J’ai une mine affreuse.
C’est un point de vue assez subjectif, mais je n’aime absolument pas mon visage et encore moins ma coupe de cheveux sur laquelle la coiffeuse s’échine à la rendre « présentable ». Elle brosse. Elle tresse. Elle fait des nœuds. Moi, je dis juste qu’elle tire dessus et qu’elle les abime. C’est fou comment c’est douloureux, le traitement qu’elle inflige à mes cheveux. J’ai plus l’habitude qu’on me fasse mal avec de la chair ou de l’acier, je n’aurais cru qu’un peigne ou une brosse à cheveux puisse être aussi terrible. Je grogne, je m’agite sur ma chaise rembourrée en demandant grâce. Mais la coiffeuse est intraitable, sorte de vieille peau qui a passé toute sa vie à coiffer les petites filles aux comportements tout aussi agités. Acariâtre, elle ne cesse de marmonner contre mon hygiène de vie, le traitement que j’inflige à mon corps et l’odeur soi-disant pestilentielle du sang et de la sueur qui imprègne ma peau, malgré les quinze bains aux multiples essences de fleurs qui me font maintenant l’effet d’un champ de fleur directement sous mon nez. Elle me dit aussi que je devrais avoir les cheveux longs, que c’est une marque de féminité. Il y a un standard, parait-il, c’est de se couper les cheveux à partir du moment où l’on s’assoit dessus. C’est complètement fou ! Une aussi imposante masse de cheveux qui virevoltent dans les airs en plein affrontement, ça ne peut que me gêner la vue. Les vieilles coiffeuses séniles n’ont aucune considération pour les choses de la guerre. Elles brossent les princesses comme on brosse un caniche dressé à parader. Moi, un jour, je serais pitbull et gaffe à la main dans mes cheveux.
-ça ira comme ça…
Elle termine ses manipulations capillaires par ces mots assénés comme une conclusion pleine de reproches à mon égard. Je souffle, satisfaite que le calvaire soit fini avant de jeter un regard dans le miroir me faisant face. Si le visage de la vieille est plutôt repoussant, ses traits étant enlaidis davantage par son air déçu, l’autre qui se révèle à mes yeux est bien plus agréable, à ma surprise. Je parais méconnaissable. Les cheveux artificiellement relevés dans un chignon stylisé, laissant une frange me tomber sur l’œil gauche, une petite chose s’éveille en moi. L’esprit de petite fille qui n’a pas eu loisir de s’exprimer durant son enfance. Celle qui lisait des livres d’images pleins de princesses aux belles coiffures et aux belles robes, mais qui redevenait la fille de bucheronne quand elle fermait le livre et rejoignait son frère pour reprendre la découpe d’un chêne centenaire. Je reste comme émerveillée par cette vision exceptionnelle, comme lorsque mon père m’avait offert ma première hache de bucheron. Ce n’était pas le même rêve, mais le visage que j’ai aujourd’hui, c’est surement celui de la petite fille rêvant de prince et de princesse.
-Avec davantage de moyens, de temps et de personnels, je serais parvenue à un résultat beaucoup plus potable, mais puisque l’art est bien peu de choses comparées au temps qui nous reste avant le début de la réception. Quoi qu’on dise, les miracles n’existent pas.
Je pourrais lui dire que ça me va, mais ça ne ferait que la fâcher. Je n’ai pas le temps de sortir de ma rêverie qu’elle m’empoigne le bras et me tire vers les armoires, les ouvrant toutes à la suite. Là, j’ai la surprise de découvrir la plus grande collection de robes qu’il m’était donné de voir. Du satin, de la dentelle, des couleurs par centaines ; elles sont toutes différentes. Certaines ont même leurs accessoires associés : sacs à mains, bas-résilles, boucles d’oreilles… La coiffeuse qui se révèle être aussi une tailleuse hors pair se retourne vers moi et me regarde sous toutes les coutures, énumérant des nombres qui doivent correspondre à ma taille sans savoir si c’est beaucoup ou non. La réponse ne se fait pas attendre.
-Il faudra faire un régime.
-Mais je ne suis pas grosse !
