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Silence, ça traque !




Accoudé au bastingage, j'louche sur le bout incandescent de ma clope. Une inspiration et ça brûle de plus belle, m'emplissant les poumons de fumée que j'garde une dizaine de secondes avant de l'exhaler par les narines.
« On arrive, commandant Waffel ?
- Tout à fait, Agent Aurélio. Le caillou B-537-129. Vous êtes sûr qu’on vous débarque ici ?
- Plutôt, ouais. Vous reprenez la patrouille, après ?
- Oui. Nous devrions repasser ici d’ici trois jours, selon le trajet prévu. Si vous n’êtes pas là…
- Ouais, j’sais, pas de nouveau passage avant un mois. J’me démerderai.
- Amusez-vous bien.
- Pas d'doute là-dessus. »

J'jette mon mégot à la flotte et j'me dirige vers la barque gentiment mise à disposition de mauvais gré par le commandant. C'est que ça lui fait une solution de secours de moins, et blablabla que si y'a des problèmes, une attaque, une avarie, un contrôle surprise du bateau par l'I.S.F. (Inspection Surprise de la Flotte). Des récriminations auxquelles j'ai prêté la moitié d'une oreille distraite. C'était les ordres, il allait obéir, et si râler lui donnait de la stature contre les méchants Cipher Pol ou les sales types de l'administration auprès de son équipage, grand bien lui en fasse.

Moi, j'descendais à Silence sur les traces d'un sale révolutionnaire, Matthias Lemure.

La barque est lâchée un peu brutalement à la mer par les Marines qui s'barrent sans dire un mot. Ah ben bravo, l'entente entre les services, tout ça. En haussant les épaules, j'me mets à ramer sur la trentaine de mètres qui me séparent du rivage tout pourri. Waffel avait pas tort en appelant ça un caillou. Mais bizarre, quand même, qu'il soit pas au courant que...
La barque lâche un son étouffé en tapant dans le caillou du bord de l'eau. Quelques coups de rame pas forcément bien assurés plus tard, j'ai tiré l'embarcation sur le lit rocailleux. Le vent joue fort avec mes tifs, mon imperméable. Heureusement que j'ai pas pris de chapeau, il aurait pas tenu deux minutes. La large et longue langue de terre est totalement désolée, et le temps clair m'permet de voir vachement loin. Voir quoi ? Ben... Rien, c'est Silence.

Pendant mon trajet à la poursuite du père Matthias, j'avais eu l'temps d'appeler les Renseignements. Histoire d'avoir les infos sur Silence, l'île qui ressemble à un caillou désolé et sans intérêt mais qui en fait grouille de vie dans les sous-sols. Bon, p'tet pas à ce point-là, mais y'a des gens, quoi. De l'artisanat, de l'obscurité, des champignons et... du silence, forcément.
Après un bon quart d'heure de marche penché en avant, face au vent, j'arrive au point qu'on m'a indiqué. Paraît qu'un agent d'il y a bien cent piges a passé un an sur l'île à manger des rations froides pour résoudre des énigmes et trouver les accès. Paraît que ç'aurait coûté moins cher de se contenter de retourner tout le coin avec les gros bœufs de la Marine. Mais bon, restriction budgétaire permanentes oblige, fallait bien serrer les boulons, et payer un peu tous les mois semblait vachement plus rentable que raser le coin.

M'en fous, j'sais comment rentrer, moi.

En entrant dans le boyau qui conduit sous terre, j'me remémore le signalement et la photographie d'identité qui vont m'servir à identifier mon révolutionnaire, l'As de la Révolution. Cheveux blonds plutôt courts, grand et bien bâti, armé d'une lame ou plusieurs suivant les occasions... Et un tarin énorme, surtout, qui surplombe un sourire large et un menton en galoche. J'pense que ça sera difficile de passer à côté.

Le claquement de mes godasses résonne sous terre, se répercute dans les tunnels. A part ça, pas un bruit. L'île mérite bien son nom, faut croire. Parfois, elles ont des p'tits sobriquets ironiques, genre Calme pour un volcan qui crache ses tripes jour après jour.
J'descends dans les profondeurs d'un pas vif, alerte. On sait jamais comment des indigènes, a fortiori quand ils vivent reclus comme ça, peuvent réagir à la venue d'un p'tit nouveau. J'voudrais pas rejoindre Matthias dans le bouillon du nouvel an. Encore que c'est plutôt artisanat ici, donc p'tet têtes réduites, poudres de fémur, tambour en peau séchée, vêtements en cuir bouilli et en cheveux tressés.

Mes yeux ont beau s'habituer p'tit à p'tit à l'obscurité ambiante, j'dois dire que j'ai rien vu, entendu, ou senti venir. Un fracas d'ailes qui me battent le visage, que j'ai abrité fissa derrière mon avant-bras, des serres qui tentent de mordre la chair et des becs qui veulent me picorer les mirettes, tout ça recule avant que j'puisse dégainer un couteau.

M'laissant face à une épée pointée entre mes deux yeux. A loucher, comme en arrivant, mais sur une perspective vachement moins agréable.

Chiasserie.



Dernière édition par Alric Rinwald le Dim 27 Sep 2015, 12:09, édité 1 fois
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C'est pas lui...

Clairement, ce n'est pas le Tohu Bohu... Il va falloir se ressaisir et être un peu moins sur les dents. J'ai failli trancher en deux un inconnu car il faisait du bruit. Je le dévisage tout en rengainant ma lame sans un bruit. Je vérifie que le volatile ne l'ai pas trop amoché, j'aurai l'air malin dans le cas contraire. Non, ça va, il a bien réagi en se protégeant. Je joins mes mains et je m'incline en guise d'excuses et de salutations...

A tout bien y réfléchir, son visage m'est complètement inconnu et pourtant il se trouve dans un tunnel d'accès à la ville cachée. Je n'ai pas la prétention de connaître tous les étrangers qui viennent nous rendre visite mais ils sont tellement peu et réguliers que cet inconnu aiguise ma méfiance et me fait hausser des sourcils. De plus, aucune des sentinelles n'ont repéré sa trace. Il doit être sur l'île d'ici peu. Il n'a donc pas pu trouver cet accès par hasard. Il ne semble pourtant pas doté d'intentions belliqueuses, il a même plutôt l'air de quelqu'un qui sait se tenir. Je me fais peut être des idées, surement un patron qui vient pour de la négoce et à qui on aura indiqué le moyen d'accès à la ville.

