Le vent avait forci depuis le début de la journée. Changer de mer n'avait pas été une mince affaire et les affres d'une traversée mouvementée et son oxygène salé m'avaient creusé plus de rides que le soleil du désert en dix ans. Une journée qui me rappela pour quelles raisons je n'aimais pas voyager et pourquoi mes instincts grégaires étaient si développés chez moi. Ce devait être à cause de ces origines venues du fin fond du foin de Kage Berg. Le plancher des porcs de l'île aux vaches. Même ma pauvre bicoque me manquait, malgré les trous de toiture que j'ai tenté vainement et à multiples reprises de reboucher à la force de mes mains caleuses et de mes jurons épicés.
Depuis le début de la journée, mon humeur n'avait eu de cesse de se dégrader. J'avais pas quitté mon île de bon cœur, malgré la mauvaise fortune qui me touchait : c'était loin des semaines de vacances tous frais payés par un contribuable que je ne voyais qu'au moment des factures. C'était loin de ma famille, de ma femme et de mes filles. J'avais perdu mes yeux à m'affairer sur un navire que je savais mieux mettre sur pied qu'en diriger les pas, j'avais perdu les cales sur mes doigts contre des cordes plus robustes que le bois de mes scies et marteaux puis jeté à la mer quelques litres de nourriture presque digérée que j'aurais presque préféré bouffer de nouveau que de gaspiller ainsi.
Mon humeur n'avait eu de cesse de se dégrader, mais pas que depuis que le soleil avait dardé ses rayons sur mon crâne revêche. Depuis qu'on avait levé l'ancre à Hinu Town, la semaine dernière. J'avais signé pour deux semaines de traversée, et je l'avais regretté avant même de quitter ma tendre et ferme épouse. Deux semaines de traversée pour moi, deux semaines de galère pour elle. Avec deux filles sur les bras et son pécule de fille de joie. Une misère. Mais cette mission pour laquelle on m'avait mandaté loin de ma terre de passion, loin de ma mer natale, devait subvenir à nos besoin pour plus d'un mois. Peut-être deux. Un mal nécessaire pour épaissir un peu plus cette soupe aux choux qu'elle préparait depuis la naissance de la petite dernière. Nous arrivions toujours à obtenir le minima de viande par semaine, mais c'était juste. Nourrir les filles était dur, mais elles nous le rendaient tellement que je n'avais pas su refuser cette offre. Pire, je m'y étais jeté dessus dans un accès de lucidité que j'avais depuis perdu. Un regret plus amer que l'iode des vagues qui ne cessaient de me faire sentir que je n'étais qu'un étranger sur son écume.
Mais depuis que le soleil avait dardé ses rayons sur mon crâne revêche, nous pouvions voir les côtes de l'île nôtre destination.
Île notre destination où nous devions bâtir en deux jours un bar à chats en forme de proue de navire. Pour un type timbré. Je n'avais pas d'autre mot.
J'oubliai les difficultés habituelles d'un débarquement en bonne et due forme et privilégiai le bonheur de retrouver de la terre, du sable et des pierres solides sous mes quatre pieds. L'avantage d'avoir une plante de pied qui en mesure deux chacune. Il était pas loin de dix heures du matin, guère plus, et les autres gaillards qui avaient suivi la traversée mirent pied à terre en même temps que moi et avec la même satisfaction. Les charpentiers ne prenaient que rarement la mer, mais le bonus que nous promettait ce boulot casse-couilles avait réussi à nous décoller la peau du cul de nos âtres confortables. Mais très vite, nos poumons durent arrêter d'apprécier cet air sec et nos oreilles cette stabilité qui nous avait tant manqué. Nous étions rappelés à l'ordre : deux jours pour bâtir le bar à chats. Quelle connerie tout de même. Alors nous nous détournâmes et nous mîmes à tout décharger.
Sur cette île à première vue banale, Nous nous aperçûmes que le vent y était plus frais qu'ailleurs. Que les habitants beaucoup trop curieux et beaucoup trop polis pour être honnêtes nous apportèrent de l'eau, de la limonade et l'information comme quoi il y avait à quelques kilomètres au large une formation de nuages presque quotidienne qui apportait des vents frais quasiment toute l'année, et que si en hiver ils étaient givrants et très dangereux, il permettait en été d'avoir une température parfaite pour que leurs nombreux animaux ne souffrent pas du soleil et des chaleurs excessives comme d'autres îles. Les animaux en question, nous les vîmes bien vites, alors que nous déchargions nos bois, nos outils et nos mauvaises humeurs. Bon, ma mauvaise humeur – les autres appréciaient les attentions des citoyens mais elles ne me permettaient pas pour autant d'oublier tout ce que j'avais laissé sous mon toit délabré ni surtout dans quelle merde. Ici donc, les animaux étaient nombreux. Ils piaillaient caquetaient aboyaient bêlaient barrissaient glatissaient piaulaient turlutaient chantaient brayaient croulaient belotaient blatéraient mugissaient cacabaient carcaillaient cancanaient bramaient jappaient huaient béguetaient miaulaient feulaient hennissaient... de l'insupportable en barre. Un truc à me retourner les oreilles en plus des yeux tant les couleurs, les formes et les odeurs variaient en quelques secondes. Le pire du pire, c'est que chaque animal était dorloté, chouchouté, gâté, à tel point que leurs poils, leurs plumes et leurs écailles étaient si brillants qu'ils renvoyaient dans mes yeux bouffis par l'épuisement du voyage des rayons de soleil qui n'étaient pas les bienvenus. J'ai pété un câble une fois, et je m'en suis excusé auprès des autochtones, mais j'ai fait fuir tous les pigeons qui s'étaient agglutinés dans mes pieds.
