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Fir trees look at you

Une maison, un refuge, une petite cabane ? N'importe quel gourbi ? Un peu isolé d'la ville ?
Euh... La maison du vieux Franklin ?
Déserte ?
Depuis cinquante ans...
Cool. C'est où ?
Vous y ferez quoi ?
Vacances. J'ouvrirai un p'tit cabinet pour me détendre.
Vous vous détendez en travaillant ? Vous seriez pas toubib ?
Euh... Oui.
Vous aurez une sacrée concurrence, alors.

Et cette concurrence, je compte bien la rouler en boule et la carrer dans mon gros sac à dos, papy.

A la sortie du village, y a un p'tit sentier qui longe la montagne. Il s'engouffre dans la forêt après un p'tit kilomètre. Vous trouverez la baraque sur l'côté. Faut marcher, mais c'est facile à trouver.
Merci !
Soyez prudent ! La forêt est pas bien sûre ces temps-ci. Depuis qu'les piliers se sont effondrés, on dirait que ces fichus lapins timbrés sont descendus aussi.
Je ferai attention.
Puis vous avez l'air d'avoir de quoi vous défendre... Hm.

Oh, oui. Le désastre de Drum. L'académie brisée comme un vieux cracker à moitié croqué par la guerre. Ravages matériels et humains. Un terreau fertile pour mon business. Je m'assois sur ma culpabilité et je chie dessus. Pas l'temps pour les remords : j'suis lancé, j'peux plus freiner, p'tete que mon atelier d'charcuterie renflouera un peu le coin s'il tourne bien.  Le brave bonhomme se taille en m'adressant un regard frappé d'ambiguité, dans lequel j'discerne une vorace inquiétude. Que crois-tu que j'vais mijoter dans cette cabane ? Un monstre préviendrait-il ses proies qu'il cherche un logis avant d'commencer à les consommer ?

On s'était pas déjà croisés ?
Possible. J'ai fais un stage à l'académie, y a deux ans.
Oh ! Me disais bien que votre tête me rappelait quelque chose !

On la reconnaîtrait entre mille gueules humaines. J'suis rassuré d'avoir mal lu sa réaction. C'était plus un "mais où je l'ai vu, ce type ?" qu'un "est-ce qu'il va enlever nos enfants pour les boulotter en sauce dans sa caverne ?".

Ma première rencontre fut ce vieillard, un p'tit fossile aux perles rondes incrustées comme des émeraudes sur un vieux reliquaire. Bilan : RAS, pour l'instant. Si les autochtones me reconnaissent, ils devraient pas trop rechigner à m'mirer m'installer près d'chez eux, sous la bénédiction des sapins, j'pourrai planquer mes projets sordides au chaud sous ma réputation d'saint-bernard. Drum est l'une de mes terres de souvenir : une pierre de l'édifice insalubre qu'est aujourd'hui ma mémoire ; une pierre quasi neuve, pas encore rongée par la mousse vorace du temps. J'aime toujours Drum, son ambiance, sa populace, ses toubibs, son académie. Et la savoir défigurée par la précédente génération d'rhinos durant une autre bataille à la con pour panser l'orgueil du gouvernement, ça me...

... révolte.

Mon barda drainé à Kamabaka commence à m'fatiguer les épaules. Et si j'faisais une pause en c'sympathique village avant d'me mettre à la rando ? Une halte, une pinte de lait pittoresque. Tant à faire, et tant de temps ! J'aurais cru qu'déserter m'accablerait d'regrets, mais. J'ai surtout l'impression d'avoir scié des chaînes qui m'tenaillaient douloureusement les pattes. Et pourtant, avoir largué ma famille d'substitution, qui s'est assez attachée à moi pour continuer à me graviter autour alors que Jaya m'avait rendu horripilant, j'ai l'impression d'avoir le palpitant bardé d'poignards empoisonnés. Leur confiance en moi doit sentir la merde : j'me suis bien torché avec.

Les degrés négatifs ça lacère un brin l'cuir, ça bouche les pores, ça dessine des stries de gel sous mes écailles encore bien humides. Neige à volonté : j'vais épargner des fortunes en anesthésies ! Sans compter que la robe blanche de l'île, rayonnante, est d'ce genre de parures dont j'adore voir fringué la nature ! C'est comme si elle s'était fait belle pour moi. Les sapins droits au garde-à-vous cernant la cité hibernante, attendant patiemment que j'leur fasse la revue. J'ai mon adresse, pas la peine de s'presser. Ma cagnotte, des années à entasser un salaire pas trop minable, a fait des petits, et va falloir qu'les mouettes m'oublient un peu : ensuite seulement je sortirai la tête hors de ce réconfortant terrier !

Putain. Ce séjour va pas m'servir qu'à acérer mon scalpel. J'ai vraiment besoin d'ranger mon âme. Et j'déniche du coin de l'oeil le sanctuaire idéal à une telle entreprise.
Ma palme sur la porte d'un tripot dont la chaleur rampe par-dessous l'entrée, dont les fenêtres semblent communiquer sur un autre monde orangé, arpenté de fleuves de boissons chaudes, puis de cultures de pâtisseries. J'pousse et prie en silence pour pas dégrader par mes seules émanations la précieuse atmosphère qui semblait flotter en c'temple. Mais sitôt l'pied sur le carrelage, des mirettes s'braquent sur moi. J'm'y attendais mais pourtant, ils deviennent carreaux me traversant d'part en part, tout ces regards.
...
Moi venir en ami ? 'tin. C'genre de situations me manquera pas une fois que j'me serais arraché ces salopes d'écailles. Escorté d'un souffle frais qui se faufile avec moi dans le bar, j'avance au comptoir.

Bonjour.
Bonjour, monsieur Kamina.
Vous me reconnaissez ?
On voit tellement peu de poiscailles dans la région, on en voit encore moins qui passent à l'académie, héhé.

Il me tend sa mimine. J'lui serre franchement, soulagé mais un brin gêné. J'suis incapable de caler une identité sur ce type. Mais faut croire que j'ai laissé des traces de doigts sur sa mémoire... des doigts propres ce jour-là. Il me sourit, j'lui souris ses lèvres soudées, évitant par réflexes d'lui offrir une vue imprenable sur mon masticateur. Le brouhaha flottant se déleste de ces regards bizarres qui venaient m'frotter le cuir. Avoir été reconnu me fait plaisir. Décidément, j'me fais des idées... Ma parano m'empêche de reconnaître de bon gré qu'ici, j'étais apprécié.

Je vous sers ?
Du lait, ça ira.
Alors, qu'est-ce qui vous ramène ici ?
La même chose qu'il y a deux ans. Apprendre.
Oh... Vous savez pour...
Le désastre, ouais, je sais. J'comptais ouvrir mon cabinet indé' dans le coin, et passer proposer mon aide là-haut. J'suis désolé.
C'est surtout l'académie qui s'en est pris plein la tronche...
Vous avez une idée... L'étendue des dégâts ?
Des morts ? Beaucoup. Ça fait déjà deux ans, et pourtant, on tient encore un registre des disparus.
J'ai pas trouvé d'occasions d'revenir avant.

Missions chronophages et dépressions énergovores. S'en est passés, des choses, en deux ans, des choses qu'ont rongé ma substance. Et à force de traire abusivement mon droit d'permission, il s'est retrouvé complètement laminé l'époque où j'en avais réellement besoin. Faute de quoi, j'ai jamais pu venir apporter ma maigrelette participation à la restauration de l'oeuvre des toubibs 20. Un autre regret. Que j'aurai l'occasion d'corriger, j'espère.

Z'êtes toujours marine ?
Non. J'ai démissionné.
Eh bien ! Vous allez vous consacrer à la médecine ?
En grande partie.
V'là votre lait.

En grande partie, car j'ai sûrement des pièces à apporter à l'inextricable puzzle de la science. Quant à abattre le gouvernement... C'est un très très gros arbre tentaculaire. M'faudra une grande hache, et m'faudra savoir par où frapper aussi. J'y songerai une fois retourné sous l'fraternel museau de frangin, qu'il puisse me redonner ce cadre dont j'ai besoin pour savoir par où regarder : être révo' oui, mais j'ai pas envie de bourder, pas comme je l'ai fais tant de fois dans la marine parce que je savais pas où j'allais.
J'commence à laper dans mon verre, timidement d'abord, histoire de permettre à mon palais de refaire connaissance en douceur avec la tendresse d'un lait frais qui semble pas sortir de l'entrejambe d'un taureau anémique.
La traversée, longue, ennuyeuse, m'a rendu boulimique, m'a forcé à grignoter tout c'que j'avais récolté dans l'Hypérion pour tuer les temps morts entre deux explorations des arrières-boutiques de mes songes, bondés d'trésors étranges dont j'soupçonnais pas l'existence.

Bon, j'dois vous laisser. Les additions vont pas s'moissonner toutes seules !
A tout à l'heure.

J'ai toujours aucune idée d'comment faire ma promo. Et j'suis comme une bonne poire bien juteuse : facile à croquer et à presser, désastreux en négoce. Me trouver un responsable marketing serait p'tete pas d'trop. J'pourrai pas rester éternellement ermite au chaud au fond de ses bois, et même si l'pognon me semble bien fade à côté de l'affinage de mes talents de peintre au scalpel, j'dois apprendre à traquer ma clientèle et tendre des pièges publicitaires. C'comme ça qu'on procède quand on tient une caisse, non ?


Dernière édition par Craig Kamina le Ven 05 Juin 2015, 00:49, édité 1 fois
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Tout c'calcium qui rejoint la grande communauté d'mon métabolisme ! J'espère qu'il se sentira bien dans mes os. Prochainement, risque d'y avoir quelques séismes dans les moelles : loger dans mon squelette va devenir bien incommodant.

