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Des Pions et une Dame

J’ai une mine affreuse.

C’est un point de vue assez subjectif, mais je n’aime absolument pas mon visage et encore moins ma coupe de cheveux sur laquelle la coiffeuse s’échine à la rendre « présentable ». Elle brosse. Elle tresse. Elle fait des nœuds. Moi, je dis juste qu’elle tire dessus et qu’elle les abime. C’est fou comment c’est douloureux, le traitement qu’elle inflige à mes cheveux. J’ai plus l’habitude qu’on me fasse mal avec de la chair ou de l’acier, je n’aurais cru qu’un peigne ou une brosse à cheveux puisse être aussi terrible. Je grogne, je m’agite sur ma chaise rembourrée en demandant grâce. Mais la coiffeuse est intraitable, sorte de vieille peau qui a passé toute sa vie à coiffer les petites filles aux comportements tout aussi agités. Acariâtre, elle ne cesse de marmonner contre mon hygiène de vie, le traitement que j’inflige à mon corps et l’odeur soi-disant pestilentielle du sang et de la sueur qui imprègne ma peau, malgré les quinze bains aux multiples essences de fleurs qui me font maintenant l’effet d’un champ de fleur directement sous mon nez. Elle me dit aussi que je devrais avoir les cheveux longs, que c’est une marque de féminité. Il y a un standard, parait-il, c’est de se couper les cheveux à partir du moment où l’on s’assoit dessus. C’est complètement fou ! Une aussi imposante masse de cheveux qui virevoltent dans les airs en plein affrontement, ça ne peut que me gêner la vue. Les vieilles coiffeuses séniles n’ont aucune considération pour les choses de la guerre. Elles brossent les princesses comme on brosse un caniche dressé à parader. Moi, un jour, je serais pitbull et gaffe à la main dans mes cheveux.

-ça ira comme ça…

Elle termine ses manipulations capillaires par ces mots assénés comme une conclusion pleine de reproches à mon égard. Je souffle, satisfaite que le calvaire soit fini avant de jeter un regard dans le miroir me faisant face. Si le visage de la vieille est plutôt repoussant, ses traits étant enlaidis davantage par son air déçu, l’autre qui se révèle à mes yeux est bien plus agréable, à ma surprise. Je parais méconnaissable. Les cheveux artificiellement relevés dans un chignon stylisé, laissant une frange me tomber sur l’œil gauche, une petite chose s’éveille en moi. L’esprit de petite fille qui n’a pas eu loisir de s’exprimer durant son enfance. Celle qui lisait des livres d’images pleins de princesses aux belles coiffures et aux belles robes, mais qui redevenait la fille de bucheronne quand elle fermait le livre et rejoignait son frère pour reprendre la découpe d’un chêne centenaire. Je reste comme émerveillée par cette vision exceptionnelle, comme lorsque mon père m’avait offert ma première hache de bucheron. Ce n’était pas le même rêve, mais le visage que j’ai aujourd’hui, c’est surement celui de la petite fille rêvant de prince et de princesse.

-Avec davantage de moyens, de temps et de personnels, je serais parvenue à un résultat beaucoup plus potable, mais puisque l’art est bien peu de choses comparées au temps qui nous reste avant le début de la réception. Quoi qu’on dise, les miracles n’existent pas.

Je pourrais lui dire que ça me va, mais ça ne ferait que la fâcher. Je n’ai pas le temps de sortir de ma rêverie qu’elle m’empoigne le bras et me tire vers les armoires, les ouvrant toutes à la suite. Là, j’ai la surprise de découvrir la plus grande collection de robes qu’il m’était donné de voir. Du satin, de la dentelle, des couleurs par centaines ; elles sont toutes différentes. Certaines ont même leurs accessoires associés : sacs à mains, bas-résilles, boucles d’oreilles… La coiffeuse qui se révèle être aussi une tailleuse hors pair se retourne vers moi et me regarde sous toutes les coutures, énumérant des nombres qui doivent correspondre à ma taille sans savoir si c’est beaucoup ou non. La réponse ne se fait pas attendre.

-Il faudra faire un régime.
-Mais je ne suis pas grosse !
-Vous savez très bien ce que je veux dire, ne faites pas l’enfant ! Ces… « Protubérances » à vos jambes et vos bras ne siéent pas à une femme. Laissez ça à la rustrerie des hommes de bas étage. Une femme se doit d’être fine et élancé, pas d’être une vache sur deux pattes !

Ça ne me fait rien. Elle est dans son monde. Un monde de fanfreluche ou les femmes les moins bien habillées sont sans doute les servantes, même si elles sont plus gracieuses que moi. Ça doit lui faire mal de s’occuper de moi, mais c’est les ordres de Dame Claire. Et quand c’est la patronne qui ordonne, on laisse de côté ses gouts et on obéit.

-Je crois en avoir quelques-unes où vous pourriez… rentrer.
-Pourquoi pas celle-ci ? La noire ?
-Trop simple. Pas assez percutant. Et ne donnez pas votre avis ! Vous n’avez aucun gout, c’est indéniable. Laissez-moi choisir à votre place, j’ai eu des instructions très précises de Dame Claire, bénie soit son nom et sa beauté !

Faut dire que Claire de Kharov a dû écouter et assimiler toutes les leçons de la vieille peau tellement cette dernière parle en bien d’elle. C’est l’incarnation de la beauté, le firmament de son art de beauté dédié aux jeunes femmes du beau monde. Me laissant en plan quelques instants au milieu des robes bien trop petites pour me permettre de les utiliser, elle revient rapidement avec un vêtement aux reflets rouges et ocre. Elle hoche de la tête, satisfaite.

-Quelque chose de sauvage et de glamour en même temps, c’est parfait pour vous. Enfilez là ! Dépêchez ! Ça a déjà commencé.

Je m’exécute avec une fébrilité certaine. C’est que je n’ai jamais eu l’occasion de porter un vêtement d’un tel standing. Et plus d’une fois, je crois sentir le tissu se déchirer sous les contraintes que je lui soumets pour m’habiller correctement. Finalement, mes peurs se dissipent lorsque tout à coup, je me contemple dans un vaste miroir. A nouveau, je sens la nostalgie de la petite fille que j’étais face aux portraits de princesse, car j’en ai tout l’air. Une sublime robe légèrement fendue au milieu, révélant le crin de ma jambe droite. Des bordures stylisées aux reflets d’or. Deux formes de loups d’un rouge plus puissant partant de mes hanches pour venir couvrir ma poitrine en un bustier un petit peu provocateur. Je regarde tout ça d’un œil stupéfait tandis que la vieille hoche du chef en murmurant dans ses rides.

-Oui. Oui. Percutant. Charmeur. Animal. Bon choix. Bonnes couleurs. Bon découpage. Tissus agréables. Dame Claire sera ravie.

