Une maison, un refuge, une petite cabane ? N'importe quel gourbi ? Un peu isolé d'la ville ?
Euh... La maison du vieux Franklin ?
Déserte ?
Depuis cinquante ans...
Cool. C'est où ?
Vous y ferez quoi ?
Vacances. J'ouvrirai un p'tit cabinet pour me détendre.
Vous vous détendez en travaillant ? Vous seriez pas toubib ?
Euh... Oui.
Vous aurez une sacrée concurrence, alors.
Et cette concurrence, je compte bien la rouler en boule et la carrer dans mon gros sac à dos, papy.
A la sortie du village, y a un p'tit sentier qui longe la montagne. Il s'engouffre dans la forêt après un p'tit kilomètre. Vous trouverez la baraque sur l'côté. Faut marcher, mais c'est facile à trouver.
Merci !
Soyez prudent ! La forêt est pas bien sûre ces temps-ci. Depuis qu'les piliers se sont effondrés, on dirait que ces fichus lapins timbrés sont descendus aussi.
Je ferai attention.
Puis vous avez l'air d'avoir de quoi vous défendre... Hm.
Oh, oui. Le désastre de Drum. L'académie brisée comme un vieux cracker à moitié croqué par la guerre. Ravages matériels et humains. Un terreau fertile pour mon business. Je m'assois sur ma culpabilité et je chie dessus. Pas l'temps pour les remords : j'suis lancé, j'peux plus freiner, p'tete que mon atelier d'charcuterie renflouera un peu le coin s'il tourne bien. Le brave bonhomme se taille en m'adressant un regard frappé d'ambiguité, dans lequel j'discerne une vorace inquiétude. Que crois-tu que j'vais mijoter dans cette cabane ? Un monstre préviendrait-il ses proies qu'il cherche un logis avant d'commencer à les consommer ?
On s'était pas déjà croisés ?
Possible. J'ai fais un stage à l'académie, y a deux ans.
Oh ! Me disais bien que votre tête me rappelait quelque chose !
On la reconnaîtrait entre mille gueules humaines. J'suis rassuré d'avoir mal lu sa réaction. C'était plus un "mais où je l'ai vu, ce type ?" qu'un "est-ce qu'il va enlever nos enfants pour les boulotter en sauce dans sa caverne ?".
Ma première rencontre fut ce vieillard, un p'tit fossile aux perles rondes incrustées comme des émeraudes sur un vieux reliquaire. Bilan : RAS, pour l'instant. Si les autochtones me reconnaissent, ils devraient pas trop rechigner à m'mirer m'installer près d'chez eux, sous la bénédiction des sapins, j'pourrai planquer mes projets sordides au chaud sous ma réputation d'saint-bernard. Drum est l'une de mes terres de souvenir : une pierre de l'édifice insalubre qu'est aujourd'hui ma mémoire ; une pierre quasi neuve, pas encore rongée par la mousse vorace du temps. J'aime toujours Drum, son ambiance, sa populace, ses toubibs, son académie. Et la savoir défigurée par la précédente génération d'rhinos durant une autre bataille à la con pour panser l'orgueil du gouvernement, ça me...
... révolte.
Mon barda drainé à Kamabaka commence à m'fatiguer les épaules. Et si j'faisais une pause en c'sympathique village avant d'me mettre à la rando ? Une halte, une pinte de lait pittoresque. Tant à faire, et tant de temps ! J'aurais cru qu'déserter m'accablerait d'regrets, mais. J'ai surtout l'impression d'avoir scié des chaînes qui m'tenaillaient douloureusement les pattes. Et pourtant, avoir largué ma famille d'substitution, qui s'est assez attachée à moi pour continuer à me graviter autour alors que Jaya m'avait rendu horripilant, j'ai l'impression d'avoir le palpitant bardé d'poignards empoisonnés. Leur confiance en moi doit sentir la merde : j'me suis bien torché avec.
Les degrés négatifs ça lacère un brin l'cuir, ça bouche les pores, ça dessine des stries de gel sous mes écailles encore bien humides. Neige à volonté : j'vais épargner des fortunes en anesthésies ! Sans compter que la robe blanche de l'île, rayonnante, est d'ce genre de parures dont j'adore voir fringué la nature ! C'est comme si elle s'était fait belle pour moi. Les sapins droits au garde-à-vous cernant la cité hibernante, attendant patiemment que j'leur fasse la revue. J'ai mon adresse, pas la peine de s'presser. Ma cagnotte, des années à entasser un salaire pas trop minable, a fait des petits, et va falloir qu'les mouettes m'oublient un peu : ensuite seulement je sortirai la tête hors de ce réconfortant terrier !
