Si vous lisez ceci, il me reste peut-être une chance. Je laisse ce message dans ma dernière bouteille de Rhum et si personne ne la trouve à temps, j’irais alors rejoindre le Créateur, ou les abysses, quoique je pense que même l’Enfer se désintéresse de moi.
Car voilà toute ma vie une vie d’errance, de fuite, de survie.
J’ai pourtant vaguement cherché ma voie, peut-être trop vaguement justement. C’est intéressant comme c’est aux derniers instants qu’on fait le point. C’est à ce moment qu’on réfléchit à tout ce qu’on a fait, à tout ce qu’on a raté, à tout ce qu’on n’a pas vécu. Et pour moi la liste est longue.
Il ne me reste sûrement que quelques jours à vivre, mais j’ai toujours un espoir de marquer cette terre de mon empreinte. Je m’en vais conter ici ma maigre existence, afin qu’au moins quelqu’un en ce monde puisse avoir un souvenir de moi.
Commençons donc au début.
Mon premier souvenir est celui d’une nuit froide et de cris. On me réveille brusquement en me soulevant et on m’entraine hors de mon lit, hors de la maison. La personne qui me tient est très grande, du moins comparé à moi, car étant enfant et lui adulte, il me porte aisément sous son bras droit.
Dehors l’air est glacial. Je vois seulement quelques cases de bois autour de moi. Ces maisons semblent avoir subi les affres du temps et avoir supporté de nombreuses pluies. En dessous de nous, le sol de terre compressée par le passage d’innombrables pieds humains.
Ce que mes yeux peuvent distinguer se trouve dans un rayon de 10 mètres. Plus loin, tout est plongé dans le noir, même les lampes à graisse n’arrivent pas à éclairer cette obscurité et lancent seulement un vague point lumineux à travers la nuit. Au-dessus, le ciel, sombre, sans étoile.
Et partout, des cris. Des cris atroces qui font souffrir rien qu’en les entendant. Des cris de douleur et de détresse, ils viennent de partout, de la nuit elle-même.
J’ai froid, j’ai peur, et je ne comprends pas ce qui se passe. L’homme me porte toujours, m’empêchant de bouger ; dans sa main gauche je vois maintenant une torche enflammée, il se met à marcher et m’emmène loin des huttes. Au moment où il dépasse la dernière j’entends un cri différent derrière nous.
« Non Shigatu, je t’en supplie ne l’emporte pas, il est si jeune ! » La femme qui parle à une voix qui m’apaise, même si son ton est empreint de peur et de chagrin. Je ne peux la voir car l’homme qui me tient reste face à la nuit.
« Elisia, tu sais très bien que je le dois, depuis qu’il est arrivé ici, regarde ce qui nous arrive, le village ne pourra pas supporter une nuit de plus comme celle-là. Le démon le cherche, il a sa marque, il ne peut plus rester ici.
- Mais que vas-tu en faire, par pitié, reviens, on trouvera une solution demain ! »
L’homme qui me porte a annoncé sa sentence d’une voix qu’il voulait contrôlée mais qui trahissait ses doutes. Il continue d’avancer, en ne montrant aucun signe de sensibilité aux pleurs de la femme, qui nous suivent pendant quelques mètres.
Quelques minutes plus tard le bruit de ses pas a changé, il marche maintenant sur du sable. Il me dépose enfin, dans un grand lit de bois. Je suis toujours déboussolé et ne sais quoi faire. Il me regarde et je vois une larme scintiller au coin de son œil droit. Il se penche vers moi, m’embrasse sur le front et je le vois s’éloigner, mais sans bouger.
En fait c’est moi qui pars, mon lit de bois est une barque vide qui m’emmène au large vers la nuit sans étoile. Mon souvenir s’arrête là.
Toute mon enfance est marquée par des évènements similaires.
Je ne sais pas ce qu’il s’est passé après avoir été abandonné dans cette embarcation, et comment j’ai survécu. Mais j’ai été recueilli, ailleurs, par d’autres gens, avec les mêmes peurs, et la même finalité.
