il est prêt à se salir les mains, et juste lui. Mais as-tu la moindre idée du poids que cela pose sur la conscience ? Crois-tu que tout ira bien après ça ? Qu'il sera content, heureux ? Es-tu prête à le voir devenir l'ombre de lui-même ? Es-tu prête à réaliser qu'il est en train de se détruire, parce qu'il vous aimait, ou je ne sais pas quoi !! Qu'il va devenir rongé par le remord, ou alcoolo, ou  complètement insensible ? Tout ça pour quoi ? Pour que dans un ans, deux ans, cinq ans – et ça, c'est si tant est que le Gouvernement ne vous met pas la main dessus, ou pire, Maselfush – un Shandia se réveille en disant que non, ça ne va pas d'obéir au mec qui a tué son père ? A moins qu'Alincourt ait prévu d'anéantir tous les Shandias ? Et les Sélénites aussi ? Et devenir Empereur de Vearth !!? »
- « Je--- »

Je n'étais pas en train de chercher à culpabiliser à tort les Anges du GUANO, mais c'était exactement ce qui se passait. Je pouvais le lire sur le visage de Lullaby, et je me sentais devenir aussi sale que si j'avais été en train de leur mentir. Je disais pourtant la vérité. Je parlais avec l'accent de la certitude, parce que j'étais en train de décrire ce que je ressentais. Depuis longtemps j'avais pris sur moi de me sacrifier au nom de la nation regroupée que représentait le Gouvernement Mondial. Encore et encore avais-je dis et répété que j'étais prête à le sauver de soi-même, quel qu'en fut le prix. Jour après jour, je comprenais que ce prix n'était jamais payé et que je pourrais vendre mon âme à tous les diables de la création que le compte n'y serait pas. Et pourtant, j'avais continué.
Oh, je ne savais que trop bien ce qu'Alincourt ressentait. Pas besoin de haki pour ça. Cette détermination folle qui soudain s'embrasait en vous, vous transformant en monstre. J'avais torturé un presque innocent sur Alabasta. J'étais à Alincourt ce que Delgado m'avait été. Une victime pour la Bête. Celle que nous n'aimions pas, celle qu'on redoutait, mais celle qui était nécessaire. Le feu n'arrêaite pas le feu, cependant qu'on ne faisait pas d'omelette sans casser des œufs.
Et je lus encore une fois sur le visage de l'Ange blonde devant moi qu'elle était prête à devenir la Bête pour le compte d'Alincourt, si elle pouvait. Elle était moi en devenir, elle était Dieu en devenir. Et si elle avait raison sur le compte de cet empaffé d'emplumé, alors ce dernier me remerciera plus tard d'avoir prévenu ce changement.

- « Non, Lullaby. Ce n'est pas possible de continuer sur cette voie. Je sais que ça semble aberrant, mais je sais que Dieu se trompe. Et si je n'ai pas là, tout de suite, la solution, je sais au moins que ce que vous faites, ce qu'il a décidé, est la plus belle bêtise de votre vie. Et pas que la vôtre ! Celles des Anges d'Héailleutou. Et des Shandias ! Et des animaux et des plantes de cette île. Une fois que Maselfush et le Gouvernement en auront fini avec vous, il ne restera rien de Vearth. Rien pour se battre, et personne pour se battre. Rien.
Si Dieu a décidé de prendre le taureau par les cornes, d'agir comme il l'a décidé, c'est qu'il n'a jamais connu que la guerre. Il ne comprend pas comment il peut faire autrement. Moi, je viens d'un monde où les gens vivent relativement en paix. Mais une fausse paix, une paix qui a été acquise par la pire des manières et les populations continuent à payer. Il y a à notre tête une poignée de personnes, une élite, qui décide selon ses propres plaisirs et besoins, et manipule le Gouvernement en ce sens. Comment veux-tu que le système fonctionne si à la base – ou plutôt au somment – il y a de la pourriture ? Comment veux-tu que Dieu fasse régner la paix s'il a les mains couvertes de sang jusqu'au coude, et qu'en plus, il ait fait ça à regret ? Comment veux-tu que quelque chose de bon sorte de la domination d'un sur tous ? Avec ses pouvoirs, il peut facilement acquérir l'amour des Shandias, mais il ne l'a pas fait ! Ça prouve bien qu'il est conscient, quelque part, que c'est mal. Pourtant, là, il ordonne le combat ! Il fait ça... parce qu'il sait qu'il doit agir, mais il ne sait pas comment. Il faut que nous l'arrêtions, qu'il m'écoute. Tu dois m'aider, Lullaby ! Tu peux tous les sauver !!  »