Ça vous a plu ? C'était qu'du lait, mais bon...
Mais ça m'suffit. Je repasserai.
Quand vous voulez ! Ça fera dix berrys.

Cinq pièces se libérant d'ma paume marécageuse, discrètement partante rouler sur le comptoir. J'ai trouvé la parade aux pickpockets avec ce fruit. Qui irait plonger sa paluche dans mon corps juste pour quelques sous solitaires ? C'comme se payer des brasses dans une fosse sceptique parce qu'on a vu une petite pièce y luire : ça n'en vaut pas la peine.

Au revoir.
Bonne journée !

Un trafic de politesses qu'aboutit sur une nouvelle poignée de paluches sincères. Et un autre crac au coeur qui regrette de n'décidément pas pouvoir attribuer un putain de nom à cette jeune tête à la barbichette comme discrètement ébauchée au crayon, au pif proche de la verrue que j'imagine difficilement renifler des fumets sans exploser, et des pupilles cristallines qui surmontent tout ça, bien à l'abri sous des mèches grasses. Et une impressionnante symétrie qui m'laisse pantois quand j'la calcule : ce type a été fabriqué par une règle et un compas. Comment j'ai pu l'zapper ?

J'insiste pas, j'débarrasse le repère après avoir levé la palme dans un salut général. J'sais à quel point ma mémoire est sélective, et à quel point c'est dangereux d'essayer de l'essorer comme une grosse éponge bouffie pour tenter d'en prélever quelques gouttes de bons souvenirs : c'souvent une cascade d'eaux usées qu'je récupère.

Après avoir reconquis mes anciennes terres, j'pars en annexer de nouvelles. J'aurais p'tete du leur demander s'ils voyaient un inconvénient à c'que j'pose mes sales bottes sur l'parquet d'un vieillard mort qu'est plus là pour le défendre...

***

Un kilomètre à pied, ça use, ça use...

Fredonner des comptines reéditées mille fois à travers les siècles est une façon de réprimer la lassitude du corps, et de titiller celle de l'esprit. Y a beaucoup d'choses dans c'monde qui m'ont déjà donné envie d'me tirer une balle mais j'ai jamais eu l'cran de l'insérer dans son barillet, cette balle, et couper l'disjoncteur ainsi est une trop triste façon d'rejoindre la tendre obscurité. Mais elles sont loin derrière moi, ces glauqueries fumeuses comme des spectres ricanants sous ma poitrine hantée ! Aujourd'hui je ris d'me contempler dans cet état, je ris des farces du destin qui devient un complice de blaguounettes cyniques, j'me marre devant l'miroir en constatant en quelle bestiole repoussante les âges m'ont transformé -j'étais mignon en alevin, y a dix-quinze ans- et je me délecte des ravages, des sévices, des abus terribles que je m'imagine jour après jour faire subir à mon si précieux, mais si dégoûtant, écrin de chair ! Cet écrin qui renferme des perles encrassées, un esprit brillant mais pollué que j'vais délicatement essuyer -en essayant de pas le briser-.

Un kilomètre à pied, ça use les pensées... ♪

Mes bras s'enroulent autour de ma poitrine, barricade dérisoire face à un froid insistant. Sous mes bottes la terre striée d'engelures gémit, sous mon coeur d'étranges sentiments émergent : l'impression que les sapins se penchent au-dessus d'mon sort. Qu'ils tâtent mon âme voire si elle est mûre pour la récolte. Une présence brumeuse que le vent charrie à mes côtés, dont je pénètre le territoire, dont je le souille peut-être. Le souffle plie les branches qui murmurent des craquements au-dessus d'moi, c'qui n'est pas pour ôter d'mon crâne cette farandole de sorcières qui semble subitement imposer leur superstition à ma cervelle cartésienne bâtie sur de solides désillusions qui laissent de moins en moins d'place à la fantaisie pour pas s'étouffer sous la morne lucidité.

L'enivrante chaleur du bar m'avait bien bourré, j'ai l'impression d'être en lendemain d'cuite, subitement, sordide retour à la réalité. J'ai encore du boulot qui s'étalera d'vant moi comme des montagnes vertigineuses. P'tete bien que les semaines qui viennent, j'aurai plus de quoi m'occuper que ces trois dernières années de léthargie en blouse blanche.

Hm. J'suis pas seul.
J'tressaillis dans mes bottes, me raidit comme l'un des sapins tandis qu'j'arrive à la jonction du chemin.
L'entrée d'la forêt, exactement la même que celle que le vieux m'avait décrit. Les broussailles m'accueillent en fricotant, sûrement bondées d'petites bestioles excitées. Les flocons choisissent cet instant-là pour visiter ce bas monde. Il neige, de glaciales pellicules viennent pailleter ma crinière, lui apposer des reflets grisés. Et les buissons cessent de faire les malins, conscients qu'ils m'intimideront pas juste en secouant les branches. Et moi j'reprends ma marche, la sensation dérangeante d'avoir traversé une bulle temporelle sans consistance, que mon cerveau s'est offert cinq secondes de vacances. Et bien sûr, que mes sens sont de pauvres larbins baratineurs au service de ma parano.

En faisant l'compte des risques que j'encours à laisser des prédateurs morfaux gambader dans les bois... M'suffira de bien fermer les portes la nuit. D'un verrou à base d'une dentelle de grosses chaînes gardiennes rassurantes. Les lapins à grands crocs locaux ont plus grand chose d'intimidant une fois qu'on en a vu un blessé en quête de renforts, pouponné par un troupeau d'étudiants sans peurs.

Le bois mordu par les blizzards, mon nouveau royaume m'attend là : le royaume petit et modeste d'un faible monarque qui n'sait même pas soumettre convenablement ses émotions. La cabane est à mon image, insalubre, glaciale, perforée, proie de froids courants d'air comme moi j'me laisse envahir de tétanisantes idées noires. Elle, la cabane, et moi, on va s'renflouer tout les deux, dans les prochains jours. Elle, la cabane, a une gueule à être hantée jusque dans ses fondations, et c'est pas pour m'déplaire : outre ma correspondance intérieure, j'aurai des jours à passer sans compagnie ! L'heure de prendre ses marques, d'imprégner ces murs de ma volonté. Home sweet home.

...

Des fripes tapissent un coin du gourbi. Une assiette fracturée, un pied d'biche fiché dans un mur, des balles de fusils d'chasse alignées comme des p'tits soldats. La neige indiscrète profite des fissures dérobées du plafond pour s'incruster en ma demeure. J'ai du ménage et des réparations à faire. Et mes bagages à déballer, avec l'excitation d'un célibataire qui découvre la piaule qui lui offrira tout l'réconfort de sa vie.

...

Pourtant la crasse d'impression d'pas être chez moi m'alourdit d'un soupçon d'culpabilité. Et de crainte. Près d'la vaisselle fracassée, les vestiges d'un repas, p'tete du dernier qui fut graillé ici, assailli par des asticots fins gourmets.

Cinquante ans qu'il est mort ?
En cinquante ans, la forêt aurait largement eu l'temps de reprendre ses droits sur ce fragile foyer.
C'est pas assez délabré pour que j'puisse y croire.
  • https://www.onepiece-requiem.net/t10413-fiche-de-craig
Oooh, une table d'opération en bois de sapin grignoté par le gel, même un clampin qui ne se serait jamais griffé le petit doigt de sa vie devinera que c'est pas c'qu'on fait d'plus sûr en matière d'aseptisation, mais mon nouveau cabinet de chirurgien esthétique s'passera de l'hygiène réglementaire de la profession ; les dix bouteilles de désinfectants suffiront à lessiver la plupart des bactéries curieuses qui confondraient les profondeurs de mes patients avec un chaleureux foyer où il fait bon copuler en masse et chier des oeufs.

Home sweet home, j'me le répète, encore et encore, jusqu'à c'que l'clou que j'enfonce me traverse la cervelle de part en part.
Un p'tit paradis bucolique dans un cadre familier, j'me croirai pris au piège dans l'tableau d'un peintre pas très original mais efficace. C'paysage est savoureux, mes projets aussi. T'entends ça Tark ? J'me sens bien ! J'sais plus à quand remonte la dernière fois où j'ai goûté cette légère douceur, ces caresses d'un avenir prometteur ! J'ai l'impression d'rembobiner, à l'époque où j'confondais encore le rictus sadique du futur avec un grand sourire radieux, où j'étais bourré d'convictions niaises qui deviendraient plus tard mon cancer, me gangrenant jusqu'à la souche, me larguant plus mort que vif devant la vérité, la faucheuse des rêves. A l'époque mon ciel était bleu, aujourd'hui le voici orageux. Après la pluie vient le beau temps, disent les météorologues philosophes, j'vois déjà une éclaircie transpercer mes nuages noirs. Ma nouvelle tanière rallume la lumière dans un esprit en panne de courant depuis trop longtemps.

En abattant quelques arbres, j'ferai d'la pitance pour mon antre, qu'elle devienne plus grasse, plus belle, plus grande, qu'elle recouvre sa jeunesse -si seulement elle en a déjà eu une un jour- et qu'elle contribue à sa manière à suspendre mon nom tout en haut, parmi les grosses têtes chirurgicales, dont la blanche réputation s'étale sur le monde à la vitesse d'un verre de lait renversé sur une nappe.

