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Au dojo Sakura


Assis au milieu du tatami, il méditait. La nuit était encore jeune et fraiche et tandis que les bruits environnants étaient légion, lui s’efforçait de ne pas y prêter attention. Sous la bienveillance de la maîtresse du dojo Sakura, il souhaitait s’épanouir et se réaliser. Alors qu’elle l’observe depuis le haut des escaliers de pierre qui mènent à son école, elle sourit en repensant à ce dernier qui était arrivé une semaine auparavant, dépravé, négligé, mais néanmoins déterminé. De lui elle ne savait rien et encore aujourd’hui elle ignore tout de ce jeune homme qui était venu solliciter son aide. Je souhaite devenir plus fort. Tels ont été les mots qu’il avait prononcés. Nombreux sont ceux qui s’étaient déjà présenté à elle avec le même dessein et si elle avait vu des regards bien plus déterminé que le sien, elle n’avait pu déceler encore la cause profonde de son souhait tapis derrière un regard opaque et embrumé.

L’air transportait les effluves enivrants des cerisiers en fleurs qui jalonnaient le grand escalier. Les pétales de fleurs dansaient sur le vent pour venir se poser sur les toitures des différents dojos dont les pierres et le bois luisaient sous la blafarde lumière d’un clair de lune. Un oiseau de proie pourfendait les cieux et le cri du rapace résonnait dans les enceintes jusqu’à perturber le corps presque immobile de l’apprenti. Jusqu’alors, les arts martiaux n’étaient qu’un mythe pour lui, quelque chose d’abstrait au même titre que les peintures de feu son père. Toutefois, il avait appris durant cette petite semaine que l’art martial n’était pas seulement question de donner des coups et d’en recevoir. Non, c’était la quintessence même, la sève d’une pleine réalisation dépourvue de déchets.

De l’ébéniste qui façonne le bois au pianiste qui enchante le monde, on lui avait inculqué que tout était question d’arts martiaux. Le dojo Sakura était spécialisé dans la maitrise parfaite et intense du corps dans tous ses aspects. L’esprit pouvait commander au corps des choses inimaginables comme doubler de volume afin de s’endurcir ou, comme la maitresse des lieux, rapetisser à volonté et selon son bon vouloir. Pour cela, pour arriver à un tel stade de contrôle et de maitrise il fallait être maître de soi. Être en accord avec ses envies et ses désirs, avec ses souhaits et ses buts. Se parfaire nécessitait un but précis, une vision et une idée très nette de ce à quoi on voulait prétendre. Mais l’âme d’Albafica était en proie à ses maux du passé, quant à son présent il n’avait été fait pour le moment que d’une vie tisser au jour le jour, sans la moindre perspective d’un avenir fusse t’il même être proche.

Tourmenté, des fragments de sa vie lui revenaient par flash et chacun d’entre eux lui faisait perdre sa position et son calme, loin d’atteindre l’apaisement de l’eau calme, il était pareil à un torrent fougueux : dangereux et instable. Des rictus grimaçaient son visage et des spasmes hantaient son corps. Subitement, le gong sonna la fin de la méditation. En sueur et fatigué, il avait du mal à retrouver son souffle. Il toussait et tout à sa vue était flou. Il lui fallut bien plusieurs minutes pour revenir complétement à lui. Seul sur le tatami, il regardait son monde et à défaut d’avoir trouvé la maitresse du dojo qui venait de quitter les lieux, il observait les arbres paisibles et la quiétude des lieux, une vision de ce qu’était la paix. Une paix qui sonnait creux chez lui tout comme ce mot qui ne lui signifiait rien.

Amer, mais toujours aussi déterminé, il prit la pose initiale du dojo Sakura. La jambe fléchie devant l’autre qui supportait le poids du corps, les poings aux niveaux de la taille. S’en suivit alors une profonde inspiration avant d’expirer longuement en donnant des coups de poings francs et vifs dans un ballet parfait. Chaque coup brassait l’air et expulsait par la même occasion tout ce qu’il ressentait. Sa colère, son insouciance, son gout du risque, ses joies et ses peines, ses succès et ses échecs. Le temps s’égrenait lentement dans le sablier et avait déposséder Albafica des maigres forces qui lui restait. C’est à ce moment précis que des pratiquants de l’école firent leur apparition.