Je fais un pas sur le côté et de ma main droite je lui offre la voie libre pour poursuivre son entrée dans notre oasis de paix. Forcé de constater qu'il connaît nos us et coutumes car il ne semble pas loquace. Peut être l'ai-je un peu trop effrayé... Il faut dire que se faire attaquer et menacer d'entrée de jeu n'aide pas à la convivialité. Ses pas martèlent le tunnel, il a beau être d'une silhouette fine, un éléphant ferait moins de bruit que lui en marchant. Le tunnel faisant caisse de reconnaissance n'aidant pas non plus à étouffer ces atroces semelles. Dès la sortie, je l'agrippe par le bras, sans brusquerie et je lui pointe ses grolles du doigt. Puis je lève mon index devant ma bouche pour lui faire comprendre qu'il va importuner tout le monde avec ses pieds carrés.

Me revient à l'esprit mon arrivée dans cette antre de quiétude, la première fois, j'étais pareil que lui. Je me remémore le geste qu'avait fait un gosse envers moi. Je m'empresse de faire pareil, je m'éloigne le temps de couper deux champignons au bord de la falaise et de les lui faire enfiler sur ses chaussures. Au premier abord le côté esthétique laisse à désirer mais le confinement sonore est inégalable. Je lui souris et je le salue. Le laissant à ses occupations, j'ai les miennes après tout. Mais si je lui donne l'impression de liberté, ce n'est qu'impression, car mes yeux silencieux le surveille.

J'ai un mauvais pressentiment à propos de ce type...
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C’est ça, fais celui qui regarde pas. C’est pas à l’agent du Cipher Pol que t’apprendras à détecter une filature. Et les grolles dans les champignons à moitié moisis, j’ai un peu de mal à me faire à mes nouveaux appuis. J’pensais pas qu’ils étaient hostiles au silence à ce point, mais avec un nom d’île pareil, hein… J’ferai des rajouts à la fiche d’île du Bureau, en rentrant.

Ou un agent a demandé à les faire et un salaud de gratte-papier s’est torché avec, putain, comme ça arrive souvent.

J'pars pour me diriger vers, euh... la ville ? Mais j'suis vraiment pas sûr que y'en ait une, ou qu'ils soient tellement plus loquaces. Alors que j'ai un autochtone juste sous la main, ça serait dommage de pas en profiter, non ? Donc j'remarche vers lui, avec ses sales mirettes à la sclère foncée qui m'suivent toujours.
J'ouvre la bouche pour prendre une inspiration et m'lancer, quand il pose l'index sur ses lèvres. Pas un mot, heh ? Silence, Silence, Silence, je sens qu'on va pas aller bien vite. Et les bonnes vieilles habitudes de se rendre quelque part sans avis de recherche ou de mission dans les poches, ça aide pas. Sinon, j'aurais pu lui montrer la gueule du Matthias, il aurait sûrement compris.

On va plutôt revenir au bon vieux langage des signes. J'lève les mains pour dire que j'suis désolé. Okay, il a l'air d'avoir compris, mais il bouge pas d'un pet pour autant. J'm'arrête pour réfléchir. J'cherche quelqu'un, j'cherche quelqu'un... J'me montre, puis j'agite mes doigts qui font comme s'ils marchaient. Ouais, nan, ça veut rien dire. Enfin, à part que j'me promène.
Ah ! J'me pointe du doigt, puis j'mime des jumelles autour de mes yeux, et ensuite la forme d'un type baraqué. Là. Il hoche la tête en plissant les yeux. Ouais, à c'compte-là, j'pourrais avoir vu un type balaise de promener avec mes jumelles. Mais j'me démonte pas.

J'pointe mes tifs, bruns. J'fais non de la tête. Hm, pourrait être chauve. Après une série de gestes compliqués, j'tends à démontrer qu'il a des poils sur le caillou, mais pas bruns. De là à dire blond, c'est quelque chose que j'me sens pas capable de faire. Plusieurs jours qu'il traine dans le coin, ou semaines, on sait pas bien, au Bureau. Ca se trouve, il attend des renforts avant de reprendre la Route de Tous les Périls.
Puis j'montre la lame du gars, et j'fais un, deux, trois. Et je hausse les épaules. Ca te dit quelque chose ? Non ? Pas d'réaction ? J'me gratte la joue et j'vais pour m'allumer une clope, histoire de me détendre. Mais j'pense que le bruit des allumettes leur ferait avoir une attaque d'apoplexie. D'ailleurs, c'est presque tentant... J'me retiens pour le moment.

C'est là que j'me rends compte que parler, c'est super pratique. Putain.

Le battement d'ailes d'une chouette dans l'obscurité. J'mate un peu plus mon vis-à-vis. Dans la moyenne, en armure, armé d'un sabre, et un bras en métal. Ils ont des cyborgs, ici, maintenant ? Enfin, au fond, j'm'en cogne. J'veux juste ce putain d'révolutionnaire, et j'ai pas le temps de jouer au Time's Up avec un guignol muet qui fornique avec des chouettes. Ou des hiboux, kif-kif. Comme l'autre de Goa, le Jäak Had-truc.
J'pointe ma bouche. La sienne. Y'a sûrement quelqu'un qui cause, ici, non ? Il veut pas m'y amener ? En tout cas, s'il répond pas... Nan, j'vais pas déjà foutre le bordel jusqu'à ce que quelqu'un daigne répondre, ça m'grillerait pour la traque de l'autre blondinet.

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Finalement, Machin décide de se rendre utile. J’pense que mes explications à base de gestes, celles qui m’ont fait ressembler à un épileptique en pleine crise psychomotrice, l’ont convaincu que j’étais totalement inapte à tenir une conversation sans faire du bruit avec la bouche. Comme… dans le vrai monde, quoi.
Il fait un signe de la tête, pointant vers l’obscurité, tout en me fixant. Ben, j’vais pas passer devant, copain, c’est toi qui connais le chemin. J’fais une courbette et un grand mouvement du bras pour lui proposer d’y aller.

Il le fait, d’un pas raide.

Te vexe pas, Machin ! Ou vexe-toi, remarque, comme tu peux pas parler, ça changera pas grand-chose, pas vrai ? Tant que tu m’amènes à un Silencieux qui cause ou qui communique en tout cas correctement, moi… J'note le paradoxe qui m'arrache un sourire.
On marche dans des galeries souterraines éclairées par tout un fatras de plantes et de champignons luminescents. J’dois dire que le paysage est pas dégueulasse, pour peu qu’on aime la vie des rats. Mais j’ai rudement l’impression d’passer trop de temps loin du soleil, ces derniers temps. Le Cimetière d’épaves et son effondrement, Goa et les boyaux révolutionnaires, Reverse Mountain qui s’est aussi cassée la gueule juste sous moi…

J’dois être abonné, putain. Et si un administrateur se met à croire que c’est mon truc, il est foutu de m’faire passer le reste de ma vie loin du beau blond, à sniffer de la moisissure et des champignons. Puis d’où y’a des chouettes ici, d’abord ? Bon, enfin, la nature et Grandline, hein.
En tout cas, comme toujours dans les sous-sols, on perd vite notion du temps. J’tente vaguement de me baser sur les battements de mon cœur, le rythme de mes pas, mais pas moyen de savoir si ça fait dix, vingt, trente minutes qu’on marche. D’temps en temps, on croise un autre habitant, qu’on salue à peine d’un regard, ou on passe une bicoque façon un peu naze, style merde séchée empilée pour faire des murs.
Et des jardins remplis de champignons et autres plantes, des insectes qui grouillent un peu, des types qui, posés sur la véranda de leur masure, taillent des bouts de bois, poncent des trucs, colorient des bidules. Une vie vie joyeuse d’artisanat qui n’est pas sans rappeler un bon millénaire en arrière à Mariejoie. En un mot comme en cent, la Gloire.

