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Tout tombe en miettes

Je n’ai pas quitté mon sabre des yeux.

James est mort.

Si seulement on avait su.

Je suis trempée d’eau, de sel et de sang. Celui des autres et le mien. A empoigner nerveusement mon arme, à espérer avec hargne que je pourrai encore casser des dents et des têtes avec, alors que le Sörloup a jugé bon de m’en coller une dans la gueule. J'ai morflé. Ça pique un peu, au niveau de l’épaule et de la joue. Mais ce n’est rien à côté de ce qui se passe. On a emmené Uriko dans l'auberge où nous avions dormi en urgence. Une balle en plein dans le mille. Les pirates ont voulu jouer au tir à pigeon. Alors, on leur a collé une raclée pour se défouler et pour faire notre travail. Pas grand-chose d’autre à faire, que leur faire bouffer le plancher et leurs dents en pleine mer, à défaut de terre et de poussière.

On se creuse un passage pour rejoindre la péninsule.

Je ne savais plus ce que ça faisait de voir quelqu’un mourir. Un ami, mourir. Pas comme les pirates sur le Cap des Jumeaux. Il a été peut-être sacrément con. Même sacrément salaud envers moi, mais il m’a quand même sauvée il y a un an de ça.

Si seulement on avait su.

James, il avait pas une tête à se la faire péter. Et à en juger par les gueules abattues de ses amis, personne ne comprendra certainement jamais pourquoi il a fait ça.

"On" ce sont les ex-membres de la Team Rocket. On avance, le coeur battant, parce qu'on sait qu'on va battre l'air d'une dernière bataille, une dernière rancœur à soulager qui va faire trembler à nouveau l'île entière.

Entre un gars avec un masque bizarre nommé Akira et un drôle de type à l’air cadavérique qui m’évite depuis qu’il m’a croisée, l’ambiance est sacrément bien plombée. L’samouraï Zegaï est toujours saoul, j’crois même qu’il est comme ça tout le temps. Y’m’met plutôt mal à l’aise à boire régulièrement. Souvenirs de décrépitude et de mort du moi que j’préfère enterrer qui remontent.  A côté de ça, t’as le Sören. Je n’avais rien compris aux explications de James et d’Uriko sur lui, et à la première rencontre, il m’a répulsée et fascinée en même temps. Maintenant, il semble tout aussi vide que chacun des membres de l’ancienne Team Rocket. Comme si on leur avait arraché un morceau tout au fond, là, au  cœur ou à l’âme. Par contre, ses problèmes de pilosité ne se sont pas arrangés. Ça pousse et ça s’efface, et l’animalité passe encore sur son visage.

Uriko va mieux.

Vague de soulagement, mais silence de mort ou de deuil qui a suivit ça. Dans tous les cas, visualise un cercueil fantomatique qui nous tombe sur le nez sans prévenir. Ça pèse et ça rend les bras ballants. James est mort et on s’y attendait pas vraiment.

Le sol dévasté me passe sous les yeux, avant que le soleil qui commence à descendre en ce milieu d'après-midi m'éblouisse. Alors, j'ai relevé la tête et j'ai contemplé.

On est arrivés. J'm'arrête sans rien dire pour observer l'groupe un peu particulier qui nous fait face au loin.

-Ce sont eux, tes amis ?

J’ai lancé ça machinalement, alors que la réponse se trouve déjà ma question. Dans l’espoir de briser un silence un peu trop lourd, peut-être. Ou alors que la fumée noire et grise qui s’élève par volutes à quelques endroits au loin m’est montée à la tête.

Je sais qu'on va retourner cogner des salopards aujourd'hui. J’irai, je me battrai. Machinalement, toujours. J’ai perdu de ma consistance, de mon âme. J’essaie de garder ma constance avec peine, alors que tout s’émiette peu à peu.

J’ai l’inquiétude qui me ronge.

En vérité, je n’ai pas quitté mon sabre des yeux pour la seule bonne raison qu’il commence à se fissurer. Mais ça, ça ne dit pas. On garde un sourire ou une certaine prestance, et on dit, allez, on y va.

Malgré le fait que je sens que tout va recommencer, comme lorsque je me suis retrouvée face au Lourd Barrel, je ne tremble plus en moi-même. Peut-être parce que j'ai enfin trouvé quelque chose ou quelqu'un à me raccrocher. D'abord, James, par seule envie de partir de cette ruine d'île. Maintenant, Sören et Uriko, et tous les autres, simplement parce qu'ils m'apportent enfin ce que j'attendais du monde : une place et un rôle.

Voir un con, un con mais un ami mourir, pour enfin avoir envie d'aider les autres et ne pas penser à sa petite gueule.

J'ai jeté un regard au loup. Il me suffit d'un signe et je me ferai encore plus violente qu'il n'a pu l'être.
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Ah'ah. Qui c'est qui l'aurait cru ! Ce con il s'est fait sauter ah'ah.
Putain merde, ce con il s'est fait sauter...
Pourquoi ? Comment ? Où et quand j'le sais. Juste là bas, où j'pointe mon doigt.
Chier, me voilà qui parle tout seul.
P'tetre pas. La bouteille écoute peut être tout ce que j'dis.
Bordel Zeg ! T'es encore trop beurré !
R'garde toi assis comme un con, les pieds dans la flotte, attendant que ce guignol d'ange remonte.
T'sais qui va pas l'faire. T'en a juste trop pris gros. Pourtant... un ange ça monte nan ?! Pourquoi j'vois rien à l'horizon ? Des fois, j'vois cette tête de pine sur le visage des passants.
Cet enculé est revenu me hanter !
Je me lève, titubant, et j'pointe du flan de ma bouteille la mer.

" Vas te faire... foutre... hic... James ! "

Et je lui balance ma teille dans la gueule !
Enfin, j'aurai aimé. A la place, elle se contente de flotter à la surface de l'eau.
Pourquoi pas ce con ? C'est une bouteille et lui le capitaine de la Team. Merde.
Si j'avais protégé Uriko comme d'hab, c'est pas l'autre guignol qui s'en serait mêlé !
Ouais Zeg' t'as tout foutu en l'air ! Comme d'habitude. Il est peut être temps...
Peut être temps d'ouvrir une autre bouteille. Parce que ça va pas s'effacer tout seul de ma mémoire.
J'ai passé le plus clair d'mon temps sur les docks, ivres. De temps à autre, je croisais les autres quand j'me ravitaillais. J'avais rien à leur dire. Tous des trous d'uc ! Ils laissent leur sentiments et leur fierté prendre le dessus lors de bataille. Bande de débutants. On a beau s'être bastonné plus que de raison, ce Fermal et moi, on allait de l'avant sans se poser de question, ensemble. On est pas si différent, hein vieux con ?! Mais on est pas des suicidaires hein mec ? Dis, c'est pas ce que t'as fait ? Si j'apprend que si, j'viens te chercher dans l'au-delà... Dans l'au-delà...
Merde, il s'est fait sauter le con...

" Je suis sûr que c'est l'un deux... Qui a fait tuer James... Même tous ! Ouais, hic. "

Me lançai-je à moi même en rejoignant le groupe qui, avait l'air de se préparer à aller quelque part.

" Ouais barrez vous, barrez, hic, vous. "

J'empoigne mon baluchon et mes deux sabres. Bien sûr, j'accroche quatre gourdes de rhum à ma ceinture.

" Gnn. Attends. "

Je pose mon baluchon, parce que j'vois pas en quoi il m'est utile, mais je finis par le reprendre. Au cas où on doit partir précipitamment.

" Ouais, c'est, hic, mieux. P'tain de hoquet "

Sur ce, j'me casse. J'vais aller picoler et p'tetre bien j'irais taper sur les survivants. J'ai le pas hésitant mais je sors avant l'groupe qui, je sais pas pourquoi, se met à me suivre. Au début, j'marche, tranquillement, sans leur porter attention. Au bout de cinq minutes, ça m'énerve.

" Oh. Vous jouez à quoi bande de décérébrés ? Hic, vous allez m'suivre toute la... Toute la.. Journée ?! "

D'un signe de la main je leur demande de partir mais ces cons lâchent pas.