J'veux pas devenir un charlatan, ni un vautour qui se nourrit des chairs mortes de ses patients. Faut que je sculpte mon talent, le même que frangin aimait m'observer travailler, mon altruisme brut que j'raffinerai comme un filon précieux ! Ils viendront auprès d'moi car mes dons les aimanteront à travers le monde, j'leur offrirai l'enveloppe qu'ils désirent, peu importe leurs raisons. Qu'ils veuillent ramener leurs compteurs à zéro après une existence d'errance, ou qu'ils veuillent simplement se débarrasser d'une laideur envahissante ! Y en a pour tout les goûts : n'importe qui est un jour ou l'autre confronté à son miroir comme à un juge d'un cynisme acide, comme un ennemi invulnérable tapis dans les broussailles touffues de nos esprits, les vastes champs de ronces labyrinthiques !

Puis pour la bouffe, j'me ravitaillerai dans l'village d'à côté ou demanderai l'aumône à l'académie, si mon business met trop d'temps à pousser assez pour que j'puisse vivre de ses fruits. J'arrive après la guerre et les ravages, après que toutes les larmes aient eu l'temps de sécher et le sang d'coaguler. Mais un désastre pareil laisse irrémédiablement l'âme d'une île en ruine, précipite son innocence dans les limbes de la nostalgie, et un peuple ne se remet jamais complètement de la mutilation d'son Histoire. Il peut bien recouvrir le trou béant pour camoufler la catastrophe, mais le moindre pied qui se pose au mauvais endroit au mauvais moment peut suffire à faire rechuter toute la populace dans les regrets et la haine. Et c'est généralement là qu'la révo descend refiler une torche aux misérables paumés dans le noir : l'opportuniste connaît la vraie valeur de la lumière. J'monte à l'académie demain, z'ont besoin de moi, j'ai besoin d'eux.

J'ai bazardé mon sac dans un coin, il est affalé sur un vieux matelas dont les fibres ont l'air d'être devenues toiles de moisi. Ce sera ma couchette, dans l'même habitacle que la salle d'opé parce que, bon, mon cabanon est pas un placard mais n'est pas non plus une villa, faut qu'je répartisse comme il faut le peu de place dont j'dispose, et l'espace où j'm'adonnerai à la charcuterie de précision sera forcément l'plus gourmand en superficie : faudra que j'cohabite avec les relents d'sang grumelé et tout ces restes de carne desséchée que j'aurai probablement la flemme de balayer après chaque tour de scalpel. Vacances !

Mais naturellement, en tâche de fond, cet affreux sentiment d'oppression qui s'resserre sur moi comme un étau prêt à m'réduire en bouillie. Ça pourrait venir du simple fait que j'me retrouve du jour au lendemain isolé du monde tandis que j'ai dynamité tout les points qui m'reliaient à mes derniers îlots de relation. Mais la solitude étant ma copine d'infortune, ça peut pas émaner d'elle, elle m'a toujours câliné sans jamais m'étrangler, je la connais bien : elle me ferait jamais ça. Alors c'est sûrement l'climat, et les murs de cette baraque qui sont quatre juges les yeux braqués sur ma conscience. Ouais, ouais, je pique la maison d'un vieux mort, mais elle lui manquera pas. Non ?

J'me pose sur le pallier, mater un peu les parages, la nature qui m'sert de voisine. Plutôt paisible tandis qu'le jour commence à mourir, elle est toujours agitée d'petites convulsions qui sont juste provoquées par les claques répétées du vent glacial, probablement par quelques bestioles turbulentes aussi, parce que j'suis pas du genre à pactiser facilement avec la faune. Les prédateurs vont m'confondre avec un rival venu leur piquet des places aux buffets, et les proies avec une nouvelle espèce de broyeuse montée sur pattes. Avoir la gueule d'un animal m'a toujours confronté malgré moi aux jugements de la jungle et d'ses funestes lois.

Un poiscaille au pays des surgelés.
Pour soulager ma parano, j'ai pensé à répandre du marécage en douve encerclant ma baraque. Mais ça risquerait d'encrasser mon marketing qui risque déjà d'être un peu crade : faut qu'ça ressemble à un cabinet d'toubib sérieux, pas à un bunker d'ermite névrosé -même si l'deuxième me sied mieux-. T'façon, faute d'urine j'ai apposé à la zone mes relents d'alevin qu'a plus vu l'océan depuis longtemps, j'ai marqué mon territoire comme un vieux bouledogue qu'aurait annexé son lampadaire de rêve avec une imprenable vue sur un caniveau croupi.

Le crépuscule creuse la tombe du Jour de ses glaciaux rayons rubiconds. Et ces lueurs rouges se glissent comme des canaux de sang entre les arbustes blancs, vierges, effarouchés par l'haleine fraîche de l'hiver. Coucou Drum, ses nuits, sa poésie qui tombe du ciel comme un météore venu ravager le fragile sol sur lequel repose ma réalité, tu m'avais manqué. T'es froide mais tu manques pourtant pas d'amour, et repenser à cette marine qu'est venue te briser l'coeur après t'avoir tant choyée, ça me meule les entrailles dans un virulent moulin à idées sombres. Mais je sors un peu de l'ombre de mes souvenirs pour mater un peu l'avenir brillant qui nous attend : encore une fois, j'ai repris espoir. Et j'te laisserai pas frétiller seule dans ta mare de neige fondue ensanglantée, Drum, perdue dans un film de guerre qui se rembobine inlassablement, les affres du traumatisme que ces ingrats t'ont infligé. J'vais t'aider à te relever, quitte à devoir te greffer des prothèses, j'suis là pour ça.

J'te suis redevable, Drum, autant qu'on l'est à un vieux pote qui nous a payé un pot y a des années. T'as la tripaille un peu nouée et dégoulinante, mais j'vais t'ranger tout ça, t'en fais pas. Demain au p'tit matin, j'commencerai à redorer notre aurore : tout ce temps dans l'obscurité m'a aidé à apprécier à sa juste valeur le moindre échantillon d'bonheur. Le bonheur, ce salaud, qu'on ignore d'habitude, qu'on n'remarque qu'après qu'il se soit barré en claquant la porte : cette nuit il est à mes côtés, j'sens son regard sur mon âme.
Mon museau s'ouvre en grand et s'en échappent des vents d'haleine nauséabonde, dans un bâillement bien bourrin qui dévoile à la nature le mobilier visqueux d'ma gueule, mais c'est pas la forêt qui m'demandera de mettre la palme devant la bouche. On est entre nous, après tout.

A demain, Drum !
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C'est grand, c'est...

C'est en reconstruction, mais c'est déjà grand. Comme un marmot qui sortirait du bide de maman à vingt ans. Ça a une façade de cathédrale, et vrai qu'c'est un lieu de pèlerinage pour tout ce qui a envie de passer sa vie à explorer les entrailles humaines pour leur propre bien.

Mais c'est différent. Les blouseux errent autour comme des spectres enchaînés à des boulets, dépouillés d'légèreté. J'm'engouffre dans la plaie béante qu'a laissée la guerre : j'espère pas trop faire remuer la lame dedans.

Les montagnes nous mirent depuis leurs nuages : ils ont pas refait la même erreur, ils ont pas rebâti en hauteur. C'est plus accessible, et moins vulnérable aux éboulements.

J'avance langoureusement en m'sentant moi-même un peu zombie, tassant la tartine de neige croustillante sous mes pas. La ruine locale me contamine un brin l'coeur, p'tete bien. Mais j'dois pas m'laisser aller : mon engouement pour un nouveau départ m'a donné une belle poussée d'inertie, hors de question qu'elle s'affaiblisse sans qu'personne n'ait eu le temps d'en profiter avant.

Un visage grave m'aborde sur le flanc.

Bonjour. Je peux vous aider ?
Euh... Sûrement. En fait, c'est moi qui voudrait vous aider.
... Oh. Bien sûr.
Je suis un ancien élève, je...
Ah ! Je n'étais pas là à la belle époque. Vous ne me dites rien du tout, désolé.
Je pourrais bien vous être utile ?
Nous cherchons surtout des supports financiers, ces temps-ci, parce que...
D'accord. J'ai de l'argent.

Aïe, c'est sorti tout seul, ça, ma gueule est vraiment un flingue à la gâchette sensible. Ou alors les mots ripent sur ma langue effilochée, j'sais pas.

... un peu d'argent.
Donc vous voulez faire un don ?
Et rejoindre vos rangs, vous aider dans vos affaires.
Rentrons à l'intérieur, si vous le voulez bien. On a pu se payer un système de radiateurs, autant en profiter !
Cool.

Il a la crinière comme une cascade de cendres, virevoltant sous le souffle des montagnes. Des mirettes un peu las, à l'intérieur desquelles on perçoit tout de même l'espoir conserver sa flamme. J'le suis, mon hôte, impatient d'me sentir bon outil à la restauration d'une machinerie que j'respectais. Le coeur chavirant et faisant escale sur des rives amères, j'découvre l'intérieur de l'académie comme une version aseptisée de la rieuse école qu'elle était avant. Du carrelage, un plafond bas, une propreté décapante qui reflète ma crasse tout en la condamnant.

Ça reste beau, y a pas à dire. Mais ma nostalgie cause plus fort que mon objectivité, elle a toujours eu la voix qui portait très loin. Puis elle m'étale du caca dans les yeux pour tromper mes sens, démange la mélancolie pour me gâcher ma journée. La nostalgie est une vraie conne, une ex possessive dont j'suis jamais parvenu à m'débarrasser. Elle fait déteindre les belles couleurs du passé sur le présent, le dénaturant salement. Elle m'a trop souvent pillé l'bonheur éphémère qui venait m'rendre visite.

Le passé se superpose au présent. Comme un filtre noir.

Ça a beaucoup changé. Vous avez pas repris les plans.
On a quasiment tout perdu, y compris les dessins originels de l'académie... Alors on en a profité pour décider de prendre un nouveau départ.

A ma manière. J'ai ma vie entière incrustée dans les mirettes en ce moment. Le souvenir des toubibs 20, un à un, ceux que j'ai seulement aperçu jusqu'à ceux avec lesquels j'ai vraiment tissé des liens. Rastignac, le géant.

