Il est tard sur Verne. Même si certaines machines sifflent encore au loin, le soir est là. Derrière les épaisses fumées de la journée, la nuit est tombée. Mais sur les quais, l’air est respirable, le vent marin parvient à éloigner une partie de l’haleine des cheminées. Louise est encore là, l’ahuri et son cormoran aussi. Elle n’est pas partie finalement. Comment l’aurait-elle pu après la réaction de l’autre con ?
Il connait William, il a déjà entendu parler de lui et, pour une obscure raison, il semble le détester autant qu’elle.
Putain. Pourquoi ?
Elle en sait rien, il a rien voulu dire. Veut rien dire tant qu’elle a pas déballé son sac. Alors ils en sont là, ce soir, assis sur un muret sur les docks, à avoir une conversation que Louise aurait préféré ne jamais avoir. Bien sûr, elle aurait pu se faire la malle avec son adresse et laisser l’autre dans l’ignorance, mais il a des informations aussi, il a quelque chose qu’elle veut savoir, qui concerne William, qui concerne son William, celui que ne sera peut-être pas l’homme mentionné par Seth.
Ils sont là.
L’autre con l’a invitée, comme promis. Mais comme elle aurait pu s’en douter, pour lui, une invitation, c’est manger liquide. Ceci dit, ça lui convient. Rien de tel qu’un alcool fort pour rassembler un maigre courage et délier une langue.
Le temps file. Il faut beaucoup d’alcool pour alléger une langue de plomb. Elle n’a pas la tête qui tourne assez pour commencer à parler. Mais ça vient. Difficilement. Mais ça vient.
Et finalement, la voilà, recroquevillée comme une petite fille. Elle embrasse ses genoux, les presse contre ses seins, comme si cela pouvait suffire à la protéger. Elle se sent petite. Comme à chaque fois qu’elle repense à « l’incident », elle se retrouve engoncée dans ses souvenirs, perdue dans son incompréhension adolescente. Chaque détails du jour figés dans son esprit, irrémédiablement marqués au fer rouge dans sa mémoire, brûlants, incandescents et plus douloureux qu’ils ne devraient avoir aucun droit de l’être.
« William est… »
« il était ? »
« Il… »
« Merde. »
Louise, va chercher ton frère, il faut qu’il vienne souffler ses bougies.
Elle serre les lèvres à s’en faire mal, se les mord jusqu’au sang. Punition pour ne pas laisser sortir les mots.
« J’avais quatorze ans quand il nous a quitté pour la Révolution. Sans prévenir. Il est parti. Sans un mot, ni un regard pour moi. J’ai rien vu venir. »
Ces paroles, elle les a prononcé pourtant, il n’y a pas si longtemps. Parce qu’Elle en valait le coup.
Un frisson fait tressaillir Louise. Elle ressert son étreinte autour de ses mollets. L’alcool lui embrouille l’esprit et l’empêche de réfléchir.
Louise, qu’est-ce que tu penses des révolutionnaires ? Tu crois qu’ils sont aussi terribles que ce que le gouvernement veut nous faire croire ?
« Mon frère. »
On va faire un tour en ville avec Daniel, si tu veux venir, dépêche-toi avant que les parents nous voient ou je vais encore me prendre une rouste !
Dans le ciel, des sillons de fumées dessinent des formes abstraites et hypnotiques. Elle y perd son regard.
C’que t’es chiante quand tu t’y mets.
« Révolutionnaire. »
Elle avale quelques gorgées de rhum pour faciliter le passage aux mots. Elle s’enivre, tout se confond. Avec de la chance, elle ne se souviendra de rien demain.
« Il s’est tiré comme un… comme un… un connard ! Ouais, voilà, un putain de connard. »
L’alcool embrase les mots et les pensées. Les regards. Elle fiche le sien dans les yeux dorés de l’autre con qui tient tellement à la faire parler. Comme si c’était important ce qu’il s’est passé. Comme si c’était putain de nécessaire de ressasser ces. Foutues. Conneries. De merde.
« La voilà l’histoire. T’es content ? Mon grand frère a foutu le camp. Il est passé tout droit devant moi sans m’accorder un putain de regard. Il a ruiné ma famille, il a tout foutu en l’air pour des conneries vouées à l’échec. »
Maman, pourquoi Will est parti ?
« Si je le retrouve, je le tue. »
Elle siffle le reste de la bouteille pour noyer les mots qui restent. Ceux qui sont trop durs à sortir, ceux qu’elle veut faire taire. Tuer dans l’œuf ce qu’elle refuse d’admettre. Nier en bloc qu’elle a déconné toute seule. Que si elle en est là aujourd’hui, c’est qu’elle a jamais été foutue d’admettre que c’est sa faute à elle si elle peut pas tourner la page. Que c’est elle, elle, elle, qui a rejeté le monde. Encore et toujours putain d’elle qui est trop lâche pour admettre qu’elle a déconné, qu’elle a tout foutu sur le dos de son frère jusqu’à ne plus pouvoir revenir en arrière.