" De dieu. Zeg ! T'écoutes jamais au briefing ?

- J'ai arrêté de vous écouter depuis un, hic, moment IDK.

- On va achever les brigands ! Mettre le coup d'grâce !

- Mais, j'ai, hic, pas besoin de vous !

- Mais t'es bourré !

- Ouais mais j'ai tué encore personne de l'éq'hic'page moi ! Tss ! Bande d'ingrats ! "

J'reprend ma marche, saoul et énervé. Sans dec, j'leur pilote leur rafiot, qu'ils changent toutes les semaines parce que c'est des cas sociaux, et ça vient m'faire la moral. J'ai un p'tit problème avec l'alcool depuis que j'ai pris la mer mais j'fais mon taf.

" Vous méritez même pas que j'vous fasse la leçon ! Hic, bande de raclure ! "

Ne me demandez pas comment, je suis dans un état tel que je commence à les distancer. Sabres posés sur l'épaule gauche, main droite posée sur mes gourdes, j'pars devant. Déterminé à péter la gueule à quelque chose.

" Essayez de pas crever. Vous penserez à vos mères demain. Hic. Quand y'aura l'temps. "

T'vas voir... Capitaine...
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J'l'ai vu et j'l'ai écouté ; et là, mon sang, l'a fait qu'un tour dans mes veines en allumant tout c'qui pouvait au passage. Morbleu, j'lui suis tombé dessus comme la lèpre sur le pauvre monde. J'lui ai gueulé des trucs, aussi. Des trucs du genre :

-Si ça t'manques que James y t'apprenne à vivre, j'm'en va faire comme lui ! Foutredieu d'outre à rhum !

A moins qu'ça ait plutôt été ça :

-Ta gueule !

Un coup.

-Ta gueule !

Un autre, puis encore, jusqu'à ce qu'il l'ait fermé. Je sais plus. C'est loin maintenant, et après, tout est devenu flou. J'avais la fourrure qui m'attaquait le cuir, la peau qui dev'nait dure à casser des seringues à bestiaux. Et la rage qui écumait au bord des lèvres, tout ça à cause de cette foutue éponge qui m'faisait porter le fardeau et qui s'asseyait dessus, pour être bien sûr que mon dos claque. C'était con, parce que j'étais lucide. J'avais dit à Uriko, et aussi aux autres qu'y fallait bien qu'on quitte l'île, et j'les avais convaincu qu'pour ça, fallait d'abord aider Brom. Tous ont pas tenu à travailler avec des pirates. Akira, l'est venu pour voir, il a dit. Mais j'savais qu'il resterait pas jusqu'à la fin. De toutes façons, on avait pas demandé l'avis de James quand on l'a pris avec nous ; il était contre. P'têtre ben qu'il avait raison.

-Si tu nous aides pas correct, j'te termine, Zeg !

Que j'ai dit, en faisant tout pour lui faire péter les esgourdes de l'intérieur. J'savais pas qu'il pouvait encore se foutre aussi mal, d'après qu'y a un genre d'accoutumance qui se fait. Pas pour lui. Mais alors, j'ai quand même pas voulu le laisser là, du coup je l'ai traîné comme j'ai pu. Puis devant, y'avait la samouraï qui marchait. J'dois dire que j'savais pas ce qu'elle foutait là au juste, mais c'était une copine à James ; ça m'faisait m'sentir responsable. Fini de faire l'égoïste avec mes chats et mes pleines lunes, et mes nuits sans sommeil et mes p'tites ambitions de dilettante. C'est comme ça qu'on dit, pour ceux qui passent leur vie à prévoir petit sans jamais vraiment vivre dans l'présent, et qui font semblant d'être heureux. Et ça, c'est ce que j'pensais. J'me sentais tendu comme jamais. Et j'quittais pas Uriko des yeux. C'était la première fois que j'me faisais vraiment du soucis pour quelqu'un d'autre que pour Morgan.

On avançait, et le chemin s'faisait vachement étroit parmi les récifs. D'après qu'c'était un phare très ancien qui s'tenait là autrefois, et qu'était ressorti de l'eau quand l'horloge y était tombée. Maintenant, c'était les gars qui nous faisaient face, de loin, avec le soleil dans le dos qui leur donnait des carrures de géants, qui tenaient les lieux. Leur cahute en bois payait pas de mine, mais il y avait de sacrés guerriers. Nous, on faisait pâle figure auprès d'eux et de leurs grands sourires. Et pourtant, tous, ils étaient blessés. Brom avait les deux bras encombrés de bandages sanglants, Edwin peinait à ouvrir un œil, avec son arcade pétée, Olaf se tenait sur une jambe ; les deux nouveaux, Telenn et Ozar, avaient un bras en écharpe. A Telenn, je me souviens qu'il manquait aussi une oreille.

-On commençait à espérer des renforts. Il paraît que ça a été dur, en ville ?

C'était Olaf qui avait parlé le premier. Brom avait le regard dans le vague, et c'était pas son habitude. J'savais que tous, ils étaient forts comme des ours.

-Ouais, ça a pas été simple. Vous, ça donne quoi ?
-Ça se voit, non ? On a pris une dérouillée. On les a repoussé grâce aux abeilles de Brom, en désespoir de cause. Pour ça qu'il fait la tronche, d'ailleurs. Tu savais que quand elles piquaient, elles se suicidaient pour sauver l'essaim ? Sacrées bestioles !
-Arrête, Bonne Parole.
-Si vous êtes tous prêts à vous battre, vous êtes les bienvenus.
-On l'est, Brom. Y'a juste une condition.
-On vous prend avec nous jusqu'à la prochaine ?
-Euh.
-C'est Serena qu'a deviné.
-Ah ! Elle est pas avec vous ?
-Elle se repose à l'intérieur. Trop de violence gratuite, ça lui fait du mal...

Et cette fichue grosse brute d'Edwin qu'avait ses gros yeux pleins de larmes. Ça se voyait même sous son arcade fendue, et au fond, j'étais sûr qu'il parlait autant de lui que d'elle. Et que ça l'emmerdait bien d'avoir à faire face à des gars qui se contentaient pas de fuir devant sa carrure de conquérant du nord et son regard faussement glacé. J'ai voulu rester pragmatique.

-Vous avez une idée de quand ils reviendront ?
-Ils sont déjà là.

Volte-face général. Je m'en souviens comme si c'était hier. Un unique bateau, encore loin sur l'océan, qui coupait notre ligne d'horizon en deux. Qui prenait pas soin de se cacher, qu'était sûr de sa force. Et Ozar qui fumait sa pipe, au-dessus de notre troupe indisciplinée et encore salement secouée, et qu'aspirait plus qu'à écraser ce dernier obstacle pour pouvoir faire le deuil et réapprendre à vivre autrement. Telenn qui crachait, Brom qui regardait une abeille morte sur la rocaille. Et nos armes sous l'aube qui finissait de se lever.
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Uriko venait tout juste de sortir de l'auberge, il venait de rater quelque chose qui s’était passé entre Zegou et Sosow. La seule chose qu’il pouvait remarquer au final, c’est que l’atmosphère était devenue plus tendue qu’elle ne l’était déjà. L’enfant pouvait au moins revoir les têtes de ses compagnons, tout le monde semblait inquiet pour lui mais soulagé en quelque sorte de le revoir en forme, du moins physiquement. Pourtant, pas un seul mot de leurs parts, ils avaient compris à la vue de mon visage, pas même un sourire ni une salutation du garçon envers ses amis qui pourtant ne l’avait pas vu éveillé depuis deux jours. Pas même un mot, l’enfant était comme un corps sans âme, encore bouleversé, reclu sur lui-même et non enclin à la discussion même si au fond, il était quand même content de voir tout le monde. Tatal marchait à ses côtés, comme le duo inséparable qu’ils formaient, Sammy leurs prêtaient un œil attentif aussi et Gniaki semblait hésitant à dire quelques mots pour plaisanter afin d’alléger l’ambiance.