Ils étaient trois et d’après leur regard et leur attitude, tous étaient aguerris aux arts martiaux du dojo. Immobile et attentif, ses adversaires lui rodaient autour comme des vautours qui tournent en cercle avant de fondre sur une charogne. L’instant d’après, ils étaient déjà sur lui. L’un avait donné un coup de pied frontal. Albafica fit un pas en arrière pour esquiver puis dans le même temps, il saisit son opposant par le talon afin de l’attirer à lui. Toutefois, la plante du pied le toucha tout de même en plein estomac. C’était à n’y rien comprendre. Il était sûr d’avoir esquivé le pied, de l’avoir immobilisé ensuite entre ses mains, alors comment expliquer ce qui venait de se passer ? La fatigue, peut-être était-ce en effet dû à la fatigue accumulé au cours de cette journée. Tout aussi étrange, les deux autres adversaires n’avaient pas profité de la confusion pour attaquer. Revenu au centre du tatami, le combat pouvait continuer.

A nouveau, on lui tournait autour, mais cette fois-ci il allait focaliser son attention sur celui face à lui. Il voulait revoir cette technique et ne plus être passif. Ainsi, il se jeta sur son ennemi direct en donnant un coup de pied circulaire. Rapide et véloce, il était sûr de faire mouche, mais il ne brassa que l’air. Cependant, il avait compris. Ils étaient tous des adeptes de la technique du retour à la vie. Ainsi le pied qu’il pensait avoir esquivé s’était alors allongé. Et le corps qu’il pensait faucher avait rapetissé pour passer juste en dessous. Comprendre était une chose, mais appliquer ce qu’il venait de voir en était une autre. Un combat plus intense alors débuta entre lui et eux. Un combat fou et flou. Une bataille qui cessa lorsqu’il ouvrit les yeux pour finalement découvrir qu’il n’avait pas bougé, qu’il était resté à la même place et toujours sous la bienveillance de la maitresse de l’école Sakura qui se contenta d’hocher vers sa direction avant de le laisser seul, face à ses questions.


Dernière édition par Albafica le Sam 2 Mai 2015 - 22:45, édité 1 fois
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Au dojo de l'ordre du vent

Le vent. Un éternel mouvement, impalpable et invisible. En mer, il peut devenir le meilleur des alliés comme le pire des ennemis. Parfois brise et parfois cyclone. Un élément qui inspire le respect et la crainte tant et si bien qu’un dojo en a fait son symbole et un style martial. Si le dojo Sakura était un modèle de paix et de quiétude, le temple du vent était à l’image de son élément : un flux perpétuel. Ainsi, nombres d’adeptes confirmés se relayaient chaque jour et chaque nuit pour faire tourner l’immense éolienne qui se trouvait au-dessus d’un menhir dans le but de s'aguerrir. A l’aide de leur bras et de leur jambe, ils esquissaient des coups dans un mouvement continu où tout le corps accompagnait le geste. De cet art naquit le vent. La pression atmosphérique est si forte qu’elle crée une bourrasque qui vient souligner le mouvement pour le porter plus loin. Porter un coup à ce qui est hors de portée, voilà le dogme du dojo de l’ordre du vent.

Albafica s’était présenté à eux aux premières lueurs du jour. Debout, le dos légèrement courbé en guise de salut et de respect, les bras le long du corps, il faisait face à l’immense bâtisse qui abritait l’école. Les colonnes de pierres grisâtres qui soutenaient l’édifice étaient lézardées par diverses fissures. On aurait dit le visage d’un vieil homme aigri, parcheminé par les rides du temps. Aucunes fioritures n’ornaient les murs, tout était hostile et brute, épuré et simple. Alors que nulle personne n’était venue l’accueillir, ses yeux aux couleurs de l’océan scrutait avec attention la scène qui se jouait devant lui. Un petit cours d’eau sillonnait les marches qui menaient au temple. Quelques bonzaïs soigneusement taillés étaient placés autour du gigantesque menhir frappé par les Kanji représentant la force, l’ordre et le vent.