C’est fou ce que j’aime pas les bouseux. L’instinct du mariejoan qui parle, ça.

Mais l’contribuable, c’est l’contribuable, et il a le droit de vivre en paix tant qu’il paie ses impôts et qu’il tient pas de propos séditieux. Enfin plus paisible qu’ici, hein… Au terme d’une marche que j’qualifie de longue uniquement parce que ça commence à tirer dans mes mollets, impossible de quantifier la durée, on arrive à un cabane un peu moins moche que les autres.
Devant, y’a un p’tit vieux qui fume la pipe, les yeux vers le ciel –le plafond, le genre inoffensif et tout calme. Machin, mon collègue avec son armure moche et son sabre rengainé, puis ses chouettes qui volètent depuis des heures dans l’obscurité au-dessus de nos ailes, reste debout.

Moi, j’m’asseois sur un champignon qu’a une forme de fesses. Le genre déjà utilisé par tout le monde pour s’installer, quoi. Puis j'attends en matant le vioque. Au bout d'un moment que j'passe à regarder le paysage, pas très intéressant, il baisse les mirettes sur moi et m'adresse un sourire tout paisible. Puis il tourne son attention vers le garde, la sentinelle, le concierge ou quel que soit son poste ici-bas.
Suite à une conversation faite de petites mimiques, de bouffées de fumée et autres mimes incompréhensibles pour le type somme toute normal que j'suis, c'est enfin mon tour. Il tire sur sa pipe, il tire, il tire tellement que j'crois que ses poumons vont exploser, et il devient tout rouge. Puis les grimaces reprennent, les torsions des lèvres, des joues, de la langue. Pauv' vieux, parler serait tellement plus simple.

En une dizaine de secondes, j'ai une sculpture de Matthias Lemure en fumée qui me regarde, trois sabres au côté, avant de se dissiper à cause du battement d'aile d'un des hiboux qui tente de le gober. Oh, merde alors, il a fait ça juste avec sa pipe ? Putain, j'ai l'habitude d'être blasé, faut dire que j'ai voyagé et qu'on est bien informé, au Bureau, mais celle-là, on m'l'avait jamais faite. Digne d'un numéro de cirque, quel talent gâché. Ha.
Mais visiblement, s'il se fait chier comme ça, soit c'est sa passion, soit il veut toujours pas parler. En tout cas, ça m'donne une idée. Je lui demande de me filer sa pipe, puis j'sors une clope que j'allume à son fourneau. Pfiou, ça fait du bien. La première latte passe toute seule, puis j'm'emplis comme lui. Là, j'me concentre de toutes mes forces et, forçant sur les muscles de ma bouche, de ma mâchoire et de ma langue, j'souffle.

Un rond de fumée à peu près régulier sort. L'honneur est sauf. J'lève le pouce en signe de victoire et j'cligne de l'oeil.

J'pense que j'l'ai impressionné.

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Pépé Pipe sourit, et envoie lui aussi quelques autres formes : cercles, triangles, carrés… De quoi impressionner le nul que j’suis pour les formes de fumée. Mais en même temps, moi, j’ai un boulot, j’suis pas forain ou chef de bled. Donc j’montre poliment les dents, et j’propose de revenir à ma cible originelle, à savoir Matthias Lemure.
Après tout, il a juste à m’filer un coup de main pour le trouver, c’est pas non plus la mer à boire. Mais, à son haussement d’épaule, il en a aucune idée, ou ne veut pas s’en mêler. Sans doute un peu des deux, c’est toujours comme ça avec les peuplades un peu éloignées des réalités du monde réel.

J’pointe mon copain. Si le vieux peut pas aider, lui doit sûrement pouvoir. Derrière sa face de type qu’a été forcé de boire du jus de citron, se cache sûrement un grand cœur à la poursuite de la justice. Dur à dire, il a toujours pas décroché un mot depuis le temps que j’le connais. Quelques heures.

J’crois que le silence me réussit pas. Ca devient trop bruyant dans ma tête et j’me perds à ergoter avec moi-même.

Mais j'me tourne vers mon dadais muet. Et j'lui demande, laborieusement, par gestes comme d'habitude, qui pourrait, éventuellement, dans l'éventuelle éventualité où l'un d'eux serve à quelque chose, m'aider à retrouver mon cochon.
Et il hausse les épaules à nouveau, regarde en l'air, distrait par un hibou, avant de l'accueillir sur son bras tendu. Le rapace se frotte à lui, picore son cuir chevelu et ses propres plumes, avant de reprendre son envol. Il a p'tet demandé à ses hiboux de m'aider ? Ca serait vachement utile.

J'pointe en l'air, j'agite les bras comme un piaf, j'montre mes yeux qui regardent tout autour à la recherche du Matthias. Et la compréhension se fait. Soit j'suis devenu vachement fort, soit il s'applique enfin un peu. Puis il lève les mains et m'dit de le suivre. Ah-ha ! Il aurait une idée d'où aller ?

On repart donc dans la semi-obscurité habituelle des tréfonds de Silence. Heureusement, les champignons et autres moisissures luminescentes, fluorescentes ou phosphorescentes continuent d'éclairer suffisamment les liens pour que, malgré un sol traitre et des chaussons en champi aux pattes, j'me démerde pour pas trop me casser la gueule.
Et, les rares fois où j'en arrive là, à cause d'un battement d'aile juste à côté de mon crâne ou d'un jeu de lumière sur l'arête d'un caillou, un Geppou aussi bref qu'intense m'permet de pas trop chuter, quand une simple modification de mon centre de gravité ne suffit pas.

N'empêche, des lanternes seraient probablement vachement mieux. Si ça fait des semaines que Matthias Lemure est dans le coin, il doit être au bord de la dépression, dans le noir. Et un simple flash le ferait tomber en adoration devant le dieu-soleil et ses envoyés qui lui auraient apporté la lumière et il n'y aurait pas besoin de se battre et...

