Faaaaaaaarm!

-J'aime beaucoup ce navire. Qu'est ce que vous en dîtes?
-J'pense pas qu'il fasse l'affaire. Y'a pas l'air d'avoir beaucoup de place dans la calle pour faire des stocks. Du moins pas sans faire des travaux, mais pour ce que ça coûte, autant en piocher un autre.
-Mmmh.

Sigurd avait l'impression d'être venu faire les courses au port, aujourd'hui. Cela faisait maintenant près d'une heure qu'il se promenait le long de l'immensité commerciale qu'était le port de Norland, la principale cité portuaire de Luvneel, en compagnie d'Evangeline Haylor, son associée, et de Laurent Baunichon, un chasseur de primes trentenaire qui faisait office de bras droit dans la petite équipe qui s'était jointe à eux pour le temps de cette opération.

Les trois personnages ignoraient pourtant tout des étals et des vendeurs en tout genres qui contribuaient eux aussi à la vie du port. À cette heure, ces personnes là s'adressaient tout particulièrement aux travailleurs pressés qui avaient besoin de se restaurer à l'heure du déjeuner, entre deux temps de roulement.

Pourtant, ça n’était pas sur les quais commerçants, là où le gros de l’activité portuaire quotidienne avait lieu, que nos protagonistes avaient l’intention de faire leurs emplettes. La zone qui les intéressait était celle dédiée au stationnement des navires de plaisance et des particuliers, qu’ils écumaient dans tous les sens depuis plusieurs jours. Ils commençaient maintenant à avoir une très fine connaissance des différents quais dédiés aux réparations, des enseignes spécialisées dans les ravitaillements divers proposés aux équipages de passage, ainsi qu’à l’architecture et à la disposition générale des différents emplacements auxquels pouvaient prétendre les navires accostant sur le port. Sans surprise, c’était les quais dédiés aux équipages les plus modestes qu’ils parcouraient actuellement ; c’était là qu’ils avaient le plus de chances de trouver chaussure à leur pied.

Et finalement, la miss posa distraitement son attention sur un navire en particulier.

-Et celui-ci?
-Je ne pense pas qu'il soit du... euh... domaine public, hésita Sigurd. Pas d'armes à bord, de grappin ou de quoi que ce soit qui permettrait de pirater. Ou alors ils font ça autrement.

Domaine public. En libre service. Des euphémismes que les deux civils utilisaient pour qualifier les navires appartenant à des hors la loi de passage.

Car contrairement à son impression, le jeune Dogaku n'était pas là pour acheter un navire, même si c'était tout comme. Il était là pour en prendre un par la force, l’arracher à un équipage de pirates. Ça n'était pas bien difficile, une fois rapporté aux efforts à faire pour en acheter un neuf. Il le savait très bien, pour avoir lui-même très sérieusement essayé de le faire.

Mais qu'à cela ne tienne: dans un univers de pirates, il fallait parfois savoir mettre ses principes de coté, et s'aligner sur le niveau du plus petit dénominateur commun. Et contrairement à ce qu'on pouvait croire, le capitaine Dogaku était on ne peut plus à l'aise dans ces situations. Son passé dans la milice, son expérience dans la marine marchande, ses habitudes d’entrepreneur nomade l’avaient amené à bien plus d’affrontements qu’il n’aurait jamais voulu en voir. Ce qui allait venir ne serait qu’une partie de plaisir.

Et pour ce faire, le blondinet s'était entouré d'une force considérable pour leur petite attaque: une bande de chasseurs de primes, recrutés pour l'occasion, et qui lui avait coûté la bagatelle de sept cent mille berries pour la demi-journée. Ils étaient sept, en tout. Sept mercenaires appartenant tous à la BNA, et qui lui avaient été envoyés par Tagaki Suzukawa, le responsable du recrutement et de la communication de la grande guilde des chasseurs de primes. Dogaku et Suzukawa en étaient venus à cet accord au terme  d’une longue convalescence passée en quarantaine dans une auberge où ils avaient sympathisé, au terme d’un étrange attentat où la vie du chevalier blanc avait été visée.

À ces sept combattants expérimentés, il fallait rajouter la vingtaine d'employés de la Santagricole qui s'étaient joints à l'opération. Tous étaient des travailleurs agricoles de longue date qui prenaient occasionnellement place dans les navires marchands des distributeurs habituels de Santa Klaus. De même, chacun d'entre eux avait été marin pendant au moins trois ans avant de s'établir dans le principal négoce des chevaliers de Nowel. C'est sur la base de cette expérience qu'on leur avait proposé de venir.