Putain. Ce séjour va pas m'servir qu'à acérer mon scalpel. J'ai vraiment besoin d'ranger mon âme. Et j'déniche du coin de l'oeil le sanctuaire idéal à une telle entreprise.
Ma palme sur la porte d'un tripot dont la chaleur rampe par-dessous l'entrée, dont les fenêtres semblent communiquer sur un autre monde orangé, arpenté de fleuves de boissons chaudes, puis de cultures de pâtisseries. J'pousse et prie en silence pour pas dégrader par mes seules émanations la précieuse atmosphère qui semblait flotter en c'temple. Mais sitôt l'pied sur le carrelage, des mirettes s'braquent sur moi. J'm'y attendais mais pourtant, ils deviennent carreaux me traversant d'part en part, tout ces regards.
...
Moi venir en ami ? 'tin. C'genre de situations me manquera pas une fois que j'me serais arraché ces salopes d'écailles. Escorté d'un souffle frais qui se faufile avec moi dans le bar, j'avance au comptoir.
Bonjour.
Bonjour, monsieur Kamina.
Vous me reconnaissez ?
On voit tellement peu de poiscailles dans la région, on en voit encore moins qui passent à l'académie, héhé.
Il me tend sa mimine. J'lui serre franchement, soulagé mais un brin gêné. J'suis incapable de caler une identité sur ce type. Mais faut croire que j'ai laissé des traces de doigts sur sa mémoire... des doigts propres ce jour-là. Il me sourit, j'lui souris ses lèvres soudées, évitant par réflexes d'lui offrir une vue imprenable sur mon masticateur. Le brouhaha flottant se déleste de ces regards bizarres qui venaient m'frotter le cuir. Avoir été reconnu me fait plaisir. Décidément, j'me fais des idées... Ma parano m'empêche de reconnaître de bon gré qu'ici, j'étais apprécié.
Je vous sers ?
Du lait, ça ira.
Alors, qu'est-ce qui vous ramène ici ?
La même chose qu'il y a deux ans. Apprendre.
Oh... Vous savez pour...
Le désastre, ouais, je sais. J'comptais ouvrir mon cabinet indé' dans le coin, et passer proposer mon aide là-haut. J'suis désolé.
C'est surtout l'académie qui s'en est pris plein la tronche...
Vous avez une idée... L'étendue des dégâts ?
Des morts ? Beaucoup. Ça fait déjà deux ans, et pourtant, on tient encore un registre des disparus.
J'ai pas trouvé d'occasions d'revenir avant.
Missions chronophages et dépressions énergovores. S'en est passés, des choses, en deux ans, des choses qu'ont rongé ma substance. Et à force de traire abusivement mon droit d'permission, il s'est retrouvé complètement laminé l'époque où j'en avais réellement besoin. Faute de quoi, j'ai jamais pu venir apporter ma maigrelette participation à la restauration de l'oeuvre des toubibs 20. Un autre regret. Que j'aurai l'occasion d'corriger, j'espère.
Z'êtes toujours marine ?
Non. J'ai démissionné.
Eh bien ! Vous allez vous consacrer à la médecine ?
En grande partie.
V'là votre lait.
En grande partie, car j'ai sûrement des pièces à apporter à l'inextricable puzzle de la science. Quant à abattre le gouvernement... C'est un très très gros arbre tentaculaire. M'faudra une grande hache, et m'faudra savoir par où frapper aussi. J'y songerai une fois retourné sous l'fraternel museau de frangin, qu'il puisse me redonner ce cadre dont j'ai besoin pour savoir par où regarder : être révo' oui, mais j'ai pas envie de bourder, pas comme je l'ai fais tant de fois dans la marine parce que je savais pas où j'allais.
J'commence à laper dans mon verre, timidement d'abord, histoire de permettre à mon palais de refaire connaissance en douceur avec la tendresse d'un lait frais qui semble pas sortir de l'entrejambe d'un taureau anémique.
La traversée, longue, ennuyeuse, m'a rendu boulimique, m'a forcé à grignoter tout c'que j'avais récolté dans l'Hypérion pour tuer les temps morts entre deux explorations des arrières-boutiques de mes songes, bondés d'trésors étranges dont j'soupçonnais pas l'existence.
Bon, j'dois vous laisser. Les additions vont pas s'moissonner toutes seules !
A tout à l'heure.
J'ai toujours aucune idée d'comment faire ma promo. Et j'suis comme une bonne poire bien juteuse : facile à croquer et à presser, désastreux en négoce. Me trouver un responsable marketing serait p'tete pas d'trop. J'pourrai pas rester éternellement ermite au chaud au fond de ses bois, et même si l'pognon me semble bien fade à côté de l'affinage de mes talents de peintre au scalpel, j'dois apprendre à traquer ma clientèle et tendre des pièges publicitaires. C'comme ça qu'on procède quand on tient une caisse, non ?
