Cours d'anatomie, chambre 22 de cette chambre paradisiaque.
Ton projet ? Couper, recoudre. Une simple exploration de ton épiderme. Mission de reconnaissance, qui un jour, te conduira à une véritable et magistrale greffe. Apogée de ton Art : la transformation d'un monstre marin en un humain... tout à fait humain. Une révolution. La nature détrônée par la volonté d'un poiscaille qui voulait se confectionner un nouveau corps.
Assis à ta table de nuit, le bras couché tel un patient sur un tas de vieux emballages plastiques; un théâtre pour une opération aussi hygiénique, sûr et stable qu'un terrier de fourmis rouges.
Ton épiderme est un fin sandwich, guère appétissant, peut-être même à la régularité perturbante lorsque tu le mates depuis la tranche. Mais tu sais, hein, la nature est comme ça, précise et routinière. Lorsqu'elle déniche une formule qui marche, elle l'applique sur tout ce qui se fait de vivant dans son petit univers. Comme par paresse, elle fonctionne par copiers/collers. Tu partages ce casse-croûte de peau, de chair et d'os, avec toutes les autres engeances marines, il n'y a que la couleur du pain qui varie d'un individu à l'autre.
Le tien est d'un gris sombre, évoquant vaguement le ciel lorsqu'il se laisse tacheter de lumière lunaire. Et cette peau, ta peau, tu t'en vas la découper, t'enlever un petit carré de cette carapace gluante que tu te trimbalais depuis tout petit. Tu es né avec, aujourd'hui tu la renies. Le vertige du temps te laisse complètement indifférent. Oh, oui, tu t'en vas la découper, précautionneusement, mais sûrement. D'abord un misérable cm², pour commencer. Mais tu comptes bien, un jour, t'écorcher vif, entièrement. Faire de ton cuir un manteau que tu garderas en souvenir de tes grises années, ou alors tu la revendras en tapis pour un salon.
Ton muscle, crispé sous ton propre scalpel, semble comme appeler à l'aide. Tu ne l'effleures pourtant pas, puisqu'il n'y a que cette croûte visqueuse qui t'intéresse; on l'appelle épiderme supérieur. Familièrement, on les nomme simplement écailles. Ton muscle se contracte, corrompt ta palme dans son spasme; tu sers le poing. Tu grinces les crocs, tandis que remonte à tes naseaux ce fumet si caractéristique, cette épice agressive que tu as toujours attribué à tes plus terribles repas. Le sang.
Ton sang.
Le fumet de ton sang.
Ton muscle engourdi, capitulant sous ta lame.
Ta palme froissée et tes veines pleurantes.
Le fumet de ton sang escaladant tes sinus.
Sur ton museau fleurit le sourire. Et ce sourire confirme à ton corps la domination qu'exerce cet esprit malade sur lui.
Et la brûlante tartine d'écailles que tu sépares de ton bras. Elle se décolle, sans vraiment résister, tel un autocollant, un pastiche, un costume de foire, ça ne peut être ton vrai corps. Tu mérites mieux que ce reflet qui te contemple depuis son miroir. Il ne peut être toi, il n'a pas le droit d'être toi. Une aberration extirpé comme par magie d'un stupide conte de fée, dans lesquels les monstres ont le droit à leur âme.
Ton sourire périt, assassiné traîtreusement par la douleur. Tu ne parviens plus à accrocher le regard de la créature qui t'observe dans la glace; c'est fini. Il t'est devenu autant étranger que n'importe lequel de ces dangers anonymes qui se prétendent être tes collègues. Ta confiance, ces derniers temps, a vu son prix grimper en flèche; si bien qu'il en est devenu si exorbitant que même ton reflet n'a plus les moyens de se l'offrir.
Il n'est pas toi.
Tu es ce squale.
Il est si monstrueux, si effrayant.
Tu te fais subtiliser par ce miroir.
Tu deviens ton propre reflet.
Tu t'étrangles en pestant.
Changer est à ta portée. Tu devras aller loin, t'aventurer dans les plus sordides recoins de la chirurgie esthétique. Il ne s'agit pas seulement de te redresser le nez; il s'agit de devenir humain, il s'agit d'adopter leur peau poreuse et aride, leur nez étroit et leurs lèvres pulpeuses et mesquines; et alors tu pourras, si tu le souhaites, rire à ton tour de la différence; te gausser des hybrides et les traiter comme le bétail qu'ils sont.
Tu plonges tes yeux dans ta chair nue. Elle rougit et palpite. Elle convulse et pleure son sang. Elle devient caverne boueuse peuplée de bactéries. Mais tu étouffes ses gémissements sous un coton imbibé de désinfectant. Le sujet serait prêt à accueillir sa greffe.
C'que je fais... tu m'en voudrais. Tu me détesterais pour ça, je te décevrais. Tu m'prendrais pour un taré, t'aurais raison. J'ai déraillé, frangin, sans toi pour m'aiguiller. C'est bien trop tard pour faire machine arrière.