Et mon esprit bat la campagne, putain.

Mais pour l'moment, j'reste concentré sur ce qui est à venir. La prochaine rencontre à galérer à m'exprimer.

A toutes nos pérégrinations dans les souterrains clairs et obscurs de Silence, nous v'là arrivés dans un coin nouveau, isolé. Là où Papy était juste à côté d'un genre de hameau, j'suis au contraire ici au milieu de nulle part. Enfin, nulle part... Plus de champignons que j'pourrais en compter, si j'le voulais, de toutes les tailles et de toutes les couleurs et de toutes les formes.
Un genre de rêve de gosse qui s'révèle à moi, avec certains qui sont aussi massifs que des arbres, et bien deux fois plus haut, allant jusqu'à gratter de leurs pores le plafond de la caverne spacieuse dans laquelle j'me trouve. Et, en fait de pores, l'air est lourd, plus lourd et plus humide que dans le reste des galeries que j'ai pu visitées.

A droite, à gauche, au milieu des arbres-champignons et parfois même au milieu du chemin, y'a des genre d'enclos, des petits prés tracés de cailloux pour les délimiter, et certains bénéficient même d'amas de terre, de c'que j'suppose être du bois pourri jusqu'à la moelle. Bref, des cultures.

Et, dans ce coin où y'a plus de champis différents que, visiblement, partout ailleurs dans Silence, sous Silence, sur Silence, entre la forêt, les cultures, et les boyaux étroits qui partent dans toutes les directions et ont l'air blindés aussi de leurs propres semences, dans tout ça, il y a davantage de lumière.

Quelques heures, ou peut-être jours déjà, après être descendu sous terre, v'là que j'ai l'impression de m'retrouver à nouveau à la surface en terme de luminosité. Mais en terme de couleur, malgré ma nature de gros blasé et mon passé de bourlingueur à effectuer mission sur mission, malgré tout ça...

J'ai l'souffle coupé et j'retiens un sifflement d'admiration.

Les merveilles du monde seraient-elles cachées ? Un ensemble de couleurs pastels tombe du ciel, monte de la terre et s'entrecroise et se mêle en l'air.

Ha. J'reprends ma contenance, mon objectif, ma froideur et ma distance. Le boulot d'abord, le tourisme ensuite. N'empêche, y'a de sacrés trucs sur GrandLine.

Un mouvement attire mon attention, au sommet d'un champignon bleu géant. Quelqu'un fait un signe du bras avant de descendre en rappel à l'aide d'une corde, jusqu'au niveau du sol. Mon guide la salue d'un signe de tête respectueux, tandis que j'attends, les mains dans les poches.
C'est une jeune femme, façon nymphette diaphane, avec une robe blanche, des cheveux tellement blonds qu'ils se rapprochent de la robe, ce qu'est pas tellement étonnant vu l’absence de soleil, et des morceaux de champignon à la main, p’tet celui qu’elle examinait tout là-haut. Elle a aussi une ceinture avec pleins de bouts.

« Enchantée, je suis Whisper.
- Ah, hm, que j’fais en m’raclant la gorge »
Faut croire que n’pas causer pendant déjà un paquet d’heures a rendu ma gorge direct enrouée. Mais la perspective d’avoir une conversation avec quelqu’un, avec des vrais mots parlés, j’suis quasiment en train de sauter de joie partout. Même si elle parle vraiment pas fort du tout.
« Aurélio, envoyé du Gouvern… Aïe. »
Ce salaud de gardien m’a filé un coup d’coude vicieux dans les cotes. J’me retiens de lui éclater le museau par terre, puis de lui faire manger ses chouettes par le mauvais côté.
«Envoyé du Gouvernement Mondial, donc.
- Ravie de vous rencontrer. Que vient faire le Gouvernement Mondial dans un coin aussi reculé ?
- Vous connaissez le GM ?
- Les champignons me communiquent ce qui se passe à la surface.
- Bien sûr, bien sûr.
- Parfois, des marchands nous donnent des nouvelles du monde.
- Ah, ouais, surtout.
- Qu’est-ce qui vous amène en ce coin reculé, donc ?
- Matthias Lemure, un révolutionnaire, un type qu’essaye de provoquer le chaos et de détruire le système, a pris refuge ici.
- Parfois, pour les champignons, il faut tuer les plantes existantes pour que de nouvelles pousses plus fortes et plus saines apparaissent.
- Les humains et le monde ne sont pas des champignons, que j’rétorque acidement.
- Peut-être. Peut-être pas. »

Le silence retombe, et mon humeur aussi. J’ai envie de coffrer des gens pour tendances révolutionnaires assumées, mais d’une, on s’en fiche sur Silence, et de deux, j’ai d’autres choses à foutre que coincer du bouseux. Sans compter la faisabilité. Tout d’un coup, la sagesse des champignons m’intéresse vachement moins.

Ou alors c’était juste une taquinerie.

« Du coup ? V’l’avez vu ?
- Absolument pas. Et mes champignons n’ont pas entendu parler de lui non plus.
- Bon, merci quand même. Et si jamais…
- Oui, évidemment, je vous ferai contacter. Je ne suis pas au fait de tous les détails du reste du monde, donc ma perception est peut-être restreinte.
- Peut-être. Bonne journée.
- Vous goûterez bien un petit champignon avant ?
- … Allez. »

J’accepte le bout de nourriture, un peu sceptique. Y’a des plantes ici qu’ont des têtes vraiment pas engageantes, le genre que tout petit on t’apprend à pas manger, style rouge à pois blancs. Mais au Cipher Pol, on est un peu entrainé contre les poisons classiques, et même contre certains exotiques.
C’est que faut s’méfier, avec ces saloperies de révolutionnaires qui se cachent partout. Un poison fulgurant, c’est une disparition supplémentaire en mission, et une mort de merde contre des types que j’peux probablement dégommer avec une main attachée dans le dos.

J’jette le morceau dans ma bouche, et j’mâchouille une dizaine de fois sur ma langue, puis j’avale ma salive, cachant le champignon sous ma langue. Elle m’jette un regard bizarre, la Whisper. Puis un sourire et s’apprête à reparler.

Puis…

DIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIING !



Dernière édition par Alric Rinwald le Mar 29 Sep 2015, 18:22, édité 1 fois
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Whisper a tout d’un coup un regard de bête traquée, et mon poto de bête en colère, au point qu’il montre presque les dents. C’est vrai que c’est bruyant. Mais j’peux pas dire que ça me dérange, ça change un peu du calme abyssal du coin.

