Ding-Cling-Poum. Pam-Pam-Cling.
J’étouffe un baillement. J’ai longtemps hésité, cette nuit, sous les champignons de Whisper, sur la conduite à suivre. J’avais bien plusieurs options, après tout. Et le départ de Fallanster, le fait d’être quasiment perdu dans les galeries, l’apparition puis disparition de Lemure.
Cling-Cling-Ding. Poum-Poum-Ding.
Le Tohu-Bohu, hein. Le son résonne, résonne, résonne… Il rebondit de boyaux en cavernes, de corridors en grottes, de couloirs en cavités. Est-ce que je dois le traquer, pour l’arrêter ? Ses mouvements semblent surnaturels, sa prescience invincible. Et pourtant, il n’est probablement que meilleur que moi, comme tant d’autres.
Poum-Cling-Pam-Ding-Clong-Cling.
L’arrêter permettrait de rétablir le calme à Silence, en tout cas jusqu’à la prochaine occurrence. Il y avait probablement déjà un conte de croque-mitaine à propos du Tohu-Bohu, et ça ne ferait que renforcer le prochain déviant. Mais il y avait déjà la question de Matthias Lemure à capturer… De préférence vivant.
Clong-Pang-Clong-Clong-Clong.
Tiens, j’l’ai bien raté, celui-là. Faudrait que j’me concentre davantage sur c’que j’fabrique au lieu de ressasser ce que j’ai déjà mâché, vomi puis ravalé cette nuit-même. Un plan simple, pour ne pas dire simpliste.
Etape un : faire du boucan pour attirer Matthias Lemure. Si Fallanster vient, s’en débarrer aussi bien que possible. Ou le tourner contre le révolutionnaire, peut-être. Etape deux : s’occuper de Lemure. Etape trois : partir de l’île quand le bateau repassera. Etape annexe : faire croire que le coupable du second vacarme était Tohu-Bohu. Etape subsidiaire : coincer le bouffon histoire de rendre service.
Du haut de mon champignon, j’mate les environs. Plusieurs couloirs mènent à la caverne, et j’sais que Whisper risque pas de venir, terrifiée qu’elle semble être par le moindre son autre que celui de sa voix ou des froissement des tissus. A moins que y’ait une autre force armée dans le coin…
Et le v’là. L’absence de piafs, les trois sabres à sa ceinture et surtout la vitesse à laquelle il arrive font qu’il est impossible de l’confondre avec Fallanster. C’est Matthias Lemure, le blond bourgeois qui a rejoint la Révolution et provoqué le chaos partout où il est passé. J’jette ma clochette à l’autre bout de la grotte et, dans l’obscurité toute relative, j’suis à peu près sûr qu’il a pas pu voir.
Le son l’alerte, comme il se doit, mais le rend aussi méfiant. Le fait que le tintement se soit arrêté aussi vite a dû lui foutre la puce à l’oreille. Pas grave, mon angle doit suffire, là. Un Geppou et j’suis derrière lui, encore que des mètres plus haut. Puis j’me laisse tomber en dégainant d’abord mes couteaux de lancer.
Matthias Lemure se retourne instantanément alors que les armes commençent à peine à siffler dans l'air. Faut dire que l'calme ambiant doit pas jouer en faveur de celui qui lance une embuscade : chaque son est réverbéré et tellement isolé qu'il devient facile de tous les identifier. Notamment celui de lames prêtes à toucher.
Un iai précis de la main droite se débarrasse des deux armes et m'force à me tordre en plein vol pour pas me faire embaucher. Son katana glisse le long d'un des couteaux dans ma manche, tranchant celle-ci sur toute sa longueur, quand il tente de m'estoquer dans la foulée.
« Le type de hier, hein ? Entame-t-il.
- Ouais, c'est moi.
- Et c'est qui, toi ? »
Je hausse les épaules :
« Juste un gars qui passait dans l'coin.
- Dur à croire, personne passe jamais ici.
- A se demander ce que t'y fous, alors.
- T'es du GM, pas vrai ?
- J'vois pas ce qui te fait dire ça.
- Ou un chasseur de primes, kif-kif.
- Connais pas.