J’ai erré de ville en ville, d’ile en ile, m’intégrant comme je pouvais, attendant d’y être chassé. Et chassé toujours je l’étais. Et toujours de la même façon, un certain temps après mon arrivée (au maximum deux ans) des nuits particulièrement sombres arrivaient, de plus en plus sombres, comme si la nuit absorbait les lumières, puis les cris revenaient, certaines personnes disparaissaient. Les gens avaient peur, ils mettaient leurs malheurs sur le compte de ma simple présence, et après tant d’années je sais qu’ils avaient tous raison. Chaque fois que ces cris venaient, je savais que je devais partir (ou l’on m’y forçait plus ou moins tendrement). Chaque fois cela marquait la fin d’un bref épisode de ma vie et je changeais d’île, espérant que sur la prochaine, ils n’avaient pas entendu parler de l’homme au tatouage qui attire les démons.
J’ai tout de même survécu, parfois en m’intégrant aux communautés, d’autres en vivant comme un paria, souvent en volant mais toujours, au final en fuyant.
Encore aujourd’hui j’ai de nombreux trou dans ma mémoire et des moments où je me sais perdu, aux limites de la mort, s’enchainent sans logique sur un autre épisode de calme relatif.
Par contre je me souviens très bien d’un épisode intéressant de ma vie. Je devais avoir aux alentours de 17 ans (d’après mon physique car je ne sais pas quand je suis venu en ce monde). Comme souvent je fuyais. Pas la nuit noire, mais le village, où l’on m’avait pris la main dans le sac en train d’essayer de voler un fusil.
J’étais dans une boutique d’arme, en train de cacher dette merveille sous ma chemise et m’imaginais déjà utiliser ce fusil, pour la chasse ou le brandir contre Robert la matraque, (la brute du coin qui en avait apparemment contre moi) et lui faire comprendre que s’il voulait encore m’ennuyer, il risquait de le payer cher. En plein dans mes pensées je n’avais pas vu le patron de la boutique s’approcher derrière moi et m’attraper. Je basculais la tête en arrière pour lui mettre un coup dans le nez et courut, profitant de sa surprise, mais laissant au passage échapper mon superbe butin.
Comme je disais donc, je fuyais. J’étais parvenu à semer les villageois à mes trousses en m’enfonçant dans la forêt. Courant pour ne pas être attrapé je ne vis pas le trou devant moi et m’y jetais de tout mon élan. Je fis une chute de quelques mètres et me retrouvais dans une grotte sombre, seulement éclairée par l’entrée par laquelle j’étais tombé.
Le premier constat qui me frappa est que j’y voyais assez nettement. J’y voyais bien alors que je savais que les faibles rayons de soleils qui pénétraient ici ne pouvaient me permettre de discerner autant de détails de cette cavité.
Ensuite un bruit, un sifflement. J’étais entouré de dizaines de gros serpents blancs qui me semblaient, sinon mortels, au moins extrêmement dangereux. Mais ils ne bougeaient pas, et je ne bougeais pas plus. Et puis soudain une douleur immense, intense, comme je n’en avais jamais ressentie. Ce n’était pas les serpents car ils n’avaient pas bougé ; non, c’était MON serpent. Oui le grand dessin qui ornaient mon dos (et qui étrangement, grandissait en même temps que mon corps) se mettait à me brûler comme si on me marquait au fer blanc.
Ce grand tatouage, un ouroboros (un serpent qui se mord la queue) trouvait ce jour-là un début d’éclaircissement. Car au moment où la douleur partit, les serpents me tournèrent le dos et me guidèrent vers la sortie. A partir de ce moment, j’étais lié aux serpents. Même si je ne les comprenais pas, eux me comprenaient. Ils ne m’attaquaient pas et parfois, même, me défendaient.
Cet évènement marque le début de ma seconde vie. En effet peu après j’avais remarqué que parfois mon dessin me brulait et quelques jours après, la nuit noire et les cris s’abattaient sur la ville ou j’étais. Je savais maintenant quand fuir avant de faire souffrir les habitants, avant d’être chassé ou avant que cette nuit ne m’emporte. Car c’est, avec mon tatouage, la seule chose qui me vient d’avant mon premier souvenir : la certitude qu’il fallait éviter cette nuit noire qui était à mes trousses.