Ils ne savaient pas se battre, mais n'auraient pas vraiment à le faire. Le poids du nombre pour intimider quiconque ils attaqueraient, voilà ce que Sigurd attendait d'eux.

En vérité, les chasseurs de primes eux mêmes n'auraient pas à se battre, à priori. Eux constituaient une précaution qu'il avait tenu à prendre pour être sûr que rien n'arrive à son amie. Ce serait elle qui ferait l'essentiel des ravages chez leurs victimes du jour, pour peu qu'on la protège et la soutienne convenablement.

Evangeline Haylor. Son monstre de compagnie, comme il disait. Jusqu'à peu simple financière à l'apparence austère et ennuyeuse, la demoiselle s'était plus récemment hasardée à laisser entrevoir son coté fantaisiste habituellement très bien gardé. Et maintenant, elle pouvait aussi bien surfer sur les nuages que jongler avec des boules de feu capable de consumer d'énormes blocs de roche et d'acier. Littéralement.

D'un autre coté, son expérience en matière d'échauffourées restait extrêmement limitée. Personne ici ne savait exactement ce que la miss pouvait faire, et ne pouvait pas faire. Et même si Sigurd commençait à bien la cerner, il n'était sûr que d'une chose : elle n'était pas à l'aise, et devait être assistée. Que ce soit pendant ou avant une action.

Et ce jour là ne faisait pas exception:

-Alors... je sais bien que c'est un poil tard au stade où on en est, mais j'préfère demander encore une fois. Vous êtes sûre que ça va aller?
-Bien sûr que oui.
-Nan parce que c'était votre idée, hein.
-Je vous ai dit oui.
-Moi j'étais franchement pas fan, de base.
-Je répète : oui.
-Ça sert à rien d'me mentir, je vois que z'êtes pas à l'aise, et même nerveuse. Vous vous rongez les ongles.
-Et vous alors? Vous êtes tellement nerveux que vous rongez votre casquette!
-Eh ? Pfff, même pas vrai, grommela Sigurd en replaçant son couvre chef -humecté- sur sa tête.

Au regard amusé qu’il lui jeta, son amie ne pu pas s’empêcher de sourire. Et c’était une expression qu’il préférait largement au visage miné que la miss affichait jusque là. Mais même ainsi, il gardait envie de bien mettre les pieds dans le plat pour bien poser les choses.

-Alleeeez, sérieusement. Je sais que vous avez jamais été à l’aise quand on était en campagne, avant. Et j’parle même plus de malaise. Gros, gros malaise. Quand on avait des batailles navales, c’était les seuls moments où je pouvais faire globalement n’importe quelle idiotie en sachant pertinemment que vous n’envisageriez même pas de me remonter les bretelles tellement vous étiez sur les nerfs.
-Ce qui me semble parfaitement normal étant donné les situations où nous nous retrouvions, il me semble, répliqua brutalement la miss, énervée. Vous imaginez bien que je me rongeais les sangs à ne strictement rien pouvoir faire pendant que tout l’équipage allait se battre…
-Oh, vous étiez dans l’armée, vous aussi ?, demanda le chasseur de primes à la jeune femme.

Sans se sentir déplacé, ce dernier écoutait les deux autres d’un air amusé, tout en grignotant les petits poissons frits qu’il s’était acheté en guise d’en-cas. Ca n’était pas du pop-corn, mais l’idée était la même :

-Commissaire dans la milice, oui. Personnel administratif non combattant, expliqua-t-elle en voyant le sourcil interrogateur de Bonichon.
-Bureaucrate ?
-Plutôt un mix entre Grande Magasinière, Administratrice en chef, Superprédatrice de la chaîne alimentaire des gestionnaires, et Harpie-bienveillante-maternant-l’équipage-de-façon-stricte-et-sévère, glissa Sigurd.
-Ooooh. On aurait pas dit, vu comme ça.

Pour qui aurait raté un épisode, il convenait de rappeler que les rapports entre Haylor et Dogaku n’avaient pas toujours été aussi cordiaux qu’actuellement. Les deux ex-officiers de la milice du Royaume d’XXXXX  se connaissaient de visu pour s’être croisés à quelques occasions dans l’académie royale de la marine de leur pays, mais n’avaient véritablement eu l’occasion de se connaître que lorsqu’ils se retrouvèrent, un an et demi après le terme de leur formation académique, tous deux affectés au commandement du même navire de deux cent vingt-cinq âmes.