Il est loin, l'esprit à qui tu t'adresses. Loin par delà les eaux et les idéaux. Mais te confesser à tes souvenirs est toujours plus satisfaisant que supporter seul le poids de la honte et du remord.
M'en veux pas. C'est tout ce qui me reste.
On restera quand même frères, de toute façon. Hihi.
Un esprit brisé fracture bien souvent avec lui le corps qui le transporte.
Les ciseaux t'adjurent, tandis que ton regard s'éternise sur ta palme frémissante. Disgracieuses excroissances d'écailles pourrissantes entre tes doigts, tandis qu'elles sont ne caresseront plus jamais le noir océan, leur inutilité ne trouve à présent plus d'égal autre que ta déchéance. Ta palme veut devenir main; tu le veux. Il suffit d'élaguer ces lambeaux croustillants, secs et durcis, qui font de tes paluches d'hideuses pelles sales. Les doigts de ton bras bourreau se faufilent jusqu'aux ciseaux acérés. Le couperet longe ton pouce, la sentence est prononcée.
Cette chair craquée fait appel.
L'appel est rejeté.
De féroces fourmis te dévorent de l'intérieur.
Elles creusent leur mégapole en ton bras.
L'angoisse contracte ta palme.
Et la guillotine juge ta palme.
Aaa-Aaaah...
A moitié détaché. Ton pouce n'est plus relié à cette putride toile. Une ligne de sang se trace, tu la touches des yeux. Durant un débris de seconde, tu as mal. Une brûlure infernale consumant ton pouce. Puis de nouveau, c'est de la fenêtre grande ouverte sur ton biceps cru que surgissent les hurlements de ton corps. La douleur. La souffrance physique. Une blague. Les plus graves lésions entaillent l'esprit. Et s'infectent, noyant chacune de tes pensées dans un pus infâme mêlé aux immondices sanguinolentes pissées par tes autres blessures narcissiques.
Aaaah... Haha.
Personne n'est capable de te recoudre l'âme. Mais le corps, c'est le simple amour d'une aiguille à tricoter et d'un fil noir.
Tu aurais du commencer par là. Par l'humanisation de tes dix doigts. La main est le symbole de la conscience : comme elle, elle attrape, elle tâte, elle caresse, elle frappe. Tu te dois d'en avoir une qui ne soit pas bâtarde, issue d'un maladroit patchwork de la folie humaine avec la machine animale.
Que ton empreinte devienne humaine.
Ton projet ? Couper, recoudre. Une simple exploration de ton épiderme. Mission de reconnaissance, qui un jour, te conduira à une véritable et magistrale greffe. Apogée de ton Art : la transformation d'un monstre marin en un humain... tout à fait humain. Une révolution. La nature détrônée par la volonté d'un poiscaille qui voulait se confectionner un nouveau corps.
Assis à ta table de nuit, le bras couché tel un patient sur un tas de vieux emballages plastiques; un théâtre pour une opération aussi hygiénique, sûr et stable qu'un terrier de fourmis rouges.
Ton épiderme est un fin sandwich, guère appétissant, peut-être même à la régularité perturbante lorsque tu le mates depuis la tranche. Mais tu sais, hein, la nature est comme ça, précise et routinière. Lorsqu'elle déniche une formule qui marche, elle l'applique sur tout ce qui se fait de vivant dans son petit univers. Comme par paresse, elle fonctionne par copiers/collers. Tu partages ce casse-croûte de peau, de chair et d'os, avec toutes les autres engeances marines, il n'y a que la couleur du pain qui varie d'un individu à l'autre.
Le tien est d'un gris sombre, évoquant vaguement le ciel lorsqu'il se laisse tacheter de lumière lunaire. Et cette peau, ta peau, tu t'en vas la découper, t'enlever un petit carré de cette carapace gluante que tu te trimbalais depuis tout petit. Tu es né avec, aujourd'hui tu la renies. Le vertige du temps te laisse complètement indifférent. Oh, oui, tu t'en vas la découper, précautionneusement, mais sûrement. D'abord un misérable cm², pour commencer. Mais tu comptes bien, un jour, t'écorcher vif, entièrement. Faire de ton cuir un manteau que tu garderas en souvenir de tes grises années, ou alors tu la revendras en tapis pour un salon.
Ton muscle, crispé sous ton propre scalpel, semble comme appeler à l'aide. Tu ne l'effleures pourtant pas, puisqu'il n'y a que cette croûte visqueuse qui t'intéresse; on l'appelle épiderme supérieur. Familièrement, on les nomme simplement écailles. Ton muscle se contracte, corrompt ta palme dans son spasme; tu sers le poing. Tu grinces les crocs, tandis que remonte à tes naseaux ce fumet si caractéristique, cette épice agressive que tu as toujours attribué à tes plus terribles repas. Le sang.
Ton sang.
Le fumet de ton sang.