-Vous savez très bien ce que je veux dire, ne faites pas l’enfant ! Ces… « Protubérances » à vos jambes et vos bras ne siéent pas à une femme. Laissez ça à la rustrerie des hommes de bas étage. Une femme se doit d’être fine et élancé, pas d’être une vache sur deux pattes !
Ça ne me fait rien. Elle est dans son monde. Un monde de fanfreluche ou les femmes les moins bien habillées sont sans doute les servantes, même si elles sont plus gracieuses que moi. Ça doit lui faire mal de s’occuper de moi, mais c’est les ordres de Dame Claire. Et quand c’est la patronne qui ordonne, on laisse de côté ses gouts et on obéit.
-Je crois en avoir quelques-unes où vous pourriez… rentrer.
-Pourquoi pas celle-ci ? La noire ?
-Trop simple. Pas assez percutant. Et ne donnez pas votre avis ! Vous n’avez aucun gout, c’est indéniable. Laissez-moi choisir à votre place, j’ai eu des instructions très précises de Dame Claire, bénie soit son nom et sa beauté !
Faut dire que Claire de Kharov a dû écouter et assimiler toutes les leçons de la vieille peau tellement cette dernière parle en bien d’elle. C’est l’incarnation de la beauté, le firmament de son art de beauté dédié aux jeunes femmes du beau monde. Me laissant en plan quelques instants au milieu des robes bien trop petites pour me permettre de les utiliser, elle revient rapidement avec un vêtement aux reflets rouges et ocre. Elle hoche de la tête, satisfaite.
-Quelque chose de sauvage et de glamour en même temps, c’est parfait pour vous. Enfilez là ! Dépêchez ! Ça a déjà commencé.
Je m’exécute avec une fébrilité certaine. C’est que je n’ai jamais eu l’occasion de porter un vêtement d’un tel standing. Et plus d’une fois, je crois sentir le tissu se déchirer sous les contraintes que je lui soumets pour m’habiller correctement. Finalement, mes peurs se dissipent lorsque tout à coup, je me contemple dans un vaste miroir. A nouveau, je sens la nostalgie de la petite fille que j’étais face aux portraits de princesse, car j’en ai tout l’air. Une sublime robe légèrement fendue au milieu, révélant le crin de ma jambe droite. Des bordures stylisées aux reflets d’or. Deux formes de loups d’un rouge plus puissant partant de mes hanches pour venir couvrir ma poitrine en un bustier un petit peu provocateur. Je regarde tout ça d’un œil stupéfait tandis que la vieille hoche du chef en murmurant dans ses rides.
-Oui. Oui. Percutant. Charmeur. Animal. Bon choix. Bonnes couleurs. Bon découpage. Tissus agréables. Dame Claire sera ravie.
Elle me tire alors de ma rêverie pour m’apporter une paire d’escarpins associe à la robe que je m’empresse d’enfiler avant de m’apercevoir que je les broie sous mon poids. La coiffeuse lâche une moue dédaigneuse, mais ne s’avoue pas vaincue. Elle finit par dénicher une paire de sandales haute couture aux reflets d’argents qui me sied à merveille. Elle enchaine sur les boucles d’oreilles avec deux énormes anneaux d’or, mais le regard que je lui fais aussitôt suffit à l’arrêter. Non, ça, je refuse.
-Mouai, mouai, mouai… de toute façon, ça ne pourrait pas être pire.
Et c’est sans attendre qu’elle se saisit de quelques outils de maquillage pour me finir le portrait. Un peu de poudre blanche sur la peau, du rouge à lèvres, du mascara doré et quelques paillettes sur le front. C’est très tendance, parait-il. Elle me fait tourner une dernière fois sur moi-même avant de conclure.
-J’ai rarement habillé un ours hirsute, mais au moins, il n’est plus hirsute.
Il y a certaines limites à l’auto-modération et je serais bien tentée de lui faire comprendre de la boucler la prochaine fois, au lieu de l’ouvrir. Mais c’est la fin de mon simili calvaire avec elle, car elle me presse de rejoindre la petite fête organisée par Dame Kharov dans son hôtel particulier. Et quand j’entrouvre les rideaux séparant le couloir des coulisses de la salle de réception, la lumière m’aveugle un instant. Je me couvre les yeux, mais la furie me pousse en avant. C’est mon premier pas dans le monde d’en haut.