Elle me tire alors de ma rêverie pour m’apporter une paire d’escarpins associe à la robe que je m’empresse d’enfiler avant de m’apercevoir que je les broie sous mon poids. La coiffeuse lâche une moue dédaigneuse, mais ne s’avoue pas vaincue. Elle finit par dénicher une paire de sandales haute couture aux reflets d’argents qui me sied à merveille. Elle enchaine sur les boucles d’oreilles avec deux énormes anneaux d’or, mais le regard que je lui fais aussitôt suffit à l’arrêter. Non, ça, je refuse.

-Mouai, mouai, mouai… de toute façon, ça ne pourrait pas être pire.

Et c’est sans attendre qu’elle se saisit de quelques outils de maquillage pour me finir le portrait. Un peu de poudre blanche sur la peau, du rouge à lèvres, du mascara doré et quelques paillettes sur le front. C’est très tendance, parait-il. Elle me fait tourner une dernière fois sur moi-même avant de conclure.

-J’ai rarement habillé un ours hirsute, mais au moins, il n’est plus hirsute.

Il y a certaines limites à l’auto-modération et je serais bien tentée de lui faire comprendre de la boucler la prochaine fois, au lieu de l’ouvrir. Mais c’est la fin de mon simili calvaire avec elle, car elle me presse de rejoindre la petite fête organisée par Dame Kharov dans son hôtel particulier. Et quand j’entrouvre les rideaux séparant le couloir des coulisses de la salle de réception, la lumière m’aveugle un instant. Je me couvre les yeux, mais la furie me pousse en avant. C’est mon premier pas dans le monde d’en haut.
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Rapidement, je distingue deux types de personnes. Il y a d’abord le petit personnel qui s’échine à se faire le plus discret possible afin de ne pas entacher la vue de la deuxième catégorie. Rapides et agiles, ils se faufilent entre les convives, portant de lourds plateaux de petits fours et de coupes de champagne tout en ne touchant personne. Ils apparaissent quand un verre se vide et quand une main n’a plus rien à porter à sa bouche. Ils sont nombreux, et pourtant, ils n’auront pas un seul regard des autres. Heureusement. Car s’attirer leur attention, c’est l’assurance d’avoir fait une bêtise. Cette deuxième catégorie, c’est tout l’inverse de la première. La ribambelle d’invités de Dame Claire n’a qu’une seule idée en tête : prendre le plus de place sur tous les domaines possibles. Les rires sont forts, les éclats de voix aussi. Le brouhaha est terrible pour celle qui n’y est pas préparée : moi. L’astuce est sans doute de ne pas écouter son voisin, car ce qu’il dit n’est de toute façon pas intéressant. Et comme l’objectif est d’occuper l’espace, il ne faut se préoccuper que de ce que l’on dit. Et qu’on le dise fort. Quand ce n’est pas par le nombre de décibels que les convives s’affrontent, c’est par l’opulence de leurs vêtements, bijoux et autres accessoires de mode. Les richesses s’étalent sur les corps au même titre que la graisse pour certains bonshommes n’ayant aucun scrupule à occuper deux sièges de leur immense carcasse. Mais c’est sans doute sur le plan de la renommée que tout le monde s’affronte. Car au final, c’est la réputation des gens qui fait tout. Et on a beau parler fort, si l’on est bien moins illustre que son voisin, on ne fait que crier dans le vide.

C’est ainsi que je me retrouve là, perdue au milieu de ces guéguerres qui me passent bien au-dessus de la tête, sans savoir quoi faire. Hélas, les convives sont toujours avides d’être les premiers sur n’importe quelle sujet et mon apparition ne passe pas longtemps inaperçue.

-OH ! MAIS C’EST L’AUTRE GLADIATRICE ! LA BÊTE !

Le premier est un homme entre deux âges et à la barbe finement taillée. Sans aucune gêne, il vient poser sa main sur mes muscles au travers de ma robe et il montre cela à la cohorte d’insectes pique-assiettes qui s’est soudainement agglutinés à côté de moi.

-Fascinant ! Je n’aurais jamais cru que ce soit si gros de près !
-Et cette fermeté, vous l’avez touché ?
-Bonté divine ! Comment peut-on imaginer un tel physique ?
-Ce serait un homme que je ne serais pas surprise, mais c’est une femme !

Les commentaires vont bon train. Et malgré les premières secondes où je me satisfais d’attirer l’attention ainsi, je me rends rapidement compte qu’il n’y a rien d’une relation normale là-dessous. Je ne suis pas humaine pour eux. Je suis une chose. Une bête de foire que Dame Claire exhibe pour le plaisir de ses invités. Derrière les visages faussement intéressés, je perçois le dégout que je leur procure. Les femmes sont les pires. Je suis une aberration pour elles qui ne doivent pas savoir porter plus d’un sac à la main sans se rompre le poignet. Du dégout chez les hommes qui ne connaissent que les honorables et distinguées femmes de la haute société et les délicieuses maitresses entretenues pour les entretenir. En d’autres circonstances, ils ne m’auraient même pas regardée. Je n’existe que parce que je suis l’objet de Claire de Kharov, le toutou qu’elle exhibe dans l’arène et qui gagne pour la gloire de son nom. Pour eux, il viendra le temps ou le jouet rencontrera bien plus fort que lui et ce jour-là, le jouer sera remplacé par une neuve. C’est inévitable.
Être ainsi au centre de l’attention devient rapidement une torture. Les convives forment une marée de visage désabusé par le vide de leur vie, mais se plaisant à trouver pire qu’eux, selon leurs critères bourgeois. J’en suffoquerais presque. Heureusement, mon secours s’incarne en la personne de la maitresse de maison. Claire de Kharov fait son apparition, agitant son éventail, écartant les invités comme on écarte des mouches avant de poser à son tour sa main sur mon bras. Cette fois-ci, cette main ne veut dire qu’une seule chose : je suis à elle.

-Mes amis ! Je vois que vous avez rencontré ma fantastique combattante ! Je suis ravie qu’elle vous plaise et je suis persuadée qu’Adrienne est heureuse de pouvoir vous fournir une animation de cette qualité.
-Dame Claire ! Elle est tout bonnement impressionnante ! Mais vous feriez nous l’honneur de pouvoir l’observer sous ses aspects les plus… bestiaux ?
-Oh ! Mais bien sûr, maitre Kreever, voici une excellente idée et une formidable animation. Adrienne ? Veux-tu satisfaire la demande de notre ami à tous ?

Claire me jette un regard assuré et mielleux, comme elle en a le secret. Elle me sait piégée, forcer de faire tout cela et prend toujours un malin plaisir à me le faire rappeler. L’annonce de ce qui doit suivre a attiré l’attention de toute la pièce sur moi. Même les invisibles serveurs laissent échapper des regards en coin pour avoir la chance de m’apercevoir sous mon aspect démoniaque.