Chacun d’entre eux avait réussi, à sa manière, à se démarquer pour sa courbe d’apprentissage rapide et son fort potentiel futur. De la même manière, les psychologues en charge de leurs affectations avaient su remarquer que leurs compétences et leurs styles de commandement complémentaires sauraient synergiser au mieux. Ce qui aurait été pratiquement vrai si la pratique avait suivi la théorie. Mais dans les faits, Haylor et Dogaku avaient des comportements, des habitudes et des valeurs tellement contraires qu’ils ne pouvaient que mal s’entendre, et c’était bien sur cette très mauvaise pente que le duo avait commencé.

Bien plus que de ne pas pouvoir se supporter, ils composaient leur emploi du temps en fonction de celui de l’autre afin de limiter au maximum les conflits. Et lorsque ça n’était pas le cas, les deux se lançaient dans une surenchère permanente de cachoteries et de mesquineries qui leur permettraient de faire les choses comme ils le voulaient. Seul le temps avait su leur apprendre à voir et apprécier les bons cotés de l’autre, qui n’étaient pas en reste.  Mais même ainsi, ils n’avaient pas su dépasser le stade de meilleurs ennemis.

Le coup final avait été apporté par leur équipage dans son intégralité, lorsque tous s’étaient décidés à faire en sorte que leurs deux officiers préférés se raccommodent définitivement afin que tout aille pour le mieux sur leur petit navire. Et contre toute attente, ils réussirent en seulement quelques mois.

Mais même ainsi, il y avait des choses qui ne changeraient pas. Et aujourd’hui encore, quand bien même ils étaient les meilleurs compagnons qu’ils auraient pu se trouver, on remarquait à certaines habitudes qu’ils conservaient de la distance. Haylor et Dogaku se vouvoyaient en permanence, ne s’appelaient presque jamais par leurs prénoms, et prenaient toutes leurs précautions lorsqu’il s’agissait de critiquer le travail de l’autre. Ils n’osaient même pas s’énerver sérieusement l’un contre l’autre, et c’était peut être là ce qui trahissait le plus leur inconfort.

-Il n’empêche que vous auriez très bien pu tous vous faire tuer à la moindre bataille et que je n’avais rien d’autre à faire qu’à attendre et regarder en espérant ne pas être la prochaine sur la liste en cas d’échec.
-Oooooh, vous priiez pour moi ? Pourtant les postes de commandement, c'est pas la position la plus dangereuse du lot, haha. Si j’avais su, ça m’aurait fait teeeellement bizarre …
-Je ne parlais pas vraiment de vous, non. Juste de... tout le monde en général, oui.
-Mwarharh. Me disais bien, ouais. Tant de considération, ça me touche.
-Si je me souviens bien, je n'avais aucune raison de vous souhaiter quoi que ce soit d'autre qu'une blessure grave qui vous handicaperait assez durablement pour qu'on m'affecte un capitaine digne de ce nom à seconder, développa-t-elle en ressassant ses vieux souvenirs.
-Oh putain. À ce point?
-Quelque chose comme ça. Mais c’était bien réciproque, non ?
-Haha. Touché. Qu’est ce que j’aurais pas donné pour une assistante sexy et avenante qui m’aurait chouchouté au quotidien et qui aurait…
-Hhhhhhh….
-Je. PLAISANTE. RHOOOOO.
-Humph…
Et ça vous va très bien de dire ça, d’abord. Je ne cherchais absolument pas à vous faire quoi que ce soit. On aurait plutôt dit que vous faisiez exprès de me faire hurler de rage à la moindre occasion.
-Ben oui mais j’faisais pas exprès.
-Et c’est PRECISEMENT ça qui était le plus exaspérant dans toute l’affaire. VOUS.
-Rhoooo, tout de suite les grandes accusions. Encore que… mwarharharh.  Quand même. Avouez qu’à force, ça vous éclatait bien de pouvoir vous défouler sur moi.
-Je ne vois absolument pas de quoi vous parlez.
-Alleeeeez, on ne me la fait pas. Vous vous souvenez du jour où vous m'avez fait un lynchage public parce que j’avais zappé de vous rendre le formulaire de la directive Reykjard 253-B en temps et en heure ? Le truc pour les ravitaillements de vivres, là ?
-Bien sûr, répondit-elle avec un grand sourire radieux qu’elle ne chercha même pas à retenir. Une excellente façon de terminer l’année. C'était tellement jouissif, de pouvoir enfin vous marteler devant tout l'équipage à quel point vous étiez infichu de faire quoi que ce soit correctement et que… hihihi hihi… je me souviens encore de votre tête, ce jour là.
-Mwarharh. Ouais, j’devais être très sale à voir, ricana-t-il à son tour.