Si je m'adressais avec autant de ferveur à la jeune angette, c'était bien parce que j'avais inconsciemment compris l'équilibre des pouvoirs au GUANO. Lullaby était l'élément stable du groupe : si Dieu pensait, si Andy faisait, Lullaby était celle qui traduisait les idées en actions. Principale force motrice des insurgés, elle était la charnière qui faisait que la porte fonctionnait. De par son passé dans les forces militaires des Bérêts Blancs, elle avait largement de quoi asseoir son autorité dans un groupe tourné vers la guérilla. Elle était peut-être jolie, mais elle était surtout dangereuse. Il ne fallait pas se faire avoir par son petit minois. Cependant, elle avait la tête sur les épaules, et avait toujours su temporiser les élans vengeurs de Dieu et d'Andy, qui étaient capables d'alimenter une surenchère perpétuelle à la plus mauvaise idée possible entre eux deux.
La pensée même que le GUANO pût se retourner contre les siens la débectait, quel que fut le bien fondé de cette décision ; oui, il fallait unir les Anges, mais sûrement pas comme ça. Lullaby avait accepté le plan à son cœur défendant, avec la confiance aveugle que Dieu savait mieux qu'elle. Les paroles de Shaïness n'étaient qu'un écho à ce doute... non cette conviction. Cette opération était une folie !

Je l'avais gagnée à ma cause. Déjà, elle était en train de défaire mes liens, quand un autre groupe arriva.
- « Lullaby, c'est bon, nous avons le mec que Dieu voulait. Le capturer n'a pas été facile, mais on l'a choppé ! »
Ensanglanté et entravé, Phil Odendron fut jeté à nos pieds.
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- « Qu'est-ce qu'il vient faire ici, lui ? »
Je vous accorde, la question n'était pas très diplomatique. Étant données les circonstances, je pense que personne n'en a pris ombrage. Enfin, si. Une personne. Mais il était du genre ombrageux, ce qui pour un ange, était fâcheux. Après tout, c'est bien le stéréotype attendu : un ange, une angette, ça doit être heureux si ce n'est béat.
- « Qu'est-ce que ça peut te faire, l'Humaine ? C'est ton ami ? »
- « Mon ami, non je n'irai pas jusque là. Mais il est l'un des trois Messies d'Héailleutou, et j'ai du mal à voir ce son enlèvement va apporter, à votre 'cause' comme à votre survie. » Même ligotée, je réussis à donner l'impression de miner des guillemets dans les airs. Bien entendu, Tius, l'Ange chargé de la mission, se hérissa. Lullaby se mit en travers, nous ordonnant d'un regard froid de bien nous tenir. Puis elle coupa mes liens, tirant de mon nouvel opposant un cri offusqué.
- « Lullaby ! Les ordres de Dieu ont été formels ! On arrête tout le monde, et on- » Il s'arrêta, me dédia une œillade mauvaise.
Ce n'était pas le plus grand ou le plus fort des Anges que j'eusse vu jusque là. Andy ou Stalone Silverstone posaient une sorte d'étalon en terme de carrure musclée. Mais il se dégageait de lui ce même sentiment de fanatisme aveuglé dont je venais de débarrasser Lullaby. Il me semblait aussi qu'il n'était pas très content de devoir répondre aux ordres de la petite blonde, et qu'il se verrait bien sous-chef à la place de la sous-cheffesse.