Ton muscle engourdi, capitulant sous ta lame.
Ta palme froissée et tes veines pleurantes.
Le fumet de ton sang escaladant tes sinus.
Sur ton museau fleurit le sourire. Et ce sourire confirme à ton corps la domination qu'exerce cet esprit malade sur lui.
Et la brûlante tartine d'écailles que tu sépares de ton bras. Elle se décolle, sans vraiment résister, tel un autocollant, un pastiche, un costume de foire, ça ne peut être ton vrai corps. Tu mérites mieux que ce reflet qui te contemple depuis son miroir. Il ne peut être toi, il n'a pas le droit d'être toi. Une aberration extirpé comme par magie d'un stupide conte de fée, dans lesquels les monstres ont le droit à leur âme.
Ton sourire périt, assassiné traîtreusement par la douleur. Tu ne parviens plus à accrocher le regard de la créature qui t'observe dans la glace; c'est fini. Il t'est devenu autant étranger que n'importe lequel de ces dangers anonymes qui se prétendent être tes collègues. Ta confiance, ces derniers temps, a vu son prix grimper en flèche; si bien qu'il en est devenu si exorbitant que même ton reflet n'a plus les moyens de se l'offrir.
Il n'est pas toi.
Tu es ce squale.
Il est si monstrueux, si effrayant.
Tu te fais subtiliser par ce miroir.
Tu deviens ton propre reflet.
Tu t'étrangles en pestant.
Changer est à ta portée. Tu devras aller loin, t'aventurer dans les plus sordides recoins de la chirurgie esthétique. Il ne s'agit pas seulement de te redresser le nez; il s'agit de devenir humain, il s'agit d'adopter leur peau poreuse et aride, leur nez étroit et leurs lèvres pulpeuses et mesquines; et alors tu pourras, si tu le souhaites, rire à ton tour de la différence; te gausser des hybrides et les traiter comme le bétail qu'ils sont.
Tu plonges tes yeux dans ta chair nue. Elle rougit et palpite. Elle convulse et pleure son sang. Elle devient caverne boueuse peuplée de bactéries. Mais tu étouffes ses gémissements sous un coton imbibé de désinfectant. Le sujet serait prêt à accueillir sa greffe.
C'que je fais... tu m'en voudrais. Tu me détesterais pour ça, je te décevrais. Tu m'prendrais pour un taré, t'aurais raison. J'ai déraillé, frangin, sans toi pour m'aiguiller. C'est bien trop tard pour faire machine arrière.
Il est loin, l'esprit à qui tu t'adresses. Loin par delà les eaux et les idéaux. Mais te confesser à tes souvenirs est toujours plus satisfaisant que supporter seul le poids de la honte et du remord.
M'en veux pas. C'est tout ce qui me reste.
On restera quand même frères, de toute façon. Hihi.
Un esprit brisé fracture bien souvent avec lui le corps qui le transporte.
Les ciseaux t'adjurent, tandis que ton regard s'éternise sur ta palme frémissante. Disgracieuses excroissances d'écailles pourrissantes entre tes doigts, tandis qu'elles sont ne caresseront plus jamais le noir océan, leur inutilité ne trouve à présent plus d'égal autre que ta déchéance. Ta palme veut devenir main; tu le veux. Il suffit d'élaguer ces lambeaux croustillants, secs et durcis, qui font de tes paluches d'hideuses pelles sales. Les doigts de ton bras bourreau se faufilent jusqu'aux ciseaux acérés. Le couperet longe ton pouce, la sentence est prononcée.
Cette chair craquée fait appel.
L'appel est rejeté.
De féroces fourmis te dévorent de l'intérieur.
Elles creusent leur mégapole en ton bras.
L'angoisse contracte ta palme.
Et la guillotine juge ta palme.
Aaa-Aaaah...
A moitié détaché. Ton pouce n'est plus relié à cette putride toile. Une ligne de sang se trace, tu la touches des yeux. Durant un débris de seconde, tu as mal. Une brûlure infernale consumant ton pouce. Puis de nouveau, c'est de la fenêtre grande ouverte sur ton biceps cru que surgissent les hurlements de ton corps. La douleur. La souffrance physique. Une blague. Les plus graves lésions entaillent l'esprit. Et s'infectent, noyant chacune de tes pensées dans un pus infâme mêlé aux immondices sanguinolentes pissées par tes autres blessures narcissiques.
Aaaah... Haha.
Personne n'est capable de te recoudre l'âme. Mais le corps, c'est le simple amour d'une aiguille à tricoter et d'un fil noir.
Tu aurais du commencer par là. Par l'humanisation de tes dix doigts. La main est le symbole de la conscience : comme elle, elle attrape, elle tâte, elle caresse, elle frappe. Tu te dois d'en avoir une qui ne soit pas bâtarde, issue d'un maladroit patchwork de la folie humaine avec la machine animale.
Que ton empreinte devienne humaine.