- Pas très bavard. On verra si j'peux t'arracher tous tes petits secrets tout à l'heure, qu'il achève en dégainant sa deuxième lame. »
On verra bien qui fait chanter qui, Matthias, on verra bien...
J'sors le premier couteau de ma manche, puis un deuxième apparaît comme par magie dans mon autre pogne. Prestidigitateur, que j'aurais pu faire. Mais j'fais déjà des tours rigolos. Il lance une attaque banale, un sabre de chaque côté, à la même hauteur. Le genre pour tester un peu l'adversaire, sa force, sa fermeté, ses armes, avec probablement un p'tit coup fourré de derrière les fagots, du style coup d'tatane ensuite. Du vu et revu, ça.
J'fais un p'tit saut en arrière et j'en profite pour inverser ma prise sur le surin main droite. Matthias laisse son élan lui faire croiser les bras, puis se jette sur moi en utilisant la force accumulée dans le procédé. Ce coup-ci, je bloque, et la force de l'assaut se réverbère dans mes lames, qui jouent légèrement. Aïe. Ses katanas ont l'air de meilleure qualité, et bloquer semble donc contre-indiqué.
Mon coup de pied de bas en haut, prévu pour le cueillir au menton, ne rencontre évidemment que le vide. J'aurais été déçu, encore que soulagé, du contraire. Déçu parce que ça voudrait dire que les services d'évaluations des dangers étaient complètement à côté de la plaque, évidemment.
Dans cette position, j'ai pas trente-six solutions. En rabaissant ma jambe, j'balance un Rankyaku qu'il bloque avec ses épées croisées devant lui. Autant y aller à fond, du coup, vu que c'est ma cible. Un Soru me propulse au contact, sous ses mirettes qui affichent une surprise de bon aloi. Mon surin de droit part pour l'épaule et est paré par le manche de son arme. Celui de gauche vise plus bas, le côté du bide, et parvient à le lacérer relativement superficiellement avant que Lemure ne se dégage.
« Un point pour moi, que j'commente.
- Un chien du Gouvernement, j'aurais dû m'en douter.
- Toujours les insultes...
- Vous oppressez le peuple et... S'échauffe le révolutionnaire.
- Oh non, pas le coup du discours, putain, c'est toujours le même, quoi !
- Si tu le prends sur ce ton, achève-t-il en coupant toute émotion de son visage, la température alentours semblant nettement chuter. »
Semblant seulement. C'est juste lui qui s'refroidit pour descendre au niveau du tueur glacial pour qui une vie n'est rien qu'un brin d'herbe qu'on cueille, qu'on tripote puis qu'on jette, assis sur une pelouse à regarder le temps passer. Un classique, de supprimer l'émotionnel pour ne garder que l'analyse froide de la situation. Et relativement efficace, surtout pour pas perdre de vue le plus important : les couteaux, ça coupe.
Il se place un katana dans la bouche, et serre fort avec ses mâchoires. Là, c'est sûr, j'vais plus l'entendre causer. Puis il sort, comme il se doit, le troisième. La grande école du sabre de Shimotsuki, hein ? On va voir ce que ça vaut contre les techniques de combat du Cipher Pol. A savoir, tous les moyens sont bons pour gagner, puisqu'un combat équitable est un combat où j'gagne à la fin.
Il se met dans une garde forcément bizarre, un type qui fait du santoryu, hein... Son premier coup part dans le vide, à trois mètres de distance. J'saute sur le côté, laissant la triplette de lames d'air siffler puis s'écraser sur un pauvre champignon géant qu'avait rien demandé à personne. Il recommence, avec une forme différente, puis une autre, et encore une.
Une saloperie de kata, à tous les coups.
Je saute et j'me baisse, je volte et j'me vrille, j'bloque à l'occasion. La dague dans ma pogne droite rend l'âme, immédiatement remplacée par une autre, identique. Le matos des Bureaux, pas toujours fôlichon. Mon jeu de jambes s'active, les Rankyakus filent rencontrer ses attaques à lui.
Match nul, globalement. Sauf quand une attaque est lancée un peu faiblarde, et nécessite un petit rattrapage.