Euh... La maison du vieux Franklin ?
Déserte ?
Depuis cinquante ans...
Cool. C'est où ?
Vous y ferez quoi ?
Vacances. J'ouvrirai un p'tit cabinet pour me détendre.
Vous vous détendez en travaillant ? Vous seriez pas toubib ?
Euh... Oui.
Vous aurez une sacrée concurrence, alors.
Et cette concurrence, je compte bien la rouler en boule et la carrer dans mon gros sac à dos, papy.
A la sortie du village, y a un p'tit sentier qui longe la montagne. Il s'engouffre dans la forêt après un p'tit kilomètre. Vous trouverez la baraque sur l'côté. Faut marcher, mais c'est facile à trouver.
Merci !
Soyez prudent ! La forêt est pas bien sûre ces temps-ci. Depuis qu'les piliers se sont effondrés, on dirait que ces fichus lapins timbrés sont descendus aussi.
Je ferai attention.
Puis vous avez l'air d'avoir de quoi vous défendre... Hm.
Oh, oui. Le désastre de Drum. L'académie brisée comme un vieux cracker à moitié croqué par la guerre. Ravages matériels et humains. Un terreau fertile pour mon business. Je m'assois sur ma culpabilité et je chie dessus. Pas l'temps pour les remords : j'suis lancé, j'peux plus freiner, p'tete que mon atelier d'charcuterie renflouera un peu le coin s'il tourne bien. Le brave bonhomme se taille en m'adressant un regard frappé d'ambiguité, dans lequel j'discerne une vorace inquiétude. Que crois-tu que j'vais mijoter dans cette cabane ? Un monstre préviendrait-il ses proies qu'il cherche un logis avant d'commencer à les consommer ?
On s'était pas déjà croisés ?
Possible. J'ai fais un stage à l'académie, y a deux ans.
Oh ! Me disais bien que votre tête me rappelait quelque chose !
On la reconnaîtrait entre mille gueules humaines. J'suis rassuré d'avoir mal lu sa réaction. C'était plus un "mais où je l'ai vu, ce type ?" qu'un "est-ce qu'il va enlever nos enfants pour les boulotter en sauce dans sa caverne ?".
Ma première rencontre fut ce vieillard, un p'tit fossile aux perles rondes incrustées comme des émeraudes sur un vieux reliquaire. Bilan : RAS, pour l'instant. Si les autochtones me reconnaissent, ils devraient pas trop rechigner à m'mirer m'installer près d'chez eux, sous la bénédiction des sapins, j'pourrai planquer mes projets sordides au chaud sous ma réputation d'saint-bernard. Drum est l'une de mes terres de souvenir : une pierre de l'édifice insalubre qu'est aujourd'hui ma mémoire ; une pierre quasi neuve, pas encore rongée par la mousse vorace du temps. J'aime toujours Drum, son ambiance, sa populace, ses toubibs, son académie. Et la savoir défigurée par la précédente génération d'rhinos durant une autre bataille à la con pour panser l'orgueil du gouvernement, ça me...
... révolte.
Mon barda drainé à Kamabaka commence à m'fatiguer les épaules. Et si j'faisais une pause en c'sympathique village avant d'me mettre à la rando ? Une halte, une pinte de lait pittoresque. Tant à faire, et tant de temps ! J'aurais cru qu'déserter m'accablerait d'regrets, mais. J'ai surtout l'impression d'avoir scié des chaînes qui m'tenaillaient douloureusement les pattes. Et pourtant, avoir largué ma famille d'substitution, qui s'est assez attachée à moi pour continuer à me graviter autour alors que Jaya m'avait rendu horripilant, j'ai l'impression d'avoir le palpitant bardé d'poignards empoisonnés. Leur confiance en moi doit sentir la merde : j'me suis bien torché avec.
Les degrés négatifs ça lacère un brin l'cuir, ça bouche les pores, ça dessine des stries de gel sous mes écailles encore bien humides. Neige à volonté : j'vais épargner des fortunes en anesthésies ! Sans compter que la robe blanche de l'île, rayonnante, est d'ce genre de parures dont j'adore voir fringué la nature ! C'est comme si elle s'était fait belle pour moi. Les sapins droits au garde-à-vous cernant la cité hibernante, attendant patiemment que j'leur fasse la revue. J'ai mon adresse, pas la peine de s'presser. Ma cagnotte, des années à entasser un salaire pas trop minable, a fait des petits, et va falloir qu'les mouettes m'oublient un peu : ensuite seulement je sortirai la tête hors de ce réconfortant terrier !
Putain. Ce séjour va pas m'servir qu'à acérer mon scalpel. J'ai vraiment besoin d'ranger mon âme. Et j'déniche du coin de l'oeil le sanctuaire idéal à une telle entreprise.
