Il y a quelques mois de cela, je voguais dans les mers d’East Blue, sans réelle destination. Honnêtement, ce voyage avait été pour moi une totale remise en question, ne sachant plus exactement ce que demain me réservait. Je n’avais que quelques notions de navigations, mais ce n’était absolument pas suffisamment pour naviguer sereinement dans ces eaux. Bref, je laissais le vent m’emporter où bon lui semblait, et pour le coup, ce n’était peut-être pas si bête. De toute manière, il m’était difficile de voir au loin avec ma vue et cet éclatant soleil, ce sont deux choses incompatibles pour moi. J’espérais tout de même que ma vulgaire barque tiendrait le coup.
« J’suis au moins sûr d’une chose, c’est que je m’approche de quelque chose. »
Marmonnais-je quand mon odorat m’alertait d’une odeur hostile. Puanteur. En effet, c’était le mot qui me revenait immédiatement. Une odeur de macchabée s’intensifiait au fil des mètres parcourus. J’enfilais mes lunettes de soleil et je pouvais enfin voir la silhouette d’une île se former. J’entendais enfin le chant des mouettes, les vagues percutant les rochers, le son de cloche des bateaux de pêcheurs, j’entendais également des enfants s’amuser, mais aussi des disputes… J’approchais lentement du port.
Je marchais tranquillement sur l’île, faisant à moitié semblant d’être aveugle, étant à moitié aveugle, à l’aide d’un bâton, avec lequel je faisais style de prendre mes repères. D’après mes premiers aperçus, je pouvais affirmer avec certitude que quelque chose s’était produit. Quelque chose de plutôt impressionnant. Je pouvais voir quelques petites et vieilles maisons de pêcheurs, mais surtout des tantes qui sont là depuis peu. Cela signifierait donc qu’une grande quantité de personnes auraient émigrées dans ce petit village ? Affaire à suivre. Alors en pleine réflexion, une odeur de poisson grillée vint stopper mes songes, provoquant même une furie au fin fond de mon estomac. Des instants plus tard, je me trouvais face à un vieil établissement, assez mal logé, mais c’était de là que venait cette somptueuse odeur. Naturellement, je pensais à la légende du poisson chat dont les moustaches serait plus longues que l’île, quelle chance j’avais eu de ne pas croiser sa route. Cela importait peu à cet instant, car la seule chose qui pouvait me satisfaire - plutôt rassasier mon ventre - était de dévorer ce que ce modeste restaurant allait me servir. Mais un problème se posait. N’ayant pas de salaire et n’ayant trouvé aucun butin, j’n’avais pas un rond. Une idée me vint soudainement, malgré qu’elle ne me plaisait pas vraiment, mais je n’en avais guère le choix. J’entrais dans l’établissement, lunettes de soleil aux yeux, bâton à la main, marchant avec une lenteur ressemblant à cette d’un escargot. Pour rendre la chose plus réaliste, je me prenais maladroitement - ou plutôt malencontreusement - un bout de planche en bois, qui décollait légèrement du sol. La chute fut monumentale. Je crois me souvenir que la douleur en fut tout autant monumentale. Sur le coup, je ne simulais même pas la douleur, je n’avais pas contrôlé ma chute. Quel crétin ! Le restaurant, plutôt animé, devint silencieux et surprit de voir un pauvre aveugle se casser la gueule.
« Monsieur ! Attendez, laissez-moi vous aider ! me dit un serveur. »
Il me ramassait et m’installait convenablement à une table.
« Ne bougez pas. Je reviens avec de quoi vous nourrir. »
Gêné d’une telle générosité, je lui rattrape la main et lui avoue une partie de la vérité, sait-on jamais.
« Ecoutez… Euh… Je n’ai pas un sous à vous offrir. Je suis aveugle et on ne m’accepte dans aucun travail, jugé trop inutile pour être un minimum rentable. Je ne souhaite pas abuser de votre hospitalité. Je… »
Le serveur reprenait aussitôt, ne me laissant pas finir.
« C’est moi qui régale ! Mon patron est généreux et comprend votre situation, j’pense d’ailleurs que toutes les personnes présentes comprendront. »
Ils acquiesçaient tous d’un sourire et de pouces levés. J’étais tellement heureux de voir des personnes si généreuses, puis je me sentais mal d’abuser d’eux. Pourtant, c’était soit ça, soit mourir lentement d’un faim horrible.
« Merci à tous ! Vraiment. Vous êtes si généreux… Si je peux vous aider d’une quelconque manière. »
Ils baissèrent tous la tête. Avais-je dit quelque chose de tordu ? Je ne comprenais pas vraiment leur réaction. Je me tournais vers le serveur, mais lui aussi avait la tête baissait, ils semblaient tous revenir à une réalité, que je ne connaissais visiblement pas. J’avais apparemment gâché leur moment d’évasion.
« La situation est compliquée, pour ne pas employer de termes dramatiques, car c’est assez moche. Le royaume de Goa, autrefois connu comme étant le plus riche des Blues, n’est plus qu’un champ de ruine. La faute à qui ? Rafael D. Auditoire qui a organisé un coup d’état, décimant la famille royale. »
J’avais en effet entendu parler de cette histoire. Je comprenais donc que je me trouvais à Fushia, sur l’île de Dawn. Et oui, j’étais assez long à la détente, mais comprenez qu’à ma place, vous ne feriez certainement pas mieux.
« Est-ce si mal ? La famille royale se moquait de vous, pêcheurs, esclaves, pauvres villageois, vous n’étiez que des revenues qu’ils empochaient sans le moindre scrupule. Bien que les dégâts et pertes furent importantes, le poids que vous portiez ne s’est-il pas envolé avec l’acte et la mort héroïque de Rafaelo ? »
Les quelques personnes présentes et le serveur me regardaient, tous surpris, du ton que j’avais employé. Le serveur reprit.
« Nous sommes tous d’accord avec ça. Nous ne pourrons jamais remercier tous ceux qui ont participé à ce soulèvement, mais un autre problème est survenu, un problème qui nous touche particulièrement. Ce qu’il se passait à Goa ne nous touchait pas directement. Vous ne pouvez pas voir, mais… »
Je l’interrompais.
« J’ai senti la population qui s’amasse tout autour de votre village. J’en déduis que la cohabitation est difficile et que la récolte n’est pas suffisante pour nourrir tout le monde ? »
Mais apparemment, c'était un peu plus compliqué que cela, car ce sont les bourgeois qui ont survécu à la bataille, qui sont installés autour du village. Ils ne savaient pas labourer les champs et dévoraient les récoltes. Ne voulant pas attirer l'attention sur moi, je ne pouvais pas faire grand chose, tout seul. Alors, je donne quelques idées à ces gens, notamment de prendre chacun un groupe de bourgeois, de pêcher ou travailler les terres avec eux, afin qu'ils observent et apprennent. Cela diminuerait les tentions et pourra permettre une réconciliation entre les deux peuples. Le travail d'équipe amène souvent à la cohésion. On conversait tous, chacun proposait ses idées, c'était très constructif. J'appréciais leur compagnie. Je me rendais compte que l'être humain n'est pas si mauvais, et qu'encore une fois, seules la richesse et le pouvoir, rendaient les gens, mauvais. Une triste réalité.
Après avoir mangé, je décidais de rester la nuit à Fushia, toujours sous l’hospitalité des personnes de ce village. Je repartirais dès l’aube, je n’aimais profiter des autres, puis avec la Marine autour, il est plus sûr d’être le moins vu possible. J'avais bien d'autres choses à découvrir sur cette île. La révolution avait-elle était réellement bénéfique ?