Tonio se mit sur la pointe des pieds pour regarder ce qui déclenchait les murmures et les petits sauts sur place de ses camarades. Ils étaient debout, en rang à côté de la porte de la salle de classe. Comme tous les matins, ils attendaient l’arrivée de leur professeur, un homme mystérieux au visage recouvert d’un casque qu’il appelait de ‘’motto’’. Une histoire de devise, Tonio ne comprenait pas bien. On lui avait dit que ce serait plus clair plus tard.
Enfin, le groupe d’orphelins de Kage Berg se calma à l’approche du professeur et d’un inconnu. C’était donc ça qui rendu curieux les copains ? Il jeta à peine un regard à leur tuteur pour se concentrer sur le nouvel arrivant. Une demi-tête de plus, les cheveux bruns un peu longs et un beau costume-cravate noir comme dans les histoires de gens importants. Et il marchait avec une mallette en cuir également noir à la main. Vraiment comme dans les histoires et comme dans le journal parfois !
Les enfants se turent pour la plupart, excepté le chuchotement occasionnel, regardant avec curiosité le duo approcher, leur pas claquant sur le parquet du couloir. La discussion des adultes s’arrêta également au moment où ils arrivèrent à côté des orphelins. Le professeur Bidh Ulhe les invita à entrer après avoir déverrouillé la salle de classe, sa posture indiquant confusément à Tonio une certaine raideur.
Le jeune garçon d’une dizaine d’année s’assit à sa place habituelle, au troisième rang à côté de la fenêtre. Les bavardages avaient bien entendu repris sitôt qu’ils avaient commencé à entrer, à s’asseoir, à ouvrir leurs cartables. Tous se demandaient qui était l’inconnu, pourquoi il était là, et ce qu’il allait se passer.
La réponse ne se fit pas attendre. Au signal quotidien de commencer à prêter attention, le professeur commença à parler, de sa voix grave et douce habituelle :
« Bonjour, les enfants. Avez-vous passé une bonne nuit ?
- Oui, s’écrièrent-ils tous en même temps comme leur voulait leur habitude.
- Tant mieux. Aujourd’hui, vous avez dû vous en rendre compte, c’est un peu particulier. Nous avons en effet parmi nous… Je vais le laisser se présenter.
- Oui, tout à fait. Bonjour à tous. Ahem… Je suis Albus D’Humberdoor. Je travaille au Service Mondial de Sécurité de l’Enfance. Je réalise actuellement un audit de toutes les structures d’accueil dans le cadre du CPOS, Contrôle Programmé des Orphelinats Subventionnés. »
Les enfants échangèrent des mines interrogatives, Alexia se préparant même à lever la main, encouragée par les regards de ses camarades. Alors que le professeur allait prendre la parole, Albus comprit et reprit la parole :
« Je viens m’assurer que l’orphelinat fonctionne bien et respecte les règles du Gouvernement Mondial. »
Bidh Ulhe acquiesca et ajouta :
« Monsieur D’Humberdoor assistera donc à cette journée, probablement à quelques autres également. Il sera au fond de la salle. Je compte sur vous, les enfants, pour être sages et attentifs. »
Et le cours commença.
D’abord, la plupart des enfants étaient tendus, jetant, comme leur professeur, de nombreux regards derrière eux. Monsieur D’Humberdoor était assis tout à l’arrière, sa mallette ouverte à côté de lui. Et il prenait des notes. Sur le cours, probablement. Sur la pédagogie, peut-être. Sur les locaux, il se pourrait bien. Ou peut-être qu’il faisait des dessins, comme Alexia. Tonio se promit d’aller voir.
Au bout d’une petite heure, les chuchotis et les petits messages sur papiers avaient suffisamment circulé. Tonio était prêt. Son arme était prête. Ses munitions étaient prêtes. Le signal de l’attaque atterrit finalement sur sa table, lancé par Charlie, le Général. Un papier roulé en boule sur lequel des stries rouges étaient nettement visibles.
Les yeux du jeune garçon se fixèrent sur Bidh Ulhe. Il était totalement immobile, paré pour passer à l’assaut. Ayant finalement achevé son explication présente, le professeur se tourna vers le tableau noir pour l’effacer et réécrire par-dessus à la craie. Sitôt qu’il tourna le dos, d’un mouvement souple poli par des heures d’entrainement, Tonio se prépara à faire feu…
Une avalanche de boulettes en papier atterrit sur Jack, deux rangs devant, qui se cacha la nuque derrière les mains, attendant que la pluie d’objets se termine. Mais l’ordre était de faire feu à volonté. Aussi, Tonio glissa ni une ni deux une autre boulette dans le stylo évidé qu’il utilisait comme sarbacane et tira une seconde salve.