Ma palme sur la porte d'un tripot dont la chaleur rampe par-dessous l'entrée, dont les fenêtres semblent communiquer sur un autre monde orangé, arpenté de fleuves de boissons chaudes, puis de cultures de pâtisseries. J'pousse et prie en silence pour pas dégrader par mes seules émanations la précieuse atmosphère qui semblait flotter en c'temple. Mais sitôt l'pied sur le carrelage, des mirettes s'braquent sur moi. J'm'y attendais mais pourtant, ils deviennent carreaux me traversant d'part en part, tout ces regards.
...
Moi venir en ami ? 'tin. C'genre de situations me manquera pas une fois que j'me serais arraché ces salopes d'écailles. Escorté d'un souffle frais qui se faufile avec moi dans le bar, j'avance au comptoir.
Bonjour.
Bonjour, monsieur Kamina.
Vous me reconnaissez ?
On voit tellement peu de poiscailles dans la région, on en voit encore moins qui passent à l'académie, héhé.
Il me tend sa mimine. J'lui serre franchement, soulagé mais un brin gêné. J'suis incapable de caler une identité sur ce type. Mais faut croire que j'ai laissé des traces de doigts sur sa mémoire... des doigts propres ce jour-là. Il me sourit, j'lui souris ses lèvres soudées, évitant par réflexes d'lui offrir une vue imprenable sur mon masticateur. Le brouhaha flottant se déleste de ces regards bizarres qui venaient m'frotter le cuir. Avoir été reconnu me fait plaisir. Décidément, j'me fais des idées... Ma parano m'empêche de reconnaître de bon gré qu'ici, j'étais apprécié.
Je vous sers ?
Du lait, ça ira.
Alors, qu'est-ce qui vous ramène ici ?
La même chose qu'il y a deux ans. Apprendre.
Oh... Vous savez pour...
Le désastre, ouais, je sais. J'comptais ouvrir mon cabinet indé' dans le coin, et passer proposer mon aide là-haut. J'suis désolé.
C'est surtout l'académie qui s'en est pris plein la tronche...
Vous avez une idée... L'étendue des dégâts ?
Des morts ? Beaucoup. Ça fait déjà deux ans, et pourtant, on tient encore un registre des disparus.
J'ai pas trouvé d'occasions d'revenir avant.
Missions chronophages et dépressions énergovores. S'en est passés, des choses, en deux ans, des choses qu'ont rongé ma substance. Et à force de traire abusivement mon droit d'permission, il s'est retrouvé complètement laminé l'époque où j'en avais réellement besoin. Faute de quoi, j'ai jamais pu venir apporter ma maigrelette participation à la restauration de l'oeuvre des toubibs 20. Un autre regret. Que j'aurai l'occasion d'corriger, j'espère.
Z'êtes toujours marine ?
Non. J'ai démissionné.
Eh bien ! Vous allez vous consacrer à la médecine ?
En grande partie.
V'là votre lait.
En grande partie, car j'ai sûrement des pièces à apporter à l'inextricable puzzle de la science. Quant à abattre le gouvernement... C'est un très très gros arbre tentaculaire. M'faudra une grande hache, et m'faudra savoir par où frapper aussi. J'y songerai une fois retourné sous l'fraternel museau de frangin, qu'il puisse me redonner ce cadre dont j'ai besoin pour savoir par où regarder : être révo' oui, mais j'ai pas envie de bourder, pas comme je l'ai fais tant de fois dans la marine parce que je savais pas où j'allais.
J'commence à laper dans mon verre, timidement d'abord, histoire de permettre à mon palais de refaire connaissance en douceur avec la tendresse d'un lait frais qui semble pas sortir de l'entrejambe d'un taureau anémique.
La traversée, longue, ennuyeuse, m'a rendu boulimique, m'a forcé à grignoter tout c'que j'avais récolté dans l'Hypérion pour tuer les temps morts entre deux explorations des arrières-boutiques de mes songes, bondés d'trésors étranges dont j'soupçonnais pas l'existence.
Bon, j'dois vous laisser. Les additions vont pas s'moissonner toutes seules !
A tout à l'heure.
J'ai toujours aucune idée d'comment faire ma promo. Et j'suis comme une bonne poire bien juteuse : facile à croquer et à presser, désastreux en négoce. Me trouver un responsable marketing serait p'tete pas d'trop. J'pourrai pas rester éternellement ermite au chaud au fond de ses bois, et même si l'pognon me semble bien fade à côté de l'affinage de mes talents de peintre au scalpel, j'dois apprendre à traquer ma clientèle et tendre des pièges publicitaires. C'comme ça qu'on procède quand on tient une caisse, non ?
Dernière édition par Craig Kamina le Ven 05 Juin 2015, 00:49, édité 1 fois