Et j’ai réussi à la semer jusque-là. Mais ce ne fut pas de tout repos. Pour survivre je dus faire de nombreux métiers, et en changer souvent, comme je changeais de lieu.
J’ai commencé par chasser et vendre viande et peaux sur les marchés, mais cela ne me plaisait pas de tuer autant d’animaux. J’ai été courtier, serveur, (mauvais) barde, maçon, forgeron, jardinier.
J’ai même été un temps dans la marine. Mais j’en ai eu marre de la rigueur idiote et des chefs égocentriques. Je n’aimais pas suivre aveuglément les ordres et l’esprit qui régnait dans ma caserne. De plus je n’avais jamais été très doué pour la force brute, et mes « camarades » me le faisaient bien comprendre. J’ai donc fui.
Après cela, Quand je suis parti j’ai trouvé une place comme homme de main. C’est d’ailleurs ce dernier travail qui me plaisait le plus depuis des années.
J’aimais être craint et respecté, et faisait donc mon travail avec pas mal de zèle.
C’est ainsi que j’en suis venu à me faire payer pour éliminer certaines personnes. Je n’étais pas fervent de la brutalité (et vu mon gabarit, j’en étais peu capable), je privilégiais donc les moyens détournés, subtils. Le poison et la nuit, quand tout le monde dort étaient mes deux armes favorites.
Je tuais et j’aimais ça, je rendais aux gens ce qu’ils m’avaient fait subir pendant toute ces années, même si ce n’étais pas les même personnes ils allaient finir par faire de même, alors je prenais les devants.
Mais cela n’a pas duré car, changeant d'endroit trop souvent, au bout du compte, personne ne me connaissait assez pour me confier ce genre de travail et je n’avais plus envie de faire le barde ou encore le maçon. C’est ainsi que j’en suis venu à mon dernier moyen de subsistance à temps plein : le vol. Et j’étais doué ! Sûrement que ces années de fuite, de planque et d’assassinats nocturnes m’ont formée à ne pas me faire voir et à détourner l’attention de moi, enfin jusqu'à récemment.
Je m’étais introduit dans la somptueuse villa du maire d'une petite ile de South Blue, dans le but de dérober quelques objets de valeur avant de changer d’ile. Mais c’était sans compter l’animal de garde de la maison : une redoutable et teigneuse mangouste.
Elle a fait un tel remue-ménage avant que je ne l’attrape qu’elle avait réveillé toute la maison. J’ai alors (comme d’habitude) fui. J’ai couru vers la plage et j’ai sauté dans la première embarcation qui apparut. C’était un genre de grand canot, qui ne m’emmènerait pas bien loin je le savais mais je devais fuir vite. J’avais eu le temps de prendre un peu de distance, avant ‘apercevoir mon erreur : dans ma précipitation j’avais oublié les canons sur le port.
L’artilleur devait être très doué et avoir confiance en lui car il ne tira qu’une fois. Mais je vis clairement le boulet m’arriver pile dessus. Je pensais ma fin venue, et au moment où je souriais en pensant à toute cette mascarade qu’avait été ma vie, un énorme monstre de mer (ressemblant étrangement à un serpent) sortit de l’eau et m’avala.
Je me suis réveillé, je ne sais combien de temps plus tard, dans mon navire de fortune, sans rames ni voile, avec pour seules réserves un peu de pain et trois bouteilles de rhum.
Et voilà, je crois que vous connaissez la suite, maintenant je ne suis plus qu’une grande forme d’1m86, la peau halée, les cheveux mi- longs foncés avec des yeux bleus et pour tout signe distinctif un grand tatouage d’ouroboros dans le dos.
Si je me décris comme cela, c’est au cas où vous trouviez ce canot, que vous sachiez qui j’étais.
J’ai encore une vague lueur d’espoir que quelqu’un me trouve, mais de toute façon pour faire quoi ? Qui suis-je ou que suis-je ? Quelle est ma place en ce monde ? Je laisse ces questions en suspens sur le papier, telles des amies fidèles, elles me tiendront compagnies le temps de mon agonie.