De vrais malades, songea le chasseur de primes qui les accompagnait. Ce qui n'avait rien de surprenant, de la part de civils assez gonflés pour avoir décidé d'attaquer régulièrement des équipages pirates afin de les délester de leurs navires.

-Bref. Au rythme où on va, ça finira par venir. Que vous vous habituiez aux combats, je veux dire. Entre les histoires pas possibles où vous nous fourguez à chaque fois et maintenant qu’on commence à faire mumuse avec les navires… vous finirez bien par y arriver.
-Où JE nous fourgue à chaque fois ?
-C’est pas moi qui le fais en tout cas.
-Toutes ces histoires avec les révolutionnaires, ça n’avait RIEN A VOIR avec moi !
-Naaaan, moi je vous parle des mafieux, puis de la chasseuse de prime, puis de…
-Bon, bon…

-Mais c’est pas plus mal, au final. J'avais un instructeur qui disait que se battre c'était comme conduire une voitu... ah nan, euh... un pédalo. On sait pas vraiment ce que c’est tant qu'on a pas eu d'accident. Et comme ça ne vous est encore jamais arrivé, 'fin je ne vous le souhaite pas, hein, eh bien je me disais... voilà, quoi.
-Voilà qui est incroyablement rassurant.
-Nan mais c’est pas ce que je voulais dire, juste que…
-Hihihi…


Bon, songea-t-il. Au moins, elle n’avait plus du tout l’air tendue. Comme à chaque fois qu’il se mettait à déblatérer un peu n’importe quoi.

Tant mieux.



*
*     *
*



Et vingt minutes plus tard, ils jetèrent leur dévolu sur un Brigantin vieillissant, mais toujours en très bon état de marche. En le voyant de loin, Sigurd avait eu comme une révélation. Ce serait un deux-mâts d’occasion qui n’était clairement plus de la première fraîcheur, mais celui-ci ferait parfaitement l’affaire pour ce qui serait leur première acquisition de la sorte. A son bord, près d’une cinquantaine de marins, estima Dogaku.

-Ca devrait le faire. Z’en dîtes quoi, miss ?
-S’il vous plait. Je suis déjà venue à bout de plus de soixante pirates en un instant sur ce même port. Et le navire était plus gros, la dernière fois. Je n’aurais peut être pas du le faire brûler, d’ailleurs, ça nous aurait permis de le récupérer, lui aussi…
-Mwarharh. Ca m’va, adjugé vendu.

Et il allait sans dire que le navire appartenait à un équipage de pirates. Non seulement Sigurd avait suffisamment d’expérience pour pouvoir discerner plusieurs signes qui ne trompaient pas, mais ils en avaient eu confirmation de vive voix par plusieurs des officiels du port, dont le travail ici était très précisément d’identifier quels étaient les fauteurs de troubles potentiels afin de permettre aux milices citadines et à la garde royale d’intervenir rapidement en cas de problème.

Toutes ces  personnes avaient été prévenues par les chevaliers de Nowel de ce qui ne tarderait pas à arriver. Une précaution de la part des deux civils qui ne voulaient pas faire trop de vagues sur leur passage. Ils s’en étaient tirés avec la bénédiction des guetteurs de Norland, qui avaient gratifié leur petite opération de quelques éclats de rires.

Mais même ainsi, la petite troupe n’avait pas pu se former sans attirer l’attention des passants, bien sûr. Une trentaine de personnes armées de pied en cap, dont sept chasseurs de primes arborant l’emblème de la BNA d’une manière ou d’une autre sur leur tenue, avec parmi eux deux chevaliers de Nowel bien connu pour les étranges opérations qu’ils menaient dans le port. Mais entre les dons qu’ils avaient fait à la communauté pour favoriser la reconstruction du port, les rares fois où ils s’étaient mêlées aux milices révolutionnaires pour bouter des pirates hors d’ici, et la crise de nerf musicale d’Evangeline Haylor qui avait su charmer toute la ville avec Dogaku et un concert en plein air mobilisant l’ensemble des effectifs d’HSBC en guise de choristes et de danseurs, les gens d’ici n’étaient plus vraiment à ça près.