-Mais, Dame Claire ? La transformation ne va-t-elle pas abimer cette superbe robe que vous lui avez certainement offerte dans votre grande mansuétude ?
-Voyons, Dame Charlotte, je n’autoriserais jamais qu’on puisse détruire un si bel ouvrage. Les mystères des fruits du démon sont nombreux. Et parmi ceux-là, ils sembleraient que les tissus se déforment pour toujours épouser la forme du corps.
-Mais cette robe sera totalement déformée alors !
-Mais non, mais non, Dame Charlotte. Quand elle reviendra sous sa forme humaine, la robe reprendra sa forme d’origine.
-C’est tout bonnement fantastique !
-En effet, Dame Charlotte. Et puis, je ne saurais laisser une demoiselle exhiber son corps dénudé, du fait de sa robe déchirée, à vos regards chastes et pudiques.

Des paroles en l’air, car nombreux ont eu l’envie de pouvoir dévisager crument mon corps mis à nues. Pour être encore plus dégouté de mon physique inhumain selon leur standard. Et pour davantage me faire sentir que je ne suis pas humaine, à peine un animal. Je cherche dans le regard de maitresse du moment une once de pitié. Les prémices d’un mot qui m’empêchera de m’abaisser à une telle humiliation, mais rien ne vient. Il y a autant d’émotions dans son regard que dans celui d’un assassin : juste le plaisir mesquin de faire souffrir. Et la souffrance psychologique est un bien plus grand régal que celle de la souffrance physique.

-Alors, Adrienne ? Qu’attends-tu ? Ne sois pas timide.

J’ose la soutenir du regard un instant. Le voile de colère qui passe sur ses traits me rappelle que je ne suis pas maitre de mon destin en ces lieux. Pas encore. Encore une  fois, je baisse les yeux, torturant mon honneur et le jetant au fin fond de mon esprit et je m’exécute sans cœur. Ma chair se transforme, se tord et se mélange aux tissus de la robe. Ma taille grandit et ma silhouette devient trapue. Les premiers rangs reculent d’un pas, surpris par l’augmentation de taille qui parait bien plus importante de près que depuis les tribunes de l’arène. Mon visage se déforme et devient encore plus laid, même de l’avis de la coiffeuse. Si mes muscles paraissaient imposants, ce qu’ils deviennent impressionne davantage. Ma peau devient aussi dure que la carapace du bousier, recouvrant mon dos et mes épaules. Je ne pousse pas jusqu’à la forme animale. Je ne sais pas si je serais capable de dire non à la petite voix, avide de sang, de mon démon. Je n’ose les regarder, mais je sens leur regard sur ma nuque. Je me fais sourde à leurs commentaires où le fiel se fait de moins en moins discret. On se libère de la bienséance pour se moquer ouvertement de celle qui, de toute façon, ne rejoindra jamais leur rang.

-Bien, ça suffit. Tu peux arrêter, Adrienne.

Le salut vient de celle qui m’a humiliée. Je relève les yeux, surprise, croisant le regard de Claire de Kharov, une petite moue aux lèvres. Elle ne semble pas apprécier que ces convives s’abaissent à me critiquer si ouvertement. Car se moquer de moi, c’est se moquer du jouet de la Dame. Et cela fait partie des choses qu’elle accepte difficilement. Comme beaucoup d’autres choses d’ailleurs. Je ne me fais pas prier pour retrouver ma forme humaine avec une rapidité qui déconcerte certains convives. Ma peau retrouve sa texture tandis que mon visage retrouve ces traits emplis d’humanité. Une silencieuse colère en l’occurrence. Je murmure un petit « merci » à l’attention de Claire qui hoche la tête. Puis elle se retourne vers sa servante attitrée.

-Bon. Quand est-ce que mon père est censé arrivé ? Je meurs d’envie de lui montrer mes nouveaux jouets !
-Il a dit qu’il sera bientôt là, Maitresse. Mais qu’il ne pourrait rester bien longtemps. Il a des affaires à traiter avant de partir pour le Royaume de Drum.
-Ah oui ! Je dois l’approvisionner en grand cru ! Sa cave s’est vidée dernièrement et il va sans doute longuement discuter avec le Roi de Drum !

Dame Claire lance un regard méprisant à l’homme qui vient de s’inviter à la conversation. Vraisemblablement, cet individu qui ne mérite même pas d’être nommé va passer davantage de temps avec le patriarche de Kharov que Claire elle-même. Et cela a le don de l’énerver. Elle chasse d’une main l’impotent et s’éloigne dans la foule. Je m’aperçois bien vite que je ne suis plus le centre d’attention des invités. Ils sont retournés à leur conversation sans intérêt et leur lutte d’influence dérisoire. C’est à peine si certains continuent à parler de moi, mais ils cessent bien vite, car parler de moi, c’est ne plus être à la page. C’est du passé maintenant.

-C’est bon ? Ça te plait de me piquer la vedette ?

Les paroles sont assénées en même temps qu’un coude d’épaules solide qui ne me fait pas bouger, évidemment. Il aurait envoyé, tête la première, n’importe lequel des individus ventripotents de cette salle. C’est Haya, naturellement, ma sœur d’Arène. Accessoirement ma cible pour le compte de l’Église de la Juste Violence, mais tant que l’avenir réside dans les combats d’arène, je préfère l’avoir à mes côtés que six pieds sous terre. Elle aussi a été toilettée pour être plus présentable. Toutefois, elle a conservé un certain code vestimentaire à l’aide d’un bustier d’argent et de nacre, formant comme une cotte de mailles stylisée, complétée par une jupe longue brodée d’anneaux aux reflets d’or. Elle me faisait un peu penser à une Walkyrie, celle des légendes. Une femme alliant le charme et la force. Ça me fait penser à mon ex-équipage qui a été beaucoup pour moi. Ça me fait penser à Old Crow, l’ex-capitaine, qui est peut-être encore sur cette ile à suivre les ordres du Commodore Achab. Tout cela me fait sourire. Ça tombe peut-être au mauvais moment, car Haya le prend pour elle. Il ne faut jamais oublier qu’elle est très susceptible en matière de gloire.

-ça t’amuse ? Tu veux te battre ?!
- Non, excuse-moi, Haya. Je pensais à autre chose.
-C’est ça. Alors continue de penser à autre chose et reste ici. Il n’y a pas assez de place pour nous deux sur le devant de la scène.