Au revoir.
Kashassou Iquam
Car voilà toute ma vie une vie d’errance, de fuite, de survie.
J’ai pourtant vaguement cherché ma voie, peut-être trop vaguement justement. C’est intéressant comme c’est aux derniers instants qu’on fait le point. C’est à ce moment qu’on réfléchit à tout ce qu’on a fait, à tout ce qu’on a raté, à tout ce qu’on n’a pas vécu. Et pour moi la liste est longue.
Il ne me reste sûrement que quelques jours à vivre, mais j’ai toujours un espoir de marquer cette terre de mon empreinte. Je m’en vais conter ici ma maigre existence, afin qu’au moins quelqu’un en ce monde puisse avoir un souvenir de moi.
Commençons donc au début.
Mon premier souvenir est celui d’une nuit froide et de cris. On me réveille brusquement en me soulevant et on m’entraine hors de mon lit, hors de la maison. La personne qui me tient est très grande, du moins comparé à moi, car étant enfant et lui adulte, il me porte aisément sous son bras droit.
Dehors l’air est glacial. Je vois seulement quelques cases de bois autour de moi. Ces maisons semblent avoir subi les affres du temps et avoir supporté de nombreuses pluies. En dessous de nous, le sol de terre compressée par le passage d’innombrables pieds humains.
Ce que mes yeux peuvent distinguer se trouve dans un rayon de 10 mètres. Plus loin, tout est plongé dans le noir, même les lampes à graisse n’arrivent pas à éclairer cette obscurité et lancent seulement un vague point lumineux à travers la nuit. Au-dessus, le ciel, sombre, sans étoile.
Et partout, des cris. Des cris atroces qui font souffrir rien qu’en les entendant. Des cris de douleur et de détresse, ils viennent de partout, de la nuit elle-même.
J’ai froid, j’ai peur, et je ne comprends pas ce qui se passe. L’homme me porte toujours, m’empêchant de bouger ; dans sa main gauche je vois maintenant une torche enflammée, il se met à marcher et m’emmène loin des huttes. Au moment où il dépasse la dernière j’entends un cri différent derrière nous.
« Non Shigatu, je t’en supplie ne l’emporte pas, il est si jeune ! » La femme qui parle à une voix qui m’apaise, même si son ton est empreint de peur et de chagrin. Je ne peux la voir car l’homme qui me tient reste face à la nuit.
« Elisia, tu sais très bien que je le dois, depuis qu’il est arrivé ici, regarde ce qui nous arrive, le village ne pourra pas supporter une nuit de plus comme celle-là. Le démon le cherche, il a sa marque, il ne peut plus rester ici.
- Mais que vas-tu en faire, par pitié, reviens, on trouvera une solution demain ! »
L’homme qui me porte a annoncé sa sentence d’une voix qu’il voulait contrôlée mais qui trahissait ses doutes. Il continue d’avancer, en ne montrant aucun signe de sensibilité aux pleurs de la femme, qui nous suivent pendant quelques mètres.
Quelques minutes plus tard le bruit de ses pas a changé, il marche maintenant sur du sable. Il me dépose enfin, dans un grand lit de bois. Je suis toujours déboussolé et ne sais quoi faire. Il me regarde et je vois une larme scintiller au coin de son œil droit. Il se penche vers moi, m’embrasse sur le front et je le vois s’éloigner, mais sans bouger.
En fait c’est moi qui pars, mon lit de bois est une barque vide qui m’emmène au large vers la nuit sans étoile. Mon souvenir s’arrête là.
Toute mon enfance est marquée par des évènements similaires.
Je ne sais pas ce qu’il s’est passé après avoir été abandonné dans cette embarcation, et comment j’ai survécu. Mais j’ai été recueilli, ailleurs, par d’autres gens, avec les mêmes peurs, et la même finalité.
