Une sensation de vertige, les pensées toutes en bloc, la conscience du corps qui revient sans se presser ; la vue des ombres rouges sur mes paupières closes que j'interprète comme un cri de mouette, le goût du trop plein d'alcool et du manque d'eau sur mes dents qui me revient sans confusion possible, je déglutis ; salement. Ça me dit que j'ai abusé la veille, première pensée claire qui me revient et qui me donne envie de repartir au pays des rêves et des pensées mêlées encore un peu, juste pour un moment.
Mais c'est au moment où je rêve que du sommet d'une montagne, je me jette dans le vide en hurlant de joie que je comprends que mon corps flotte pas à moitié dans une couverture chauffée par la nuit. Que cette sensation de vertige dans mon ventre existe pour de vrai, qu'elle existe autrement ; que ça bouge, que tout bouge autour de moi. Moment de panique qui me hiérarchise d'un bloc les priorités et transforme mes impressions en mots dans ma tête, tout prêts à être lancés. Mes paupières se décollent brutalement. Mes lèvres, aussi. Ma voix est rauque, elle pue le sel.
-Putain !
Autour de nous, partout, la mer ; l'horizon zébré d'éclairs, alors qu'au-dessus de nous, c'est le grand bleu, me gueule qu'on est toujours sur Grand Line, et loin du plancher des vaches. On : parce que le bateau, le foutu bateau sorti du néant sur lequel je me tiens debout, il déborde. Un bateau en forme de gondole, avec les froufrous sur la figure de proue en panache, les roses sur le bastingage, et même la statue de bois peinte pour évoquer le conducteur – qui m'a fichu une peur bleue quand je me suis levée. Et puis, au sol, à même les planches, la peau à l'air et les poings fermés, posées en tas anarchiques : Lilou qui bave sur l'épaule de la lieutenante Blacrow, Rei roulée en boule sur son tas de balafres, en train de respirer entre les orteils de la même lieutenante. Je devais être au milieu, le dos cassé sur une paire de jambes ; sûrement. J'ai les hanches qui tirent et les cervicales qui me font du caprice de bon matin. Je le sens même derrière mon crâne qui joue à réverbérer de l'écho sans cause extérieure et mes globes qui font du bruit en coulissant. Crade, trop rincée, et en même temps, j'ai quand même les sens qui marchent assez bien pour m'avertir qu'il n'y a plus aucune terre en vue.
L'angoisse ; je me souviens plus bien de la veille, juste des bribes. Impossible de me rappeler comment j'en suis, comment on en est toutes arrivées là. Toutes ? J'ai comme une sale certitude qui se forme.
-Lieutenante ! Yanagiba ! Lilou ! Debout !
Je les secoue. Elles ont du mal à émerger. Surtout Lilou, qui me repousse en grognant. Rien à foutre, cas de force majeure, j'insiste. Puis je suis en permission, je pourrais réveiller un amiral si je voulais. Y'a aucune loi, aucune règle contre ça, et j'ai toujours, même dans la brume, l'esprit assez éveillé pour savoir avec certitude que c'est rien que la loi qu'est capable d'inventer l'infraction.
Finalement, c'est Rei qui ouvre le plus facilement les yeux. Rei et sa rigueur militaire et son entichement bizarre pour un Craig que j'sens de plus en plus fuyant. Souvenirs de la veille qui me reviennent, le bonhomme en chocolat dans l'assiette et les deux premières bières, les sous-entendus. J'la regarde en essayant de penser à autre chose qu'à un tas de bout dépressif occupé à lui dégouliner sur la paluche. Y'a plus urgent que mes spéculations sur l'état de courage et d'énergie vitale d'un ancien camarade de front.
-Bienvenue sur Grand Line, sans navire, sans Log Pose, avec un temps instable et pas de terre à l'horizon, lieutenante.
Commandante, au temps pour moi. Je me fais d'autant moins à ces promotions que j'en ai été exclue suite au craquage de Ketsuno. M'enfin, c'est pas essentiel et si ça peut m'éviter de retourner trop souvent au front, ça sera pas plus mal. Si j'ai des trous en ce qui concerne la soirée d'hier, j'ai pas oublié la lettre que je porte dans la doublure de ma veste, que je découvre tâchée d'écume. On a du se ramasser une roulante quand on ronflait trop fort pour la sentir. Je tousse. Je cherche ma blague à tabac pour soigner ça. De toutes façons, je doute qu'on ait autre chose comme petit déj'. Et puis hier, la cuisine était trop lourde, trop sucrée. Elle m'est restée sur l'estomac. Et c'est pas faute de l'avoir solide.
-Dites moi que vous êtes navigatrice de formation, commandante. Même si c'est pas vrai, ça me fera plaisir.
Blacrow a l'air d'émerger, mais Lilou lui confisque son épaule ; de manière assez catégorique. Ouais. A l'horizon, les éclairs apparaissent et disparaissent pas intermittence, les nuages se font et se défont à une vitesse impossible. Grand Line ; on n'entend pas encore la foudre, mais elle pourrait nous tomber dessus à la minute qui suit. On ne sent pas encore l'odeur de la pluie mais on pourrait se retrouver à écoper à l'ancienne avant que j'ai tiré ma dernière latte. J'sais maintenant à quel point cette mer est fourbe et mauvaise avec les marins imprudents. Et là, elle aurait de bonnes raisons de nous envoyer par le fond. On tourne en rond autour d'un axe lâche, l'encre a l'air d'être jetée. Au moins, on n'est pas à la dérive, mais on est aussi vulnérables qu'un oiseau attaché sur une cible de tir. Faut qu'on bouge. J'sais pas pour aller où, mais faut qu'on bouge.