Disant cela, je la vois s’amuser à faire pousser des piques dans la paume de sa main, comme une menace. Avec le temps et le nombre qu’elle m’a fait, ça ne me fait plus grand-chose. C’est dans sa nature d’être menaçante. Elle ne connait que ce moyen pour s’exprimer. Déjà, je ne l’intéresse plus. Son regard se braque sur les convives, à la recherche de ceux qui sauront parler d’elle, la féliciter et plus faire plaisir. Haya veut qu’on parle d’elle. Aussi, elle veut être l’égale de ces gens qui passent au milieu du personnel de maison en se goinfrant de petits fours. Je voudrais lui dire d’abandonner. Lui dire que nous ne sommes rien et que nous ne serons jamais rien pour eux, mais Haya est berner par ses propres rêves de gloire. Pour elle aussi, il y a une petite fille qui lève les yeux vers un rêve qu’elle n’a jamais pu avoir. Je pourrais deviner une enfance difficile où elle n’a jamais connue ce plaisir d’être une enfant choyée par ses parents. Être au centre du monde de la famille, avoir de la valeur pour des gens. Cette absence, elle le recherche aujourd’hui. Et plus je la vois chercher désespérément un cœur qui saura la dorloter, et plus j’ai de la pitié pour elle. Je suis censée la tuer. Pour le compte de l’Ordre. Mais ne peut-elle pas être sauvée ? Face à elle, les cœurs resteront toujours de pierres.

Elle s’élance dans cette jungle de faux, mais elle choisit bien mal son moment. A l’autre bout de la pièce, les portes s’ouvrent, laissant place à un groupe d’individus bien habillés, bien que légèrement marqué par le voyage. On annonce l’arrivée du Père de Dame Claire, ainsi que de ses associés. Les dandys et les bonnes dames s’élancent dans leur direction, avide de pouvoir s’illustrer auprès du riche homme d’affaires. Haya suit le mouvement, me laissant seule avec une coupe de champagne que je récupère sur un plateau d’un serveur passant par là. Le gout de l’alcool et des bulles me redonnent un petit sourire, preuve que malgré la bassesse des convives, ils savent tout de même s’offrir ce qui se fait de mieux. Alors que je vide ma coupe d’un trait, je sens, soudain, une présence dans mon dos. Je me retourne brusquement pour frapper l’individu au visage à l’aide de mon verre, mais il m’attrape le bras et parvient à immobiliser mon geste. Je découvre alors un homme entre deux âges dont les habits me rappellent quelque chose.



-Qu’est ce que...?
-Sœur Marie-Thérèse, vous devriez vous calmer. Je ne suis pas convaincue qu’agresser un invité est du gout du Maitre de maison.
-Qui êtes-vous ?
-Vicaire Kajun.
-Vous êtes de l’Ordre ?
-Pas tout à fait. Je suis un sympathisant servant de contact et de soutien local à l’Église. Rien de plus. Rien de moins.
-Que me voulez-vous ?
-Beaucoup de questions, mais avant cela, pourquoi ne pas répondre à la mienne, hein ?
-Quelle est-elle ?
-La sœur… je veux plutôt dire « l’ex-sœur » Hélèna devait mourir, n'est-ce pas ?

C’est ma mission. Le petit sourire malicieux que me lance Kajun me fait soudainement prendre peur. Est-ce que l’Ordre a considéré mon « alliance » de circonstances comme une trahison ? Vont-ils m’exécuter ? Je balaie un instant la salle du regard, m’attendant à voir surgir des rangs plusieurs individus membres de l’inquisition. Le vicaire m’interpelle et me sort alors de mon trouble.

-Il n’y a que moi et vous ici-présent qui connaissons votre mission. Et je suis bien trop encrouté par une vie de sédentaire pour vous êtes un obstacle particulièrement gênant. Il vous suffit juste de m’expliquer.
-Il y a eu… des complications. Claire de Kharov détient ma sœur adoptive, Uran. Si je n’obéis pas à ses ordres, ils vont lui faire du mal. La tuer peut-être. Et si j’exécute Haya, c’est Uran qui en subira les conséquences.
-Vous allez la laisser vivre ?
-Non ! Non… Je… mes amis et camarades des Étrangers doivent préparer un grand coup. Je profiterais de ce moment là pour fuir. Je mettrais Uran à l’abri et je tuerais Haya.
-Vous en êtes sûr ?
-J’en suis sûre.

Son regard s’était fait perçant un instant, comme pour voir la vérité au fond de mon regard. Je ne sais pas ce qu’il  y a vu, mais ma détermination n’était pas pleine et entière. Il y a beaucoup trop de variables. Si j’arrive à m’en sortir vivante avec Uran, ce sera déjà un gros exploit.
-Bien. Je crois savoir que vos amis sont effectivement actifs.
-Vous avez des nouvelles d’eux ?
-Des rumeurs que je me plais à écouter. Un peu cavalier d’utiliser une « planque » de l’Ordre pour vos amis, mais tant qu’ils n’attirent pas l’attention, je n’ai rien à y redire.
-Merci.
-Mais de rien. Vos derniers combats sont particulièrement divertissants. Si vous ne savez pas quoi faire, un jour, venez à Helliday. Je serais ravie de pouvoir vous soutenir dans l’arène. Vous verrez, ma compagnie est beaucoup plus agréable que celle de ces « moutons » sans cervelle.

Je ne sais pas s’il plaisante. Dans le doute, je m’abstiens. Il ne serait pas très intelligent de contrarier l’une des rares personnes qui me parlent comme un être humain sur cette ile. Je préfère enchainer sur autre chose.

-Vous cachez bien votre jeu, Vicaire.
-Comment cela ?
-Vous êtes parvenus à me stopper sans broncher. Vous pourriez sans mal vous faire un nom dans l’arène.

Il éclate de rire. Un rire franc qui s’interrompt bien vite pour laisser place à un sourire amusé tandis qu’il prend la main coupable dans l’autre.

-En vérité, vous m’avez probablement cassé le poignet, mais j’ai pris l’habitude de cacher mes émotions. C’est utile dans ce genre de soirée où la vérité n’est pas bonne à être révélé.
- Oh, excusez-moi.
-Ce n’est rien, Sœur. J’enverrais la note du médecin à votre Mère Supérieur.

Son sourire est contagieux. Le Vicaire Kajun récupère deux flutes de champagne et m’en offre une. Il trinque avant de boire une gorgée. Par politesse, je fais de même. Mais déjà, le Vicaire semble sur le point de partir.

-Veuillez m’excuser, mais il n’est pas très bon pour ma réputation d’être aussi proche d’une gladiatrice telle que vous, sans offense. De plus, je dois un peu faire partie des moutons à m’extasier devant le père de notre hôte. Un conseil, évitez-le. Il n’y a pas grand-chose de bon en lui.

Sur ses paroles énigmatiques, le Vicaire Kajun s’éloigne, rejoignant des retardataires parmi les convives pour rejoindre la masse, même si celle-ci semble refluer vers l’intérieur de la salle de réception. Les invités sont poussés vers les murs, forcés à rejoindre leur chaise tandis qu’un homme à l’allure plus qu’importante s’avance avec sa fille chérie à ses côtés. Je suis presque choquée par son comportement que je ne prends pas le temps d’observer davantage son père. Claire de Kharov fait très jeune dans son comportement, souvent, mais là, c’est plus du domaine de l’enfant en bas âge, heureuse de pouvoir montrer ses jouets et ses amis à son père revenant d’une longue absence professionnelle. Elle ne cesse de chercher la main de son paternel avec la sienne, elle piétine de recevoir un regard et elle ne cesse de pointer du doigt en bredouillant des choses bien belles et gentilles avec une petite voie de fillette. Soudain, elle m’aperçoit et son regard s’écarquille de joie. Elle me pointe du doigt, me désignant à son père.