« C’était quoi, ça ? Que j’demande avec une voix qu’a repris son timbre normal.
- Chuuuut ! Fait le vigile.
- Non mais à ce stade, c’est plus la peine, hein, avec le bruit des cloches et tout, c’est pas le son de ma voix qui va changer quoi que ce soit. D’ailleurs, si j’parle pas fort, vous allez p’tet même plus m’entendre, à cause de la réverbération du boucan.
- Il a raison, Fallanster.
- Ben parlez plus fort, alors.
- Non. Whisper je suis, donc je murmure.
- Si vous voulez. Ma question ?
- Tohu-Bohu. Un individu mystérieux, dont on ne sait pas s’il est bien humain ou non. Peu importe. Il apparaît à intervalles irréguliers et fait énormément de bruit. Ce à quoi les habitants de l’île réagissent très mal, évidemment.
- Dites, le bruit n’a jamais tué personne, hein. Bon, si, mais à des doses tellement extravagantes que…
- Ici, ce n’est pas pareil qu’ailleurs.
- D’une, ils disent tous ça. De deux… Mettons que ce sont vos habitudes.
- Il faut que j’y aille, croassa Fallanster.
- Pour rétablir l’Ordre ?
- Le Calme et le Silence.
- Voilà quelque chose que je comprends. Je vais vous aider, dans la mesure de mes moyens.
- Merci, voyageur.
- Ouais, ouais. »

Sur un dernier signe de tête à Whisper qui se recouvre la tête d’un champignon géant pour bloquer ses oreilles, il adresse quelques mouvements de doigts à ses chouettes, qui partent devant, leurs ailes agitant l’air devant nous. Elles prennent immédiatement dans une galerie transversale dans laquelle nous les suivons.

C’est un grand classique des sociétés très liées par le même corpus de règles extrêmement normées, policées. Le genre de coin où s’éloigner de la norme équivaut à la mort, réelle ou spirituelle. C’est dans ces environnements-là qu’on peut avoir les déviants les plus hargneux. Ou, plutôt qu’hargneux, les plus persuadés de leur différence et de sa légitimité : incapable de se plier dans le moule, ils revendiquent le fait de pas faire pareil et se retrouvent entrainés dans une dynamique de culture du clivage.

Bref, à tous les coups, Tohu-Bohu est un gars ou une nana du cru, et vu les dédales de souterrains, sûrement quelqu’un qui a perdu contact. Et est revenu sous cette forme. A tout hasard, le dernier descendant d’une famille qui vivait tellement loin que tout le monde les a oubliés, et quand il est resté plus que lui, il s’est révolté contre le système qui l’a laissé orphelin et sans ressources. Un genre d’injustice perçue.

On quitte la forêt illuminée de Whisper pour s'enfoncer dans des boyaux peu éclairés, et mes mirettes mettent quelques temps à se rhabituer à l'obscurité toute relative jugulée par les maintenant habituelles mousses éclairantes. Les intersections sont toutes ponctuées d'un champignon, bleu, vert, jaune, blanc. Peut-être un code que j'comprends pas, que j'connais pas.
Mais on s'en fiche presque, pour le moment. Je suis Fallanster, je suis les chouettes et les hiboux qui volent fiévreusement devant moi, et on trace tout droit vers l'origine des bruits et des sons de clochettes. Pour moi, le son vient de partout et nulle part à la fois, salement réverbéré qu'il est sur tous les murs et corridors du sous-sol. Mais pour les chouettes, c'est autre chose, et donc la chance de l'attraper.

Gageons qu'avec mon aide, on l'attrapera, et qu'ensuite, le Fallanster sera obligé de mettre un peu de bonne volonté à m'filer un coup d'main, pour chopper mon mien, de déviant.

Le son des cloches se fait plus clair, plus clair, au point que même moi j'arrive à distinguer qu'il vient de devant : une énième caverne aux champignons géants et bariolés. Et, au sommet de l'un d'eux, une forme qui s'agite en secouant différents instruments de bruit. Des tambourins et une myriade d'objets métalliques déchainent une tempête de bruit qui affaiblit visiblement les habitants du coin, Fallanster en tête. Les dents serrés, il se met par réflexe les pognes sur les oreilles avant de serrer les poings pour aller lui faire passer l'envie de la musique contemporaine.

Moi, ça m'fait ni chaud ni froid.

Le gardien de Silence se met à escalader les champignons les plus proches, grimpant toujours plus haut, de capuchon en capuchon, bondissant parfois pour passer à un endroit plus propice à la grimpette. J'continue à le suivre, à son rythme, surtout que Tohu-Bohu a pas l'air de vouloir prendre la poudre d'escampette pour le moment, tout absorbé qu'il est dans son bruit.
Bref, j'garde mes atouts dans ma manche, tout le Rokushiki et mes autres coups de jarnac en stock. Ca s'trouve, le fou a lui aussi quelques saloperies en main, et j'préfère toujours me garder une bonne marge de sécurité.

J'atterris une seconde après Fallanster au sommet du champignon géant sur lequel trône fièrement Tohu-Bohu. Sur un geste du gardien qui dégaine fluidement son sabre, les chouettes passent à l'assaut, serres et becs en avant pour le distraire, le griffer, le piquer.
Le tourbillon de plumes et d'ailes devient brièvement indéchiffrable, puis deux rapaces tombent au sol, une aile brisée chacun, et se mettent à geindre, ajoutant à la cacophonie ambiante. Le Déviant, lui, est en plein saut vers un autre champignon, à bien cinq mètres de distance.

Le concierge de Silence s'arrête une dizaine de secondes auprès de ses créatures, et leur tord vivement le cou. Ah ouais, dur quand même. Mais elles se taisent, et vu les blessures, peu de chances qu'elles puissent continuer à vivre. Rude quand même.
Puis on bondit de concert à la poursuite de Tohu-Bohu, atterrissant juste après lui d'une roulade. J'profite de la force cinétique pour me relever aussitôt et, sans aller jusqu'à utiliser un Soru, placer une accélération fulgurante. Ma main tendue va se refermer sur le tissu de ses fringues qu'il s'écarte au dernier moment, m'assénant même un coup de clochette sur les phalanges. Légère douleur.

Puis il saute à nouveau, mieux que j'aurais jamais pu le faire, vers un autre champignon en contrebas. A croire qu'il flotte presque dans les airs. Et on le suit, de chapeau en chapeau, toujours à deux doigts de l'attraper sans y parvenir. Le sabre file, en une longue tache floue, et ne tranche que le vide. Mes couteaux de lancers tombent au sol en clinquant ou résonnent contre la pierre des murs. Mes mains effleurent toujours l'inconnu, sans jamais parvenir à refermer leur prise.

On arrive au sol, enfin.