Combien de pertes ? Je suis désolé.
Désolé ? Ce n'est pas de votre faute. Vous auriez fini par avoir à le demander à quelqu'un. Des centaines de médecins, dont des dizaines d'élèves. Les toubibs 20 ont perdus 9 des leurs, morts et disparus confondus. Enfin... après trois ans, on ne fait plus la différence entre les morts et les disparus. Vous en connaissiez ?
Euh, oui. J'ai eu la chance d'en croiser quelques uns.

La chance, ou l'honneur. Des pointures hors catégories : tous sans exception, ils sont des concentrés d'altruisme sous une enveloppe charnelle parfois pas taillée pour contenir une âme entièrement dédiée à l'existence des autres.

Des salopards qui donnaient à la vie une valeur proche d'un produit de conso jetable, qui plongeaient dans leurs nombrils sans fond pour ne plus jamais en émerger pour prêter l'oreille aux gémissements de leurs victimes, ou encore des formations de sadisme cristallisé, cannibales qui se nourrissaient d'émotions désespérées, ou bien des fanatiques aux préceptes répugnants asservissant chacun de leurs gestes assassins, ou alors des noyés qu'ont tellement pataugés dans la merde qu'ils ont fini par s'en imbiber jusqu'à la moelle... J'en ai croisé, des enfoirés, des tas, tant qu'à force leur souillure glisse sur mon esprit sans l'imprégner. Être un enculé est facile, 'suffit d'se laisser porter.

Mais devenir un être de bienveillance... Dont chaque idée vise à soulager la peine d'un être quelque part dans c'vaste monde où la douleur est une pitance goûteuse... Il en existe si peu que leur image reste gravée en moi, en mon panthéon personnel. Le mépris est autant banal que l'admiration est précieuse. Et dans ma pyramide intérieure, les toubibs 20 sont stationnés juste en-dessous de Frangin. Cette pyramide dont j'contemple le sommet avec envie...

Vous pensez que j'pourrais en rencontrer un aujourd'hui ?
Certainement. Je ne vous promets pas qu'il aura beaucoup de temps à vous accorder, ceci dit.
J'veux pas le déranger.
Je vais voir si je peux vous envoyer le docteur Modo. Vous attendez ici un instant ?

Je hoche la tête, les lèvres en zigzag. Sans trop savoir par où enfourner mes paluches. Ni où accrocher mon regard pour éviter qu'il ne tombe à pic sur mes godasses. Habituellement j'suis une proie plutôt facile, pour la timidité. Autant dire qu'alors que j'm'apprête à rencontrer une star pareille, j'suis une gazelle amputée d'ses pattes en pleine hypothermie. Et en même temps j'suis excité, le palpitant hystérique sous sa maison d'os; et la cervelle en pleine fission, on pourrait m'trépaner pour m'brancher une prise directement dans les neurones que j'suis certain qu'on rechargerait les batteries de Drum entière pour quelques siècles.

Mais cette énergie s'vaporise dès lors qu'il apparaît, Modo.

Fir trees look at you N-6_imagesia-com_aspg

Bonjour.
B-jour.
Enchanté. Mais je crois qu'on s'est déjà rencontrés. Vous me dites quelque chose.
Kamina. J'ai été élève ici.

Ma langue en pelote de chair, a du mal à se dénouer sans douleur. Sa voix abyssale qui semble violer outrageusement les frontières du grave, son ton monotone qui n'émet pas la moindre énergie, puis sa tronche, sa tronche rocailleuse inexpressive, on l'dirait sculpté dans un bloc de granit. La main que je lui sers, rude et aride, confirme ma sensation d'être face à un canyon humain dont s'échappent des notes si basses qu'elles en crèveraient le parquet de leur partition. Contraste brusque avec ma propre palme humide comme jamais, un vrai épiderme de crapaud en vase coagulée. Un frisson dans les os, qui m'remonte jusqu'au crâne.

C'est toujours plaisant de rencontrer d'anciens élèves. Carl m'a dit que vous vouliez nous aider ?
J'ou-ouvre un cabinet. Les profits que j'y fais, je... Je vous en donne une partie ?
A votre guise. On ne fait pas dans le racket, ne vous sentez pas obligé.
Si, si. J'ai douze millions à vous refiler aussi -si vous êtes d'accord-.

Une espèce de générosité visqueuse qui s'écoule par flots hors de mon gosier enrhumé. Il le prend avec surprise, j'le vois, et moi d'même, parce qu'en fait, oui, j'me sens obligé. Complètement obligé. C'est ma bonne conscience qui m'dicte de m'saigner ma bourse et de verser l'coulis d'or qui s'en extirpe sur les toubibs 20. Pas beaucoup d'or. J'ai économisé durant des années, presque avec la patience du papa avare bâtisseur de fortunes inutiles. Mais moi, mon tas d'berrys, j'comptais m'en servir comme tremplin pour quelque chose un jour. Ce jour est arrivé.

Il est surpris, mais s'en remet vite.

... eh bien, ça nous serait vraiment utile. Tout don est bon à prendre. Pour vous donner une idée de notre situation, en ce moment, on peut imaginer notre ordre comme un infirme de guerre amputé des jambes qui rampe jusqu'à ses prothèses.
Vous, vous êtes pas euh... optimiste.
Kamina, quel genre de cabinet ambitionnez-vous d'ouvrir ?
Chirurgie esthétique. Débutante.
Oh. Ça recoupe un peu mon domaine de prédilection. La chirurgie reconstructrice.
Oui oui, j'étais médecin de guerre, je voudrais étendre mes connaissances, je ne voudrais pas empiéter sur votre...
Rien de cela. Seriez-vous prêt à redevenir élève ?
On reste élève jusqu'à la mort. Non ?
J'aime cette mentalité. Me permettriez-vous de passer visiter votre cabinet lorsque j'aurai un peu de temps ?

J'aurais envie de cracher un grand Oui, mais la honte me flanque sa main calleuse devant la gueule. J'peux pas accueillir Monsieur la Pointure dans mon taudis ? M'ferais radier illico ?

... c'est pas encore très propre. Une petite cabane à l'écart dans la forêt, à quelques kilomètres au Nord du village. J'viens de m'installer et... vous voyez... C'est pas prêt.
Pas de problèmes, je vois où c'est. Je passerai, et parlerai de vous à mes collègues. Si vous allez jusqu'au bout de votre projet, nous vous soutiendront.
Mes projets... Ouais.
On en parlera plus en détails.
D'accord. Euh... Passez quand vous voudrez. Je reviendrai demain faire mon don.
Et ne vous crispez pas comme ça quand je vous parle, s'il vous plaît. Je ne perds pas mes moyens devant votre mâchoire, moi.

Est-ce qu'il croit qu'c'est son visage de golem qui me suce mon vocabulaire ? 'fait longtemps que j'passe outre les physiques des gens, de pauvres vitrines mensongères qu'étalent leur pub frauduleuse. Non non, c'est juste, euh... piquer si vite l'intérêt d'un toubib 20. Il s'éloigne après un échange d'au revoirs discrets, mais sa marque me reste sous la moelle. Si dans cet univers-là, il existe derrière Tark des gens que j'voudrais pour rien au monde décevoir... c'sont les toubibs 20. Et mon lourd passif dégoulinant sur mes jours, et les crasseuses étincelles sous ma caboche qu'allument des brasiers incontrôlables, et mes objectifs tordus qui animent chacun d'mes muscles... et, et tout ça, et mon esprit qui trébuche sur la panique, je...

Faut que j'me montre digne, plus que jamais. J'vais puiser en toutes mes erreurs les leçons qui gonfleront mes voiles.

Demi-tour crissant sur le carrelage. Retour à la baraque.
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JOUR 3

J'lui déroulerai pas l'tapis rouge parce que j'en ai pas, mais j'ferai semblant. J'lui verserai pas le champagne parce que j'en ai pas et j'aime pas ça, mais j'lui montrerai qu'mon esprit à moi sait aussi être pétillant.

Modo a réveillé un maniaque qui sommeillait en moi, on dirait. Faut que j'l'acceuille comme il se doit. Que j'lui démontre à quel point j'suis sérieux, à quel point mon hygiène est au top du plafond jusqu'au pallier. J'fais avec le peu de matos que j'ai pu piquer à l'Hypérion, ainsi qu'un balai usé qu'j'ai pu emprunter au village. Ça sera pas parfait mais l'principal est de cacher la misère en attendant d'pouvoir rigoureusement aseptiser ma tanière -ce qui, on se l'avoue, n'est qu'un putain de fantasme-.

A m'voir récurer méticuleusement chaque p'tite tâche qui encrasse mon décor, on pourrait penser que j'suis en train d'préparer le crime parfait, et On aurait pas tort : c'est bien après la perfection que j'cours, haletant, parce que c'est en me hissant l'plus haut possible que j'pourrai m'retourner, et seulement là que j'pourrai contempler toute la grimpette avalée, et admirer le panorama ensoleillé qu'mes ambitions rassasiées m'offriront. J'ai du potentiel, c'sûr. Mais depuis qu'Frangin est parti, j'ai plus personne pour m'aider à le modeler, à lui donner forme. A le transformer en plus solide qu'un gros pâté de bons sentiments gluants.

Mon scalpel ouvrira les entrailles de l'avenir !

Il peut arriver d'une seconde à l'autre, Modo. Ou d'une heure à l'autre : j'suis pas à ça près. Il a dit qu'il viendrait, il viendra : et s'il le faut je stagnerais là des siècles en l'attendant, ne serait-ce que pour planer quelques secondes sous l'emprise de compliments tout chauds sortis du four d'un des TOUBIBS 20, des compliments qui vaudraient bien l'euphorie générée par un kilo d'coke dans les narines. S'il vient à reconnaître ma valeur, à expertiser mon trésor et à confirmer qu'il vaut son pesant d'or, j'serai l'poiscaille vaseux, mélancolique et apathique le plus riche et heureux d'la planète !