-Regarde Papa ! C’est ma nouvelle gladiatrice ! Adrienne Ramba ! Elle est trop biiieeen ! T’as vu ses gros mumuscles ?

Je croise alors le regard de son père. Un regard perçant.

Derrière ses traits tirés par la fatigue et ses cheveux grisés, on sent toute la force de l’homme d’affaires engoncé dans son costume tiré à quatre épingles, beau comme un sou neuf, comme si aucune poussière ne pouvait s’y déposer. De taille moyenne, l’homme n’a pas succombé aux ravages du temps et de l’oisiveté. Ses voyages incessants à travers le monde doivent le maintenir. Il inspire le respect. Un respect que l’on doit à ceux qui se tuent à leur boulot et qui semblent faire bien des sacrifices pour faire en sorte que leur organisation fonctionne sans anicroche. L’homme répond au nom de Sergio de Kharov. J’ai entendu ce nom à plusieurs reprises, mais je n’ai aucune idée de ce qu’il fait. Probablement des choses à quoi je ne comprendrais pas grand-chose.

Il vient s’arrêter à côté de moi, continuant à me dévisager. Rapidement, un sourire vient lui tirer ces quelques rides. Son visage ne semble pas habituer à ce genre de chose, de telle sorte que cela passe plus pour un rictus malicieux. Ou bien est-ce totalement ça ? Claire ne sait comment réagir face à cela. Depuis qu’elle l’a accueilli à l’entrer, il n’a pas décroché un seul sourire. C’est bien son premier. Pour un peu, je suis persuadée qu’elle me ferait une crise de jalousie. Je me retiens de tout commentaire, me contentant de baisser les yeux pour lui exprimer mon respect et mon envie de ne pas faire de vague.

-Ramba, hein ? Amusant.

Sa voix est profonde et grave, mais elle a un certain charme. Une voix qui sied bien à ces négociateurs avisés, persuadant ces partenaires pour parvenir à ses fins.  Toutefois, je ne m’attarde pas là-dessus, mon sixième sens me crie dans les oreilles. Pourquoi cette fixation sur mon nom ? Il semble le connaitre. Je ne pense pas que cela a un rapport avec l’Église. Avec la piraterie ? Je n’ai pas fait grand-chose de différent comparé à bien d’autres. Non. Je ne m’explique pas ce soudain intérêt pour moi. Et cela m’inquiète encore plus.

-Qu’est ce qu’il y a d’amusant, Papa ?
-Pas grand-chose, ma chérie. Une affaire a capoté il y a quelques mois. Et ce « Ramba » n’est pas étranger à l’affaire.

La curiosité de Claire s’est instantanément tari lorsque son père la cajolait d’un « ma chérie ». Les mains sur ses joues en feu, elle semble au bord de s’évanouir de joie. Ce qui me laisse quasiment seule, en tête avec Sergio de Kharov, qui s’approche davantage de moi, pour me murmurer quelques mots en privé, loin des oreilles des piques-assiettes.

-Si vous voyez ce cher Arnold, dites-lui d’éviter, à l’avenir, de se mêler de mes affaires.

Mon sang se glace. Arnold ? C’est mon papa ! Qu’est ce qu’il a fait ? Que s’est-il passé pour qu’il puisse s’attirer l’inimitié d’un tel homme. Celui-ci dévoile alors un sourire carnassier qui décrit probablement davantage sa véritable façon d’être : un requin.  Un loup assoiffé de richesse et de pouvoir qui n’accepte pas que l’échec et les contretemps. Derrière son masque de bienveillance imperturbable, Sergio de Kharov est un homme d’affaires impitoyable qui ne doit pas tenir grande rigueur de la légalité.

-Il arrive si facilement des accidents aux cloportes insignifiants. C’est leur nature. Et personne ne remarque leur disparition.
J’espère que vous le verrez avant qu’il ne lui arrive quelque chose, cloporte.

La méchanceté vibre dans sa voix. Cet homme est mauvais. Puissant et mauvais. Et cet homme, il veut clairement tuer mon père, Arnold Ramba.

Bordel, Papa ! Qu’est ce que t’as foutu ?!
Juste, une grossièreté.
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L’instant d’après, l’entrevue était terminée. Sergio de Kharov s’est éloigné comme si rien ne s’était passé. Comme s’il n’y avait eu aucune menace, aucune haine. Claire l’a suivi sans s’être aperçue de ce qu’il s’était passé entre nous, totalement abandonner à son bonheur d’être avec son père. Elle ne s’est pas rendu compte de mon teint qui est devenu livide et du fait que j’ai dû m’asseoir, tellement mes jambes se dérobaient sous mon corps. J’étais sur le cul. Qui aurait cru qu’au plus loin de Grandline, j’entendrais parler de mon père ? Il n’est rien comme je suis rien. En quelque sorte, c’est un chef d’entreprise, comme Sergio de Kharov, mais ils ne sont pas dans la même catégorie. Sergio de Kharov flirte avec l’élite, son entreprise est mondiale. Surement. Le travail de mon père, il est à Endaur, il est à Callelongue, il est sur Bliss. C’est tout ! Exploiter du bois et le transformer pour le marché domestique local. Comment peut-il être une gêne pour le père de Claire, je ne me l’explique pas. Et cette absence d’explication, elle me ronge le cœur, car la menace de Sergio plane au dessus de ma tête comme une épée de Damoclès : mon papa est en danger.

Je reste ainsi plusieurs minutes, réfléchissant à toute vitesse à toutes les raisons du monde qui ont poussé mon papa dans une telle situation. J’en oublie les gens qui s’agitent et qui se pavanent autour de moi. J’en oublie les menaces d’Haya qu’elle me lance à nouveau à la figure ; le bref entretien privé avec Sergio de Kharov n’est pas passé inaperçu à ses yeux. Je me perds dans mes songes. Lentement, mais surement.

-Excusez-moi, vous allez bien ?

Une main secourable. Je lève les yeux comme si je l’agrippais, animée par mon instinct de survie. Je lève les yeux vers cet homme qui esquisse un sourire poli tandis qu’il souffre en silence sous la poigne que je fais subir à sa main.



-Oh ! Pardonnez-moi !
-Ne vous inquiétez pas ! Ce n’est rien. Je pensais que vous étiez souffrante, mais avec cette force, ça serait étonnant.

Je le dévisage. Je cherche un instant la mesquinerie et le faux sur ses traits fatigués. Mais rien. Il inspire la bienveillance et la gentillesse. C’est comme s’il était une flamme au milieu d’un océan de ténèbres. La flamme de la vie et de la sincérité au milieu du mensonge.