Je pense que je vais accélérer le rythme. Ca impressionnera aussi l'autre bouseux. Puis mes doigts me font mal, à force de se faire sèchement rabrouer.

D'un couloir proche jaillit une autre forme, que la lumière me permet rapidement d'identifier. Matthias Lemure.
« Te voilà, Tohu-Bohu !
- Hihihi !
- Je... Vais... Apporter la paix... Aux habitants ! »
Mazette, un révolutionnaire qui essaie de faire oeuvre utile. Il doit s'ennuyer, à ne pas avoir de pont sous lequel dormir, ou quelque chose comme ça.

Deux sabres en main, Matthias se jette avec une célérité qui ferait presque crier au Soru sur le Déviant, maintenant à un contre trois. Fallanster arrive directement à sa suite, les deux sabreurs intercalant leurs attaques pour ne lui laisser aucun répit. Et les lames sifflent de plus en plus près du bouffon, manquant plusieurs fois de le toucher sans jamais y parvenir. Et chaque mouvement de Tohu-Bohu déclenche une cacophonie hétérogène, des clochettes aux bouts de métal en passant par les tubes de bois évidés pour faire le plus de bruit possible.

Effaçant ma présence autant que faire se peut, j'me glisse dans un coin un poil plus sombre que les autres, puis j'longe le combat, couteau dans la main droite, l'autre prête à saisir ou à transpercer d'un Shigan bien senti. Une fois derrière le bruyant, j'aurais qu'à l'attraper ou le suriner proprement.

Le reste de mon plan est simple : profiter que Fallanster ne parle pas ou n'ait pas le temps de faire la causette pour sauter en traitre sur Lemure et le planter suffisamment fort pour qu'il oublie de résister, me tombant dans les bras et me permettant de le sortir d'ici, pieds et poings liés, avec ma mission accomplie.

De derrière, donc, j'sors le grand jeu. J'frappe le sol du pied, préparant mon Soru puis, le moment opportun détecté, je me téléporte sur Tohu-Bohu, main tendue et couteau paré. Du bout des doigts, j'effleure une clochette et j'envoie le planteur.
De manière presque incroyable, le bouffon bruyant saute et, se tordant en plein vol, vrille pour sortir de l'encerclement. Puis il s'enfuit dans un corridor proche. Et, comble de la guigne, Fallanster me bouscule sans le moindre scrupule pour continuer la poursuite. J'me rattrape d'une main au sol et, levant les yeux, j'vois Lemure me jeter un regard soupçonneux.

S'il a vu le Soru... Mais il part au pas de course, lui aussi. J'me relève tant bien que mal pour leur courir après, surtout Matthias. Puis j'suis distrait par un Cling ♪ qui résonne une fraction de seconde avant que ma main n'amortisse. Dans celle-ci, une des clochettes du Tohu.
J'la glisse dans une des poches de ma veste et j'file à la poursuite des trois autres, qui ont déjà pris suffisamment d'avance. La vision d'un manteau blanc devant m'guide, d'intersection champignonnée en intersection mousseuse, jusqu'à arriver à un embranchement où, face à quatre voies différentes, j'hésite. Pas un son. Pas un souffle, sauf le mien, un peu court à cause du sprint. Pas l'ombre d'une cape.

Putain, j'suis paumé.

Cela dit, j'ai été un peu malin. J'peux toujours rebrousser mes pas. Vert, bleu, mousse verte, blanc, jaune... Le code couleur que j'ai retenu me permet de revenir là où on a croisé le Déviant pour la première fois. De là... Décider de la suite.

Cling-Cling ♫, fait doucement la clochette dans ma main. Il sourit tristement.

A demain.

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Ding-Cling-Poum. Pam-Pam-Cling.

J’étouffe un baillement. J’ai longtemps hésité, cette nuit, sous les champignons de Whisper, sur la conduite à suivre. J’avais bien plusieurs options, après tout. Et le départ de Fallanster, le fait d’être quasiment perdu dans les galeries, l’apparition puis disparition de Lemure.

Cling-Cling-Ding. Poum-Poum-Ding.

Le Tohu-Bohu, hein. Le son résonne, résonne, résonne… Il rebondit de boyaux en cavernes, de corridors en grottes, de couloirs en cavités. Est-ce que je dois le traquer, pour l’arrêter ? Ses mouvements semblent surnaturels, sa prescience invincible. Et pourtant, il n’est probablement que meilleur que moi, comme tant d’autres.

Poum-Cling-Pam-Ding-Clong-Cling.

L’arrêter permettrait de rétablir le calme à Silence, en tout cas jusqu’à la prochaine occurrence. Il y avait probablement déjà un conte de croque-mitaine à propos du Tohu-Bohu, et ça ne ferait que renforcer le prochain déviant. Mais il y avait déjà la question de Matthias Lemure à capturer… De préférence vivant.

Clong-Pang-Clong-Clong-Clong.

Tiens, j’l’ai bien raté, celui-là. Faudrait que j’me concentre davantage sur c’que j’fabrique au lieu de ressasser ce que j’ai déjà mâché, vomi puis ravalé cette nuit-même. Un plan simple, pour ne pas dire simpliste.
Etape un : faire du boucan pour attirer Matthias Lemure. Si Fallanster vient, s’en débarrer aussi bien que possible. Ou le tourner contre le révolutionnaire, peut-être. Etape deux : s’occuper de Lemure. Etape trois : partir de l’île quand le bateau repassera. Etape annexe : faire croire que le coupable du second vacarme était Tohu-Bohu. Etape subsidiaire : coincer le bouffon histoire de rendre service.

Du haut de mon champignon, j’mate les environs. Plusieurs couloirs mènent à la caverne, et j’sais que Whisper risque pas de venir, terrifiée qu’elle semble être par le moindre son autre que celui de sa voix ou des froissement des tissus. A moins que y’ait une autre force armée dans le coin…

Et le v’là. L’absence de piafs, les trois sabres à sa ceinture et surtout la vitesse à laquelle il arrive font qu’il est impossible de l’confondre avec Fallanster. C’est Matthias Lemure, le blond bourgeois qui a rejoint la Révolution et provoqué le chaos partout où il est passé. J’jette ma clochette à l’autre bout de la grotte et, dans l’obscurité toute relative, j’suis à peu près sûr qu’il a pas pu voir.

Le son l’alerte, comme il se doit, mais le rend aussi méfiant. Le fait que le tintement se soit arrêté aussi vite a dû lui foutre la puce à l’oreille. Pas grave, mon angle doit suffire, là. Un Geppou et j’suis derrière lui, encore que des mètres plus haut. Puis j’me laisse tomber en dégainant d’abord mes couteaux de lancer.