C’est un point de vue assez subjectif, mais je n’aime absolument pas mon visage et encore moins ma coupe de cheveux sur laquelle la coiffeuse s’échine à la rendre « présentable ». Elle brosse. Elle tresse. Elle fait des nœuds. Moi, je dis juste qu’elle tire dessus et qu’elle les abime. C’est fou comment c’est douloureux, le traitement qu’elle inflige à mes cheveux. J’ai plus l’habitude qu’on me fasse mal avec de la chair ou de l’acier, je n’aurais cru qu’un peigne ou une brosse à cheveux puisse être aussi terrible. Je grogne, je m’agite sur ma chaise rembourrée en demandant grâce. Mais la coiffeuse est intraitable, sorte de vieille peau qui a passé toute sa vie à coiffer les petites filles aux comportements tout aussi agités. Acariâtre, elle ne cesse de marmonner contre mon hygiène de vie, le traitement que j’inflige à mon corps et l’odeur soi-disant pestilentielle du sang et de la sueur qui imprègne ma peau, malgré les quinze bains aux multiples essences de fleurs qui me font maintenant l’effet d’un champ de fleur directement sous mon nez. Elle me dit aussi que je devrais avoir les cheveux longs, que c’est une marque de féminité. Il y a un standard, parait-il, c’est de se couper les cheveux à partir du moment où l’on s’assoit dessus. C’est complètement fou ! Une aussi imposante masse de cheveux qui virevoltent dans les airs en plein affrontement, ça ne peut que me gêner la vue. Les vieilles coiffeuses séniles n’ont aucune considération pour les choses de la guerre. Elles brossent les princesses comme on brosse un caniche dressé à parader. Moi, un jour, je serais pitbull et gaffe à la main dans mes cheveux.
-ça ira comme ça…
Elle termine ses manipulations capillaires par ces mots assénés comme une conclusion pleine de reproches à mon égard. Je souffle, satisfaite que le calvaire soit fini avant de jeter un regard dans le miroir me faisant face. Si le visage de la vieille est plutôt repoussant, ses traits étant enlaidis davantage par son air déçu, l’autre qui se révèle à mes yeux est bien plus agréable, à ma surprise. Je parais méconnaissable. Les cheveux artificiellement relevés dans un chignon stylisé, laissant une frange me tomber sur l’œil gauche, une petite chose s’éveille en moi. L’esprit de petite fille qui n’a pas eu loisir de s’exprimer durant son enfance. Celle qui lisait des livres d’images pleins de princesses aux belles coiffures et aux belles robes, mais qui redevenait la fille de bucheronne quand elle fermait le livre et rejoignait son frère pour reprendre la découpe d’un chêne centenaire. Je reste comme émerveillée par cette vision exceptionnelle, comme lorsque mon père m’avait offert ma première hache de bucheron. Ce n’était pas le même rêve, mais le visage que j’ai aujourd’hui, c’est surement celui de la petite fille rêvant de prince et de princesse.
-Avec davantage de moyens, de temps et de personnels, je serais parvenue à un résultat beaucoup plus potable, mais puisque l’art est bien peu de choses comparées au temps qui nous reste avant le début de la réception. Quoi qu’on dise, les miracles n’existent pas.
Je pourrais lui dire que ça me va, mais ça ne ferait que la fâcher. Je n’ai pas le temps de sortir de ma rêverie qu’elle m’empoigne le bras et me tire vers les armoires, les ouvrant toutes à la suite. Là, j’ai la surprise de découvrir la plus grande collection de robes qu’il m’était donné de voir. Du satin, de la dentelle, des couleurs par centaines ; elles sont toutes différentes. Certaines ont même leurs accessoires associés : sacs à mains, bas-résilles, boucles d’oreilles… La coiffeuse qui se révèle être aussi une tailleuse hors pair se retourne vers moi et me regarde sous toutes les coutures, énumérant des nombres qui doivent correspondre à ma taille sans savoir si c’est beaucoup ou non. La réponse ne se fait pas attendre.
-Il faudra faire un régime.
-Mais je ne suis pas grosse !