- « Quoi ? Il va faire quoi, Dieu ? Il va forcer Odendron à lui passer le titre de Messie ? Il va le tuer devant la population entière d'Héailleutou, pour prouver qu'il est beau et fort ? Il va lui enlever les sentiments comme il l'a fait pour moi, pour pouvoir le manipuler à sa guise ? » C'était à peu près les seules explications que je voyais à la raison de Phil ici. Tout en parlant, j'avais marché vers Chris, pour m'assurer que le vieil homme n'avait pas été trop malmené. Il était pâle et clairement sous le choc, mais il était encore plus captivé par la forme prostrée qu'était Odendron.
- « Dieu a décidé de réunir les Anges sous sa direction, de mettre fin à la scission créée par Chris. On vous croyait mort, d'ailleurs. » fit-elle à l'adresse du vieux barbu.
- « Oh, considérez-moi comme mort... » râla-t-il. « C'est très bien, la mort. Personne pour venir se plaindre ou autre. Finalement Phil m'aura rendu un service. »
- « C'est de la diffamation! » protesta l'intéressé qui avait repris conscience mais qui était toujours ligoté. Tius le menaça de son poing, mais Lullaby intervint.
- « De toutes les façons, nous ne sommes pas là pour remuer cette affaire. Le passé, c'est le passé. »
- « Oui, rien ne vaut un bon présent. Comme celui où ce cher Phil va m’expliquer pourquoi son « ami » Dieu m'a fait subir... bref, pourquoi il m'a menti. »
- « Oui, ça m'intéresse aussi, vu que Dieu n'a jamais été ami avec aucun Messie, et Phil en particulier. »
L'intéressé commença à bafouiller, déconcerté par la situation globale. Mais il sut se reprendre très vite, et darda sur nous une œillade régalienne, comme si rien de tout ça ne le déphasait.
- « Vous n'alliez tout de même pas croire que j'allais lui dire « honnêtement, Alincourt est un gros mégalo qui n'a pas supporté qu'on lui dise 'non' et qu'on décide de vivre en paix, et je ne crois pas que vous pourrez le convaincre de quoi que ce soi », hein ? » Insulter le meneur de ses ravisseurs n'était pas une bonne idée et Phil reçut une taloche bien portée.
- « Alors pourquoi m'avoir envoyée le voir ? »
- « Parce que j'espérai bien qu'il joue avec vous, ce qui me permettrait de justifier l'abandon du GUANO à son sort, la séparation définitive d'avec ces kamikazes. Pour protéger Héailleutou, je suis prêt à beaucoup de choses. »
- « Me tuer, c'était pour protéger Héailleutou, peut-être ? » objecta Chris. Le pépé Ange s'était relevé pour de bon. Il frottait ses poignets pour y faire revenir la circulation que des liens trop serrés avaient coupée. Je m'étonnais que Lullaby eût réussi à le libérer sans plus d'esclandre de la part de Tius, mais ce dernier était captivé par l'échange entre les deux Messies.
- « Déjà, tu n'es pas mort, donc techniquement aucun crime n'a été commis, et avant d'accuser, il faut des preuves. As-tu la moindre preuve à mon encontre ? Non, et nous le savons bien tous les deux. »
- « BON ! » coupa la petite blonde en tapant du pied. « J'ai déjà dit que nous n'allions pas parler des affaires du passé. Non seulement il y a plus urgent à faire, mais on s'en fout complètement. Héailleutou n'était que la réponse de couards, qui pendant des années ont préféré ignorer la réalité des choses, bien contents de mener leur petite vie de leur côté, ignorant volontairement ce qui se passait à côté. Si vraiment les Anges voulaient la paix, ils n'avaient qu'à aller sur une autre île, plutôt que de rester près de Vearth, à jouer les miséreux. On tourne la page ou on ne la tourne pas. Et maintenant, à cause des actions de peu, une menace s'approche. Shaïness pense que nous sommes en danger ; la porte a été ouverte, nous ne pouvons pas la refermer. Alors autant voir comment on peut va faire face à ce qui arrive. »
- « Dieu a dit qu'il allait unifier les Anges et que nous allions---. »
- « Je sais ce que Dieu a dit. Mais non seulement son plan demande du temps, que nous n'avons pas, mais en plus, c'est un mauvais plan. Nous ne sommes pas là pour être à ses ordres sans réfléchir. Si on voit qu'il se trompe, c'est notre devoir que de l'aider. »
- « Dieu ne se trompe pas ! »
- « Et pourquoi donc ? Tius, voyons, ne me dis pas que tu le crois infaillible ? Que tu le vois réellement comme un Dieu, comme Skippy et ses fanatiques voient les Sélénites ? C'est un Ange, comme toi et moi, sauf qu'à la différence de toi et moi, il est intelligent et qu'il a été formé pour mener des hommes. Dieu est un titre, pas un... un état naturel. »

C'était déjà un discours dur à encaisser pour tous ceux et celles qui, au bout du compte, s'étaient effectivement écartés de la voix du bon sens. A trop lutter contre des adorateurs idolâtres, ils avaient été influencés... contaminés... Il faut dire que le contexte s'y prêtait. Dieu, Messie, Lune, Ange, ruine sacrée et autre sémantique divine. J'y voyais aussi le reste d'influence d'Ener et de ses quatre chevaliers de l'apocalypse, les Prélats.