Une voix guttural et grave invitait Albafica à se présenter et à donner les motifs de sa présence en ces lieux. Je suis ici pour devenir plus fort. Tels ont été ses mots. Les mêmes qu’ils avaient prononcés devant la maitresse du dojo Sakura. Les mêmes qu’il prononcerait encore et encore tant que ce besoin viendra le hanter. Le vent portait à présent cette même voix puissante et à la fois malfaisante. Elle s’élevait d’aucuns endroits précis et il était impossible au jeune homme d’en connaitre la provenance exacte. Disparait ! Voilà aussitôt la réponse apportée à sa doléance. Mais bien entendu, il n’en fit rien. Il demeurait là, à écouter le sifflement du vent et à en voir les signes. Comme tout à chacun, il se fiait à ses sens, mais il avait appris que ces derniers pouvaient être trompés et que voir et entendre ne suffisaient pas. Il ferma les yeux et chercha le calme dans la tempête qui habitait son cœur. Perdu au milieu de nulle part, une main vint à lui. Une main sortit des brumes de son inconscient, une main qui appartenait à son défunt père dont le sourire suffit à lui seul à apaiser le petit bonhomme devenu adulte. Là, sortant de sa rêverie, il fit un pas de côté pour esquiver une lame de vent venu strier le sol pour aller mourir plus loin contre un rocher. Surpris, le disciple à l’origine du coup appela des renforts.

Deux ombres surgirent alors des ténèbres. De jeunes hommes au regard dur et au kimono aussi noir que leurs hostiles intentions. L’un après l’autre ils brassaient l’atmosphère autour d’eux avant que leurs poings ne fendent l’air. L’instant d’après et malgré la distance de plusieurs pieds qui séparait Albafica des belligérants, de vives douleurs sillonnaient son corps de partout. La pommette fendue, les épaules basses et une main portée à son estomac, il observait encore ses assaillants. Aussitôt, il répondit aux assauts par la posture qu’il avait apprise au dojo Sakura. Le pied d’appuie tendue derrière la jambe fléchie, les poings au niveau de la taille, il était fin prêt. Chargeant l’ennemi le plus proche, son coup de pied circulaire le faucha de plein fouet lui qui ne s’attendait pas à une attaque aussi vive. Son corps chancela avant de retomber sur l’énorme menhir, ko pour le compte. Le regard dur et froid d’Albafica observait à présent les deux qui restaient.

L’un après l’autre, ces derniers réalisaient des poussés de vent avec la paume de leur main. Les souffles conjugués de leurs techniques ressemblaient à de longues lances qui venaient se briser vague après vague sur le jeune effronté mis à mal. Mais loin de s’avouer vaincu, il y opposait toute la tension des muscles de son corps. Un bras devant le visage, le voici qui avançait presque de biais pour offrir le moins de prise possible au vent. Lentement, mais surement, il prenait le pas sur les disciples de l’ordre qui en venait même à douter. Ces mêmes doutes émoussaient leurs lances qui tailladaient la chair d’Albafica. Des gerbes de sang s’échappaient de ses blessures, toutefois, il n’avait pas payé ce prix pour rien. Entre chaque poussée, il avait trouvé ce petit laps de temps qui lui permettait de tourner sur lui-même pour parer en partie la force de l’élément. Les dents serrés, la bouche et le visage déformé par la colère et la douleur, il était arrivé avec peine au corps à corps. Dans son regard bleu acier s’agitait avec vivacité une vive lueur. Comme un feu follet qui virevolte au cœur des abysses pour retranscrire toute la fougue qui l’animait. La même fougue qui recouvrit la paume de ses mains venu frapper à bout portant ses opposants percutés par la colère à l’état brute. Leurs corps inanimés s’en allèrent choir au sol et c’est ensemble qu’ils prirent le chemin d’un pays onirique, un pays où ils ne seront ni allié ni ennemis et où la douleur ne sera plus.
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