Dans l'cas où il viendrait durant un repas, j'aurais pas grand chose à lui faire becqueter. A moins qu'il aime les vieilles conserves de fruits secs un peu périmés et secoués par le voyage, on se payerait pas un festin royal -ni très diététique après tout-.

Tu te rends compte Tark ? La pointe de la médecine. Mieux vaut pas m'piquer dessus ! J'rencontre une putain de sommité ! J'ai les tripes comme une chaudière grondante, la cervelle en pleine surchauffe; écartelé entre la hâte et l'anxiété qui sont en train d'me déchirer peu à peu en deux. Est-ce qu'il saurait m'recoudre si j'me retrouvé déchiqueté comme ça ? J'suis sûr que si. Son puits de science vertigineux, il m'invite à m'pencher au-dessus, putain. Je. Ne. Dois. Pas. Merder. Fais longtemps qu'une telle opportunité n'avait pas roulé à mes bottes.

Mes esgourdes se dressent, j'dois avoir l'air d'un clebs en alerte à l'approche du retour de son maître, Uriko aurait adoré. Y a du mouvement dehors. Il est là, c'est p'tete lui. J'me précipite devant la porte, qui pleure ses gongs sous l'impulsion d'mon impatience. Mais rien d'autre que les caresses glaciales de Drum pour répondre à ma hâte. Putain. J'ai l'impression d'porter une mèche quasi consumée.

Quitte à exploser, j'aimerais qu'ce soit de joie.
Faut que j'me détende en l'attendant. M'arracher mes crocs et utiliser ma vase comme ciment pour créer des sculptures d'ivoire par exemple. Un passe-temps bucolique. Je...

Bonjour.
AH !
Vous ne m'aviez pas vu ?
Je. Non.
Navré. Vous devriez éviter ce coin si vous êtes cardiaque. Les bêtes rôdent et braillent fort la nuit.
Et, je... Ouais.
Je peux... ?
Oh, oui, rentrez !

J'l'invite à visiter ma tanière. L'horrible gourbi. Il fronce les sourcils en y faisant son premier pas, mais il a pas la tête facile à décrypter, j'sais pas s'il fait la moue. Il m'laisse pas le temps de regarder mûrir mon stress.

Sympathique. Hygiène désastreuse, mais l'endroit en soi est bien placé. Calme et apaisant, sans être trop loin de la ville.

"Sympathique" ? J'aurais cru qu'ma cabine du docteur Gore l'aurait fait tiqué. Pieuter dans la piaule clichée paumée en forêt sombre du conte d'horreur, et avoir moi-même la trogne du monstre-charcutier carnivore qui alimente son abattoir personnel de jeunes gens en vacances d'hiver, c'est une tâche de sang gras sur mon CV.

Vos efforts sont visibles, par contre. Je n'imagine pas à quoi ça devait ressembler quand vous êtes arrivé...
Ouais, j'veux attendre de rendre ça convenable avant d'ouvrir...
Bien sûr. Vous devriez pouvoir emprunter du matériel pour à l'académie.
Je rembourserai tout ce que j'y prendrai.
Hum. Généreux. Que faisiez-vous avant de revenir ici ?
Médecin marine.
Vous prenez votre "retraite", comme Rastignac ?
Si on veut... Ouais.

J'ai battu en retraite, j'm'attends à des représailles, un jour ou l'autre. Un retour de flamme qui m'calcine, pas trop tôt j'espère. Pour le moment je veux creuser mon trou : et là, j'suis en train d'me dégoter une pelle.

On devient forgeron en forgeant. Je vous amènerai quelques patients volontaires que nous traiterons ensemble.
Avec plaisir. Merci !
Dites-moi, Kamina. Qu'est-ce qui peut amener un médecin de guerre à subitement se pencher sur la chirurgie plastique ?

Tu touches une corde sensible, vibrante, cassante. Mais j'suppose qu'il faudra que j'la sectionne le plus tôt possible, cette corde-là, qui m'noue les mollets et m'fait avancer en traînant des pieds. Alors j'passe aux aveux dangereux, même flanqué d'cette désagréable impression de m'lancer du haut d'un ravin :

Je veux devenir humain.
Oh. Je vois. Beaucoup de travail en perspective.
...
Chacun ses complexes. Je ne vous juge pas.

J'imagine que lui-même sait c'que c'est que d'être enfermé dans une cage charnelle pestilentielle et étroite qui nous isole du monde des hommes. J'suffoque sur la terre ferme, et c'pas faute de poumons. Jamais trouvé ma place au milieu des regards en biais, des piques blessants et de tout ces p'tits gestes qui fustigent mon enrobage de prédateur marin, sans faire gaffe au fragile moelleux fourrage qui souffre à l'intérieur. Il reste impassible, sa voix d'un grave abyssal se fait ambassadeur d'une âme décidément trop farouche pour prendre elle-même la parole. J'lui en veux pas : j'suis comme ça moi aussi, j'traduis pas le code qui m'anime. Pour tout dire, j'le pige même pas en entier... alors l'extérioriser...

Ouais. Mes sentiments fermement séquestrés dans les ténèbres de mon coeur.
J'ai fini par apprendre à reconnaître ceux qui ont adopté les mêmes mauvaises habitudes que moi. Ils sont monotones, barricadés derrière une gueule de glace. Mais leurs mots les trahissent, la langue perfide est incapable de tenir tout les secrets du corps. Souvent, c'est l'empathie qui s'échappe. Une profonde empathie.

Et je compatis.

Bingo !

Me laisseriez-vous inspecter votre matériel ?
Je vous en prie...
A vue de nez... C'est très incomplet. Ma branche de l'Art est particulièrement gourmande en matériel spécifique.
J'imagine. C'est le matos que j'utilisais dans la marine. Je l'ai acheté avant de quitter. Il est sentimental...

Menteur, menteur... Tu tisses toi-même la toile qui permettra aux bobards de te dévorer vif...

Je vais vous présenter mes ustensiles. Un ouvrier sans outils adaptés ne construira jamais rien de solide.
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J'aurais l'impression d'être à un cours de cuisine, si ça sentait pas la délicate charogne à plein pif, si bien qu'mes naseaux somnolents sont réveillés en sursaut par le turbulent fumet du sang. Mis à part ça, les outils d'un chirurgien plastique ont l'air d'être les p'tits frères de l'arsenal du parfait charcutier. Une tranche de jambon n'doit pas être si différente que ça d'une lamelle de peau, c'est la délicatesse de la cueillette qui permet au toubib de se démarquer : et aussi l'fait qu'il ne consomme pas la viande superflue à priori, certes.

Il m'a laissé sa panoplie, que j'me familiarise avec, que j'essaye d'imaginer à quoi sert chaque bistouri, chaque crochet, chaque épingle, que j'visualise comment tout ça gigote sur et sous l'épiderme du patient-roi, qu'il faut bichonner systématiquement comme s'il était notre propre gosse. Bref. Il est parti m'chercher un cobaye qui servira d'crash test alpha. Sûrement un mannequin ou un cadavre, c'est plutôt conciliant envers les débutants ces choses-là.

J'lui ai menti. Il sait pas quel lapin j'ai posé à la mouette, ni le p'tit larcin que j'me suis permis d'faire en guise d'adieux. En fait, tout va si vite que ma cervelle s'en essouffle; j'profite d'un présent surexcité sans craindre les représailles que l'futur vengeur me prépare. Le tout, bien sûr, observé par un passé qui n'sait pas s'il veut être fier de ce que j'deviens. Le gosse au fond de moi trépigne, c'est comme s'il retournait sous son originelle couverture d'innocence, du temps où la curiosité me tenait par la main à travers les contrées d'la réalité les plus douces. Du temps où j'me pensais capable de laisser mon empreinte sur le monde, ma p'tite palme qui feuilletait les aventures qui l'attendaient à la surface comme des pages de BD.

Aujourd'hui j'vois ce Monde à poil, tel qu'il est réellement, un vieux sénile ridé, disgracieux, souffreteux qui boîte en gémissant d'un air mauvais. Mais de nouveau, j'retrouve l'espoir, l'espoir de savoir un jour le soigner. Ces dernières années, j'me suis senti paumé dans l'noir, sans lumière. J'étais juste trop con pour ouvrir les yeux, et m'rendre compte que le soleil était toujours suspendu dans mon ciel, et restera toujours fidèle à ses fragiles vassaux.

...
Les minutes se suicident dans leur sablier.
Pas que je m'ennuie. Mon esprit est volatil. Les idées le dispersent comme des courants d'air.
Et j'ai pas la moindre foutue idée de ce à quoi sert les trois-quarts de ces bidules. D'bizarres ciseaux incurvés, des pinces plates, des spatules. J'me doute juste du pourquoi d'tout ces crayons. Faut dessiner le plan d'tranche sur le patient, puis découper le long des pointillés, hein ? Du ciseau, des lignes, du pliage et du collage, des origamis de chair et la transformation du cobaye en une oeuvre d'art, en la nôtre, fier du corps qu'on lui a designé.

J'avais fini par prendre goût à mon rôle de garagiste, bidouiller les ressorts d'un corps pour l'entendre palpiter sous mes palmes empourprées, les sinus déflorés cent fois par les relents d'hémoglobine me chargeant à la sortie de leurs veines. C'est une sacrée sale indiscrétion que d's'inviter comme ça sous la peau des mourants, faut rester digne en toute circonstances : et quand la vie de ton patient te glisse entre les doigts, tu dois être prêt à te pencher pour la ramasser par terre et recommencer : moi, je n'abandonne que quand le sang est coagulé !