-Merci de vous inquiéter pour moi. J’étais juste… perdue dans mes pensées.
-C’est à cause de monsieur De Kharov, n’est ce pas ?

Je fronce les sourcils, il lève les mains comme pour se défendre d’une méprise.

-Je ne voulais pas dire que je vous espionnais ! Non ! J’ai juste remarqué votre entrevue avec lui et j’ai cru percevoir, ensuite, des signes de fatigue.
-C’est gentil de vous inquiéter pour moi, monsieur… ?
-Oh ! Ce n’est rien. Je vous en prie. Chester. Maxence Chester.

Il passe un instant sa main dans sa tignasse mal peignée comme pour mieux cacher sa gêne momentanée. Je commence à bien le sentir, ce Maxence. Il est vrai. Authentique. Ses réactions ne sont pas le fruit d’un jeu. Elles sont celles de quelqu’un qui se soucie des autres. Normal, quoi.

-Adrienne Ramba.
-J’ai cru comprendre, oui !
-Ah bon ?
-Euh oui ! j’ai entendu des conversations. C’est tout !
-Merci encore de vous êtes soucié de moi !
-Oh ! J’ai hésité dans un premier temps, comme personne ne se souciait de vous. Je pensais que c’était normal. Puis j’ai trouvé ça tout de même bizarre. Alors, j’ai tenté.
-Vous avez bien fait. Curieux que vous ayez réagi et pas les autres, non ?
-Oui ! En effet ! Décidément, je ne me ferais jamais à ces gens de la haute société. Je préfère encore le calme de la nature et le champ de l’océan à ces… bavardages.

Maxence dit tout cela sur le ton de la confidence, mettant sa main sur le côté de sa bouche afin de cacher le mouvement de ses lèvres. J’en rirais presque tellement il m’est une bouffée d’air frais.

-Vous n’êtes pas d’ici, monsieur Chester ?
-Je vous en prie ! Appelez-moi Maxence !
-D’accord, Maxence ?
-Donc… je suis un mélange de chercheur, d’ingénieur, d’explorateur et de navigateur.

Je ne peux m’empêcher d’hausser les sourcils.

-Tout cela, en même temps ?

Il rit brièvement.

-Oui ! C’est drôle, je ne sais jamais comment décrire en un mot ce que je fais.
-Alors, utilisez-en tout votre saoul.
-Merci. Et bien… Voyez vous, mon travail, c’est le fruit du travail de mon père, de mon arrière-grand-père et de mon arrière-grand-mère. Cette dernière s’était mise en tête de résoudre un projet qui lui tenait tant à cœur.
-Qu’était-il ?
-Naviguer librement sur Grandline sans à devoir suivre une unique voie à l’aide d’un log pose.

J’en reste bouche bée. Un projet comme ça, ça parait tout bonnement…

-Impossible, n'est-ce pas ?
-Vous me l’enlevez de la tête, Maxence.
-Beaucoup de gens le croient. Mais avec le fruit du travail de quatre générations de Chester, nous avons réussi à trouver le moyen. Ou plutôt, nous en avons sécurisé ce moyen !
-Comment cela ?
-Et bien, vous avez déjà navigué sur Grandline, je suppose ?
-Oui. A l’aide d’un éternel, pose en fait. C’est ainsi que je suis arrivée à Helliday Island.
-Oh ? Fascinant. Mais avant, vous aviez un log pose, non ?
-En fait… non. On ne savait pas qu’il en fallait un et l’on a navigué un peu au hasard. Après coup, c’était terriblement stupide ce que l’on a fait, mais on a réussi à trouver une ile.
-Fascinant ! C’est fascinant ! Jamais je n’ai rencontré de gens qui aient tenté la navigation sur la route de tous les périls sans log pose ! Vous êtes formidable, Adrienne !
-Euuuh… Merci. Mais en ce qui concerne vos travaux ?
-J’y viens, j’y viens. Donc. Le log-pose pointes vers une ile précise, on est bien d’accord. Et la boussole que l’on peut utiliser sur les quatre mers est totalement inutile.
-Oui. Rien de nouveau pour l’instant, non ?
-En effet. Mais le rôle d’une boussole, c’est d’indiquer en toute circonstance la direction d’un endroit qui restera totalement fixe. Et cette direction nous permet de nous diriger ensuite dans la direction que l’on souhaite, à l’aide d’une carte, et se référant à la direction du Nord.
-Oui…
-Hé bien, il suffit de faire de même avec un log pose ! Vous prenez n’importe lequel et vous naviguez sur Grandline comme si la direction de cette ile, c’était le nord !
-Mais… il faut avoir une bonne carte, non ?
-C’est ça le fruit de mon travail et des ancêtres ! C’est la réalisation d’une carte très précise de Grandline. Mais ce n’est pas tout. Comme ce procédé force les navigateurs à traverser des zones qui n’étaient pas habituellement traversées par des navires, puisqu’ils ne sont pas dans les voies « classiques », il a fallu repérer, parmi ces zones, celles qui sont trop dangereuses pour être traversées ! Créatures maritimes, repères de flibustiers notables, pièges de récifs, événements météorologiques extraordinaires ! Pendant plus de cent ans, mes ancêtres ont exploré tous les chemins possibles en prenant n’importe quelle direction d’ile à l’aide d’un log pose comme repère. Ils ont tracé toutes les routes et les ont empruntées afin de prouver que cela fonctionnait ! Ainsi, on peut traverser Grandline sans jamais s’arrêter d’ile en ile à attendre le rechargement d’un log pose ! Il suffit de se fier à la carte, à nos routes maritimes et à la direction du Log Pose qui est pour nous, un Nord modifiable de Grandline !

Pendant qu’il me parle, j’ai des questions qui me viennent. Puis petit à petit, elle s’échappe loin de mon esprit. Il parle avec une énergie et une conviction affolante. On ne peut que le croire. Et plus je l’écoute, plus je reste bouche bée en comprenant ce qu’il essaie de me dire. Ça parait si… logique ? Si facile ?

-Pour les plus sceptiques, il suffit d’associer trois log pose, qui pointent vers les iles aux extrémités de Grandline ! Ainsi, avec les directions de trois directions, il est quasiment impossible de se tromper sur sa localisation.
-Fascinant.
-N’est ce pas, hein ? Pour cela, il a aussi fallu longuement étudier la manière dont fonctionnent les Log pose. J’en connais aujourd’hui la plupart des secrets. C’est fou comment ces petites choses qui se sont tellement généralisées de nos jours peuvent être de si ingénieuses petites créations.

Il continue un peu à s’extasier sur tout cela. Le fond de la révélation connu, je me laisse aller à repenser à mon père et aux menaces qui pèsent sur ses solides épaules. Je ne devrais pas. Je ne peux pas faire grand-chose. Toutefois, penser à mon père me donne soudainement une idée.

