Lyon-sur-Loques. Un semblant de ville où ce qui s’en rapproche le plus à des milles à la ronde. Du bois détruits assemblés on ne sait comment en un même lieu. Des entrailles de vaisseaux vaincus et en ruine à qui l’on a donné un rien de seconde chance afin de devenir autre chose. Plus jamais ces navires ne vogueront, plus jamais ils n’iront narguer l’horizon. Et ce tout fait partie du cimetière des épaves, un nom charmant quoi que déroutant. A-t-il été choisi pour les ruines des navires qui hantent cet endroit, où pour ceux qui vivent là ? Difficile à dire. Quoi qu’il en soit, c’est là que débute cette histoire, un soir, au fond d’un bar où trois lascars sans gloire narrent racontars et bobards. Le teint blafard, le regard hagard à force de trop boire, les voilà qui s’égarent, s’esclaffent et se marre, dans la pénombre, dans l’ombre, dans le noir, sur le butin à avoir, un trésor, un gâteau ou tout du moins une juteuse part...
A l’intérieur de la taverne de fortune, trois ombres grognent, parlent et crachent autour d’une lanterne qui a toute les peines du monde à éclairer leurs têtes encapuchonnés. L’endroit est à l’image de la clientèle qui la fréquente. Ça pue et c’est mouillé, ça tue et c’est rouillé. Tocards et ploucs se donnent rendez-vous dans ce bouge minable pour en finir avec le peu de dignité que la vie leur a laissé. Réunis autour d’une table qui n’en a que le nom et plus du tout l’allure, les malfaiteurs s’entretiennent à voix basses et à voix lâche en se regardant dans le blanc des yeux. Il s’agit là des Fratelli, une fratrie de salaud allaité tout jeune au lait bourbon et ayant grandi dans le vice et l’arnaque. La duperie et la roublardise ont façonné ces trois clampins qui n’ont jamais connu autre chose que ce mode de vie où la violence est reine et où le poing est roi.
Eddy Fratelli. Le cadet de la famille, mais aussi le plus fourbe et le plus envieux. Eddy a grandi dans le même univers que ces deux ainés. Toutefois, plus jeune et plus frêle, il a été le souffre-douleur de ses frangins qui lui ont fait connaitre l’école du crime. Avare comme personne et envieux comme tout le monde, il n’hésite jamais à jouer du poinçon pour obtenir ce qu’il souhaite. Il vous suit et vous traque, il se terre et se cache. Et au moment où vous vous y attendez le moins, à l’instant propice et opportun, il vous gratifie d’un large sourire à la gorge avant de vous faire les poches et de vous donner une leçon sur l’art de fuir et d’échapper à des poursuivants. Oui, il aime bien parler aux autres, surtout lorsqu’ils sont raide mort à ses pieds.
Une ordure de première qui en fait l’élément perturbateur de la bande. Aussi, bien que pouilleux et de basse extraction, l’enflure se pouponne et se parfume. Par contre, il n’a jamais pris le moindre bain de toute sa misérable vie. Faire trempette, voilà la pire des choses qu’il puisse lui arriver. A croire qu’il a mangé le fruit d’la crasse tellement il fuit l’eau. Par conséquent, se retrouver ici, là où mouiller ne s’accorde pas qu’à ses dames lui était quasiment insupportable. Voilà pourquoi il était irrité en permanence. Son visage pingre et sa mine malade avait bien besoin de ça pour salir un peu plus le tableau noir qu’est sa vie au quotidien. Assis sur sa chaise et les jambes relevées comme s’il craignait que le plancher ne se dérobe sous ses pieds, le voir dans cette position et constamment sur le qui-vive avait de quoi amuser Jimmy, l’arme lourde de la famille.