-Vous savez très bien ce que je veux dire, ne faites pas l’enfant ! Ces… « Protubérances » à vos jambes et vos bras ne siéent pas à une femme. Laissez ça à la rustrerie des hommes de bas étage. Une femme se doit d’être fine et élancé, pas d’être une vache sur deux pattes !
Ça ne me fait rien. Elle est dans son monde. Un monde de fanfreluche ou les femmes les moins bien habillées sont sans doute les servantes, même si elles sont plus gracieuses que moi. Ça doit lui faire mal de s’occuper de moi, mais c’est les ordres de Dame Claire. Et quand c’est la patronne qui ordonne, on laisse de côté ses gouts et on obéit.
-Je crois en avoir quelques-unes où vous pourriez… rentrer.
-Pourquoi pas celle-ci ? La noire ?
-Trop simple. Pas assez percutant. Et ne donnez pas votre avis ! Vous n’avez aucun gout, c’est indéniable. Laissez-moi choisir à votre place, j’ai eu des instructions très précises de Dame Claire, bénie soit son nom et sa beauté !
Faut dire que Claire de Kharov a dû écouter et assimiler toutes les leçons de la vieille peau tellement cette dernière parle en bien d’elle. C’est l’incarnation de la beauté, le firmament de son art de beauté dédié aux jeunes femmes du beau monde. Me laissant en plan quelques instants au milieu des robes bien trop petites pour me permettre de les utiliser, elle revient rapidement avec un vêtement aux reflets rouges et ocre. Elle hoche de la tête, satisfaite.
-Quelque chose de sauvage et de glamour en même temps, c’est parfait pour vous. Enfilez là ! Dépêchez ! Ça a déjà commencé.
Je m’exécute avec une fébrilité certaine. C’est que je n’ai jamais eu l’occasion de porter un vêtement d’un tel standing. Et plus d’une fois, je crois sentir le tissu se déchirer sous les contraintes que je lui soumets pour m’habiller correctement. Finalement, mes peurs se dissipent lorsque tout à coup, je me contemple dans un vaste miroir. A nouveau, je sens la nostalgie de la petite fille que j’étais face aux portraits de princesse, car j’en ai tout l’air. Une sublime robe légèrement fendue au milieu, révélant le crin de ma jambe droite. Des bordures stylisées aux reflets d’or. Deux formes de loups d’un rouge plus puissant partant de mes hanches pour venir couvrir ma poitrine en un bustier un petit peu provocateur. Je regarde tout ça d’un œil stupéfait tandis que la vieille hoche du chef en murmurant dans ses rides.
-Oui. Oui. Percutant. Charmeur. Animal. Bon choix. Bonnes couleurs. Bon découpage. Tissus agréables. Dame Claire sera ravie.
Elle me tire alors de ma rêverie pour m’apporter une paire d’escarpins associe à la robe que je m’empresse d’enfiler avant de m’apercevoir que je les broie sous mon poids. La coiffeuse lâche une moue dédaigneuse, mais ne s’avoue pas vaincue. Elle finit par dénicher une paire de sandales haute couture aux reflets d’argents qui me sied à merveille. Elle enchaine sur les boucles d’oreilles avec deux énormes anneaux d’or, mais le regard que je lui fais aussitôt suffit à l’arrêter. Non, ça, je refuse.
-Mouai, mouai, mouai… de toute façon, ça ne pourrait pas être pire.
Et c’est sans attendre qu’elle se saisit de quelques outils de maquillage pour me finir le portrait. Un peu de poudre blanche sur la peau, du rouge à lèvres, du mascara doré et quelques paillettes sur le front. C’est très tendance, parait-il. Elle me fait tourner une dernière fois sur moi-même avant de conclure.
-J’ai rarement habillé un ours hirsute, mais au moins, il n’est plus hirsute.
Il y a certaines limites à l’auto-modération et je serais bien tentée de lui faire comprendre de la boucler la prochaine fois, au lieu de l’ouvrir. Mais c’est la fin de mon simili calvaire avec elle, car elle me presse de rejoindre la petite fête organisée par Dame Kharov dans son hôtel particulier. Et quand j’entrouvre les rideaux séparant le couloir des coulisses de la salle de réception, la lumière m’aveugle un instant. Je me couvre les yeux, mais la furie me pousse en avant. C’est mon premier pas dans le monde d’en haut.