Il le sait bien pourtant qu’il n’était pas le seul affecté par tout cela, mais c’est encore un enfant, sa raison n’était pas assez forte pour lutter contre ses émotions égoïstes… Le jeunot suivait juste la Team rocket, ses bras transportant Momo, la petite boule de poil ne pouvant pas remarcher encore correctement sans trop d’effort. Il était sa source de chaleur, ce besoin d’affection qu’il avait besoin en l’absence de son frère, de ses parents.

Et concernant les amis de Sosow… Uriko les regardait de loin… C’était eux qui avaient donnés de mauvaises idées à Sosow hein ? Pourquoi d’ailleurs ? Est-ce qu’ils auraient pas été jaloux ? Nan… C’était pas bien de rejeter la faute aux autres… Toute manière, dans l’immédiat, Uriko voulait pas se faire de nouveaux amis, il a bien le droit de ne leur montrer aucune sympathie pour une fois hein ? Il veut juste leur bateau pour partir. La bataille n’était même pas finie après deux jours… Il n’avait pas envie de se battre…

Mais ensuite, un déclic venait de traverser son esprit. C’était ces brigands qui avaient fait du mal à Jajam hein ? Le Jajam invincible sans peur qu’il connaissait… Ca voulait aussi dire qu’ils pourraient faire du mal aux autres… A ses amis… Instinctivement, l’enfant attrapa par les vêtements, Sosow de sa main droite et Zegou de sa main gauche. Les regardant dans les yeux, ses yeux ne reflétaient pas d’émotions d’inquiétude ni de tristesse, juste vide presque comme sans pupille mais sa voix contrastait beaucoup car à elle seule elle exprimait ses pensées.

« Je veux pas que vous y alliez… On a déjà aidé… Ils peuvent vous faire mal… A vous aussi… »
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Ce qu’il y a certainement d’effrayant dans le traumatisme d’Uriko, c’est qu’il me rappelle l’enfant tremblante et aussi vide d’expressions et d’émotions que lui, partant d’un pays pour éviter une fureur qui n’avait point de nom et pas plus de sens.

Un moi que j'ai oublié.

J'ai pris sur moi, et je me suis accroupie pour me mettre à sa hauteur. J'ai jeté un coup d’œil discret au Zegaï calmé et au Sörloup. A vrai dire, je ne sais pas très bien ce que j'allais faire. Qui ne tente rien, n'a rien comme on dit, hein ?

-Si je te promets qu'on reviendra, tu me crois ?

-Non... Jajam... Il est pas revenu, lui, alors qu'il était invincible...


Glurps. Le coeur qui se serre violemment.


-Tu sais, Jajam... Il aurait certainement fait la même chose. Il serait resté. Jusqu'au bout. C'est pour ça qu'il faut qu'on reste et qu'on finisse ça. Pour... Lui rendre hommage. Pour ne pas l'oublier. Pour faire notre deuil. Pour soulager nos larmes. Et James, il nous accompagnera dans ce combat. Au fond de nos cœurs. Si maintenant je te dis qu'on reviendra, tu me crois ?

Uriko a continué de me fixer de son regard vide. J'ai frissonné intérieurement, à nouveau. Aucune réponse orale, mais peut-être qu'à l'intérieur, ça marchait. Je l'ai espéré, du moins. Peut-être allait-il la murmurer du bout des lèvres quand nous serions loin.

Je me suis relevée et j'ai pas quitté Sören du regard. Il a tout pris sur les épaules, quand James ne s'est plus relevé. Une charge de responsabilités en plus. J'ai quand même souri, même si je savais au fond de moi que tout risquait de s’effondrer.

-Allez, on y va ?

Ça a eu l'air d'une question, mais dans les faits, ça n'en a pas été une. On a repris notre marche sourde.
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Et un, deux, trois, quatre …

Et un, deux, trois, quatre …

On plie, on étire ! Je f’rais de vous de  vrais forbans, tudiou !



Pas de doute, le stretching, y’avait que ça de vrai. De quoi transformer le plus doux des agneaux en un loup fourré aux anabolisants. Les assauts des Intérimaires ne cessaient pas. Chaque fois qu’ils étaient repoussés, ils revenaient avec encore plus de hargne. Comme si les chiens des enfers étaient à leur trousse – ce qu’une certaine Lucie devait penser. Leur rafiot – somptueux navire – mouillait au large, visible depuis le rivage comme un petit point sombre. Les arrivées des Intérimaires n’en demeuraient pas moins surprenantes à chaque fois, comme s’ils essayaient de se dépasser à chaque essai. Quant à savoir pourquoi ? Nul ne le savait. Man Pawer, peut-être. Mais lui ne restait jamais présent pendant les assauts. Lui, guettait et administrait ses troupes de l’arrière. Comme un véritable stratège. Comme un véritable chef d’entreprise. Du moins c’était ce qu’on avait pu vous rapporter sur la bande increvable des Intérimaires. Et le fait qu’ils n’aient pas l’air de mouiller sur l’île compliquait les choses. À se demander de quoi ils pouvaient se nourrir aussi. Mais Brom n’avait jamais été assez fou, visiblement, pour aller nager jusqu’au navire de Man Pawer.

- Ces enflures trouvent toujours un moyen différent de nous tomber dessus. C’est comme si y’avait un truc qui les faisait se dépasser à chaque fois.

Rapidement, l’état des lieux fut dressé, à savoir qui était qui et qui faisait quoi chez ces maudits intérimaires. Rapidement, car on ne savait jamais quand ils allaient revenir et que chaque retour était fracassant. Et à voir les poches sous les yeux des habitants, ce combat n’avait que trop duré. Comme de coutume, le premier tir de semonce se fit entendre à l’instant même où les rayons du soleil disparaissait. Oui, les Intérimaires avaient pris l’habitude d’annoncer leur arrivée par un tir de canon. Comme si cela faisait partie d’un jeu ou d’un truc sordide. L’heure variait, mais le procédé était toujours le même. Un tir … et l’angoisse de leur arrivée. Cette fois, leur terrain de jeu serait le crépuscule. Toujours une demi-heure avant la première attaque, une fois l’annonce faite.
    Tout se passait comme si le monde qui s'étalait autour de lui n'avait plus aucune consistance. Il ne remercia pas la samouraï, ne posa pas le moindre regard sur Uriko, ne chercha pas à raviver l'étincelle de vie qui mourrait à petit feu dans ses yeux. Il ne releva pas davantage la nature provocatrice du coup de semonce tiré dans l'eau, geste de désinvolture provocante qui signalait pourtant la richesse outrancière de l'équipage qui leur faisait face : ils avaient les moyens d'impressionner, et ils s'en vantaient. Ou alors, ils allaient les repêcher à la main. Mais l'idée ne lui effleura pas l'esprit, qu'il avait vide, à peine occupé par la perspective de la bataille à venir.

    Il subissait, et il attendait. Jusqu'à ce que Brom dise :

    -Si vous vous sentez de vous battre, on va rester en retrait. On interviendra si vous prenez des mauvais coups.
    -Bien parlé, Bon Berger ! Dis, j'peux rester avec Serena, du coup ?
    -Ouais.
    -Hin, t'es un chouette type, Brom. Bonne chance les gars ! Gueulez si vous avez besoin du grand Edwin !
    -Je prendrais bien le même chemin, Brom. Nous avons tous besoin de repos.
    -Vous pouvez tous y aller. Je reste.
    -Moi aussi.
    -Fais pas le con, Semak. T'es pas le plus jeune du groupe.
    -Tu es très mal placé pour dire ça, tu sais ?
    -Touché.

    Un deuxième boulet de canon, mieux aligné, vint confirmer les dires de Brom dans un coup de tonnerre. La rocaille soulevée tombait sur le groupe par paquets, en grêle terreuse et salée. Quelques estafilades légères se formèrent sur les bras et les jambes nus, au hasard des cailloux tranchants qui passaient. Lorsque le calme revint, tous clignèrent des yeux. Le soleil dardait ses rayons juste entre les voiles du navire. Le capitaine profitait du soleil pour mieux aveugler ses adversaires sans être gêné pour appareiller. Des rires résonnèrent dans l'air plombé. Une rage sans pareil envahissait le corps et l'âme de Sören qui ne pouvait nager jusqu'à eux. Son visage s'allongea, ses épaules s'arquèrent. Il était redevenu un loup. Un loup qui hurla sa fureur de toute sa gorge, faisant presque trembler le sol. Il en fut lui-même tellement surpris qu'il manque de perdre l'équilibre.