Mais bien entendu, il fallut que Phil continuât de titiller, appuyant là où ça faisait mal.
- « Formé ? Mais qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre ! »
En mon fort intérieur, je n'étais pas loin de partager son avis : Alincourt me m'avait pas laissé une impression mémorable en tant que chef, mais je savais que mon opinion était biaisée. Ceci dit, ce n'était pas une chose à dire. Même Lullaby lui retourna un regard noir. Cependant, le premier à agir fut Tius, agrippant Phil par le devant de sa chemise, le soulevant de terre.
- « Ne critique pas Dieu ! » lui cracha-t-il à la figure. Littéralement. Ce fut une pluie de postillon qui nous agressa. « Je ne vais pas laisser deux traîtres et une humaine me dicter ma conduite ! Et vous ?  » gueula-t-il en direction des autres membres du GUANO. « Pendant des années, on a suivi les ordres de Dieu, et parce que deux inconnus viennent nous donner des leçons, il faudrait se méfier de celui qui nous a donné tout ce que nous avons ? Nous lui devons la vie, et notre honneur ! »
- « Ah oui, ça fait une belle jambe, d'être un honorable Ange parce qu'on s'est dressé arme à la main, quand tu es un Ange mort ! » rétorqua Phil. « Ta veuve et tes enfants sont super contents de savoir que tu es mort avec honneur. Si la guerre avait été la solution contre les Shandias, ça ferait longtemps qu'on le saurait ! »
- « Comment le sais-tu ? Aucun de vous n'a jamais combattu ! Un ange n'est pas une mauviette ! On est tout aussi fort que les Shandias, avec un peu d'entraînement ! »
- « Je ne vois pas l'intérêt de combattre, c'est tout ! »
- « Dans ce cas, tu laisserais Vearth aux Shandias ? »
- « Pourquoi pas ? Au départ, il n'y avait pas de Vearth ici, sur la Mer Blanche, et on vivait très bien comme ça. Si je pouvais, je ferais couler cette terre, je la ferais retourner sur ce Grand Line d'où elle vient, et qu'elle emporte les Shandias avec elle !! »

Le ton montait, la tension aussi, et ça finit en empoignade. L'orage tournait autour de nous, faisant naître des rafales de vent autour de nous, comme autant de piqûres qui nous irritaient. Phil avait réussi à nous froisser l'ensemble du GUANO avec ses paroles d'hérétiques. Lullaby eut beau essayer, elle ne réussit pas à calmer les ardeurs exaltées de ses collègues... compatriotes ? Frères de race ? Je n'avais aucune idée de comment les appeler, mais ce n'était pas l'important. La blonde se retournait vers l'un ou l'autre, tentant de faire entendre raison à des personnes qui étaient folles de rage ; ce fut à ce moment que Tius lui envoya une mandale qui la fit presque pirouetter sur elle-même avant de la faire tomber au sol comme une poupée de chiffon. Son regard croisa le mien, et je sus que j'étais la prochaine sur la liste.
Attrapant Chris et Phil par la manche, je les tirai en arrière :
- « Fuyons ! »
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Nous courrions, pour sauver notre vie.
C'était une sensation sacrément déplaisante, que d'être une proie. Jamais encore je n'avais ressenti cette tension dans le dos, l'impression que d'un instant à l'autre une flèche ou un dial allait vous transpercer de part en part. Quelque part, nous partagions ce sentiment et nos peurs s'alimentaient l'une l'autre. Il y avait de quoi. Le GUANO n'était peut-être pas aussi agressif que les Shandias, mais les Anges du groupement n'étaient pas des enfants de cœurs. De plus, Tius avait enfiévré les esprits à la limite de la frénésie. Or, nous étions tous en mauvais état de base, et encore moins à même de faire face à la troupe qui s'était lancée à nos trousses. Pourtant, nous n'avions pas d'autre solution que courir. Même si je pensais à prendre mon den-den pour contacter Rafaelo, que pourrait-il ? Il devait être de l'autre côté de l'île ! Non, nous ne pouvions qu'espérer semer nos poursuivants ou trouver refuge quelque part. Cependant, ils étaient rapides, et connaissaient parfaitement les lieux. A part retourner à Shanda, qui était bien à une heure de route, je ne voyais pas. Et une heure à ce rythme, je ne tiendrai pas. Chris non plus. Il était vif, Pépé Ange, pas immortel. Quant à Phil, son enlèvement avait laissé des traces.
Autant dire que nous étions fait, comme des rats.

Ce fut alors que je sentis un changement.
Un changement dans mon corps.
Un changement dans mon cœur, plus tôt. Soudainement, j'avais retrouvé l'espoir.
Un changement dans ma tête, qui me faisait voir la distance, les accidents de terrain, les grains de lumière avec une netteté glaciale, dénuée de toute émotion... du moindre doute, de la moindre hésitation. Alincourt m'avait tout de même appris quelque chose finalement : comment mettre en sourdine le tumulte de ses émotions.
Et ce fut qui me donna cette force qui ne semblait ne pas connaître d'obstacle.
Une force qui sema la panique autour de moi.
Ainsi survécut Shaïness Raven-Cooper !
Car tel est mon nom !

Et le monde s'était ouvert comme un fruit qui éclatait sous les doigts. J'ai vu, j'ai entendu, j'ai senti...
Le crissement de l'insecte....
… le poids du ciel au-dessus de nos têtes...
Les Anges qui se rapprochaient inexorablement.