Le combat se fige à nouveau. On est équilibré, pour le moment. L'arme dans ma main gauche faiblit, à son tour. Prochain assaut, j'lui envoie dans la gueule, pour une diversion. J'veux pas ouvrir avec un nouveau Soru. Préparé comme il est, véloce, aussi, il risquerait d'le voir venir, et d'me planter dans la foulée.
On se tourne autour comme deux lions qui se battent pour le même morceau de barbaque, à savoir l'autre. Pas très cannibales, d'ailleurs, les lions. Peut-être plutôt des rois des mers, alors, pour la comparaison ? Mais v'là que j'laisse mon esprit vagabonder alors que j'devrais pas.
On avance tous les deux d'un pas précautionneux. Au prochain, lui est à portée. Pas moi. Ses sabres changent tout doucement de position, enchainant les gardes, chacune le couvrant largement suffisamment. Pareil de mon côté, les couteaux sautillent dans mes mains. Pointes en haut, en bas. Poignets tendus, pliés. Mains devant, en haut, en bas, derrière.
Yeux dans les yeux, qu'on est, son bleu dans mon gris. Les pupilles ne bougent pas, et pourtant captent tout du ballet silencieux qu'on s'livre. Les narines se dilatent, inconsciemment, en signe d'agression, tandis que les bouches ouvertes en profitent pour calmement reprendre leurs respirations.
J'cligne des yeux.
Rien.
Ses paupières tressaillent. Mon couteau vole. Il le dégage d'un coup de katana négligent, recule d'un bond tout en envoyant à nouveau trois lames d'air. J'me faufile entre. Puis, baissé, le museau au ras du sol, le pied droit en l'air, j'enclenche le Soru. Instantanément, j'suis juste devant Matthias, les deux couteaux en main derrière moi, avant même qu'il ait touché le sol.
D’un mouvement vif, j’les ramène tous les deux vers l’avant, celui de droite prêt à s’enfoncer entre ses cotes et celui de gauche vise l’artère de la cuisse. Même en l’air, il parvient à bloquer de ses deux armes et, prenant appui sur mes dagues, assène un coup de la tête. Ou, plutôt, du katana entre ses dents.
Ce n’est qu’en tordant brusquement le coup que j’évite d’être éborgné. Chiasserie. La longue estafilade sur mon front laisse du sang couler à flot, et mon Tekkai a été trop lent d’un poil. Et le raisin me coule dans l’œil, quasiment.
En réaction à sa contre-attaque bien trop rapide pour être totalement réglo, j’saute en arrière, et il me laisse faire, sûr de son coup.
« Alors, on dit quoi ? Qu’il me demande.
- Comment tu causes avec un sabre dans la bouche ?
- L’entrainement, et mon amour pour la Cause.
- Ouais, c’est sûrement ça. »
J’sors un mouchoir tout en le zyeutant avec attention. Il sortirait un haki, ce con ? Dur à dire… Peut-être qu’il est juste extrêmement agile, après tout… Puis le Soru en attaque frontale et totale était peut-être un peu gourmand. Surtout qu’il a trois lames, et que j’ai tendance à l’oublier, ça.
L’hémorragie superficielle enfin arrêtée, j’jette le tissu par terre. Ca coule encore un peu, pas trop. Ca devrait aller. Et v’là l’ami Fallanster qui débarque à toute berzingue annoncé par ses oiseaux pourris. C’est l’moment de jouer mon va-tout, pasque j’me sens pas de me taper les deux.
« Fallanster ! C’est lui, le type qui fout le boxon là-haut, dehors ! Il est comme le Tohu-Bohu !
- Hein ? Mais c’est faux, je me bats pour la liberté du peuple, la fin de l’oppression et de la tyrannie des Dragons Célestes !
- Seize-cent vingt-cinq : meurtre d’une patrouille de cinq gardiens de l’ordre sur North Blue, ils avaient tous une famille.
- C’était des escrocs qui…
- Seize-cent vingt-cinq toujours : attaque d’un vaisseau commercial escorté d’un navire de la Marine. Soixante-quatre morts, aucun survivant.
- Ils travaillaient pour…
- Seize-cent vingt-six : décès du commodore Balky dans des circonstances troubles, Matthias Lemure aperçu par des témoins dans les heures qui ont précédé et suivi le drame.