Matthias Lemure se retourne instantanément alors que les armes commençent à peine à siffler dans l'air. Faut dire que l'calme ambiant doit pas jouer en faveur de celui qui lance une embuscade : chaque son est réverbéré et tellement isolé qu'il devient facile de tous les identifier. Notamment celui de lames prêtes à toucher.
Un iai précis de la main droite se débarrasse des deux armes et m'force à me tordre en plein vol pour pas me faire embaucher. Son katana glisse le long d'un des couteaux dans ma manche, tranchant celle-ci sur toute sa longueur, quand il tente de m'estoquer dans la foulée.

« Le type de hier, hein ? Entame-t-il.
- Ouais, c'est moi.
- Et c'est qui, toi ? »
Je hausse les épaules :
« Juste un gars qui passait dans l'coin.
- Dur à croire, personne passe jamais ici.
- A se demander ce que t'y fous, alors.
- T'es du GM, pas vrai ?
- J'vois pas ce qui te fait dire ça.
- Ou un chasseur de primes, kif-kif.
- Connais pas.
- Pas très bavard. On verra si j'peux t'arracher tous tes petits secrets tout à l'heure, qu'il achève en dégainant sa deuxième lame. »

On verra bien qui fait chanter qui, Matthias, on verra bien...

J'sors le premier couteau de ma manche, puis un deuxième apparaît comme par magie dans mon autre pogne. Prestidigitateur, que j'aurais pu faire. Mais j'fais déjà des tours rigolos. Il lance une attaque banale, un sabre de chaque côté, à la même hauteur. Le genre pour tester un peu l'adversaire, sa force, sa fermeté, ses armes, avec probablement un p'tit coup fourré de derrière les fagots, du style coup d'tatane ensuite. Du vu et revu, ça.
J'fais un p'tit saut en arrière et j'en profite pour inverser ma prise sur le surin main droite. Matthias laisse son élan lui faire croiser les bras, puis se jette sur moi en utilisant la force accumulée dans le procédé. Ce coup-ci, je bloque, et la force de l'assaut se réverbère dans mes lames, qui jouent légèrement. Aïe. Ses katanas ont l'air de meilleure qualité, et bloquer semble donc contre-indiqué.

Mon coup de pied de bas en haut, prévu pour le cueillir au menton, ne rencontre évidemment que le vide. J'aurais été déçu, encore que soulagé, du contraire. Déçu parce que ça voudrait dire que les services d'évaluations des dangers étaient complètement à côté de la plaque, évidemment.
Dans cette position, j'ai pas trente-six solutions. En rabaissant ma jambe, j'balance un Rankyaku qu'il bloque avec ses épées croisées devant lui. Autant y aller à fond, du coup, vu que c'est ma cible. Un Soru me propulse au contact, sous ses mirettes qui affichent une surprise de bon aloi. Mon surin de droit part pour l'épaule et est paré par le manche de son arme. Celui de gauche vise plus bas, le côté du bide, et parvient à le lacérer relativement superficiellement avant que Lemure ne se dégage.

« Un point pour moi, que j'commente.
- Un chien du Gouvernement, j'aurais dû m'en douter.
- Toujours les insultes...
- Vous oppressez le peuple et... S'échauffe le révolutionnaire.
- Oh non, pas le coup du discours, putain, c'est toujours le même, quoi !
- Si tu le prends sur ce ton, achève-t-il en coupant toute émotion de son visage, la température alentours semblant nettement chuter. »

Semblant seulement. C'est juste lui qui s'refroidit pour descendre au niveau du tueur glacial pour qui une vie n'est rien qu'un brin d'herbe qu'on cueille, qu'on tripote puis qu'on jette, assis sur une pelouse à regarder le temps passer. Un classique, de supprimer l'émotionnel pour ne garder que l'analyse froide de la situation. Et relativement efficace, surtout pour pas perdre de vue le plus important : les couteaux, ça coupe.

Il se place un katana dans la bouche, et serre fort avec ses mâchoires. Là, c'est sûr, j'vais plus l'entendre causer. Puis il sort, comme il se doit, le troisième. La grande école du sabre de Shimotsuki, hein ? On va voir ce que ça vaut contre les techniques de combat du Cipher Pol. A savoir, tous les moyens sont bons pour gagner, puisqu'un combat équitable est un combat où j'gagne à la fin.

Il se met dans une garde forcément bizarre, un type qui fait du santoryu, hein... Son premier coup part dans le vide, à trois mètres de distance. J'saute sur le côté, laissant la triplette de lames d'air siffler puis s'écraser sur un pauvre champignon géant qu'avait rien demandé à personne. Il recommence, avec une forme différente, puis une autre, et encore une.

Une saloperie de kata, à tous les coups.

Je saute et j'me baisse, je volte et j'me vrille, j'bloque à l'occasion. La dague dans ma pogne droite rend l'âme, immédiatement remplacée par une autre, identique. Le matos des Bureaux, pas toujours fôlichon. Mon jeu de jambes s'active, les Rankyakus filent rencontrer ses attaques à lui.

Match nul, globalement. Sauf quand une attaque est lancée un peu faiblarde, et nécessite un petit rattrapage.

Le combat se fige à nouveau. On est équilibré, pour le moment. L'arme dans ma main gauche faiblit, à son tour. Prochain assaut, j'lui envoie dans la gueule, pour une diversion. J'veux pas ouvrir avec un nouveau Soru. Préparé comme il est, véloce, aussi, il risquerait d'le voir venir, et d'me planter dans la foulée.
On se tourne autour comme deux lions qui se battent pour le même morceau de barbaque, à savoir l'autre. Pas très cannibales, d'ailleurs, les lions. Peut-être plutôt des rois des mers, alors, pour la comparaison ? Mais v'là que j'laisse mon esprit vagabonder alors que j'devrais pas.

On avance tous les deux d'un pas précautionneux. Au prochain, lui est à portée. Pas moi. Ses sabres changent tout doucement de position, enchainant les gardes, chacune le couvrant largement suffisamment. Pareil de mon côté, les couteaux sautillent dans mes mains. Pointes en haut, en bas. Poignets tendus, pliés. Mains devant, en haut, en bas, derrière.

Yeux dans les yeux, qu'on est, son bleu dans mon gris. Les pupilles ne bougent pas, et pourtant captent tout du ballet silencieux qu'on s'livre. Les narines se dilatent, inconsciemment, en signe d'agression, tandis que les bouches ouvertes en profitent pour calmement reprendre leurs respirations.

J'cligne des yeux.

Rien.