D'un coup de coude impérieux, j'orientais les deux Anges vers un tronc d'arbre, les incitant à me suivre, à se glisser derrière moi sous les racines. Je connaissais déjà le passage qui s'y trouvait, nous permettant de nous soustraire à la vue du GUANO, si tant était qu'aucun n'avait le haki comme moi. Je me retrouvai sous terre encore une fois, à haletant le nez dans la boue et le terreau humide. Lorsque nous sortîmes au grand jour, de l'autre côté d'un gigantesque arbre, ce fut comme une renaissance. Le soleil jouait à cache-cache avec les nuages poussés par un vent qui grossissait ; les rayons sur mon visage étaient une caresse, un instant de répit.

- « Je vais les attirer. » fit soudain Phil, le visage d'un calme étonnant.
- « Si on se sépare, c'est la mort assurée pour celui qui se fait attraper. »
- « Je sais. »
- « Hein ? Quoi ? Tu te sacrifierais ? »
- « Si on continue comme ça, on est tous morts. Un de nous doit tenter de les attirer. Or, entre Chris et moi, c'est encore moi qui aie le plus de chance de survivre seul. »
- « Ben justement, pourquoi ne pas profiter de cette occasion pour t'en débarrasser ? » Chris ne disait rien, trop occupé à cracher ses poumons. Mais il ne perdait pas une miette de l'échange.
- « Crois ce que tu veux, mais je n'ai aucun intérêt à la mort de Chris en ce moment. C'est surtout la tienne que j'essaie d'empêcher, car ça, ça mettrait les miens dans une merde incroyable. Or, tu es incapable d'abandonner Chris, comme le bon sens le voudrait. Ce n'est pas plus mal. Après tout, c'est peut-être parce que tu es comme ça que tu veux à ce point sauver Skypiea. »
- « Je refuse d'avoir à sacrifier qui que ce soit pour cela. Pas comme ça. »
- « Bah, ce n'était pas comme si tu avais le choix. Tu n'as qu'à te dire que désormais, ta mission est que mon sang soit le dernier à être versé. »
- « Non, atte--- » Il était déjà parti, hors de ma portée. Je pouvais toujours l'attraper avec un de mes fil, mais à quoi bon.
- « Pff, c'est bien de lui. Jouer le rôle du héros. Reconnaissons-lui qu'il l'aura joué jusqu'à la toute fin. Rien que pour ça, je le déteste encore plus, tout en sachant que c'est exactement ce genre de chose qui fait qu'il est indétestable. » grommela Chris en se redressant. J'oserais dire qu'il avait l’œil humide. Comme éloge funèbre, il y avait mieux. Il y avait pire aussi.
Une particularité locale, typique de Skypiea.

Phil Odendron n'avait jamais été un type bien. Il était le premier à l'admettre. Ambitieux par dessus tout, il n'avait jamais caché le fait qu'il doutait des capacités d'Alincourt en tant que Dieu. En fait, il avait plusieurs fois exprimé son désir d'abolir cette fonction de chef dont le mode de désignation lui paraissait opaque et même injuste. Certaines mauvaises langues chuchotaient qu'il pensait ainsi parce que lui-même n'avait pas été choisi pour devenir un disciple. Il était jeune, frôlant l'âge adulte, quand Chris avait laissé Dieu à ses lubies martiales, pour fonder Héailleutou. Assez mature pour se souvenir de la société dans laquelle il avait grandi, assez adaptable pour se faire à un nouveau mode de vie. Et désireux de s'y tailler la part du lion. Phil avait toujours voulu devenir Messie, à défaut de disciple. Phil Odendron n'avait jamais été un type bien.
Ça ne faisait pas de lui un mauvais type pour autant.
Ce n'était parce qu'il tenait à la vie et n'avait pas toujours agi en homme d'honneur qu'il en était dépourvu. De vie, d'honneur. A l'aube de sa mort, devant la menace qui planait sur ses jours, il s'était éveillé à ce qu'il y avait de mieux en lui.
L’instinct du survivant : Chris était un poids mort, et Shaïness ne connaissait pas la jungle comme lui. Seul il avait plus de chance d'échapper à ses poursuivants. Mais son ambition voulait aussi qu'il protégeât la diplomate : à quoi bon demeurer, s'il n'y avait personne à protéger, à diriger ? La mort de l'humaine scellait le sort de son peuple. Et en dépit de tout ce qu'on pourra dire, Phil vouait aux siens un amour sans limite. Il était fier d'être Ange. Il ne laisserait personne, ni les Shandias, ni les Sélénites, ni les Humains, réduire à néant la Voix de son peuple. Il était le dernier rempart contre les hordes barbares que Gisèle avait invitées. Ces Marines et ces Dragons Célestes. De véritables vampires : tant qu'ils n'étaient pas conviés, ils ne pouvaient pénétrer. La vieille Messie avait fait preuve d'une grande stupidité.
A lui donc de défendre les Anges.
Cette décision de se sacrifier n'était pas un honneur retrouvé, c'était un honneur bien que très particulier magnifié par les circonstances. La marque des vrais héros.