En dehors de la mixité animale et de la ferveur anormale que notre arrivée déclencha chez les habitants, la typographie de la ville m'apparut clairement comme atypique. Nous n'avions pas vu grand chose, uniquement le port et les murailles qui l'excluait du reste de la ville comme par crainte de marées impressionnantes. En revanche, les murailles, quoique hautes, laissaient apercevoir des maisons culminantes, fines, et aux couleurs diverses, variées et plus bigarrées encore que les plumages des oiseaux qui nous accueillirent le matin même. Elles étaient collées les unes aux autres, comme une seconde muraille, et avaient sur les façades tant de fenêtres offertes à l'horizon qu'elles semblaient n'être que des hublots sur les vies qui grouillaient entre leurs murs colorés.
Avec tout ça, il me tardait de commencer le gros œuvre pour rentrer à la maison le plus vite possible et y retrouver le hublot de ma propre petite vie.
En dépit de mes envies, le travail ne commença pas de suite. Décharger tout ce dont nous avions besoin prit les quelques heures avant midi et nous fûmes prêt à travailler à l'heure du repas. Certains habitants nous proposèrent à manger, d'autre le gîte pour le soir et il sembla qu'un où deux de mes collègues venaient de se trouver une jolie et jeune femme d'attache dans ce nouveau port. Je ruminai mon aversion pour cette pratique et m'en détournai. Il fut décidé que nous mangerions avant d'attaquer les travaux du bois et nous suivîmes un homme robuste aux cheveux gris coupés raz qui nous indiqua une place herbeuse, une espèce de gigantesque parc ou paissaient toutes sortes de bêtes étranges et où jouaient toutes sortes d'enfants en bas âge. Ou plus âgés. En clair : un pique-nique à ciel ouvert. Pas la joie du tout, mais au moins, nous ne payâmes pas grand chose.
Mais les gens autour étaient beaucoup, beaucoup, trop curieux...
Depuis le début de la journée, mon humeur n'avait eu de cesse de se dégrader. J'avais pas quitté mon île de bon cœur, malgré la mauvaise fortune qui me touchait : c'était loin des semaines de vacances tous frais payés par un contribuable que je ne voyais qu'au moment des factures. C'était loin de ma famille, de ma femme et de mes filles. J'avais perdu mes yeux à m'affairer sur un navire que je savais mieux mettre sur pied qu'en diriger les pas, j'avais perdu les cales sur mes doigts contre des cordes plus robustes que le bois de mes scies et marteaux puis jeté à la mer quelques litres de nourriture presque digérée que j'aurais presque préféré bouffer de nouveau que de gaspiller ainsi.
Mon humeur n'avait eu de cesse de se dégrader, mais pas que depuis que le soleil avait dardé ses rayons sur mon crâne revêche. Depuis qu'on avait levé l'ancre à Hinu Town, la semaine dernière. J'avais signé pour deux semaines de traversée, et je l'avais regretté avant même de quitter ma tendre et ferme épouse. Deux semaines de traversée pour moi, deux semaines de galère pour elle. Avec deux filles sur les bras et son pécule de fille de joie. Une misère. Mais cette mission pour laquelle on m'avait mandaté loin de ma terre de passion, loin de ma mer natale, devait subvenir à nos besoin pour plus d'un mois. Peut-être deux. Un mal nécessaire pour épaissir un peu plus cette soupe aux choux qu'elle préparait depuis la naissance de la petite dernière. Nous arrivions toujours à obtenir le minima de viande par semaine, mais c'était juste. Nourrir les filles était dur, mais elles nous le rendaient tellement que je n'avais pas su refuser cette offre. Pire, je m'y étais jeté dessus dans un accès de lucidité que j'avais depuis perdu. Un regret plus amer que l'iode des vagues qui ne cessaient de me faire sentir que je n'étais qu'un étranger sur son écume.
Mais depuis que le soleil avait dardé ses rayons sur mon crâne revêche, nous pouvions voir les côtes de l'île nôtre destination.