Ces civils étaient particulièrement bizarres, sans aucun doute, mais c’était complètement dans le bon.

Restait tout de même que leur groupe venait d’adopter une bien étrange formation qui n’augurait rien de bien. En première ligne, les sept chasseurs de primes, qui devraient faire office de remparts, de diversion et d’ancres pour la sorcière qui se tenait derrière eux.  Déjà, la demoiselle déployait ses liens de métal tout autour d’elle, et commençait à les amarrer à chacun des mercenaires qui lui serviraient d’extension. Car c’était ainsi que la demoiselle fonctionnait : ses chaînes animées ne pouvaient être maintenues de la sorte que sur une dizaine de mètres tout autour d’elle, à moins qu’elle ne prenne le temps d’en amarrer une sur une pauvre victime ou un allié consentant à partir desquels elle pourrait affirmer son contrôle et décupler sa portée.

Et avec autant d’ancres à sa disposition, elle allait très clairement s’en donner à cœur joie.

Pourtant, on ne pouvait compléter ce tableau sans mentionner la vingtaine de marins tous groupés tout autour de la demoiselle, avec les prérogatives qu’on leur connaissait : faire peur par le poids du nombre et dissuader tout indésirable d’approcher de leur pièce principale. Si par malheur un ennemi parvenait à les approcher, ils n’auraient normalement qu’à faire de leur mieux pour le ralentir ou l’immobiliser avec que les chaînes de la miss ne se chargent de l’intrus. Et dans le cas où un ou plusieurs des chasseurs aurait des difficultés à tenir, ils prendraient le relai pour soulager leurs alliés.

Voilà pour le plan de base, qui serait à appliquer sans trop réfléchir au final. Tous n’avaient guère reçu qu’une instruction au-delà de ça : laisser à Dogaku, présent parmi la vingtaine de marins, le loisir de décider quelle marche à prendre en cas de mauvaise surprise.

-Oooookay.  Vous êtes prêts ?




*
*     *
*




-Oh. Déjà fini?

Une minute. Et même pas. C’était complètement ridicule.

La petite troupe s’était avancée d’un seul bloc jusqu’à l’extrémité du quai, face à un navire de pirates qui avaient très mal pris cette approche. Sans vraiment réfléchir, les forbans avaient compris qu’on ne leur voulait rien de bien, et avaient réagi en conséquence. Mais pris par surprise, ils eurent également la mauvaise surprise de devoir composer avec des chaînes de métal qui ligotèrent instantanément les plus réactifs. A partir de là, ce fut pour eux le début de la fin : utilisant les chaînes harnachées à leurs corps comme des cordages et des grappins, les chasseurs de primes s’élancèrent d’un seul mouvement jusque sur le navire, où ils écrasèrent bien vite toute résistance. Les appendices d'acier contrôlés par Haylor avaient repli leur office avec une efficacité qui ne cessait de les impressionner.

Et maintenant, Sigurd était sur le pont du navire, assis sur un tas de caisses en compagnie de Bonichon, avec qui il faisait le point quand au succès de leur opération.

-Ah merde. C'était vachement facile en fait.
-Je ne m’attendais pas vraiment à ça, non plus. Elle envoie grave, ta copine. Vous êtes sûr que vous ne voudriez pas devenir chasseurs de primes, tous les deux ?
-Naaaaan, on est bien là où on est. Et puis vivre en chassant des gens, j’ai toujours trouvé ça un peu… euh…, hésita-t-il en sondant son interlocuteur du regard.
-Rhoho, tu me parler franchement, j’ai l’habitude de me faire vomir dessus par nos détracteurs. Pad’soucis.
-Ben je vais pas du tout dire que vous êtes des esclavagistes ou que vous faîtes du trafic humain, mais j’ai toujours trouvé ça un peu glauque, quoi. C’est pas la branche de boulot la plus sympa qui puisse exister, on va dire.
-Rhohoho. Je comprends bien, oui. Mais tu sais… au début, on se dit qu’on veut se faire de l’argent facile, à partir de quelque chose qu’on sait faire, histoire de se monter un capital de base pour pouvoir se poser quelque part avec sa petite boutique… à la base, j’ai fait ça pour ouvrir mon restau, en fait.
-Ah ?
-Ouiiii. Mais au final… je ne sais pas vraiment. Je trouve ma vie confortable. Je n’ai pas envie de changer pour le moment. J’y pense très souvent… mais je me retrouve bien vite à ne rien faire de tout ça. Et avec le temps qui passe… eh bien, ça va te sembler bizarre, mais ça passe vite, sept ans. Très vite. J’ai ma licence depuis tout ce temps. Et je vais la garder encore un peu.