Un moyen de corriger les destinées injustes, de voler du boulot à la Faucheuse. Veiller sur les vies, c'est être trésorier de la nature. Sauvegarder ses biens les plus précieux. Mais la nature est aussi une grande avare qui distribue de la vie d'mauvaise qualité à beaucoup d'ses protégés. J'pense aux fangeux qui naissent dans la violence et se font élevés par les vices, aux racés qui subissent leur différence comme un fardeau qu'ils trimbaleront toute leur existence, aux miséreux auxquels on n'concède pas le droit à l'erreur et qui deviennent traqués pour avoir volé du pain... J'pense aux oubliés, qui sont arrivés trop tard à la distribution des dons, du pouvoir, de la chance, de la naissance.

Et la chirurgie corrige le corps. Et la révolution corrige l'esprit.

Ouaiiis ! Ça m'branche de plus en plus ! Faut pas que j'me précipite, j'le sais, mais j'ai tellement hâte de tronquer c'foutu museau qui m'nargue sous mes yeux, que j'pourrai de suite m'atteler à m'en faire un brochage de carton en forme de pif humain. Mais ça serait foutre la charrue avant les boeufs. Et forcer le fermier à traîner tout ça dans son champ.

Il revient. La porte de l'atelier grince péniblement, un peu honteuse de rompre le silence de cathédrale qui avait annexé la salle. Et cette fois il ne me surprend pas : mes yeux s'aimantent au visage rond et plastifié du mannequin qu'il promène comme un blessé sur son épaule.

Un pantin d'entraînement. Un malheureux martyr qui sert à la fois de cible blanche pour nos ateliers de self-defense, et bien sûr de toile vierge pour le scalpel novice de nos étudiants. Aidez-moi à l'installer sur la table.

Je lui saisis les guibolles tandis que Modo soutient son dos, et on l'dépose, le patient sans âme, sous les feux enneigés de la table d'opération, où il me fixe de deux grosses mirettes noires. C'est du mannequin d'élite, au réalisme assez soigné pour qu'une telle tronche plate au regard dérangeant me gèle le sang, j'frissonne un instant. Puis j'me reprends. En piochant dans mes souvenirs, j'trouve facilement des yeux qui m'avaient autrement plus perturbés qu'ça. Car les pupilles des agonisants semblent osciller, aimantées par deux puissantes forces qui les tiraillent, vie ou mort, et sont souvent gorgés d'une frayeur si profonde qu'elle peut happer le toubib s'il se risque trop à la contempler. On ressort jamais indemne d'un voyage dans les yeux des mourants.

Je vous trouve un peu pâle.
Ça va.
Comment trouvez-vous mes outils ?
Euh...
Familiers ?
Un peu. C'sont les cousins lointains de mes jouets à moi, quoi.
Pouvons-nous sauter le chapitre où je vous explique que la surface du corps, à la manière de celle de la Terre, est composée d'une multitudes de couches ?
J'me pense incollable en anatomie.
Révisons pour en être certains.

Son gant enveloppé dans un mince latex glisse au-dessus des scalpels ; il en choppe un en vol sans même que j'le remarque baisser un doigt. Une dextérité divine, je pense d'abord, une dextérité chirurgicale que j'me corrige ensuite, parce qu'après tout prolonger la vie fragile de ses semblables est un passe-temps d'mortel et pas d'super force céleste qui plane trop haut au-dessus des p'tits soucis pour les apercevoir. La lame semble épouser son index. Il s'en sert pour dessiner des courbes dans la chair de cuir du patient de mousse, on a l'impression qu'il caresse une mandarine avec un éplucheur. Doucement il lève la pelure, dont la tranche rosée imite l'armature de la vraie carne.

Voilà ce sur quoi nous travaillerons le plus : la couche supérieure de l'épiderme. En-dessous... Que risquerions-nous d'ébrécher en-dessous ?
Du tissu musculaire ?
Oui, et je n'apprendrai pas à un toubib de guerre que les muscles sont de farouches bêtes sensibles qui se contractent, s'enroulent autour de leurs nerfs, à la moindre rencontre avec la pointe de ton scalpel. Tu devais souvent en ouvrir pour en extraire des corps étrangers, mais ici, dans le domaine plastique, on n'y touche pas. Jamais.
D'accord.
C'est donc la surface de la peau que l'on modèle. Elle est flexible, mais n'a aucune mémoire de la forme que tu essayeras de lui donner, parce qu'elle est également très élastique. Concernant les hommes-poissons ?
Quasiment rien ne change. Il faut juste éviter de décoller des écailles...
Oui, nos cuirs sont presque les mêmes. C'est ce que j'aime toujours rappeler à mes élèves. La nature est paresseuse, elle recycle les mêmes schémas et se sert d'une poignée d'artifices pour nous rendre différents. Ce sont ces mêmes artifices qui déclenchent des guerres et des massacres.

Ça fait écho aux complaintes que j'me passe en boucle les jours où la bêtise du monde me prend aux tripes. Sous l'écorce, on est tous du même bois, mais nos racines contraires s'emmêlent et se lancent dans de stupides conquêtes.
La gueule du faux patient commence à ressembler à une orange pelée, tandis qu'il m'incite à m'emparer d'un bistouri pour à mon tour éplucher la patate.

C'est sensible...
Très. Mais je constate que tu as déjà la délicatesse et la précision. Garde juste en tête qu'ensemble, nous ne nous enfoncerons jamais dans les profondeurs de nos patients. Nous ne travaillons que leur façade ; hormis rares exceptions.
Mais pour devenir humain, je devrai...
Chaque chose en son temps. Changer de race implique des bouleversements bien plus imposants qu'une malheureuse opération reconstructrice.
Ça saigne.
Évidemment.

Un jus rubicond s'échappe des lamelles de la mandarine qui me sert de cobaye. J'ai du heurter un capillaire.

Si tu te débrouilles bien, tu ne seras jamais inondé par le sang en interventions. Mais prends garde, autant que possible, à contourner les lignes saignantes.
Ouais. C'est moche...
C'est de la charcuterie que nous faisons là. Tu t'aventures en touriste sur mon terrain. Il va bientôt être temps de t'apprendre la langue locale. Sais-tu greffer de la peau ?
Jamais tenté. A part dans mes rêves.
Ça va te demander une aptitude en couture et en puzzle. Ainsi que la précision chirurgicale de rigueur ; mais aussi un sang-froid inébranlable. As-tu tout ça ?
Couture, précision, sang-froid, la base ouais. Quant aux puzzles, j'en faisais avec des membres amputés...
Nous avons le même humour. Je m'esclaffe intérieurement. Regarde.

Il anime de ces étranges pinces qui viennent s'encastrer au-dessus des lèvres du cobaye, lui tiraillant comme pour le forcer à sourire, sa grimace macabre plonge dans ma mémoire réveiller des fantômes. Heureusement qu'à l'étage du dessus, sous le pif, s'déroule un si drôle de spectacle qu'il capture toute mon attention. Suite aux aventures tranchantes d'mon scalpel, tout ce p'tit fragment de peau qui aurait servi au mannequin à se faire pousser la moustache a été élagué, une vraie déforestation d'poils -si un mannequin pouvait avoir des poils à c't'endroit-là. Mais Modo, comme si de rien n'était, s'est emparé d'une aiguille et d'un fil rosé pour réparer mon carnage. Il conjugue la minutie d'un horloger à la vitesse du temps qui passe, joint les frontières du lambeau de cuir à la rive dont il s'était séparé, installe une passerelle de fil entre les deux pour les maintenir solidement attachées.

Tu n'iras pas aussi vite que moi à tes débuts, bien sûr. Et c'était facile ici, je n'ai fais que replacer la pièce du puzzle que tu avais soutiré dans sa case. En opération, tu devras copier, couper, coller. Prendre soin de suturer ou rattacher les capillaires selon la situation. Injecter du coagulateur pour consolider ton travail, afin que le patient ne le détruise pas au premier mouvement de tête. Prendre ton temps, TOUT le temps qu'il te faudra pour parvenir à un résultat propre, quitte à devoir t'y prendre en plusieurs fois. Si tu ne veux pas que ton patient ressemble à un vieux chiffon bariolé, tu devras évidemment sélectionner des greffons de même couleur de peau, de même groupe sanguin, et mesurer au millimètre près chacune de ses dimensions. Voilà pour la théorie ; et je ne parle QUE des greffons de peau. De maigre superficie. Dans mon métier, ce sont souvent des visages entiers que je dois rebâtir en partant de zéro.

Des semaines intenses t'attendent, Craig. Auras-tu la volonté ?

C'est elle qui m'a poussé à venir à vous.
Puis-je te prendre ta nuit ?
Bien sûr.
Parfait. Peut-être que, demain matin, tu sauras greffer quelques centimètres carrés de cuir sur un pantin d'entraînement.

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Mes cernes comme deux testicules sous mes globuleux écarquillés, des litres de café courant leur marathon caritatif dans mes canaux pour me maintenir alerte jusqu'à la fin de la nuit et au-delà. Mes palmes au chaud sous leur latex sentent le gras d'ce fluide rougeaud que pisse par cascades mon mannequin défiguré. Combien sont passés sous le fil de mon scalpel ? Un peu plus d'une dizaine. J'suis comme un récif sur des rapides : implacable, imperturbables, les canoës viennent d'eux-mêmes se déchirer sur moi. La plupart des pantins ne sont plus que des poupées de chiffon dépouillées, défigurées, rapiécées, des jouets qu'un enfant a bricolé et usé jusqu'au trognon ; empilés anarchiquement en plusieurs monticules de chair synthétique et mousseuse, ils nous encerclent tandis qu'on se penche sur l'un de leur nombreux frères affalé sur la table d'opération, nous observent de leurs mirettes obscures et creuses cloués froidement sur des visages ravagés. Certains sont plus réussis que d'autres, les derniers notamment. Ils ont la face quadrillée, du puzzle de fausse peau. Mais ça tient bien quand on les secoue comme des sacs à patates, qu'on les maltraite et les jette dans la fosse commune des mannequins d'expérimentation. Ils sont mes premiers succès, bien qu'au final, ils rejoindront l'oubli et l'incinérateur, comme les autres.