-Mais au fait, Maxence, que faites-vous avec Sergio de Kharov ?

Je l’interromps presque dans une tirade et son visage s’assombrit légèrement. J’ai soudainement peur de l’avoir gêné en posant ma question sans l’écouter. Mais il me répond, le ton un peu plus bas.

-C’est qu’il est venu le temps de commercialiser le fruit de tous ces investissements et Sergio de Kharov s’est montré très intéressé par mon projet. J’ai… un peu honte. Doublement.
-Pourquoi donc ?
-C’est que… j’aime me dire que je suis un chercheur, un explorateur. Mon envie n’est pas de faire de l’argent, mais d’explorer, toujours et encore. Mais tout cela, ça ne se fait pas sans argent, et cette étape est nécessaire. Mais ça me donne toujours l’impression d’être un de ces explorateurs avides d’argent, plutôt que de savoir.
-Je ne crois pas que vous êtes de ce genre d’homme. Vous avez des scrupules, ils n’en auront jamais, eux.
-Si vous le dites.
-Sinon… pourquoi, doublement honte ?

Il semble gêné. Vraiment gêné. Il jette des regards à gauche et à droite, comme pour repérer une oreille indiscrète, mais les convives sont bien trop intéressés par leur propre personne pour prêter attention à un homme qui n’a même pris le temps de troquer ses vêtements de voyage par une tenue de soirée. Sa voix se fait murmure.

-Je crois que je peux vous faire confiance. Vous n’êtes pas comme eux.
-Allez y.
-Malgré tout le bien que nos voisins peuvent dire sur Sergio de Kharov, il reste un homme d’affaires qui n’hésitent pas à user de méthodes illégales pour parvenir à ses fins.
-Vous êtes sûr ?
-Je n’ai pas de preuve. C’est juste les rumeurs qui circulent dans son sillage. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que ces méthodes de gestion laissent peu de place à l’humain. Il exploite plus qu’il n’emploie. Si un jour, il vous propose un travail, refusez-le. C’est un véritable calvaire.
-Je note, je note.
-Et je ne parle pas de son absence totale d’éthique vis-à-vis de la nature et de la biodiversité. Cet homme ne se préoccupe que de l’argent.

Je tique à l’évocation de la nature. Fronçant mes sourcils, je ne peux m’empêcher de poser cette question à mon conspirateur.

-La nature, vous dites ? Mais dans quoi travaille Sergio de Kharov ?

Il me regarde alors avec des yeux surpris. Pour lui, ce devait être évident que je le sache. Et il répond en haussant légèrement le ton, sous l’effet de cette surprise. Heureusement, ce qu’il dit ne peut pas lui porter préjudice.

-Mais enfin, Sergio de Kharov gère un conglomérat de plus en plus puissant d’entreprises et d’organisations divers visant à devenir le plus grand fabricant de navires au monde. Il a dernièrement racheté un Dock à Water Seven ! C’est justement là que je l’ai rencontré. Ils comptent maitriser toutes les étapes entre l’exploitation du bois et la création des navires. On parle même aussi de fonderie et de forge en sa possession afin de créer, lui-même, les canons et armes des navires de guerre de la marine !

Cette réponse me donne un nouveau regard sur la situation avec mon père. Tout s’éclaircit. Si Papa a pu contrarier Sergio, c’est sur la question du bois. Les bucherons d’Endaur sont des amoureux de leur travail et ont un profond respect pour la nature et la préservation de cet écosystème. Ils découpent du bois, oui, mais ils font en sorte que la forêt se régénère et que les espèces vivantes ne soient pas dérangées par leurs actions. Sur Endaur, nous vivons en symbiose avec la forêt. Elle nous nourrit, c’est pour cela qu’on la protège. Si Sergio est celui que dépeint Maxence, il est totalement à l’inverse de la façon de penser de Papa. Et il a suffi que Papa se mette en tête d’agrandir l’entreprise familiale pour qu’il ait écrasé, par inadvertance, le pied de l’entrepreneur impitoyable. Abandonnant ma pensée, je reviens à Maxence qui a repris le ton de la confidence.

-Ainsi, le fait de « vendre » le fruit de mon travail à un homme de cet acabit ne me remplit pas vraiment de joie. Mais c’est bien l’un des seuls qui soient intéressés par mon travail. Avec cela, il pourra offrir une formule plus complète en installant quelques idées que j’ai développées sur la question des Log-pose, directement sur ses navires.
-Vous vous trompez. Il y a surement d’autres hommes qui seraient intéressés par votre projet.
-Ah bon ? A qui vous pensez ?
-Mon père.

C’est sorti tout seul. Je n’ai pas réfléchi aux conséquences. Et celle-ci s’enchaine sans que je puisse corriger le tir.

-Votre père ? Il travaille dans le même domaine ?
-Si l’on veut. Il gère une exploitation forestière sur notre ile natale, mais ces derniers temps, il a commencé à s’associer avec d’autres entités.
-Très intéressant. Comment est-il ?
-Il… il aime la nature. Il est très intéressé par savoir ce que devient son bois une fois qu’il est parti de l’ile. Si ce que vous dites est vrai au sujet du peu d’éthique de Sergio, il est possible qu’il ait rencontré des individus qui ne montraient pas le respect qu’ils devraient envers le bois fourni par Dame Nature.
-Fascinant ! Ce doit être un homme à l’éthique irréprochable.

Je me surprends à sourire.

-C’est vrai. Il n’a pas l’air, au premier coup d’œil, d’être une lumière. On croirait voir une brute sans cervelle et sans cœur. Mais son cœur est gros. Il peut contenir tous les arbres du monde. J’en suis sûre.

L’intérêt brille dans le regard de Maxence. Une fois encore, je regrette ce que j’ai dit. Attirer Maxence dans le camp de mon père, c’est s’attirer les foudres de Sergio. Mais avant cela, il ne faut pas que j’oublie que mon père est en danger. Et je dois l’avertir. Maxence peut m’être utile. Alors, je tente le coup.

-Maxence, je pense que mon père sera intéressé par vos recherches et qu’il mettra tout en œuvre pour que son « exploitation » soit faite dans le respect de vos valeurs communes.
-Fabuleux ! L’idée d’avoir une alternative me réchauffe le cœur, vous ne pouvez savoir, Adrienne !
-Où comptez-vous aller, prochainement ?
-Hé bien, je dois me rendre au Royaume de Drum avec Sergio de Kharov. Il cherche à acquérir l’exploitation des forêts du Royaume. Après cela, on doit discuter des modalités de l’utilisation de mon travail. Pourquoi donc ?
-Mmh. Cela vous rapproche de Reverse.
-Oui, en effet… Adrienne ?
-J’ai besoin de votre aide. Pour être franche, mon papa a fâché Sergio sur un point que j’ignore, mais il m’a sous-entendu une menace de mort à son encontre lors de l’entrevue que vous avez vue. C’est pour cette raison que j’étais… perdue.
-Oh ! C’est donc ça.
-Oui… Et c’est pour ça que…
-Vous voulez que je le prévienne ?
-ça me plairait beaucoup, oui. Je suis un peu… poings et pieds liés, ici.
-Je vois. J’essaierais de faire mon possible pour le contacter.
-Et, peut-être, pourriez-vous vous entendre directement pour changer de mécène.