C’est sa faute à elle.
Mais ça, elle ne l’admettra jamais.
Il connait William, il a déjà entendu parler de lui et, pour une obscure raison, il semble le détester autant qu’elle.
Putain. Pourquoi ?
Elle en sait rien, il a rien voulu dire. Veut rien dire tant qu’elle a pas déballé son sac. Alors ils en sont là, ce soir, assis sur un muret sur les docks, à avoir une conversation que Louise aurait préféré ne jamais avoir. Bien sûr, elle aurait pu se faire la malle avec son adresse et laisser l’autre dans l’ignorance, mais il a des informations aussi, il a quelque chose qu’elle veut savoir, qui concerne William, qui concerne son William, celui que ne sera peut-être pas l’homme mentionné par Seth.
Ils sont là.
L’autre con l’a invitée, comme promis. Mais comme elle aurait pu s’en douter, pour lui, une invitation, c’est manger liquide. Ceci dit, ça lui convient. Rien de tel qu’un alcool fort pour rassembler un maigre courage et délier une langue.
Le temps file. Il faut beaucoup d’alcool pour alléger une langue de plomb. Elle n’a pas la tête qui tourne assez pour commencer à parler. Mais ça vient. Difficilement. Mais ça vient.
Et finalement, la voilà, recroquevillée comme une petite fille. Elle embrasse ses genoux, les presse contre ses seins, comme si cela pouvait suffire à la protéger. Elle se sent petite. Comme à chaque fois qu’elle repense à « l’incident », elle se retrouve engoncée dans ses souvenirs, perdue dans son incompréhension adolescente. Chaque détails du jour figés dans son esprit, irrémédiablement marqués au fer rouge dans sa mémoire, brûlants, incandescents et plus douloureux qu’ils ne devraient avoir aucun droit de l’être.
« William est… »
« il était ? »
« Il… »
« Merde. »
Louise, va chercher ton frère, il faut qu’il vienne souffler ses bougies.
Elle serre les lèvres à s’en faire mal, se les mord jusqu’au sang. Punition pour ne pas laisser sortir les mots.
« J’avais quatorze ans quand il nous a quitté pour la Révolution. Sans prévenir. Il est parti. Sans un mot, ni un regard pour moi. J’ai rien vu venir. »
Ces paroles, elle les a prononcé pourtant, il n’y a pas si longtemps. Parce qu’Elle en valait le coup.
Un frisson fait tressaillir Louise. Elle ressert son étreinte autour de ses mollets. L’alcool lui embrouille l’esprit et l’empêche de réfléchir.
Louise, qu’est-ce que tu penses des révolutionnaires ? Tu crois qu’ils sont aussi terribles que ce que le gouvernement veut nous faire croire ?
« Mon frère. »
On va faire un tour en ville avec Daniel, si tu veux venir, dépêche-toi avant que les parents nous voient ou je vais encore me prendre une rouste !
Dans le ciel, des sillons de fumées dessinent des formes abstraites et hypnotiques. Elle y perd son regard.
C’que t’es chiante quand tu t’y mets.
« Révolutionnaire. »
Elle avale quelques gorgées de rhum pour faciliter le passage aux mots. Elle s’enivre, tout se confond. Avec de la chance, elle ne se souviendra de rien demain.
« Il s’est tiré comme un… comme un… un connard ! Ouais, voilà, un putain de connard. »
L’alcool embrase les mots et les pensées. Les regards. Elle fiche le sien dans les yeux dorés de l’autre con qui tient tellement à la faire parler. Comme si c’était important ce qu’il s’est passé. Comme si c’était putain de nécessaire de ressasser ces. Foutues. Conneries. De merde.
« La voilà l’histoire. T’es content ? Mon grand frère a foutu le camp. Il est passé tout droit devant moi sans m’accorder un putain de regard. Il a ruiné ma famille, il a tout foutu en l’air pour des conneries vouées à l’échec. »
Maman, pourquoi Will est parti ?
« Si je le retrouve, je le tue. »
Elle siffle le reste de la bouteille pour noyer les mots qui restent. Ceux qui sont trop durs à sortir, ceux qu’elle veut faire taire. Tuer dans l’œuf ce qu’elle refuse d’admettre. Nier en bloc qu’elle a déconné toute seule. Que si elle en est là aujourd’hui, c’est qu’elle a jamais été foutue d’admettre que c’est sa faute à elle si elle peut pas tourner la page. Que c’est elle, elle, elle, qui a rejeté le monde. Encore et toujours putain d’elle qui est trop lâche pour admettre qu’elle a déconné, qu’elle a tout foutu sur le dos de son frère jusqu’à ne plus pouvoir revenir en arrière.
C’est sa faute à elle.
Mais ça, elle ne l’admettra jamais.