Plus de dix heures rythmées parfois par la monotone voix du prof Modo et d'ses conseils dorés, parfois par un silence à rendre bruyants de jalousie les calmes les plus religieux. Avec sa patience inépuisable, il m'a offert en une seule nuit tout un panorama sur son domaine, qu'il me reste plus qu'à descendre visiter. Il m'a calé le bistouri entre les palmes d'très nombreuses fois pour m'inciter à bosser, à puiser dans mes propres ressources pour y dénicher les problèmes qui s'posaient.

J'ai toujours été un élève studieux, qu'aimait empiler les connaissances, Frangin m'voyait comme une bibliothèque sur pattes, à l'époque. La vérité, c'est que j'étais assoiffé, une curiosité aride que rien ne rassasiait. Ces dernières années, elle avait un peu dépérit, ma faim de découverte, c'sont les sensations d'voir le monde qu'on avait appris à aimer s'écrouler qui font ça, ça coupe la faim. J'me mettais à table et devait m'forcer pour grailler de nouveaux savoirs.

Mais aujourd'hui de nouveau, ma cervelle turbine, et les ressorts des êtres vivants m'intriguent de plus en plus, et mon graal serait de soulever la jupe de Mère Nature pour enfin comprendre comment contrefaire son oeuvre, comment renier les écailles, la mâchoire, les ailerons, les branchies dont elle m'a fardé, comment construire un corps et y incruster une âme comme un joyau, comment façonner la vie de mes rêves. T'en penseras quoi, toi, Tark ? Tu m'materas pas de travers ? T'es le seul à avoir jamais vraiment cru en moi, mais j'm'aventure dans des contrées qui t'rendraient fou. J'ai peur de lire la déception dans ta mine bleue, voyant qu'ton p'tit frère n'a plus comme principale ambition que de jouer à Dieu.

Mais la création de Dieu, elle est pas sous copyright, pas vrai ? J'en fais c'que j'veux. Il m'a jeté à la gueule la peur, le racisme, la désillusion et m'a déchiré mes rêves d'enfance, alors il peut bien accepter que j'dispose à ma convenance de l'hideux corps qu'il m'a refilé. Putain ! J'vois régulièrement une aberration monstrueuse, répugnante, dégénérée et traître, il m'apparaît magiquement lorsque je passe devant un miroir. Je veux qu'elle disparaisse, marre d'être hanté par moi-même.

Fatigué ?
Un peu.
On reprendra bien reposés.

Vrai que mon cerveau liquéfié est en train d'se dissoudre dans un affreux bouillon d'idées noires ; j'paume en concentration c'que j'regagne en hargne. Va falloir que j'vide tout ça à la p'tite cuillère avant d'm'étaler sur mon pieu, ou j'serai trop lourd pour que l'sommeil puisse m'emporter. Mon matelas n'est pas assez mou pour amortir le poids de ces songes pervers, tant pervers qu'ils ont fait fuir la sérénité qui m'comblait jusque là. Un nouveau grief que j'retiens contre moi-même : j'me plombe tout seul, comme un piaf qui se picorerait les ailes. Alors qu'aujourd'hui, il m'suffirait de faire le grand saut pour qu'le vent m'élève sans efforts.

La sueur que j'ai versé cette nuit remplit les douves qui protégeront tout mes efforts.

Restez donc aux dortoirs de l'académie. Vous n'allez pas vous coltiner le chemin du retour ; puis vous serez plus proche de la suite tout à l'heure quand nous reprendrons.

Le cours de ma vie va devenir plus fluide, et j'pourrai naviguer dessus sans croiser d'galions pirates ou d'récifs mordants. Rien qu'cette pensée-là caresse mon coeur, qui cesse de tambouriner comme un sourd sous sa maison d'os. Modo s'éloigne, toujours au chaud sous sa capuche, se fraye un chemin à travers la foule de mannequins. J'emboîte ses pas, en soufflant d'abord les bougies qui donnaient à la table un air d'autel occulte pour sacrifices d'humains de cuir et de mousse. L'obscurité reprend ses droits tandis que j'lui laisse la voie libre, partant rêver du lendemain. Et mes paupières auxquelles semblent accrochées des haltères luttent pour ne pas tomber trop tôt sous le feu nourri d'un sommeil conquérant.

Bonne nuit !

***
JOUR 4

Bonjour !

Ma bouche marécageuse se marmonne ça à elle-même pour se dégourdir la mâchoire, et cesser d'avoir l'impression d'mâcher un pot d'glue. Crâne migraineux, dans lequel un rêve déguerpit vite avant qu'j'aie l'temps d'le chopper et de l'interroger sur la couleur de ma nuit-matin. Esgourdes sourdes durant la fraction d'seconde où la conscience se réinstalle aux commandes. Le réveil. Langoureux. Dormi quoi ? Quelques heures. Pas assez. Muscles à la fois creux et très lourds, une tonne morte dans chaque bras. La mémoire dans la brume, à travers laquelle j'perçois les belles émotions d'la veille lentement s'éloigner. Oh, non... Revenez... Besoin de vous pour... Me lever...

Longue journée en perspective, encore pleine d'exploration et de construction sur des mannequins innocents. Hâte de faire tout ça et encore plus. Hâte de tenir les rennes de mes ambitions, qu'elles m'emportent loin par-delà les terres que j'croyais autrefois impénétrables. Hâte de devenir un amical rival pour la nature. Et pour tout ça...

J'dois m'lever. Les couchettes du nouveau dortoir étudiant sont des royaumes de velours qu'on a du mal à quitter. Pas mal de micro-réveils sont venus titiller mon repos : c'est la journée dans les couloirs d'à côté, ça vit, ça bouge et ça parle. Alors parfois mes mirettes s'entrouveraient, buvaient du noir, puis se refermaient sans plus d'explications ; des interludes dans un défilé cinématographique de rêves. Mes guibolles se glissent comme deux gros cobras obèses au pied du lit, j'parviens à me hisser sur mes jambes, avant qu'ma mâchoire d'elle-même s'ouvre pour bailler aux corneilles.

Ça y est. J'suis parti ! Le moteur a froid, normal qu'il ait pris son temps à s'emballer. Mais mon esprit volcanique est un radiateur brûlant. J'déserte la chambre pour m'enfoncer dans la blanche lumière matinale des couloirs de l'académie si pure, si propre, qu'elle donnerait l'impression à un maniaque de s'être chié dessus. Dix heures du mat', m'suis couché vers sept heures. Trois heures, Morphée a pas eu le temps de recharger mes batteries. Pourtant je suis là, à compter les portes défiler autour de moi, à tenter de repérer celle qui m'conduira au réfectoire. Ce ventre que j'ai vidé gronde.

***

Qu'est-ce qui est meilleur qu'un chocolat chaud ? Un chocolat chaud le matin, dans la cantine paisible d'une académie réveillée en douceur par un appel du devoir plutôt conciliant. Y a des travaux ici, le plafond expose encore ses veines câblées, les lampes n'sont qu'de tristes bougies maladives répandues à travers les tables, et les murs sont croûteux, suintants, cracras, un peu sordides, j'ai l'impression qu'ils ont écorché un type atteint d'un cancer de la peau pour tanner son cuir, avant d'en faire un papier-peint d'mauvais goût. Mais c'est qu'provisoire, je suppose.

Vous voulez des tartines ?
Je veux bien, merci.

Et un peu de joie de vivre en prime. La cantinière fait l'tour des tables, les regards ricochent entre toutes les blouses blanches ; dont la plupart semblent étrangers. Ils ne se connaissent pas entre eux mais ça ne saurait tarder, les cours entre passionnés forment des liens, le chaos et le renouveau forment des liens, la collaboration pour redonner un nouveau souffle à la glorieuse entreprise des toubibs 20 forment une pelote de liens solides et compacts. Quand j'ai découvert l'académie, la première fois, j'avais l'impression d'intégrer une famille soudée par la vocation, que le savoir parcourait galopant comme une prairie fertile, tous réunis forcément par l'désir de devenir de meilleurs toubibs, mais aussi de meilleures personnes.

Et ça m'reprend, là, est-ce que j'suis meilleur qu'il y a quatre ans ? Est-ce que la gangrène qui me rongeait lentement s'est vraiment apaisée, ou s'est tellement aggravée que j'ressens plus mes membres, plus ma douleur, me donnera l'illusion que j'suis ressorti de toutes ces épreuves sain et sauf jusqu'à ce que j'découvre que je n'suis qu'un tas d'poissonnerie faisandée animée par des pulsions autodestructrices noires ?

J'sais plus où j'en suis. Suspendu entre l'enfer et l'paradis.
Mais bien au chaud dans un réfectoire, de la confiture parsemée sous les crocs.
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Il a perdu environ 60% de sa peau de visage.
C'est moche.
Très. Mais nous allons lui rendre sa beauté originelle. Tu seras mon assistant dans cette opération. Tu ne toucheras aux outils mais tu assisteras à leurs bonnes oeuvres.