    Les rires s'estompèrent. Le bateau avançait toujours. Sören serrait les poings, les autres attendaient, anxieux, impatients, ou avides. Brom se dirigeait vers la cabane, où tous les autres étaient déjà rentrés. Son visage de guerrier s'était relâché en un masque de sommeil. Lorsqu'ils le regardèrent, tous surent que cela faisait bien longtemps qu'il attendait une aide qui ne venait pas, et qu'il puisait dans ses réserves les plus profondes pour tenir encore le choc face à la fatigue.

    -Merci à tous pour votre aide. Prenez garde, ils sont plus redoutables qu'ils en ont l'air. Vraiment.

    Uriko tenait Morgan dans ses bras. Sören en avait le cœur fendu, tout en sachant parfaitement que son chemin de vie allait s'éloigner de l'univers du petit peuple de la nuit et des sentiers forestiers. Cette pensée redoublait sa fureur. Jamais il ne les laisserait repartir vivants ! Fidèle à ses erreurs de toujours, lorsqu'il les vit accoster, il n'hésita pas. Il s'élança au corps à corps.


    Dernière édition par Sören Hurlevent le Dim 19 Juil 2015 - 22:10, édité 2 fois
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    Personnellement j'ai rien écouté, j'vais pas dire que j'en avais rien à foutre mais presque. L'alcool commençait à s'échapper de mon corps, la descente ce faisait dure. Heureusement, il me reste deux gourdes pleines accrochées à ma ceinture, j'en aurai eu plus si ce con de Sören ne les avait pas déchirées.
    J'en porte une à ma bouche et prend une bonne gorgée, j'sais même pas pourquoi je l'ai pas fait avant. J'revis. Un sang neuf, vif comme l'éclair du soir traversant la brume !
    Assis sur un morceau de maison explosée, j'observe l'horizon, dans l'vague. Ce navire, j'le vois mais j'm'y attarde pas. Un rafiot sur la flotte, c'est normal. J'veux un signe.
    Mon regard se fixe sur le contenu de ma gourde. Des fois, j'y aperçois mon reflet. Enfin mon... Si c'est bien moi. Merde, je pensais pas que ça me troublerai autant. J'disais toujours que ça m'ferait marrer, que j'serai heureux. Mais il est foutu ce con. J'ai quand même ri Fermal mais c'était nerveux. Qu'est-ce que j'vais faire maintenant ? J'l'ai toujours suivi, partout. Maintenant, j'vais où ?
    J'pose mon coude sur ma cuisse et repose mon menton sur le poing. La réflexion inonde mon corps, mon âme. Mon degré d'alcoolémie n'aide vraiment pas à la tâche.
    Faut que j'arrête de penser à moi. Ouais ! J'suis pas comme ça d'hab ! Ils ont besoin de moi, faut quelqu'un pour leur sortir les doigts du cul !
    J'reprend une rasade de rhum et de détermination. Je me relève, en mettant un temps à trouver mon équilibre.

    " Ouais, là... C'est bien. Voilà ! On bouges plus ! "

    Dis-je à mes jambes.
    C'est bon, je me suis habituer à cette position. J'suis chaud ! J'raccroche ma gourde à mon obi.

    " Bon, les gars ! "

    BOUM. Un débris allait me percuter mais par heureux hasard, le coup de canon m'avait perturbé et fait perdre l'équilibre, ce qui me dévia de la trajectoire de l'énorme rocher.
    En revanche, alors que je reculais, mes pieds se prirent dans un truc. BOUM.
    Je m'écroule comme une d'aube sur le dos. Sans déconner... Arrêtez !
    Wow ! Kékécé ?! Ce p'tain de soleil et ses rayons de la mort ! Ils m'aveuglent. Je reste à terre et ferme les yeux pour moins subir, un hurlement de loup accompagne la scène. Bon. On va pas se laisser emmerder par si peu, j'ai une troupe à motiver ! Sören va pas tout faire tout seul !
    Je me relève, reprend un temps pour m'habituer à la posture "debout" et je m'étire. Une rasade de rhum, hop, ça c'est fait. La suite.
    Je m'approche du reste de la Team d'un pas hésitant mais déterminé.

    " Bon, les gars ! "

    Pas le temps de finir que note loup-garou part tête baissé sur l'ennemi, fraîchement débarqué sur la plage. J'gueule à son attention:

    " OUAIS, C'EST CA L'ESPRIT MON GARS !! "

    Puis je me retourne vers la troupe. J'me tiens le plus droit possible et garde un air sûr.

    " L'heure est grave ! Alors c'est pas l'moment de se morceler, morceler tout l'monde comprend ? Uri ? Jean ? Ok ! Une équipe c'est cool dans les bons moment blabla, mais c'est surtout dans les pires moments qu'on voit le sens du mot équipe ! On vient tous des quatre coins du monde, bon sauf Uriko et moi, on est d'la même île alors bon mais c'est pas l'sujet ! On avait même un ange avec nous, ok pas le plus cultivé mais il était costaud ! Il nous a tous réuni et donné ce qu'on a aujourd'hui, alors certes il est capout, certes c'est dur mais, si tout le monde abandonne tout le monde au moment où on a besoin de tous le monde. Vous vous êtes pas perdu ?! Non ? Ok !
    Alors maintenant les copains, on va faire comme on a toujours fait, comme le cap'tain nous a toujours appris. On lâche rien ! On reste ensemble et on va taper ces cons qui pensent pouvoir s'foutre de notre gueule, comme ça, sans qu'on bronche.


    - Ouais !!

    - Merci Alphonse, j'sais t'es un vrai !! Alors, y'a encore des vrais Rocketeux ici ?

    - Vas-y, j'te suis jeune con !

    - Si le vieux suis alors, j'suis !

    - Sam, IDK, j'vous aime ! Bon Jean, t'restes avec Uriko, tu le lâches pas d'un pouce et toi Uri, tu m'lâches pas d'un pouce ! Quand à toi... "

    Merde, comment elle s'appelle ? J'ai jamais parlé avec, j'les jamais calculé tout court. Trop beurré pour ça. Noadkajou ? Ananas Shisume ! Non... C'est con ... Honake Shizuka ?! Naaaan... Bon, utilisons ma technique ultime !

    "... Ma belle, tu es avec nous ? Si c'est l'cas, même topo. On fonce dans le tas et on reste ensemble. "

    Best plan ever ! Simple, efficace, il a toujours fonctionné avec nous.
    Oubliant déjà la moitié des directives, IDK, Sam, Alphonse et moi, foncèrent a la poursuite de notre vice capitaine.
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    Il m’a arraché un sourire, ce con. Alcoolique, samouraï, voie du sabre. Ça a l’air d’être attaché en lui, alors que chez moi, ça se délite. J’ai eu un sourire qui voulait tout dire. Il n’y a pas besoin de mot, parfois. Je les ai simplement suivis, le cœur plein et gonflé du vent qui bat la grève. Pas après pas, course dans la course. Mon sabre me battait les flancs dans son fourreau autant usé que l’île elle-même.

    On a battu la terre de nos pieds, faisant remonter la poussière dans l’air. Comme sur le Cap. Comme face à Lloyd. Mais cette fois-ci, je n’étais plus seule. Je n’étais plus faible ou misérable. J’ai voulu y croire en cet instant. En voyant ceux d’en face, j’ai voulu y croire de toutes mes forces. Des gamins, des adolescents dans des frusques étranges et aux airs bizarres. Ils arrivent à nous en faisant des bonds de lapins, balançant leurs corps à l’allure singulière. Je n’y ai pas fait attention, à vrai dire.

    Je me suis dit que ce serait facile à surpasser, j’y ai cru de ce qui m’est resté de force.

    Lorsque nous nous sommes rencontrés en deux vagues grondantes et hurlantes, nous ne nous sommes pas présentés. On s’est pas fait la bise, on s’est caressé les joues de la paume, pour mieux se susurrer des insultes par la suite.