J’ai erré de ville en ville, d’ile en ile, m’intégrant comme je pouvais, attendant d’y être chassé. Et chassé toujours je l’étais. Et toujours de la même façon, un certain temps après mon arrivée (au maximum deux ans) des nuits particulièrement sombres arrivaient, de plus en plus sombres, comme si la nuit absorbait les lumières, puis les cris revenaient, certaines personnes disparaissaient. Les gens avaient peur, ils mettaient leurs malheurs sur le compte de ma simple présence, et après tant d’années je sais qu’ils avaient tous raison. Chaque fois que ces cris venaient, je savais que je devais partir (ou l’on m’y forçait plus ou moins tendrement). Chaque fois cela marquait la fin d’un bref épisode de ma vie et je changeais d’île, espérant que sur la prochaine, ils n’avaient pas entendu parler de l’homme au tatouage qui attire les démons.
J’ai tout de même survécu, parfois en m’intégrant aux communautés, d’autres en vivant comme un paria, souvent en volant mais toujours, au final en fuyant.
Encore aujourd’hui j’ai de nombreux trou dans ma mémoire et des moments où je me sais perdu, aux limites de la mort, s’enchainent sans logique sur un autre épisode de calme relatif.
Par contre je me souviens très bien d’un épisode intéressant de ma vie. Je devais avoir aux alentours de 17 ans (d’après mon physique car je ne sais pas quand je suis venu en ce monde). Comme souvent je fuyais. Pas la nuit noire, mais le village, où l’on m’avait pris la main dans le sac en train d’essayer de voler un fusil.
J’étais dans une boutique d’arme, en train de cacher dette merveille sous ma chemise et m’imaginais déjà utiliser ce fusil, pour la chasse ou le brandir contre Robert la matraque, (la brute du coin qui en avait apparemment contre moi) et lui faire comprendre que s’il voulait encore m’ennuyer, il risquait de le payer cher. En plein dans mes pensées je n’avais pas vu le patron de la boutique s’approcher derrière moi et m’attraper. Je basculais la tête en arrière pour lui mettre un coup dans le nez et courut, profitant de sa surprise, mais laissant au passage échapper mon superbe butin.
Comme je disais donc, je fuyais. J’étais parvenu à semer les villageois à mes trousses en m’enfonçant dans la forêt. Courant pour ne pas être attrapé je ne vis pas le trou devant moi et m’y jetais de tout mon élan. Je fis une chute de quelques mètres et me retrouvais dans une grotte sombre, seulement éclairée par l’entrée par laquelle j’étais tombé.
Le premier constat qui me frappa est que j’y voyais assez nettement. J’y voyais bien alors que je savais que les faibles rayons de soleils qui pénétraient ici ne pouvaient me permettre de discerner autant de détails de cette cavité.
Ensuite un bruit, un sifflement. J’étais entouré de dizaines de gros serpents blancs qui me semblaient, sinon mortels, au moins extrêmement dangereux. Mais ils ne bougeaient pas, et je ne bougeais pas plus. Et puis soudain une douleur immense, intense, comme je n’en avais jamais ressentie. Ce n’était pas les serpents car ils n’avaient pas bougé ; non, c’était MON serpent. Oui le grand dessin qui ornaient mon dos (et qui étrangement, grandissait en même temps que mon corps) se mettait à me brûler comme si on me marquait au fer blanc.
Ce grand tatouage, un ouroboros (un serpent qui se mord la queue) trouvait ce jour-là un début d’éclaircissement. Car au moment où la douleur partit, les serpents me tournèrent le dos et me guidèrent vers la sortie. A partir de ce moment, j’étais lié aux serpents. Même si je ne les comprenais pas, eux me comprenaient. Ils ne m’attaquaient pas et parfois, même, me défendaient.
Cet évènement marque le début de ma seconde vie. En effet peu après j’avais remarqué que parfois mon dessin me brulait et quelques jours après, la nuit noire et les cris s’abattaient sur la ville ou j’étais. Je savais maintenant quand fuir avant de faire souffrir les habitants, avant d’être chassé ou avant que cette nuit ne m’emporte. Car c’est, avec mon tatouage, la seule chose qui me vient d’avant mon premier souvenir : la certitude qu’il fallait éviter cette nuit noire qui était à mes trousses.
Et j’ai réussi à la semer jusque-là. Mais ce ne fut pas de tout repos. Pour survivre je dus faire de nombreux métiers, et en changer souvent, comme je changeais de lieu.