- C’ét…
- Seize-cent vingt-six encore : trois morts sur le Vaillant, navire chargé d’assurer l’ordre à…
- Ca suffit ! C’était toujours pour la Révolution !
- La Révolution, hein ? Comme détruire tout ce qui protège les gens du Chaos et les laisser à sa merci ? Prendre le pouvoir à leur place, peut-être ?
- Pas du tout, c’est vous les pourris qui…
- Nous ne faisons que protéger le Peuple, Matthias Lemure. »
Fallanster était resté muet pendant tout l’échange, le visage impénétrable mais le regard concentré, et ses piafs volaient fébrilement tout autour. Puis il prit la bonne décision : il se jeta sur Lemure en dégainant.
Et, comme il se devait, il se fit sèchement retoquer de deux coups de sabres qui laissèrent de profondes coupures sur son torse. Pas suffisamment pour le tuer : le révolutionnaire avait fait preuve de retenue là où il aurait pu purement et simplement couper son adversaire en deux.
Mais j’suis pas homme d’honneur. Profitant de l’intervalle, ce qui était l’objectif de tout le plan, j’bondis sauvagement sur Matthias. J’savais bien que Fallanster ferait pas un pli. Par contre, les chouettes sont toujours là, têtues, et elles harcèlent le pauvre révolutionnaire un peu niais mais assurément sanglant.
Sang et plumes volent un peu jusqu’à mon arrivée au corps à corps. Sans Soru, cette fois, ça m’a laissé un mauvais souvenir la dernière fois. J’trouve un trou dans la garde de mon ennemi, déjà fortement occupé tout autour de lui.
Mon couteau s’enfonce dans son ventre comme dans du beurre et j’retire ma pogne sans retirer l’arme. C’est qu’un de ses sabres s’abat sur là où ce serait trouvé mon poignet sinon, et j’veux pas jouer au Tekkai, qu’est pas la défense parfaite et ultime non plus. Mon autre surin glisse contre sa lame en main et bloque celle qu’il tient en bouche.
Sitôt que son katana est tombé dans le vide, mon index se raidit et fuse, comme une balle de revolver, pour former un Shigan dans les règles de l’art. Un nouveau trou dans son ventre, à côté de l’autre. Il désengage comme il peut.
Ou plutôt, il essaie.
J’compte pas le laisser filer, donc je suis chaque mouvement de jambe qu’il fait. J’vois bien le sang commencer à couler de ses blessures, et à chaque soubresaut, ça en éjecte un peu plus. J’suis pas exempt de souci non plus, avec mon arcade, mais c’est loin de m’rentrer dans les mirettes.
Un mur derrière lui. Il s’arrête brusquement, et j’note, bizarrement, que l’expression de froideur impénétrable de son visage a disparu. A la place, les yeux se sont écarquillés, presque paniqués. Il a pas la place pour armer un bon coup de katana.
J’lance mes deux couteaux et en dégaine deux autres dans la foulée, et il les pare presque tous. Ma main gauche parvient à s’glisser dans sa garde, jusque et juste sous son cou. Et, la lame appuyée contre sa carotide, j’m’arrête. Lui, il se fige.
« Vas-y, achève !
- Ouais, nan, les ordres sont plutôt de t’chopper vivant.
- Et les ordres sont le plus important pour tout bon larbin du…
- Quand ils sont corrects, oui. L’un dans l’autre, j’te demande pas tellement ton avis. Lâche tes armes.
- Et si j’refuse ?
- Pas réussi à te capturer vivant, tout ça.
- Un Révolutionnaire meurt mais ne se rend point !
- Un révo mort est un révo mort. Alors que si tu survis, qui sait, tu pourras p’tet t’échapper ?
- …
- Tout le monde sait que mourir, c’est fastoche. Tu veux pas plutôt tenter ta chance à la vie ?
- Vu comme ça…
- C’est bien, Matthias, t’as fait l’bon choix… »
Il laisse tomber ses armes au sol et lève doucement les bras.
Le bon choix, pour toi, quand tu seras attaché sur le chevalet, je sais pas trop.
Mais bien du courage, hein ?