    Y’a un truc qui m’est arrivé dans la tronche. Mouillé, puant. J’suis tombée à la renverse, le sabre encore en main. J’ai tout vu tourner. Le sol, le ciel, les autres aux prises avec ces rats fétides. Euh, oui. Les vrais rats et les gamins puants.

    A comprendre trop tard que ce qui m’a embrassé la face, c’est une serpillière. Eau, javel. J’ai craché, suffoqué, grogné à moitié. Enfin de la lumière, dans tout ce fatras puant de produit de nettoyage. Moins transperçante que la douleur qui m’a traversé l’épaule. Elle, une gamine avec des cernes dix fois plus grandes que les bleus que j’ai sur le visage, des yeux effrayants, à me fixer d’un air qu’on ne pourrait qualifier tant son expression lui paraît propre et unique à elle. Et elle appuie sur ma blessure, comme si de rien n’était.


    Quelle grognasse, va.


    J’la repousse tant bien que mal, pour qu’elle arrête d’appuyer sur la cicatrice purulante et encore sanglante que m’a fait Sören. Le sabre qui tremble dans ma main, contre tant bien que mal. Et on se fixe comme des chiens prêts à se jeter à la gorge. Elle bouge pas. Moi non plus. Je pue la transpiration et j’ai des fringues en loques et plutôt crades.

    Quel drôle d’air, quand même. P’têt mon apparence qui lui donne pitié. J’ai la poigne qui sert mon sabre avec colère. J’en ai les jointures qui rougissent et j’me retiens de me laisser aller totalement dans la violence. Encore une erreur d’inattention, et dieu sait ce qu’elle pourrait encore faire. Attendre le bon moment, patienter. Et je compte pas démordre de ma rage, j’la laisserais exploser, progressivement. Alors je lui crache les mots à la figure, je les lui crache avec toute l’eau et l’odeur écœurante de ses produits ménagers :

    -Hinhin. Joli coup par surprise, je m’y attendais pas vraiment. On peut savoir ce que tu fixes comme ça ?
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    Accoudé au bastingage, encore sur le navire, deux hommes plissaient les yeux dans la lumière matinale pour distinguer la scène qui se déroulait sous leurs yeux.
    « ... Et ensuite, j'envoie le plan 1F.
    - Bien, très bien, répondit l'autre. »

    La jeune femme avec la serpillère, Maria Conchitta, fourra son arme dans le seau qui ne la quittait jamais. Elle essora avec une fluidité née de l'habitude et effectua quelques moulinets dans le vent. La plaie de la samouraï qui se trouvait en face d'elle était, sans le moindre doute, pleine de microbes. Il fallait donc impérativement la nettoyer.

    Elma Poignedefer, comme à son habitude, était aux premières loges du combat. Mais elle n'avait jamais su se contenter de regarder. Et elle venait de perdre l'initiative : Maria était arrivée la première. Elle allait montrer à la force de ses poings qu'elle était faite pour le combat. Et le rônin en face d'elle semblait constituer un échauffement idéal.

    Sur le bateau, le duo tourna les yeux vers le loup-garou, qui était à présent aux prises avec l'équipage. Le reste de l'équipage, hors cadre.
    « Ils ont beaucoup progressé, quand même.
    - Ce n'est toujours pas suffisant pour devenir des pirates convenables.
    - Hmpf. »
    Derrière eux, le long du grand mât, des petits gémissements retentissaient alors que Mike Gaver descendait, mal assuré, des clefs à molettes plein la ceinture et un tournevis dans la bouche. Il n'y avait pas à dire, ils adoreraient la surprise qu'il leur avait préparé.

      -Un renégat de la nuit ! Je le crois pas ! Aaaaaah !
      -Petits, petits ♪♫
      -Charles ! Tue le !
      -Minute ! Laisse moi le temps de trouver l'inspiration !
      -Aaaaah, va te faire foutre, fils de Satan ! Par les lucioles de la nuit !

      -Vous dites si je vous dérange ?

      Il avait lâché ça comme un crachat, furieux et triste à la fois de voir que la haine et la bêtise s'applaudissaient souvent de concert en dansant sur des ruines fumantes. Celles de Clock Work, qui essayait de se reconstruire avec au moins trois épines dans le pied : l'isolement, les hommes poissons, et maintenant, ces enfants qui avaient fait du lieu leur terrain de jeu préféré. Oui, il était furieux, l'homme-loup. Et ce fut un poing furieux qui vint s'abattre entre les deux yeux de celle qui essayait de l'immobiliser en invoquant les forces de la lumière.

      Ridicule. C'était ce qu'il pensait. Et pourtant, il se souvenait des vieilles images de son enfance, entre superstitions et vérités existentielles. Il était un maudit. Il ne pourrait plus jamais nager. Et il n'avait encore pas réalisé cette nouvelle facette de sa situation.

      Il se mordit la lèvre. Une lèvre épaisse, retroussée, et des dents acérées aux canines proéminentes.

      ]-Au fond de leurs petites têtes,
      Les rats m'appellent, le roi de la fête !
      Ils dansent quand le chat s'absente,
      Quand il revient, ils... l'édentent !


      Surpris, croyant presque faire face à un avatar du passé, Sören observa le chanteur. Autour de lui, une nuée de rats surgissait pour l'ensevelir. Autrefois, il n'en aurait eu aucune crainte, mais maintenant que l'esprit du chat l'avait quitté, qu'était-il face aux seigneurs des parasites, aux rois des cales et des greniers ? Les rats, énormes, gras, forts, et pourtant, vifs et insaisissables, le griffaient, le mordaient, lui arrachaient des lambeaux de peau et des lanières de fourrure. Il réalisa brutalement que le manque de maîtrise qu'il avait de son corps, pourtant devenu plus massif, plus terrible, le desservait terriblement face à des adversaires qui n'avaient aucune inhibition. Et puis, la tristesse se faisait plus grande encore en lui, écrasant presque la colère au passage. Ce môme, ce Charles, il se battait comme lui-même s'était battu. En chantant, en soumettant ses compagnons naturels à sa volonté sans pour autant user de violence. Et les effets en étaient dévastateurs. Il n'avait plus le goût aux rimes moqueuses pour répliquer. Un coup de balai bien placé acheva de briser sa volonté. Autour de lui, il voyait par intermittence Zegaï, Honaka, Uriko et ses grands yeux vides. Cette dernière vision, bien que rapide, l'ébranla.

      Il reprit forme humaine. Les morsures des rats lui firent plus de mal encore. Mais pourtant, il se sentait un peu plus léger, comme si l'emprise du loup, de son esprit sérieux et pesant, s'était relâchée. Il arracha un rat de son épaule, puis un autre ; les prit par la queue, et commença à s'en servir comme des nunchakus de manière à chasser les autres. Ses gestes étaient vifs, habiles. Et les rongeurs couinaient.

      -Ordure des greniers, cadavres sur le pavé !
      Raclure des étables, je vous tombe sur le râble !
      Peste soit de tous ceux qui en furent les cochers !
      Noire est ma colère, animaux détestables !


      En disant « animaux », il regardait ses deux adversaires avec des yeux de feu. Mais il sentait qu'il avait perdu de sa verve, qu'il ne touchait qu'à moitié là où, lui, avait été ébranlé. La contre-attaque vint bien vite. Et son sens supérieur ne l'avertit pas du coup de manche à balai qui le cueillit à la base de la nuque. Il échappa ses armes vivantes, qui perdaient leur sang par le museau et par le cul. Ses yeux clignèrent. Il ne voyait plus que des mouches. Pourtant, il parvint à protéger son visage et à riposter, d'un mauvais revers de poing.

      -Il... frappe fort !
      -La mécanique folle
      Triomphera bientôt
      Les rats fiers caracolent
      Au doux son des grelots !

      -Quel mauvais présage !