-Moi, j'y connais rien. En attendant qu'elles émergent, je suis à vos ordres.
Mais c'est au moment où je rêve que du sommet d'une montagne, je me jette dans le vide en hurlant de joie que je comprends que mon corps flotte pas à moitié dans une couverture chauffée par la nuit. Que cette sensation de vertige dans mon ventre existe pour de vrai, qu'elle existe autrement ; que ça bouge, que tout bouge autour de moi. Moment de panique qui me hiérarchise d'un bloc les priorités et transforme mes impressions en mots dans ma tête, tout prêts à être lancés. Mes paupières se décollent brutalement. Mes lèvres, aussi. Ma voix est rauque, elle pue le sel.
-Putain !
Autour de nous, partout, la mer ; l'horizon zébré d'éclairs, alors qu'au-dessus de nous, c'est le grand bleu, me gueule qu'on est toujours sur Grand Line, et loin du plancher des vaches. On : parce que le bateau, le foutu bateau sorti du néant sur lequel je me tiens debout, il déborde. Un bateau en forme de gondole, avec les froufrous sur la figure de proue en panache, les roses sur le bastingage, et même la statue de bois peinte pour évoquer le conducteur – qui m'a fichu une peur bleue quand je me suis levée. Et puis, au sol, à même les planches, la peau à l'air et les poings fermés, posées en tas anarchiques : Lilou qui bave sur l'épaule de la lieutenante Blacrow, Rei roulée en boule sur son tas de balafres, en train de respirer entre les orteils de la même lieutenante. Je devais être au milieu, le dos cassé sur une paire de jambes ; sûrement. J'ai les hanches qui tirent et les cervicales qui me font du caprice de bon matin. Je le sens même derrière mon crâne qui joue à réverbérer de l'écho sans cause extérieure et mes globes qui font du bruit en coulissant. Crade, trop rincée, et en même temps, j'ai quand même les sens qui marchent assez bien pour m'avertir qu'il n'y a plus aucune terre en vue.
L'angoisse ; je me souviens plus bien de la veille, juste des bribes. Impossible de me rappeler comment j'en suis, comment on en est toutes arrivées là. Toutes ? J'ai comme une sale certitude qui se forme.
-Lieutenante ! Yanagiba ! Lilou ! Debout !
Je les secoue. Elles ont du mal à émerger. Surtout Lilou, qui me repousse en grognant. Rien à foutre, cas de force majeure, j'insiste. Puis je suis en permission, je pourrais réveiller un amiral si je voulais. Y'a aucune loi, aucune règle contre ça, et j'ai toujours, même dans la brume, l'esprit assez éveillé pour savoir avec certitude que c'est rien que la loi qu'est capable d'inventer l'infraction.
Finalement, c'est Rei qui ouvre le plus facilement les yeux. Rei et sa rigueur militaire et son entichement bizarre pour un Craig que j'sens de plus en plus fuyant. Souvenirs de la veille qui me reviennent, le bonhomme en chocolat dans l'assiette et les deux premières bières, les sous-entendus. J'la regarde en essayant de penser à autre chose qu'à un tas de bout dépressif occupé à lui dégouliner sur la paluche. Y'a plus urgent que mes spéculations sur l'état de courage et d'énergie vitale d'un ancien camarade de front.
-Bienvenue sur Grand Line, sans navire, sans Log Pose, avec un temps instable et pas de terre à l'horizon, lieutenante.
Commandante, au temps pour moi. Je me fais d'autant moins à ces promotions que j'en ai été exclue suite au craquage de Ketsuno. M'enfin, c'est pas essentiel et si ça peut m'éviter de retourner trop souvent au front, ça sera pas plus mal. Si j'ai des trous en ce qui concerne la soirée d'hier, j'ai pas oublié la lettre que je porte dans la doublure de ma veste, que je découvre tâchée d'écume. On a du se ramasser une roulante quand on ronflait trop fort pour la sentir. Je tousse. Je cherche ma blague à tabac pour soigner ça. De toutes façons, je doute qu'on ait autre chose comme petit déj'. Et puis hier, la cuisine était trop lourde, trop sucrée. Elle m'est restée sur l'estomac. Et c'est pas faute de l'avoir solide.
-Dites moi que vous êtes navigatrice de formation, commandante. Même si c'est pas vrai, ça me fera plaisir.
Blacrow a l'air d'émerger, mais Lilou lui confisque son épaule ; de manière assez catégorique. Ouais. A l'horizon, les éclairs apparaissent et disparaissent pas intermittence, les nuages se font et se défont à une vitesse impossible. Grand Line ; on n'entend pas encore la foudre, mais elle pourrait nous tomber dessus à la minute qui suit. On ne sent pas encore l'odeur de la pluie mais on pourrait se retrouver à écoper à l'ancienne avant que j'ai tiré ma dernière latte. J'sais maintenant à quel point cette mer est fourbe et mauvaise avec les marins imprudents. Et là, elle aurait de bonnes raisons de nous envoyer par le fond. On tourne en rond autour d'un axe lâche, l'encre a l'air d'être jetée. Au moins, on n'est pas à la dérive, mais on est aussi vulnérables qu'un oiseau attaché sur une cible de tir. Faut qu'on bouge. J'sais pas pour aller où, mais faut qu'on bouge.
-Moi, j'y connais rien. En attendant qu'elles émergent, je suis à vos ordres.