Côte à côte, Chris et moi reprîmes notre course.
J'ai vu, j'ai entendu, j'ai senti...
Le crissement de l'insecte....
… le poids du ciel au-dessus de nos têtes...
Les Anges qui cherchaient, qui s'éloignaient...
Je les ai vus s'acharner sur Phil, lui arrachant presque la peau alors qu'il vivait encore.
Et puis, plus loin encore, ville de Shanda.
J'ai dominé l'océan...
… la plage où venait de débarquer les Sélénites.

Personne ne peut vaincre les légendes qui font un peuple... un continent, un mythe !
Personne...
Si ce n'est la nature qui donne... et qui reprend.
Ce fut ce que j'ai compris ce jour-là.
Jour funeste.
Qui vit la mort d'un Ange qui aurait pu devenir un ami... un ami dévoré par ce qui le dépassait... cette foi qui lui faisait entrevoir d'autres vérités, d'autres forces devant lesquelles il avait refusé de plier... et qui cependant, devaient l'emporter.

Phil n'avait pas deviné le piège. Il tomba sur le coup... alors que m'étaient donné les quelques instants indispensables pour réagir, pour survivre... car depuis que j'avais accepté le don en moi, je devinais, je sentais avant les autres... tout ce qui autour de moi recelait un danger, une menace... ainsi qu'Alincourt qui s'avançait, armes à la main.

Le passé, l'avenir, ces deux moitiés de ma vie dont l'une dit jamais et l'autre dit toujours.
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Dieu venait de revenir du campement de la Secte de Skippy, où il avait brièvement rencontré Rafaelo. Il avait retrouvé sa fidèle camarade, son second bras-droit, assommée et laissée pour compte, son camp sans dessus-dessous, ses guerriers en train de se livrer à des actes de violence rare pour des Anges. Autant dire que cela ne fut pas du tout à son goût. Il poussa une gueulante, mit son petit monde au garde-à-vous, récupérera Tius par le fond de la culotte pour le mettre aux arrêts, et partit seul à la recherche de deux derniers électrons libres : Chris et Shaïness, l'ancien Messie et l’Étrangère, afin de remettre en ordre le royaume de Dieu.

Si j'avais encore des doutes sur la légitimé d'Alincourt comme Dieu, je fus informée de première main. L'Ange n'était pas le plus fort ou le plus rapide. Il n'était pas l'essence du guerrier : il était celle du général. Intelligent, sournois même, possédant une maîtrise complète de son haki et son fruit du démon, ce qui faisait toute la différence. Je savais finalement qu'en d'autres circonstances, j'aurais été admirative. Il était exactement ce que je pouvais devenir.... voulait devenir ?

Chris était à terre, juste assez conscient pour gémir après le coup porté par le plat de la lame qui l'avait atteint à la tempe. Il saignait, un peu, et déjà la plaie commençait à gonfler et à se violacer. Il allait avoir un superbe bleu. Le vent qui soufflait m'apporta l'odeur de sa peur.
- « NON MAIS ÇA NE VA PAS ? » hurlai-je. Je tentai de m'approcher de Chris, mais Alincourt me barra le passage.
- « Il s'est mêlé de ce qui ne le regarde pas. » me répondit-il d'un ton froid.
- « Tes hommes n'avaient qu'à pas nous capturer, pour commencer ! »
- « Mes hommes n'ont fait qu'obéir à mes ord-- »
- « Tuer Phil, c'était tes ordres peut-être ? »
Il eut l'obligeance d'afficher un rictus gêné.
- « Non. Je ne voulais pas tuer Phil. C'est un regrettable accident. »
- « …. … Comment va Lullaby ? »

Il n'avait pas encore porté d'attaque, alors qu'il n'avait pas hésiter à frapper Chris. Je ne savais pas ce qu'il me voulait, et sachant de quoi il était capable, je me méfiai, gardant entre nous une distance confortable.