      Et les rats se mirent à danser frénétiquement en cercle autour d'un Sören qui luttait pour maintenir sa forme humaine. Il savait que ses adversaires ne faisaient pas le poids face à lui ; mais il n'aurait jamais imaginé à quel point un changement aussi profond dans son métabolisme pourrait lui fermer les portes du contrôle qu'il avait de lui-même. Un peu plus loin, sur le bateau des pirates, il lui sembla entendre un rire, à peine couvert par le bruit des combats.
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      -Ce que je fixe ? La saleté que tu as sur le bras, voyons !
      -Hein ? T’as jeté un œil à la couleur de l’eau dans ton seau, au moins ?
      -Moins pire que celle de la plaie sur ton épaule. Il faut bien continuer à nettoyer ça, et crois-moi que je vais m’en occuper !

      Et la jeune femme de ménage a continué les moulinets avec son balai à récurer le sol. La couleur grise de l’eau pourrie ne m’inspire pas tant confiance que ça. Tout comme le fait qu’elle ait arrosé d’un geste expert ma blessure. Vu les trucs qui flottent dans son seau, ça ne va pas le faire. Ou alors ça se terminera en infection et amputation, et ça, c’est une issue que j’écarterai totalement si je le pouvais.

      Ce sont les hurlements du loup qui m’ont quelque peu rassérénée. Alors que l’adolescente a repris la danse tournoyante de son balai entre ses doigts de fée pouilleuse, j’ai agrippé mon sabre de toutes mes forces et j’ai tapé.

      Le bruit mat du fer contre le manche du balai a résonné à mes oreilles.

      Elle, a continué d’enchaîner les passes à droite et à gauche. A droite. Et à gauche. En haut et à droite. A gauche et en bas. En diagonale ou en verticale. A l’horizontale, aussi. Et toujours ces mêmes moulinets et ces gouttes d’eau puante. Et j’ai esquivé, et j’ai répliqué en la tailladant maladroitement avec une démarche lourde. Mon épaule tire. L’odeur des produits ménagers me fait tourner la tête. Je titube. Et bam. Et clamp. Souffle coupé, douleur lancinante.



      Les coups de balai dans la face et le ventre que je me prends ne sont pas là que pour faire des bleus. Ça emmène les gens jusque dans un cercueil. Ça m’emmènera dans un cercueil, si je fais rien.

      Alors j’ai redonné un coup de sabre en me tenant l’épaule qui commence à piquer. L’acide, la javel, les saletés. La puanteur et la sueur qui s’accumulent dessus. J’ai redonné un coup pour la démembrer.

      Mais sous mes yeux, tout s’est brisé. Sous mes doigts, tout s’est envolé. Ma lame fissurée s’est littéralement brisé sous la puissance du coup. La gamine a titubé de quelques pas en arrière. Mon sabre détruit est tombé à terre avec un bruit mat.

      A ce moment-là, j’ai retouché du doigt les mêmes sensations qui m’ont prise sur Reverse Mountain face à Lloyd. Ce même sentiment d’échec, de se retrouver face à un mur. La même odeur de crasse qui t’envahit les narines et le goût rêche du sang sur la langue. Raté, encore raté. Et cette fichue épaule qui ne fait que me démanger, bon dieu.

      Une ombre grise m’est passée sous le nez. L’odeur de l’eau et des chiottes aussi, au passage.

      J’ai intercepté le manche du balai en soufflant sous l’effort. Le choc combiné avec une épaule lacérée et aspergée d’eau à la qualité douteuse, ça ne fait jamais de remèdes miracles. Ma blessure commence à me brûler de plus en plus.

      Dernier regard à mon sabre en morceaux par terre.

      Encore un compagnon qui me quitte au fil du voyage.

      Il va encore falloir m’abandonner.

      J’ai un sourire triste, à cette idée.

      La gamine en face de moi exerce toujours une pression violente sur le manche de son arme ménagère et semble bien décider à m’en recoller une.

      J’ai resserré mes poings. Et j’ai envoyé une droite.

      Enfin, un semblant de droite. A moins que ce ne soit une gauche.
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      Tous étaient partis à l’assaut, fidèles à eux-mêmes… Ils avaient pas peur ? Hmm… Nan… Bien sûr que nan, ils avaient toujours fait comme ça, pourquoi ça changerait ? Jusque-là, même en sachant que c’était dangereux, risqué pour eux, ils continuaient d’avancer sans se soucier de ce qui pourrait arriver. Uriko aussi était comme ça avant… C’était ça la Team rocket après tout. Peut-être qu’Uriko était pas encore assez grand et mature pour pouvoir agir de la même manière après qu’il ait vécu tout cela…

      Du coup, il ne faisait que suivre les instructions que lui avait donné Zegou, à savoir ne pas le quitter d’une semelle. L’enfant continuait de s’inquiéter un peu mais au moins cette fois, tout les membres de l’équipage était là, il n y avait plus de travail en solitaire donc tout devrait bien se passer. Oui, car tous veillaient les uns sur les autres, l’harmonie était de retour… Mais pas pour lui… Seul le petiot était encore en proie au doute… C’était tout son monde rempli de couleur qui venait de se teindre de noir et de blanc soudainement.
      Même Tatal qui d’habitude était de nature suiveuse et ne faisais que marcher sur les pas d’Uriko qui le guidait, avait décidé de prendre les choses en main. Le pêcheur amenait son ami et dictait les directives à prendre pour être sûr qu’ils ne soient pas exposés trop au danger. Normalement, c’était le garçon qui était le leader…

      Aujourd’hui il n’était que simple spectateur, mais pour être tout à fait honnête ce n’était pas aussi facile qu’il n y paraissait, devant tout ce chaos ambiant, Uriko parvint tout de même à distinguer plus ou moins ce qui se passait pour ses camarades et la tournure des évènements ne lui plaisait pas trop, cette crainte qu’il arrive quelque chose était trop présente dans son esprit depuis les derniers évènements. Voir Sosow en difficulté n’était pas bon signe, il devait faire quelque chose… Ainsi, le jeunot se détacha de Zegou et couru en direction de Gniaki, ce dernier en plein combats contre des sbires lambda. Profitant d’un moment de répit de sa part celui-ci lui tira la manche pour lui murmurer quelque chose à l’oreille.

      « Hmm… Oui… Je vois. Ok on va faire ça ! »

      L’intention était là mais pas l’expression, il manquait toujours le dynamisme habituel d’Uriko dans son comportement. Ainsi, fuyant la bataille le duo s’en allait préparer un plan de contre attaque que l’enfant avait élaboré.
      Plusieurs minutes passaient et sur le champ de bataille, le combat continuait, chaque membre y mettait de sa petite personne et ironie du sort, Sosow faisait face à des rats, qui devrait pourtant être sa proie et non l’inverse. Le nombre lui faisait défaut ? Qu’à cela ne tienne.

      « Les renforts arrivent ! Good luck Uri !»

      Débarquant du ciel tel un héros Uriko atterrit aux côté du vice capitaine de la Team Rocket. Non pas seul mais bien accompagné. Même très bien accompagné.

      « MRAAAAAAAOOOOOW ! »

      A ses côté et tous retombant sur leurs pattes, trois chats, et pas des douillets domestiqués, non, de vrai bons chats sauvage à en faire pâlir plus d’un. Spouty, Momo mais aussi Grumpy, le chat de Gniaki, Uriko lui avait demandé de réunir les deux boules de poils. La partie allait devenir plus égale maintenant, des rats, Grumpy et Spouty pourraient sans aucun doute en manger au ptit dej’. Sosow n’était pas le seul armé de crocs et de griffes. Il y a plus d’un chat dans la Team Rocket.
      Uriko s’était aussi armé de son marteau, au cas où on s’attaquerait à lui. Levant le bras, il l’abaissa donnant ainsi le signal aux matous d’attaquer.

      « GO ! »
      « MRAAAAOOOW ! »

      Coups de griffes, miaulement gras et couinement apeuré des rats qui pour autant tentaient d’effrayer les bêtes sans succès. Fallait bien lui en donner un coup de patte à notre ami musicien après tout.