Le chasseur resta silencieux. Apparemment, beaucoup de choses se bousculaient dans sa tête, quand il abordait ce sujet. Peut être mieux valait ne pas pousser outre mesure, songea Sigurd. Et en effet, bien vite, le mercenaire reprit :

-Bref. Comme tu peux le voir, c’est plutôt chouette, d’être un chasseur. Surtout quand nos journées sont aussi chouettes que ça, haha. Bon, on aura pas eu de grosses primes, mais se faire un train de vie mensuel en une journée… et encore, on est pas allés voir s’ils avaient des machins rigolos dans leurs calles.
-Bah justement, à ce sujet, réagit Sigurd. J'm'attendais à ce qu’ils aient quand même un gros bourrin parmi eux pour nous rentrer dans l’lard, en fait. En général c’est toujours ça, nan ? Les pirates sont des bons à rien de parias de la vie qui se rassemblent autour d’un petit pack de gros bourrin qui leur permet de subsister, et ils se retrouvent embarqués dans des machins cent fois plus gros qu’eux quand ledit gros bourrin a des rêves de grandeur et va faire le mariole dans l’espoir de péter les high scores avec sa prime ou de devenir riche et puissant… ou mieux encore, file se suicider en se la jouant gros malin sur la route de tous les périls.
-Tsss. Vous pensez vraiment ce que vous dîtes ?
-Oui et non. J’imagine que ça dépend de chacun, mais de ce que j’ai pu voir… oui et non. Mais j’aime beaucoup grossir le trait de toute manière. Mais dans tous les cas, j’ai un peu de mal. Là on va obtenir un navire avec un tarif discussion, et c'est... bizarre, quoi. Vachement plus sympa que de débourser soixante millions pour acquérir du neuf, en tout cas. En fait les bateaux c'est le contraire de l'immobilier, les prix sont vachement élevés sur le neuf alors que l'ancien c'est carrément donné. Si j’avais su… naaaaan, j’aurais pas changé, c’est bien d’essayer à la régulière avant passer en sous main.

A son tour perdu dans ses pensées, Sigurd observa distraitement les alentours. Il examina brièvement le navire, qui avait aussi fière allure vu d’ici que quand il l’avait estimé depuis les quais. Bien vite, pourtant, son attention fut retenue par l’énorme tas de troncs et de membres entassés ensemble au centre du pont, le grand assemblage de pirates tous enchaînes ensemble par les rets métalliques d’Evangeline qui les regardait gigoter avec un grand sourire on ne peut plus satisfait.

Les choses avaient été facile, et elle prenait de plus en plus confiance. Tant mieux. Mais ils devraient continuer de faire attention tant qu’elle n’aurait pas eu l’expérience de ses limites. Tous ces pirates étaient faibles. Tellement faibles qu’il n’en revenait toujours pas.

-Naaan, c'est trop bizarre, je vais d'mander, lâcha-t-il.
-Qu’est-ce que vous faîtes ?
-Juste un truc dont j’aimerais être sûr.

Et Sigurd se leva vers l’objet de ses pensées. Il dépassa Haylor sans vraiment la regarder, car ce qui l’intéressait vraiment, c’était…