- « Elle s'en remettra. Elle m'a dit deux-trois choses... intéressantes, va-t-on dire ? »
- « Oh pitié ! Arrête de tourner autour du pot. Elle t'a dit tes quatre vérités, et tu sais que ça vient de moi. Et tu n'aimes pas. »
- « En effet, je n'apprécie pas qu'on vienne pousser mes collaborateurs à la trahison. »
- « Elle ne t'a pas trahi. Bien au contraire. Et si tu étais honnête avec toi-même, tu le reconnaîtrais. Tu sais que j'ai raison. Tu sais que tu as besoin de moi. Tu as besoin de mon aide, non seulement pour faire face au dragon céleste, mais juste pour te sortir vivant du merdier dans lequel tu t'es fourré. Et la mort de Phil n'arrange pas les choses. »
- « Oh, j'ai besoin de toi ? » susurra-t-il en s'approchant. Un de mes fils claqua à quelques centimètres de ses pieds.
- « Reste où tu es ! »
- « Oh, tu as peur de moi ? »
- « Peur, non. Mais je n'aime pas tes pouvoirs, et je ne suis pas sûre de t'aimer, toi .En fait, je te déteste pour ce que tu m'as fait... Tu as fait ça comment ? » J'ignorai encore tout du fruit de la passion à ce moment de ma vie. Ça allait rapidement changer, bien entendu, mais à cet instant, je ne savais pas ce dont il retournait, d'où ma prudence soupçonneuse.

- « Pourquoi te dirais-je la vérité ? »
- « Pourquoi ne m'as-tu pas encore frappée ? » J'enchaînais, sans lui laisser le temps de répondre. « Nous savons très bien pourquoi : tu as besoin de moi. Et tu ne veux pas demander de l'aide. Et tu cherches un moyen de me faire t'aider, sans avoir à le demander. Tu cherches encore à m'embrouiller. »
- « Que tu le saches, c'est déjà bien. Mais ça ne va pas m'empêcher de réussir. »
- « Oh, je n'en suis pas si sûre. Ta technique ne fonctionnera plus avec moi. Pour la première fois depuis longtemps, Alincourt, tu vas devoir accepter que tu es dépassé par les événements. Tu vas devoir mettre des mots sur ce que tu ressens et veux. »
- « Tu crois vraiment que c'est, le problème ? »
- « Si ce n'est pas ça, je ne vois pas ce que ça peut être. Tu hais les Sélénites parce qu'ils ont détruit le Giant Jack, tu hais les Shandias parce que c'est ce qu'on t'a appris. Tout le monde pense savoir ce que tu penses, ressens, désires. Tu as fait tout ton possible pour correspondre à cette image, pour répondre à leur attente, au point que tu as oublié ce que c'était que de penser pour toi, par toi. Bon sang, tu ne vas pas me dire qu'appeler le GUANO à la guerre contre Héailleutou te semble vraiment, VRAIMENT, une BONNE idée ? »
- « C'est une idée, et c'est mieux que la plupart des autres propositions que j'ai pu envisager. » grommela-t-il d'un ton presque boudeur. Que la peste fût des entêtés orgueilleux.
- « Ah oui ? Mieux que m'écouter et faire la paix avec les Shandias ? »
- « Ah oui, comme s'ils avaient été ouverts à la discussion. Toi qui as testé leur... diplomatie... » il me désigna d'un mouvement de la main englobant mon état assez pitoyable « … comment peux-tu dire qu'une paix est possible ? »
- « Ils m'auraient peut-être prise au sérieux si je n'avais pas été un pantin sans émotion ! Tu as fait exprès de me... me... Tu voulais que j'échoue, tout ça pour te donner bonne conscience ! »
- « Bien au contraire, Shaïness de Grande Line. Je voulais que tu réussisses. Que tu arrives à battre Manguelita, que tu t'imposes selon les... règles de leur jeu. »
- « Mais bien entendu ! Seul un crétin pourrait penser que je peux me battre contre Manguelita et gagner ! Tu m'as vu ? »
- « Oui, je t'ai Vu. Exactement ça. Je t'ai Vu la battre. Je sais que tu en es capable. Je n'ai cherché qu'à t'aider. Tous ces sentiments en toi, c'était superflu. »
- « Mes sentiments sont très bien là où ils sont, merci bien ! »
- « … Sais-tu pourquoi Manguelita est si forte ? »
- « Elle s'est entraînée toute sa vie. »
- « Non. Elle ne s'est pas entraînée. Elle s'est battue. Depuis sa naissance, en effet. Elle s'est battue. Pas simplement s'entraînée. Elle a vécu le combat, dans tout ce que cela représente. Voilà comment sont formés les Guerriers. Par la souffrance, Shaïness. Je ne crois pas que tu aies éprouvé de grandes souffrances dans ta vie. Je ne suis pas certain que tu puisses en supporter de légères. Et ces souffrances ne sont qu'une petite partie de l'entraînement, le moindre des sacrifices. Alors, je t'ai enlevé tes sentiments. Au mieux, cela te permettait de battre Manguelita. Au pire, cela te rendait plus forte. »
- « Bien entendu, tu m'as souillée par bonté d'âme. » Pourtant, il n'avait pas tort : c'était bien la nécessité de me défaire de son emprise sur moi qui m'avait mené à maîtriser le haki.
- « Rooh, tout de suite les grands mots. Il ne faut pas prendre la vie aussi au sérieux ; ce n'était pas comme si tu avais une chance d'en sortir vivante. MWHAAAAAhéhé ! »