Jimmy, Jim-bo,Jim-bobo ou bien encore hey le gros. Plus communément appelé Tchou-tchou par ses frangins en référence à son adoration pour les trains. Aussi parce que ça fait fou-fou et un brin zinzin, enfin, pas bien malin quoi. Ce qui colle tout à fait au personnage qu’est Jimmy. La gentillesse et la flemme, la simplicité et la lenteur, voilà ce qui caractérise Tchou-tchou. Le musclé de la famille n’a aucun muscle apparent. Oui, c’est une boule de gomme qui roule plus qu’il ne marche. Le bouboule ne se défait jamais de ses accessoires fétiches : son baluchon dans lequel il fourgue un nombre incroyable de casse-dalle en tous genres. Un vrai garde-manger qu’il porte à longueur de journée à bout de bras. Son autre truc qui ne le quitte jamais est son peigne qui lui sert à coiffer son unique mèche qu’il porte fièrement sur le cailloux poli qui lui sert de tête. S’il ne paye pas d’mine au premier abord, il n’en reste pas moins une brute épaisse et inarrêtable si l’on s’en prend à ses frangins, à son peigne, à sa bouffe ou si l’on fait une remarque désobligeante sur son poids. En dehors de ça, c’est une vrai crème prêt à tout pour épauler l’ainé de la famille.
- As de cœur !
- Bordel, quoi as de cœur ? On est en train de jouer à Bière - Bourrin - Lopette - Termite - Clodo - Planche de bois là ! Où tu vois qu’on joue avec des cartes ? Et arrête d’essayer de faire une carte avec tes gros doigts boudinés !
- As de cœur ! As de cœur !
- Putain ! T’es vraiment con Tchou-tchou !
- As de coeuuuuuur !
- Graaaaah !!
- Ne t’énerves pas Eddy, c’est rien. T’as gagné Jimbo, on ne peut pas lutter contre toi, finis donc ton sandwich tu dois avoir faim.
L’ainé de la famille. Le plus calme de la troupe, mais le plus intelligent aussi et de loin. Ronny. Si les deux autres sont encore de ce monde, c’est bien grâce à Ronny. L’homme qui fait les plans, l’architecte, la tête pensante de la famille. Celui de qui n’importe quel père versé dans le crime dirait qu’il est fier. Ronny avait une petite barbe et un chapeau de cow boy sur la tête que lui avait offert Jimmy quand ils étaient petits. Bien sûr, Ronny n’a pas voulu faire de peine à son petit frère en lui rappelant que ce chapeau-là ne faisait pas du tout l’affaire et qu’on était loin des tricornes qui sied usuellement à la noble profession de pirate. Mais Ronny s’en fichait, il l’aimait bien ce chapeau et puis le dernier seigneur des pirates arborait bien un chapeau de paille de paysan, comme quoi on pouvait bousculer un peu tous les pseudos code établit ici et là. Sous la pénombre de son chapeau, Ronny observait les pirates installés au bar et ceux au fond d’la salle. Un peu tout un chacun tentait de savoir ce qui se disait entre frère parce que la rumeur allait bon train : ils étaient proche de trouver le trésor de Willy le borgne. Se grattant les partis tout en défiant le plus chaud du coin du regard, Eddy fut rappelé à la table après que Jimmy lui en colla une sur ordre de Ronny le mythomane. Ah, petite précision nécessaire en effet, Ronny est un fieffé menteur, c’est comme une seconde nature chez lui.
Reste avec nous Eddy. Bon, va falloir faire très attention à ce qu’on dit et plus encore à ce qu’on fait. On est surveillé et au moindre faux pas on finira sous l’eau, alors va falloir la jouer fine.
- J’suis fin, ça devrait aller, pas vrai frangin ?
- Oui c’est vrai Jimmy, mange un peu, tu dois garder tes forces.
- Ouai bouffe Tchou-tchou et laisse nous causer tranquille !
- As de cœur !
- Oh putain... Il r'commence le mec.
- Concentrez-vous ! Bon, on va attendre ici qu’un peu tout ce beau monde se tire et on fera pareil en passant par la porte de derrière. Ensuite on se séparera pour finalement se réunir vers la quincaillerie de... Vous savez, le type dont on s’fout de sa gueule parce qu’il chante un vieil air ringard.
- Le type au falzar à carreaux ? Arlequin ?
- Précisément, il détient une partie de la carte qui nous manque, j’ai payé une petite fortune pour avoir cette information.
- Pourquoi tu mens frangin ? On était tous les trois. Même que Tchou-tchou tenait le pauv mec à qui j’ai soutiré tout ce qu’il savait en le poinçonnant un peu partout.
- ... Tu veux que j’demande à Jimbo de t’en recoller une pas vrai ?