Île notre destination où nous devions bâtir en deux jours un bar à chats en forme de proue de navire. Pour un type timbré. Je n'avais pas d'autre mot.
J'oubliai les difficultés habituelles d'un débarquement en bonne et due forme et privilégiai le bonheur de retrouver de la terre, du sable et des pierres solides sous mes quatre pieds. L'avantage d'avoir une plante de pied qui en mesure deux chacune. Il était pas loin de dix heures du matin, guère plus, et les autres gaillards qui avaient suivi la traversée mirent pied à terre en même temps que moi et avec la même satisfaction. Les charpentiers ne prenaient que rarement la mer, mais le bonus que nous promettait ce boulot casse-couilles avait réussi à nous décoller la peau du cul de nos âtres confortables. Mais très vite, nos poumons durent arrêter d'apprécier cet air sec et nos oreilles cette stabilité qui nous avait tant manqué. Nous étions rappelés à l'ordre : deux jours pour bâtir le bar à chats. Quelle connerie tout de même. Alors nous nous détournâmes et nous mîmes à tout décharger.
Sur cette île à première vue banale, Nous nous aperçûmes que le vent y était plus frais qu'ailleurs. Que les habitants beaucoup trop curieux et beaucoup trop polis pour être honnêtes nous apportèrent de l'eau, de la limonade et l'information comme quoi il y avait à quelques kilomètres au large une formation de nuages presque quotidienne qui apportait des vents frais quasiment toute l'année, et que si en hiver ils étaient givrants et très dangereux, il permettait en été d'avoir une température parfaite pour que leurs nombreux animaux ne souffrent pas du soleil et des chaleurs excessives comme d'autres îles. Les animaux en question, nous les vîmes bien vites, alors que nous déchargions nos bois, nos outils et nos mauvaises humeurs. Bon, ma mauvaise humeur – les autres appréciaient les attentions des citoyens mais elles ne me permettaient pas pour autant d'oublier tout ce que j'avais laissé sous mon toit délabré ni surtout dans quelle merde. Ici donc, les animaux étaient nombreux. Ils piaillaient caquetaient aboyaient bêlaient barrissaient glatissaient piaulaient turlutaient chantaient brayaient croulaient belotaient blatéraient mugissaient cacabaient carcaillaient cancanaient bramaient jappaient huaient béguetaient miaulaient feulaient hennissaient... de l'insupportable en barre. Un truc à me retourner les oreilles en plus des yeux tant les couleurs, les formes et les odeurs variaient en quelques secondes. Le pire du pire, c'est que chaque animal était dorloté, chouchouté, gâté, à tel point que leurs poils, leurs plumes et leurs écailles étaient si brillants qu'ils renvoyaient dans mes yeux bouffis par l'épuisement du voyage des rayons de soleil qui n'étaient pas les bienvenus. J'ai pété un câble une fois, et je m'en suis excusé auprès des autochtones, mais j'ai fait fuir tous les pigeons qui s'étaient agglutinés dans mes pieds.
En dehors de la mixité animale et de la ferveur anormale que notre arrivée déclencha chez les habitants, la typographie de la ville m'apparut clairement comme atypique. Nous n'avions pas vu grand chose, uniquement le port et les murailles qui l'excluait du reste de la ville comme par crainte de marées impressionnantes. En revanche, les murailles, quoique hautes, laissaient apercevoir des maisons culminantes, fines, et aux couleurs diverses, variées et plus bigarrées encore que les plumages des oiseaux qui nous accueillirent le matin même. Elles étaient collées les unes aux autres, comme une seconde muraille, et avaient sur les façades tant de fenêtres offertes à l'horizon qu'elles semblaient n'être que des hublots sur les vies qui grouillaient entre leurs murs colorés.
Avec tout ça, il me tardait de commencer le gros œuvre pour rentrer à la maison le plus vite possible et y retrouver le hublot de ma propre petite vie.
En dépit de mes envies, le travail ne commença pas de suite. Décharger tout ce dont nous avions besoin prit les quelques heures avant midi et nous fûmes prêt à travailler à l'heure du repas. Certains habitants nous proposèrent à manger, d'autre le gîte pour le soir et il sembla qu'un où deux de mes collègues venaient de se trouver une jolie et jeune femme d'attache dans ce nouveau port. Je ruminai mon aversion pour cette pratique et m'en détournai. Il fut décidé que nous mangerions avant d'attaquer les travaux du bois et nous suivîmes un homme robuste aux cheveux gris coupés raz qui nous indiqua une place herbeuse, une espèce de gigantesque parc ou paissaient toutes sortes de bêtes étranges et où jouaient toutes sortes d'enfants en bas âge. Ou plus âgés. En clair : un pique-nique à ciel ouvert. Pas la joie du tout, mais au moins, nous ne payâmes pas grand chose.
Mais les gens autour étaient beaucoup, beaucoup, trop curieux...