Son rire fit naître une fureur soudaine en moi. Malgré les bons conseils de Mangrove, je vis rouge. Franchissant rapidement la distance entre nous, j'empoignai Alincourt par sa veste. Ce dernier se retourna, me gifla à toute volée, me renversant au sol. Puis il se dressa au-dessus de moi, prêt à me donner un coup qui pourrait être final. Sous le choc, je vis des étoiles surimposées à son visage, et ma rage déborda. Quand il se pencha pour me saisir à la gorge, je lançai ma main gauche et perçus le contact avec son nez. Le corps secoué d'une sorte de spasme, Alincourt me lâcha en jurant ; ses bras et ses jambes s'ouvrirent, son corps s'arqua en arrière tandis que je reprenais la main sur ce combat.

Je commençai alors une attaque planifiée de « Dieu ». Je voulais le massacrer, le réduire en pulpe, l'empêcher de parler à jamais, de moquer encore une fois ma vie. Comment ça, je n'avais pas souffert ? Mais qui était-il pour me juger ainsi ? Que faisait-il que je fisse de plus pour Skypiea, pour qu'il me prît au sérieux ? Me faire couper une jambe ?
A chaque coup, mes fils se balançaient. Les rafales du vent amplifiant le mouvement, de telle sorte que je devais constamment danser sur le sol inégal pour ne par perdre l'amplitude et le rythme de mes armes. A croire que la nature elle-même voulait me faire perdre. Peut-être aurais-je dû voir un signe, comprendre que ce combat était futile. Cependant, je ne voyais comment faire en sorte que Dieu m'écoutât. Peut-être que si je le dominais physiquement, il acceptera sa défaite ?
J'abattis un coup oblique pour tenter de ficeler mon adversaire. C'était une de mes techniques préférées, avec un très bon ratio de réussites. Cependant, Alincourt,  comme porté par le vent, fonça droit sur moi au lieu de reculer, ce qui était pourtant la réaction habituelle. Ceci me permettait par ailleurs d'enchaîner avec une entrave pour déstabiliser mon opposant, le jetant à terre, et c'était là que je le saucissonnais. Mais Alincourt avança, une épée à la main, prêt à me frapper. Je parvins à esquiver à la dernière seconde ; il m'effleura, m’ébouriffant les cheveux. Nous continuâmes nos passes d'armes ainsi, chacun testant et surprenant l'autre dans ses techniques.
Soudain je me sentis glisser sur quelque chose et instantanément, je me retrouvais par terre, les jambes écartées à la limite de la déchirure musculaire. Au même moment, mon adversaire inversa son mouvement et revint droit sur moi, visant la tête. Je me jetai à terre, ignorant les protestations de mes muscles meurtris, et le coup passa à un doigt au-dessus de moi. Mon esquive n'avait pas été la meilleure des solutions après tout. Je me relevai à la hâte, haletante, et sortis de l'orbite d'Alincourt. Il fallait vraiment que je fisse attention à ne pas le laisser pénétrer dans mon espace personnel. Il était trop bon bretteur pour ça. Je devais maintenir le combat dans un mode « à distance ».
Le vent semblait aspirer l'air hors de mes poumons. Un nuage de poussière s'éleva, me piquant les yeux, obscurcissant ma vision. Tandis que je me frottai les yeux, j'entendis un mouvement. Je tournoyai sur moi-même au sein du tourbillon formé par le vent et mes fils, me retenant de peu de hurler un très étrange « à moi chaîne nébulaire » venu d'on ne savait où. Je perdis, à forcer de tourner, tout sens de l'orientation. Je sentis plus qu'autre chose le frottement de la lame contre l'air et je pivotai encore une fois, m'efforçant de me tenir à l'écart.
Alors même que je retrouvai la vue, il allongea sur la droite. Parce que la posture était étrange, je sus d'emblée que c'était une feinte. Comme je l'avais prévu, son épée se rabattit à la dernière seconde sur la gauche. Réagissant promptement, j'écartai la lame de mon opposant et lui donnai un violent coup de pied dans le ventre. L'Ange se plia en deux et je lui plantai la lame dans le cou.

Ou du moins c'était mon intention, mais j'eus un moment d'hésitation, juste une fraction de seconde, juste assez pour Alincourt pour éviter à son tour mon geste. Ce fut aussi ce qu'il fallait à Lullaby pour surgir hors des fourrés comme une folle, braillant à qui voulait l'entendre :
- « ALERTE !!! LA MARINE DONNE L'ASSAUT SUR SHANDA !!! »
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