Mutinerie.
Un jour sans soleil, gris et terne. Et sous ce ciel, la vieille caravelle file à une allure démentielle. Le vent lui gonfle les voiles, le vent lui donne des ailes. Fière et belle, embarquant hommes fort et frêle. Vers le lointain, vers l’avenir. Pour le meilleur ou pour le pire. Dans la sueur du labeur, dans la clameur des rires. Tous sur le front, à briquer le pont, à faire chanter les canons. La vie des forbans, la vie sur l’océan. Une vie sans lendemain, une vie de l’instant. Où rien n’est écrit, là où un rien suffit. A tromper les cœurs, à faire germer la peur. A semer le doute, plus d’en avant toute...
Le jour fait place à la nuit. Une nuit où luisent l’astre d’argent et son collier de perles étoilés. La dernière aventure a conduit ce navire tout droit dans un guêpier. Dans la gueule du loup où nous attendait la marine. A force de rêver on en oublie les cauchemars qui peuvent aussi arriver. Dans ce bourbier on a laissé derrière nous les corps des camarades vaincus, l’or promis et dû et une part d’orgueil aussi. Il n’en fallut pas plus pour que ne débute la mutinerie. Les mutins avaient pris le contrôle de la salle d’arme et de la poudrière. Le nombre et la force était de leur côté quant au capitaine, il s’était retranché dans ses quartiers, sous son bureau renversé où il avait passé un nombre incalculable d’heures à nous dessiner une route toute tracé vers ce qui s’était avéré être un piège. De toute ma vie, je n’avais jamais rencontré d’homme plus intelligent que notre capitaine. Dès lors, se retrouver dans la situation critique dans laquelle nous nous trouvions était de loin inimaginable. A bien y réfléchir, la marine devait grouiller d’hommes d’exceptions aussi malin et même plus que notre guide. Alors que je profite de mes derniers instants pour coucher sur le papier ce que je ressens en ce moment, je ne peux m’empêcher de penser à ce gamin que nous venions de prendre à notre bord. Le pauvre, tout jeune et bientôt raide mort. Pourtant, il semble presque calme. Le mousquet dans ses mains ne tremble pas et malgré ce qui se passe, il continue de prendre ses ordres du capitaine. En tout nous avons six bons hommes dont le regard et le canon sont tournés vers la large porte qui nous sépare des mutins au dehors. Il crie, il hurle à la mort. Il blâme le capitaine de tous leurs maux au nom de ceux qui ont trouvé la mort dans la dernière escapade. Pauvres idiots, ainsi est faite la vie des gens qui ont choisi les voiles noirs. Il n’y a rien de sûr sur l’océan, rien d’éternel non plus. La seule chose qui soit constante est justement ces imprévus qui surviennent sans qu’on ne puisse réellement les prédire. Je ne suis pas un homme de violence, je suis un homme curieux. Un homme qui n’a pas su résister à l’appel de l’océan et à la promesse d’une vie trépidante. D’une vie que j’aurai su consigner dans mon registre en espérant qu’il ne finira pas au fond des eaux. Je paye aujourd’hui ma part de péchés et de vices, ma part d’ombre ira sur l’autre rive en même temps que les vôtres, mutins !Chip’
Première salve : je reste à terre, planqué. Ces chiens arrivent, le premier qui franchit l’entrée est celui qui se fait cueillir en premier par mon coup de fusil. Je m’élance et esquive de peu une lame brillante qui coupe mon ombre en deux en me ratant de peu. Mon pied fauche sa jambe et une fois au sol, mon talon rencontre sa joue. Je continue, ma crosse fracasse un crane à ma droite et le cylindre en métal de mon arme part un coup à ma gauche. Les autres aussi s’élancent dans mon sillage. Plus rien à perdre, la mort ou la gloire ! A six contre un, ça reste jouable. On m’agrippe par la taille et on me tient par le col. Mon coup de boule bousille le nez de l’enflure d’en face tandis que Chip’ brise une bouteille de verre sur la tête de celui qui me tenait. On continue, je vois le capitaine devant moi avec une lame dans chaque main. Bigre, il est drôlement bon. Il tranche, coupe et déchire sans le moindre doute, sans la moindre hésitation. On dirait qu’il est comme possédé. Moi je poursuis, assurant ses arrières tout en faisant gaffe à mes miches On se jette à nouveau sur moi, je recule d’un bond en arrière et le lourdaud tombe à mes pieds, une petite droite sur le haut du crâne et le voilà partit pour le monde du rêve, là où il pourra trouver n’importe quel trésor aussi facilement qu’il le souhaitait. Tout à coup le bateau se met à tanguer et à pencher d’un côté. Ce qui semblait être que l’effet de la houle s’avère être autre chose alors que le navire se fait happer à contre vent par un courant ascendant. Les corps volent dans tous les sens quand soudain s’envole le mien. Au dernier moment, une main salvatrice me garde auprès d’elle : c’était encore Chip’. Tous deux nous nous cramponnions au mât en voyant les autres s’éparpiller puis se briser sur le pont. Quelques minutes plus tard, il n’y avait plus personne, j’étais seul, seul sur un morceau de mât brisé alors que je pouvais voir les vestiges du vaisseau rejoindre d’autres navires éventrés, où est-ce que j’étais à la fin?