-Euh… ‘scusez-moi ?, adressa-t-il à la tête d’un pirate qui dépassait du grand pâté humain qu’ils avaient capturé.
-Ouais, quoi ?
-Juste une chose que j’aimerais savoir. Rassurez-moi, vous avez un super capitaine bien recherché en train de faire mumuse dans une taverne en ville, et qui va revenir avec la ferme envie de récupérer son navire et de nous massacrer pour avoir osé s'en prendre à ses potes, nan?
-Beeen... nan. Notre capitaine était gravement malade parce qu'une de ses plaies s'était infectée suite à son dernier duel et il est mort hier soa...
-PAS DU TOUT!, s'exclama un second pirate dont la tête émergea à moitié du tas de chaînes. Ce que veut dire mon pote, c'est que notre capitaine ÉTAIT gravement malade, mais que... euh... on est venus sur Luvneel précisément pour le faire soigner, bien sûr.
-Ah ouais !?, réagit Sigurd.
-Pas du tout, il avait une blessure béante grosse comme ça et il passait son temps à pleurer tellement...
-QUE DALLE! C'EST FAUX! C'ÉTAIT UNE TOUTE PETITE BLESSURE!
-Euh...
-Mais non, vous pouvez me croire! Ce gars a toujours tendance à tout exagérer. Vous savez ce que c'est, les combats, les blessures, tout ça. Un coup de bandage, un lit bien douillet, un gros repas à base de viandes en quantité, et c'est reparti comme en quarante! J'veux dire, c'est pas comme si les gens mourraient vraiment d'une infection, hein. Shonen-Style, les mecs, vous connaissez les règles!
-Ah, le capitaine est pas mort?
-Ta gueule, Fraeingt, j'essaie de nous sauver, là !!!
-Oooooh ! Je vois ! Très intelligent, oui !
-...
-Mais mon nom, c'est Fraeinght. On prononce le h.
-J'ai dit ta gueule.

-Mmmh... 'kay, je vois, déclara le civil d’un air satisfait. Et votre capitaine... il était fort, j'imagine?
-Oh? Bah ouais.
-Il EST incroyablement fort, appuya le menteur. Faut dire est, pas était, parce qu’il est toujours vivant, hein. Et j’ai bien dis in-cro-ya-ble-ment fort. Bien assez fort pour… euh…
-…
-…
-Oui ?, demanda Dogaku.
-Pour TUER UN ROI DES MERS !

Une mensonge de taille, que n’était pas près d’avaler le chevalier de Nowel. Au regard que lui adressait maintenant le jeune homme, le pirate devina aisément qu’il avait commis un impair. Aussi s’empressa-t-il de rectifier son erreur en admettant avoir voulu grossir le trait :

-Bon, d’accord, c’était pas un roi des mers, juste un monstre marin. Mais quand même !
-Cool, s’exclama Sigurd, bien soulagé. Alors on va l’attendre. Haylor, les mecs, j’ai une bonne nouvelle pour vous ! On va récupérer un gars primé, vous allez pouvoir avoir votre commission, et on va avoir un mini-boss d’entraînement pour la miss ! Alors préparez vous, j’propose qu’on répète une dernière fois avant que…



*
*     *
*



Et trois heures plus tard…

-Dîtes, il fout quoi, votre capitaine ? Ca commence à faire vachement long, là.
-Oh bah… aucune idée, répondit le pirate à l’origine de tout ça. Peut être qu’il est retardé… peut être qu’il a eu des ennuis, ou qu’il finit une course ? il voulait à tout prix récupérer un meitou, et vous savez comment c’est, la vie de pirate. L’aventure est à tous les coins de rue pour qui s’en donne la peine ! Tenez, rien qu’avant-hier en pleine mer, on a croisé un équipage de révos qui…
-J’ai un rendez-vous dans trois quarts d’heures, indiqua sombrement Haylor.  Un client potentiel.
-Ouais, je crois qu’on va laisser tomber. Laurent, si tu veux bien… toi et deux de tes gars, vous raccompagnez la miss.
-Je peux très bien rentrer toute seule au bureau.
-Et moi j’ai pas envie que vous vous fassiez harponner par un pirate vengeur qui nous observerait de loin sans trop savoir quoi faire, donc je prends pas de risque et j’vous laisse une escorte.
-Hhhh… j’imagine que dans ce cas…
-Chouette. Et quant à nous… j’propose qu’on aille faire un tour en mer avec notre nouveau jouet !, s’exclama le capitaine. Histoire de tester la bébête. On ira faire un saut chez les gardes côtes pour déposer nos cadeaux, aussi. Et vous quatre, indiqua-t-il aux chasseurs de primes, hésiter pas à fouiller le bâtiment à la recherche de tout ce que vous voudriez embarquer. On a bien posé le deal avec Suzukawa, nous on prend le bateau, vous vous avez tout le reste, alors hésitez pas. Tout le monde est ok ?
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