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      Sans prendre la peine de sortir mes lames de leur étuis, j'traverse les vagues d'ados pré-pubères en les cognant sec dans l'crâne avec mes katanas au fourreaux. C'est qu'ils offrent pas une superbe résistance ces glands. J'ai pas participé au combat jusque là et sérieusement j'me pose des questions. De une, pourquoi les potes ne les ont pas encore éclaté ? De deux, qu'est-ce que je fous là ? On a vraiment besoin d'moi ?
      J'ai tapé un super discours pour ça ?! Je serai mieux à l'auberge à continuer de picher comme un porc.
      Debout au milieu d'un cercle de gamins assommés, j'décroche une de mes gourdes pour déverser ce breuvage si délicieux. Quelle saveur ! Quelle odeur ! Le p'tit one piece en culotte de velours. Hic.
      Alors que j'referme le bouchon et que j'replace à ma ceinture le récipient au nectar divin, j'entend un beuglement du genre "TAAAAAYOOOOO" et quand j'tourne la tête j'vois une mongole me sauter dessus, bras armé, prête à m'en coller une. Complètement dans l'incompréhension, je prend même pas la peine d'esquiver et son poing vient heurter mon front. A ce moment là, j'saurai pas vraiment vous dire si c'est parce que j'suis totalement beurré où si c'est parce que le coup est aussi puissant que le choc d'une plume sur le sol, mais j'ai strictement rien sentit. On reste un moment figé dans cette position. Elle se dressant face à moi le poing en direction d'ma tête, parce qu'en ayant atterrit là donzelle n'était plus du tout assez grande pour me toucher la tronche, alors que j'reste debout à la regarder, en proie à de multiple question.
      Soudain, je m'écroule... de rire. J'me roule au sol en me tenant le bide, j'ai pas ris comme ça depuis un bon moment.

      - QU'EST-CE QUI TE FAIT RIRE CONNARD !!!

      - AHAHAHAHAHAH... Non mais... AHAHAHAHAHAH

      - TU TE PAYES MA TRONCHE ENFOIRE !!

      - AHAHAHAHAHAH... Pas... AHAHAH... Pas du tout ! AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHAHAHAHAHAHAHAH !!

      Au bord de la crise de nerf devant ma réaction, la jeune fille se place au dessus de moi et se met à me ruer de coup avec ses petites mimines. J'en pouvais plus.

      - AHAAAAAAAHAHAHAAAAAHH OUUUUH OUHHH ARRÊTES ! ARRÊTES !! AHAHAAAAAH J'VAIS MOURIR AAAAHAHAHAAAAH

      - MAIS FERMES TA PUTAIN DE GUEULE J'VAIS TE MARAVE !!

      - OUHOUHOUH AAAAAAHAHAHAHAH CA CHATOUILLE ! STOPAHAHAHAHAH !

      Bim ! Un kick dans les bijoux de famille. J'ai eu mal, comme tout homme qui se respecte, mais pas assez pour arrêter mon fou rire. J'me tiens les parties tout en continuant de rouler au sol, mort de rire. Elma elle, virait au rouge de chez rouge, une tomate ferait pâle figure à côté d'elle. Pendant qu'moi, j'voyais mon dernier souffle arriver, mais vraiment pas de la manière que j'avais imaginé pour ma fin de carrière.
      Au bout d'un moment, j'fini par me relever, me tenant d'une main le ventre et de l'autre mes valseuses.

      - Attends ! Attends ! Ah'ah'ah. Pouce ! Pouce ! Ah'ah'aah... J'reprend mon souffle.

      Dis-je en ramassant mes sabres et les raccrochant à ma ceinture, puis je repris une gorgée de rhum.

      - Bordel... pfffiiiiouuuu... merci, j'en avais bien besoin. La vie est pas facile mais croiser des gens comme toi, ça fout du baume au cœur. Ah'ah.

      PoignedeFer ne disait plus rien et au moment où j'allais porter à nouveau ma gourde à la bouche, cette saloperie osa un coup de pied sauté et fit voler mon trésor à quelque mètre de moi...
      J'ai changé d'humeur. Pour sûr que l'aura du démon de l'alcool apparaissait se matérialisait au dessus de ma tête. Mon regard fumant de fureur se tourna vers la petite, qui ne sût pas comment réagir sur le coup. Je l'empoigne fermement par le col avec mes deux mains et la soulève au niveau d'mon visage.
      Coup de boule monstrueux dans sa gueule. J'lâche mon emprise pour la laisser tomber au sol comme une merde. K.O. ? J'sais pas, mais ça la bien calmée.
      Sans demandé mon reste, j'lui tourne le dos et part récupérer mon bien.

      - Faut pas déconner, j'veux bien rigoler mais y'a des limites.

      Expliquai-je en ramassant la gourde et la rangeant à sa place, tout en la bichonnant et lui murmurant des mots doux. Un rhum stressé est un mauvais rhum.
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      Sur le bateau des Intérimaires, le capitaine, Man Power, fronçait les sourcils. Il n’avait pas escompté que son équipage battrait les étranges chasseurs de primes, mais de là à se faire assommer aussi vite, tout de même. Le bateau-stoppeur lui jeta un regard impénétrable.
      C’était là que les rats étaient entrés en scène. Puis les chats. Et maintenant, voilà que les fidèles rongeurs de Charles grondaient et crachaient, davantage prêts à fuir qu’à combattre. Un des chats, surtout, semblait les subjuguer et les écraser de sa présence naturelle, et aucun vers, aucune chanson de Clarinette ne semblait pouvoir changer cela.

      « Gros matou est là
      Sale matou fait le fier-à-bras
      Mais contre les rats
      Fier matou ne survivra pas ! »

      Sur un grondement du chat nommé Raspoutine, les petits rongeurs s’écartèrent de leur chemin, la peau hérissée et les babines retroussées sur un rictus partagé par le musicien, qui soufflait à qui mieux-mieux dans ses instruments.
      Mais la route ainsi ouverte par les félins ne se refermait pas, laissant le loup-garou avancer d’un pas lourd d’intentions vers le navire.

      « Mike ! Envoie la machine ! Ordonna Man Power.
      - Et moi ?
      - Envoie tes plus puissants sortilèges, Lucie…
      - Yay !
      - Vous pensez que cela suffira ? Demanda l’entraineur.
      - Vous le dites vous-mêmes. On en vient souvent à un duel entre capitaines. S’il le faut, je descendrai du pont pour remettre ce chien dans son panier.
      - Bien. Bien. »

      A quelques mètres de là à peine, la samouraï maintenant désarmée venait de frapper Maria au visage, déchainant chez elle des cris d’orfraie alors qu’elle se plaignait que son adversaire ne s’était pas lavée les mains avant de la toucher. Avant de toucher quoi que ce soit. Ne s’était pas lavée les mains.
      Maria Conchitta riposta d’un coup sec de sa serpillère, tout en faisant tournoyer son seau qui envoyait des gouttes d’eau sale et de produit nettoyant dans tous les sens. Puis elle lança un plein baquet d’eau vers la troupe de rats toujours distraits par les chats :
      « Enfin j’vous attrape, crevure de vermines ! »

      Man Power nota enfin qu’Elma venait se perdre son duel, de manière sotte et humiliante qui plus était. Il la mettrait aux travaux forcés pour l’endurcir, à l’occasion. Enfin, le samouraï ne semblait pas vouloir reprendre le combat. Et voilà que Maria faisait n’importe quoi, en dépit de toutes les formations qu’ils s’étaient chacun évertués à apprendre. Le bateau-stoppeur paraissait grognon, déçu, et les regardait en secouant la tête.
      « J’y vais, lâcha le capitaine pirate, redonner du cœur aux troupes en écrasant ceux-là. Mike, tu t’occupes des autres. L’enfant, les chats et les deux rônins.
      - Et moi ?
      - Bon, Lucie, tu t’occupes des chats et du gamin, alors. L’abîme pas trop, il ferait un excellent mousse. »

        Les chats... ils l'avaient sauvé. Juste le coup de pouce qui lui manquait vraiment. Évidemment, c'était à Uriko que Morgan et l'autre affreux avaient obéi, mais pour Raspoutine, il ne pouvait pas se tromper. Il était venu l'aider parce qu'il le voulait bien ; parce qu'il s'en cognait éperdument d'avoir une dette envers un loup, un homme ou un goéland. Sören se sentit alors soulagé, pour la première fois depuis qu'il avait mangé le fruit maudit. James était mort, la Team n'était plus, ils menaient un combat absurde, il ne pourrait plus jamais nager ; mais les chats ne l'avaient pas entièrement renié. Une petite victoire qui suffisait à lui donner une nouvelle énergie.