Ses paupières tressaillent. Mon couteau vole. Il le dégage d'un coup de katana négligent, recule d'un bond tout en envoyant à nouveau trois lames d'air. J'me faufile entre. Puis, baissé, le museau au ras du sol, le pied droit en l'air, j'enclenche le Soru. Instantanément, j'suis juste devant Matthias, les deux couteaux en main derrière moi, avant même qu'il ait touché le sol.
D’un mouvement vif, j’les ramène tous les deux vers l’avant, celui de droite prêt à s’enfoncer entre ses cotes et celui de gauche vise l’artère de la cuisse. Même en l’air, il parvient à bloquer de ses deux armes et, prenant appui sur mes dagues, assène un coup de la tête. Ou, plutôt, du katana entre ses dents.

Ce n’est qu’en tordant brusquement le coup que j’évite d’être éborgné. Chiasserie. La longue estafilade sur mon front laisse du sang couler à flot, et mon Tekkai a été trop lent d’un poil. Et le raisin me coule dans l’œil, quasiment.
En réaction à sa contre-attaque bien trop rapide pour être totalement réglo, j’saute en arrière, et il me laisse faire, sûr de son coup.
« Alors, on dit quoi ? Qu’il me demande.
- Comment tu causes avec un sabre dans la bouche ?
- L’entrainement, et mon amour pour la Cause.
- Ouais, c’est sûrement ça. »
J’sors un mouchoir tout en le zyeutant avec attention. Il sortirait un haki, ce con ? Dur à dire… Peut-être qu’il est juste extrêmement agile, après tout… Puis le Soru en attaque frontale et totale était peut-être un peu gourmand. Surtout qu’il a trois lames, et que j’ai tendance à l’oublier, ça.

L’hémorragie superficielle enfin arrêtée, j’jette le tissu par terre. Ca coule encore un peu, pas trop. Ca devrait aller. Et v’là l’ami Fallanster qui débarque à toute berzingue annoncé par ses oiseaux pourris. C’est l’moment de jouer mon va-tout, pasque j’me sens pas de me taper les deux.
« Fallanster ! C’est lui, le type qui fout le boxon là-haut, dehors ! Il est comme le Tohu-Bohu !
- Hein ? Mais c’est faux, je me bats pour la liberté du peuple, la fin de l’oppression et de la tyrannie des Dragons Célestes !
- Seize-cent vingt-cinq : meurtre d’une patrouille de cinq gardiens de l’ordre sur North Blue, ils avaient tous une famille.
- C’était des escrocs qui…
- Seize-cent vingt-cinq toujours : attaque d’un vaisseau commercial escorté d’un navire de la Marine. Soixante-quatre morts, aucun survivant.
- Ils travaillaient pour…
- Seize-cent vingt-six : décès du commodore Balky dans des circonstances troubles, Matthias Lemure aperçu par des témoins dans les heures qui ont précédé et suivi le drame.
- C’ét…
- Seize-cent vingt-six encore : trois morts sur le Vaillant, navire chargé d’assurer l’ordre à…
- Ca suffit ! C’était toujours pour la Révolution !
- La Révolution, hein ? Comme détruire tout ce qui protège les gens du Chaos et les laisser à sa merci ? Prendre le pouvoir à leur place, peut-être ?
- Pas du tout, c’est vous les pourris qui…
- Nous ne faisons que protéger le Peuple, Matthias Lemure. »

Fallanster était resté muet pendant tout l’échange, le visage impénétrable mais le regard concentré, et ses piafs volaient fébrilement tout autour. Puis il prit la bonne décision : il se jeta sur Lemure en dégainant.
Et, comme il se devait, il se fit sèchement retoquer de deux coups de sabres qui laissèrent de profondes coupures sur son torse. Pas suffisamment pour le tuer : le révolutionnaire avait fait preuve de retenue là où il aurait pu purement et simplement couper son adversaire en deux.

Mais j’suis pas homme d’honneur. Profitant de l’intervalle, ce qui était l’objectif de tout le plan, j’bondis sauvagement sur Matthias. J’savais bien que Fallanster ferait pas un pli. Par contre, les chouettes sont toujours là, têtues, et elles harcèlent le pauvre révolutionnaire un peu niais mais assurément sanglant.
Sang et plumes volent un peu jusqu’à mon arrivée au corps à corps. Sans Soru, cette fois, ça m’a laissé un mauvais souvenir la dernière fois. J’trouve un trou dans la garde de mon ennemi, déjà fortement occupé tout autour de lui.

Mon couteau s’enfonce dans son ventre comme dans du beurre et j’retire ma pogne sans retirer l’arme. C’est qu’un de ses sabres s’abat sur là où ce serait trouvé mon poignet sinon, et j’veux pas jouer au Tekkai, qu’est pas la défense parfaite et ultime non plus. Mon autre surin glisse contre sa lame en main et bloque celle qu’il tient en bouche.
Sitôt que son katana est tombé dans le vide, mon index se raidit et fuse, comme une balle de revolver, pour former un Shigan dans les règles de l’art. Un nouveau trou dans son ventre, à côté de l’autre. Il désengage comme il peut.

Ou plutôt, il essaie.

J’compte pas le laisser filer, donc je suis chaque mouvement de jambe qu’il fait. J’vois bien le sang commencer à couler de ses blessures, et à chaque soubresaut, ça en éjecte un peu plus. J’suis pas exempt de souci non plus, avec mon arcade, mais c’est loin de m’rentrer dans les mirettes.
Un mur derrière lui. Il s’arrête brusquement, et j’note, bizarrement, que l’expression de froideur impénétrable de son visage a disparu. A la place, les yeux se sont écarquillés, presque paniqués. Il a pas la place pour armer un bon coup de katana.

J’lance mes deux couteaux et en dégaine deux autres dans la foulée, et il les pare presque tous. Ma main gauche parvient à s’glisser dans sa garde, jusque et juste sous son cou. Et, la lame appuyée contre sa carotide, j’m’arrête. Lui, il se fige.
« Vas-y, achève !
- Ouais, nan, les ordres sont plutôt de t’chopper vivant.
- Et les ordres sont le plus important pour tout bon larbin du…
- Quand ils sont corrects, oui. L’un dans l’autre, j’te demande pas tellement ton avis. Lâche tes armes.
- Et si j’refuse ?
- Pas réussi à te capturer vivant, tout ça.
- Un Révolutionnaire meurt mais ne se rend point !
- Un révo mort est un révo mort. Alors que si tu survis, qui sait, tu pourras p’tet t’échapper ?
- …
- Tout le monde sait que mourir, c’est fastoche. Tu veux pas plutôt tenter ta chance à la vie ?
- Vu comme ça…
- C’est bien, Matthias, t’as fait l’bon choix… »

Il laisse tomber ses armes au sol et lève doucement les bras.

Le bon choix, pour toi, quand tu seras attaché sur le chevalet, je sais pas trop.

Mais bien du courage, hein ?


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