Il rit brièvement, les yeux pétillants de malice.

-Peut-être. J’avoue que j’ai bien envie de rencontrer cet homme.

Un pas est franchi. On est lié par quelque chose de fort entre nous. On a les mêmes principes et c’est une relation de donnant-donnant. Je lui offre la chance d’une alternative dans son projet. Que son travail et celui de ses ancêtres ne soient pas donnés à un homme tel que Sergio de Kharov. Et de son côté, il m’offre la possibilité de prévenir mon père des menaces qui pèsent sur ses épaules. On continue de parler un peu, de tout et de rien. De mon père, de son projet. Et puis, il vient le moment de se séparer. La fête bat son plein, et Maxence a un long voyage qui l’attend, demain. On apprend que Sergio de Kharov a déjà quitté la réception et un émissaire vient chercher Maxence pour le conduire à sa chambre. Il n’ose refuser.

-Merci Maxence.
-Merci à vous, de m’avoir écoutée.
-Ce n’est rien. Et bonne chance !
-De même, vous en aurez davantage besoin que moi.
-On verra.

Je le laisse s’en aller, marchant dans les pas du passager, traversant la foule de convives qui n’ont que faire de lui. Je jette alors un regard aux alentours, sans savoir quoi faire. Je pense que la fête va devenir bien ennuyante, maintenant.
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-Mademoiselle !

C’est un chuchotement qui me sort de mes pensées alors que je fixe d’un regard moribond l’assemblée, penché contre un mur, en attendant le moment ou je pourrais quitter cette fête ennuyante. Pas grand-chose n’a changé. Ça continue de manger, de boire, et d’avoir des conversations totalement insignifiantes. Je me contente juste de saluer le petit personnel qui n’est pas habitué à cela. En l’occurrence, c’est une serveuse qui m’appelle en chuchotant. Plutôt jeune, elle me sourit. C’est plutôt étrange puisque j’ai davantage vu les serveurs afficher des visages inexpressifs pendant toute la soirée.

-Que se passe-t-il ?
-Venez par ici !

J’ai un doute. Je crois à un piège. Et puis non. Je m’approche d’elle alors qu’elle s’en va, se dirigeant vers une petite porte de service où elle s’y glisse non sans avoir fait un geste dans ma direction. Viens. Alors, je viens, je passe la porte et je la ferme derrière moi.

Et c’est une surprise.

Ses cheveux forment un dégradé sublime qui lui tombe dans son dos, libre. Son visage est légèrement rosé tandis qu’elle arbore des boucles d’oreilles en forme de fruits rouges ; j’ai une brève pensée pour le procédé de perçage. Mais son sourire me dit bien que cela est totalement oublié. De plus, ses lèvres rouge carmin forment une moue adorable. Habillé d’une longue robe noire qui finit en jupe moyenne, Uran est tout simplement ravissante, fraiche et jeune.

-Adrienne !
-Chuuut !

Ma petite sœur ne peut s’empêcher de me sauter dans les bras tandis que quelques membres du personnel font mine de faire moins de bruits. Mêlant mon visage dans ses cheveux, je comprends rapidement que ces gens ont organisé cette petite entrevue sans l’accord de Claire de Kharov qui, selon les rumeurs, boude dans un coin de n’avoir pas pu profiter plus longtemps de son père. Elle parle beaucoup, de pleins de choses et elle s’emmêle dans les explications. La première chose qui me frappe, c’est qu’elle va bien. Son regard est celui qu’elle a vu la dernière fois. Malgré les menaces continuelles de Claire, elle n’a rien fait à Uran, visiblement. Elle la traite davantage comme une petite princesse, sa petite poupée, d’après ce que me dit sa servante attitré. Elle vit dans une cage, mai une cage de luxe ou ses robes sont nombreuses tout comme son bijou. Elle m’exhibe justement celui autour de son cou, une chaine de maillons d’or avec un pendentif du même métal à son bout. Je me satisfais de sa joie et de sa bonne humeur et les gens simples qui nous entourent apprécient ce moment de joie simple. C’est dangereux ce qu’ils font, mais après des années à passer au milieu des gens sans être vu, cela leur fait du bien de défier un peu l’autorité. Ils se sentent vivre un peu.

Je ne sais pas combien de temps cette entrevue dure, mais elle n’est que rire et joie. Il y a Gnuh, aussi, qui ne quitte pas souvent Uran. Il veille sur elle comme on pouvait s’y attendre d’un fusil tapir. Uran ne cesse de le cajoler en lui fournissant tout le sucre qu’il désire ; Gnuh apprécie le geste. Je n’hésite pas à lui gratouiller derrière les oreilles. Uran me fait mille promesses. Et elle m’oblige à faire tout autant. On s’en sortira. On se libérera. Et Claire de Kharov finira toute seule. Tout cela me fait du bien. Plus que le repos, ça me redonne l’énergie de me battre pour ma liberté. De me battre pour Uran. C’est la meilleure chose qui puisse m’arriver en ce moment, et je l’apprécie entièrement.

Malheureusement, il vient le moment tant non souhaité où Claire de Kharov revient en salle et qu’elle finira par découvrir la scène. Alors, Uran a la bonne idée d’utiliser Gnuh qui semble plutôt d’accord avec elle. J’en viendrais presque à me dire qu’il y a une relation puissante entre eux. Ils se comprennent à force de se côtoyer. Aussitôt dite, aussitôt faite. Uran envoie Gnuh dans la salle principale avec un seul objectif en tête : l’immense gâteau trônant au milieu de la table, dont l’odeur sucrée emplit déjà toute la pièce. L’apparition d’un tapir volumineux et particulièrement affamé a le mérite de sortir les convives de leur monotonie et rapidement, le chaos s’installe. J’en profite pour m’éclipser discrètement de la pièce où nous étions, non sans avoir embrassé ma petite sœur sur les deux joues, lui promettant que tout cela sera bientôt fini.

Je ne sais pas combien de temps il a fallu à Claire de Kharov et son service d’ordres pour remettre Gnuh à sa niche, mais la fête avait tourné court. Trop dépressive, à cause de son père, pour exiger des punitions, Claire de Kharov renvoya tout le monde dans ses appartements, laissant le petit personnel nettoyer la salle. Seule sur ma couche, je regarde la lune au travers de ma fenêtre, entre les barreaux, en me remémorant les évènements de la soirée. Il y a du bon et du moins bon. Mais il y a de l’espoir. Et cet espoir, je ferais tout pour le faire perdurer.
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