        Épaules relâchées, regard clair, il reprit forme humaine ; porta une main leste droit au col de son adversaire, qui peinait maintenant à endiguer le mouvement de fuite de ses petits combattants. Lorsqu'il releva les yeux, ce ne fut que pour mieux voir s'y encastrer un poing qui lui sembla démesuré. Il s'effondra tout d'un bloc, dans la masse vivante de ses rats qui l'observèrent un instant, interdits, soudain privés du charme de la flûte.

        Puis, ceux qui avaient survécu aux chats décidèrent d'un commun accord que la vengeance et la rancune n'avaient rien d'une faute morale.

        -Non ! Non ! Capitaine ! A l'aide ! Aïeuuuuh.

        Comme s'il avait répondu instantanément à l'appel, un homme osseux, de forte stature, s'était comme matérialisé dans son dos, et avait chassé le musicien d'un coup de botte. Le coup et l'apparition vinrent frapper au carreau des sens de Sören en un seul mouvement, qu'il épousa sans se poser de questions. Un coup d'épée bien ajusté venait de couper une mèche de ses cheveux, et de dessiner un sillon sanglant sur sa nuque. Pourtant, il demeurait calme, les appuis bien en place, et les poings fermés. En lui, il sentait la présence rassurante du haki. Ça lui venait plus facilement quand il était concentré. Et avec les chats à ses côtés, il se sentait terriblement rassuré. Le loup ne revenait pas. Il le contrôlait, le muselait dans un coin de son corps et de sa tête.

        En face, il sentait bien que son nouvel adversaire tentait de se donner une contenance qu'il n'avait pas. Pourtant, rien ne venait gâcher l'apparence ; le sabre, le sextuple canon, tout le bordel de dentelles et de bottes cirées, jusqu'au tricorne. Mais il y avait un détail qui détonait, un détail qui faisait sourire Sören intérieurement. Ses jambes ; elles avaient l'air de ne plus vraiment vouloir le porter, comme si elles disaient à leur manière qu'elles n'aimaient qu'à moitié le fait d'être à moins de deux mètres d'un loup-garou particulièrement flippant et versatile.

        Peu décidé à jouer, il attendit le premier coup, silencieux et immobile ; premier coup qui pris la forme d'une déflagration qui le manqua de peu. Mais cette fois-ci, il était prêt. Son esquive fût infime, minimaliste, mais terriblement efficace. L'espace d'un instant, il eut peur que les balles touchent quelqu'un d'autre. Mais rien ; et puis, la fortune leur avait assez pompé de sang pour la journée. Maintenant, c'était à eux.

        A pas de loup faute de pouvoir encore le faire à pas de velours, il s'approcha silencieusement. Feinta, plongea entre ses jambes, les ramassa dans les arceaux de ses bras, se redressa en soulevant le tout. Le capitaine jura, les mains au sol et la tête à l'envers, dans une posture d'impuissance qui n'avait rien pour rassurer ses matelots. Mais Sören n'était pas du genre à faire durer l'angoisse d'autrui. Alors, il frappa, coup de pied unique, en plein ventre.

        … et entendit ses os craquer.

        Ses os à lui. Pas les siens. Évidemment, il était pieds nus, comme à l'accoutumée. Mais il y avait autre chose. Aucun os humain n'était capable de lui faire ça à lui. Surtout pas après l'endurcissement physique que lui avait fait connaître la Route.

        Il plissa des yeux. Un plastron noir était apparu furtivement sur les vêtements du capitaine. Lui n'avait jamais vu ça, mais il avait entendu nombre d'histoires et de rumeur, du temps où il arpentait tous les bistrots des Blues en quête d'une petite pièce pour une représentation, d'un repas chaud ou d'un toit. C'était sûrement une autre forme de son pouvoir à lui.

        Et cette autre forme venait probablement de lui flanquer l'entorse de sa vie. Il serra les poings, ignorant la douleur. Il savait que ce n'était rien d'autre qu'une information ; pas une fatalité. Et c'était moins que ce que Brom et les autres avaient à endurer.

        -Style du Lèche-Bottes : Alpha !

        Il n'avait pas perdu la vieille habitude de hurler le nom de ses techniques. Si cela pouvait paraître parfaitement ridicule dans la bouche d'un certain type d'hommes préférant dédier leur énergie à cultiver un style vestimentaire et à apprendre des poses de combat souriantes, dans celle d'un ancien contremaître habitué à diriger des gens et à jouer avec les émotions des autres, c'était autre chose. Dans un coin, un rat se ratatina comme s'il voulait à tout prix se faire oublier. Sören rugissait, plus lion que loup, plus loup qu'homme.

        Il y eut un déplacement d'air ; une centaine d'attaques, toutes orientées sur les armes du capitaine, qui vibrèrent tant sous les chocs que le canon finit par exploser. Sören ne frappait ni pour faire mal, ni pour tuer, il frappait pour montrer qu'il pouvait faire encore plus fort. Et il continuait, esquivant les faibles contres du malheureux capitaine comme s'il n'avait été qu'un filet d'eau orienté par un courant d'air. Puis, lorsqu'il le sentit céder, il eut un mouvement de gentillesse et d'empathie.

        Il lui pris la tête à deux main et lui écrasa le front contre son genou, pile entre les deux yeux..



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        Et vlan.

        Un coup dans ma face.

        Et cette odeur insipide qui m’envahit le nez.

        Mes mains attrapent à tâtons le manche de son immonde serpillière et je l'entraîne dans ma chute. Tout tourne et tout tinte : les feulements des chats, les couinements des rats et des grognements de bêtes. Les cailloux me raclent les coudes, mais je respire et je vois à nouveau. Elle, je l'entends gémir que le sol est dégoûtant et que mes mains sont vraiment crades.

        Bichette.

        Les pierres crissent sous le choc et le poids de notre chute.

        Mon dos grince de douleur, mes mains gémissent, mais je me relève avec plus ou moins de mal. Une ombre grise. Un pas en arrière, les bras qui se tendent en avant. La femme de ménage me regarde avec un air de dégoût alors que je bloque le balai de deux mains.

        Elle siffle en grimaçant :

        -Enlève tes sales pattes de là ! Ou lave-toi les mains avant, au moins !

        Un grincement d'agacement me passe entre les lèvres.

        -Sales pattes, mes mains ? Tu veux vérifier l'état des pieds, tant qu'on y est ?

        Et j'ai tapé d'un coup sec dans les genoux. Elle a plié en répliquant d'un coup sec de balai dans mon épaule. J'ai grogné. Elle a persiflé.

        -Ne me touche plus !

        Bam. J'ai recogné. Dans la joue. Une première fois. Elle est tombée sur le côté, en lâchant son nécessaire au ménage. Et une deuxième. Dans les côtes. Un grognement furtif et un dernier "TES MAINS SONT SALES". Et une troisième. Sur le sommet du crâne. Et je me suis arrêtée en voyant qu'elle était assommée. Il n'y avait plus que la fatigue, la sueur et la douleur lancinante de mon épaule. Il n'y avait plus rien à part mes sens et une étrange émotion qu'on ne peut définir. Je me suis sentie comme une bête, à avoir lutté pour ma survie.

        J'ai relevé la tête en crachant un peu de sang sur le côté. J'ai tenu mon épaule d'une main, et j'ai jeté un regard vers les autres, à mes côtés. Sören, Zegaï, Uriko, et des chats.

        Une brûlure rapide. La vision qui se floute pendant quelques secondes. Un coup d’œil vers ma blessure. Du pus et du rouge. Grimace amère. D'un signe et d'une démarche, j'interpelle le ronin alcoolique :

        -Eh, Zegaï... Dis-moi que t'as encore quelques gouttes, sinon, c'est fichu pour moi. Ouais, ça sera fichu...

        Je trébuche dans les gravats. La terre tourne autour de moi. Mes jambes traînent leurs gros sabots. Bientôt, c'est le ciel qui me tournera au-dessus de la tête. Bientôt, c'est ma tête qui roulera dans l'inconscience.
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