J’ai commencé par chasser et vendre viande et peaux sur les marchés, mais cela ne me plaisait pas de tuer autant d’animaux. J’ai été courtier, serveur, (mauvais) barde, maçon, forgeron, jardinier.
J’ai même été un temps dans la marine. Mais j’en ai eu marre de la rigueur idiote et des chefs égocentriques. Je n’aimais pas suivre aveuglément les ordres et l’esprit qui régnait dans ma caserne. De plus je n’avais jamais été très doué pour la force brute, et mes « camarades » me le faisaient bien comprendre. J’ai donc fui.
Après cela, Quand je suis parti j’ai trouvé une place comme homme de main. C’est d’ailleurs ce dernier travail qui me plaisait le plus depuis des années.
J’aimais être craint et respecté, et faisait donc mon travail avec pas mal de zèle.
C’est ainsi que j’en suis venu à me faire payer pour éliminer certaines personnes. Je n’étais pas fervent de la brutalité (et vu mon gabarit, j’en étais peu capable), je privilégiais donc les moyens détournés, subtils. Le poison et la nuit, quand tout le monde dort étaient mes deux armes favorites.
Je tuais et j’aimais ça, je rendais aux gens ce qu’ils m’avaient fait subir pendant toute ces années, même si ce n’étais pas les même personnes ils allaient finir par faire de même, alors je prenais les devants.
Mais cela n’a pas duré car, changeant d'endroit trop souvent, au bout du compte, personne ne me connaissait assez pour me confier ce genre de travail et je n’avais plus envie de faire le barde ou encore le maçon. C’est ainsi que j’en suis venu à mon dernier moyen de subsistance à temps plein : le vol. Et j’étais doué ! Sûrement que ces années de fuite, de planque et d’assassinats nocturnes m’ont formée à ne pas me faire voir et à détourner l’attention de moi, enfin jusqu'à récemment.
Je m’étais introduit dans la somptueuse villa du maire d'une petite ile de South Blue, dans le but de dérober quelques objets de valeur avant de changer d’ile. Mais c’était sans compter l’animal de garde de la maison : une redoutable et teigneuse mangouste.
Elle a fait un tel remue-ménage avant que je ne l’attrape qu’elle avait réveillé toute la maison. J’ai alors (comme d’habitude) fui. J’ai couru vers la plage et j’ai sauté dans la première embarcation qui apparut. C’était un genre de grand canot, qui ne m’emmènerait pas bien loin je le savais mais je devais fuir vite. J’avais eu le temps de prendre un peu de distance, avant ‘apercevoir mon erreur : dans ma précipitation j’avais oublié les canons sur le port.
L’artilleur devait être très doué et avoir confiance en lui car il ne tira qu’une fois. Mais je vis clairement le boulet m’arriver pile dessus. Je pensais ma fin venue, et au moment où je souriais en pensant à toute cette mascarade qu’avait été ma vie, un énorme monstre de mer (ressemblant étrangement à un serpent) sortit de l’eau et m’avala.
Je me suis réveillé, je ne sais combien de temps plus tard, dans mon navire de fortune, sans rames ni voile, avec pour seules réserves un peu de pain et trois bouteilles de rhum.
Et voilà, je crois que vous connaissez la suite, maintenant je ne suis plus qu’une grande forme d’1m86, la peau halée, les cheveux mi- longs foncés avec des yeux bleus et pour tout signe distinctif un grand tatouage d’ouroboros dans le dos.
Si je me décris comme cela, c’est au cas où vous trouviez ce canot, que vous sachiez qui j’étais.
J’ai encore une vague lueur d’espoir que quelqu’un me trouve, mais de toute façon pour faire quoi ? Qui suis-je ou que suis-je ? Quelle est ma place en ce monde ? Je laisse ces questions en suspens sur le papier, telles des amies fidèles, elles me tiendront compagnies le temps de mon agonie.
Au revoir.
Kashassou Iquam
Dernière édition par Kashassou Iquam le Jeu 02 Déc 2010, 22:28, édité 5 fois