L’attaque, d’une agressivité rare, leur apporterait la victoire pour la journée, les adversaires sûrement dépassés par cette embuscade aussi surprenante qu’éphémère.
Sur ces entrefaites, Bidh Ulhe se retourna vivement, alerté par le bruissement. Mais la classe était calme, tout le monde regardait attentivement le tableau. Il ne manqua cependant pas de remarquer, malgré la visière du casque qui obscurcissait son champ de vision, les nombreuses boulettes de papier autour de Jack. Mais il ne dit mot, n’adressant qu’un bref coup d’œil à l’inspecteur, espérant qu’il n’avait rien remarqué. Ce dernier, penché sur ses notes, les contemplait pensivement.
***
Le temps de la récréation sonna enfin. Les enfants se levèrent tous en cœur. Il y aurait des vengeances et d’autres plans. La guerre amicale que se livraient les deux factions de l’orphelinat continuerait. D’un côté, les Protecteurs d’Elemiah, dirigés par Charlie, l’équipe de Tonio. De l’autre, les Soldats du Royaume, de Jack.
Tonio fut le dernier à sortir, fermant la porte derrière lui. Il ferma les yeux et inspira profondément. Maintenant commençait son rôle d’Espion des Protecteurs. L’information, c’était le pouvoir, avait coutume de dire Charlie. Il l’avait lu quelque part et avait fait de cette maxime sa devise.
Silencieusement, l’Espion se colla au battant de la porte, puis appliqua son œil sur le trou de la serrure, suffisamment large pour lui permettre de distinguer l’intérieur. De même, les murs étaient suffisamment fins pour lui permettre de comprendre les mots échangés.
Il put donc voir Albus entrer dans son champ de vision et s’asseoir sur une table à côté du bureau de Bidh Uhle.
« Un premier avis sur le cours ? Ou peut-être gardez-vous vos conclusions pour le rapport, monsieur D’Humberdoor ?
- Hum, non, bien sûr, je peux vous en parler. Le cours était bon, je n’ai rien à dire dessus. Surtout des questions, hum…
- Qui sont ? Je peux sûrement vous répondre.
- Bien entendu, bien entendu… Comment gérez-vous la différence d’âge entre les différents élèves ? Le plus âgé devrait avoir quinze ans, d’après mes informations, et le plus jeune huit, n’est-ce pas ?
- Ah oui. Je gère ça à l’arrivée. Je fais des sessions de rattrapages aux plus jeunes, et rapidement ils reviennent à niveau. Cela leur demande beaucoup de travail, évidemment, mais ils sont motivés, et leurs camarades les aident également.
- Je vois, je vois. Une bonne ambiance de franche camaraderie et d’entraide, donc.
- C’est tout à fait ça. »
La voix de l’inspecteur baissa d’un ton, Tonio devant désormais coller son oreille contre le trou de la serrure pour entendre la suite de la conversation.
« Et la bataille de boulettes de papier ?
- Ah, ça… C’est totalement innocent. Je vais vous expliquer. Tout a commencé avec une partie de balle au prisonnier. Les deux équipes ont été constituées puis des revanches ont été jouées, des belles, aussi. Progressivement, la rivalité amicale s’est étendue à d’autres secteurs, y compris celui des études. Evidemment, je jugule tout cela pour ne pas que ça dérape.
- Parce que cela a déjà dérapé ?
- Non. Et cela n’arrivera pas. Ces enfants sont très malins, vous savez, ils jouent mais comprennent bien les limites du jeu, et qu’en dépassant ces limites, ils ne feraient qu’escalader le jeu au point de me forcer à intervenir, ce qui n’est dans l’intérêt de personne.
- J’en prends note.
- Et sinon… »
Avec le sentiment d’avoir écouté quelque chose qu’il n’aurait pas dû entendre, Tonio s’écarta doucement de la porte puis partit en courant dans les cours. Après tout, après le Conseil Stratégique auquel il n’avait pas pu assister, un duel de billes était prévu entre Alexia et Jack !
Dernière édition par Alric Rinwald le Jeu 16 Avr - 17:10, édité 1 fois