Un grand brûlé, tomate vulgairement passée au four et aplatie à la fourchette. J'ose pas penser à c'qu'il peut bien vivre au quotidien, sous c'cuir tanné qui ne s'arrêtera jamais d'le tirailler, d'lui rappeler chaque seconde son malheur : une explosion lui a signé la tronche d'une empreinte enflammée. Les masques dont on se revêt ont tendance à nous coller à la face : le sien est celui d'un dommage collatéral, un anonyme dont l'histoire se lit entre les lignes des Grands événements, mais qui, un funeste jour où la neige de Drum fut remplacé par des gerbes de flammes, a vu l'encre du Drame déteindre sur le modeste roman qu'il vivait.

La mission est de lui faire recouvrer sa vraie trogne, celle avec laquelle il s'est extirpé du bide de maman -toutes proportions gardées- et tout les coups seront permis : bien qu'en chirurgie, les coups n'impliquent pas de cribler les méchantes souffrances d'hématomes, ça serait trop facile. Modo tiendra la barre, tandis qu'moi j'me contenterai de comprendre les caps qu'il prend. J'ai les palmes qu'ont l'air récurées à la javel, j'ai du claquer la moitié d'la réserve de savon de l'antichambre, ne serait-ce pour que les pellicules de vase sournoisement embusqués dans mes pores n'abdiquent.

Il s'appelle Paolo. Il était chasseur de gros gibier, mais ce jour-là, il est tombé sur le plus dangereux des animaux.

En reconstruisant son minois d'antan, nous l'aiderons à tourner la page et à ne plus transporter cette lourde cicatrice causée par la folie des hommes.


La guerre, j'ai cru comprendre, l'a pourfendu d'son affreux harpon rouillé, ravageant son coeur. Il a traversé l'enfer jusqu'à décider de faire une halte ici, sous le scalpel de Modo. Pour le meilleur ou pour le pire, mais je ne pense pas que Modo connaisse le pire. Comme souvent avant une opération, j'ai l'impression d'me préparer à une aventure périlleuse. Le corps humain est un territoire hostile par nature, tant bien même qu'on s'contentera ici que d'en arpenter la surface.

Je te laisse gérer le matériel et les greffons, Craig.
Je suis prêt.
Alors allons-y.

La porte à battants s'ouvre et ventile la salle d'opération, éthérée, blanche, au silence emprunté aux temples les plus pieux du siècle. Au milieu duquel Paolo endormi, esquissant un très léger sourire sous son masque de cuir caillé. De sa chair à vif émerge la toute-confiance en son chirurgien, et la promesse d'un réveil marqué par la paix ; et l'exorcisme des démons de son passé. Modo à sa droite et moi à la gauche de Modo, le top départ est sous-entendu par une pauvre directive, celle par laquelle tout les plus grands sauvetages dans une salle d'opération ont commencé.

Scalpel.

Que j'lui tends le bistouri d'base, ce qu'il est à chaque intervention ce que le soldat de base est à chaque bataille : l'évidence et l'indispensable, le héros humble. Il délimite sa zone d'assaut, autour des pièces sinsistrées d'la peau de Paolo. A certains coins, le cuir a un peu repoussé, péniblement. Mais cuit jusqu'aux racines, l'épiderme qui est parvenu à reprendre ses droits sur l'horreur est fragile, mou mais croûteux, comme ces boursouflures que l'on croise sur des pizzas à la pâte rebelle. Pour préparer l'terrain, prof Modo soulève les frontières arides du peu qu'il reste de peau du pauvre gars. La chair rouge en-dessous, un brin foncée, comme hantée par le spectre de la nécrose, nous prouve au passage que le feu était venu jusqu'ici parachever sa sinistre oeuvre. Mais l'idée, en décollant un tantinet ce qui lui reste de peau à la façon d'un masque poreux, c'est de laisser plus de place au greffon pour prendre ses aises, qu'il s'étire et s'installe chez son nouvel hôte sans avoir à s'plier pour trouver sa place.

Le greffon, causons d'ce cher greffon, repose sur mon chariot, grand lambeau caoutchouteux patientant dans son sérum physiologique, attendant langoureusement l'moment d'entrer en scène. Autour de lui déployée une farandole de broches et d'épingles qui rapprocheront l'greffon étranger de la peau autochtone : c'sont un peu les diplomates de l'opération qui conjoindront deux dermes différents, et qui resteront là jusqu'à c'que le nouveau cuir s'intègre à l'ancien.

Nous passons à la phase laborieuse. Il faut retirer minutieusement toute la superficie souillée et carbonisée, que nous remplacerons par ce linge blanc et propre qu'est notre greffon. Je dis laborieuse ; car elle dure longuement et est profondément fatigante, mais c'est ici qu'intervient ce dont je te parlais durant notre premier cours. Les muscles sont en-dessous de la chair calcinée, ceux que l'on ne doit pas égratigner.

Et il tombe sous le sens qu'en brûlant, la peau fond, coule, devient un peu gluante. Et elle peut rester attachée au tissu musculaire une fois ramenée à température vivable.

Si nous nous précipitons à cette étape, nous risquons ainsi d'arracher du muscle avec la section profanée du visage de notre pauvre chasseur.


Paroles d'évangile. J'bois ses mots avec ferveur d'un fidèle lobotomisé, pourtant ma cervelle est toujours bien là, à plein régime, confinée dans un four qui rend chacune des idées qui y naissent brillantes et brûlantes comme des braises. Surtout en laissant l'imagination théoriser sur le comment s'est passé sa défiguration, et sur qu'est-ce que sa vie était devenue depuis. Mais les émotions, qui sont d'dangereux parasites une fois infiltrées dans une salle d'opération, j'm'applique à les faire taire.

Les pinces se faufilent sous la peau pliée, la maintient docile, élastique. Et c'est le scalpel qui se prononce désormais, glissant doucement le long de la parcelle ravagée, de la tempe, au-dessus des sourcils, contourne le nez, slalome autour des lèvres, descend sur le menton pour remonter à la droite du cou, le grand huit de la lame m'procure quelques sueurs : le moindre manque de tact, tremblement ou hésitation peut empirer l'horreur.

A la même vitesse qu'un dessinateur dessine un stickman, lui opère rapidement et bien car il doit traverser des étendues de peau brûlée tous les jours, encore que j'sens qu'il se retient de trop foncer pour me laisser l'temps d'apprécier chaque détails de ses gestes. Un très fin filet de sang trouve de bon goût de tracer la route que le scalpel prend.

Quand il détache la peau découpée, j'ai l'impression d'voir une simple tranche de jambon trop cramée accepter paisiblement son sort, bien que comme il me l'avait précisé, en-dessous des espèces de pilliers de glue brune ne supportent pas qu'on leur vole leur chaleureux plafond : en un coup de bistouri, il les tranche à la base puis continue à soulever le masque de peau morte,

et désormais ce n'est plus que de la chair à vif en attente d'une nouvelle couverture.

Parfait. Tu vas pouvoir m'aider pour l'étape suivante. Je sais que tu sais greffer, il ne te reste que l'assurance à acquérir. Et l'assurance est le genre de trésor que seule la pratique sait fournir.
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On échange de place, lui à gauche moi à droite, au plus près du champ de bataille, cette chair stérile sur laquelle je vais faire germer une autre peau, et une autre vie. Il m'a passé l'relais et j'avoue qu'il me pèse sur les palmes. Mes nerfs restent secs et seules mes guibolles semblent être prises d'un séisme faiblard, ainsi que d'un brusque froid polaire. Mais j'me reprends, le stress abandonne déjà, il sait que le sang-froid d'un toubib est une muraille inébranlable contre ses assauts -tant qu'on quitte pas les manoeuvres du bloc opératoire-.

Tu te souviens de tout ?
Je désinfecte comme si je récurais un sol noir de bactéries ?
Précisément.

Alors toutes les bouteilles emplies de c'qui a la couleur de l'urine mais est en fait du poison pour microbes vont embrasser, de tout leur goulot, mes fragments d'coton assoiffés, avant d'aller soigneusement appliquer leur génocide microbien à travers la tendre chair rouge. L'impression d'pas être, comme j'ai pris l'habitude, seul en tête à tête avec mon patient, et d'avoir des mirettes d'élite posées sur l'aileron me froisse, me file la sensation d'être en train d'opérer devant un public si critique qu'il montra sur scène m'amputer des bras à la moindre bourde.
Même si j'sais qu'Modo est pas comme ça, qu'il est ferme sans non plus m'enchevêtrer dans des harnais et des mors, qu'il sait qu'j'ai un bagage d'une poignée d'années de scalpelerie intensive, et l'esprit vif et zélé ;

que j'suis un putain de templier en croisade contre la mort elle-même, merde.

Alors ma confiance se hisse aux commandes de mes palmes, à la vitesse où ma peur de décevoir meut mon esprit. Mon coton tamponne tout c'qu'il faut sur la chair à vif. Bientôt arrive l'instant de vérité : première leçon à réviser en cours pratique. Mon bistouri part à la pause et j'm'empare de la grande crêpe de peau, avec des pincettes. Le sérum dégouline et le cuir est imbibé, mais hors de question d'le laisser sécher, on ira pas lui greffer de la vieille croûte sec nécrosée, au pauvre type, la poisse l'a déjà suffisamment amoché comme ça.

J'lui pose donc la crêpe détendue et humide sur la tronche, elle épouse naturellement ses reliefs. Et mon excitation se soulève de nouveau, vole et part en orbite, j'sens mon coeur jouer du tambour de guerre alors que j'choppe mon bistouri pour commencer à découper selon les lignes, délicatement, en réprimant mon estomac qui, inévitablement, trouve toujours quelques gargouillis glauques à raconter durant les phases de boucheries chirurgicales, même après toutes ces années à plonger les palmes dans les charniers, à écouter les suppliques des mutilés. Toujours des hauts-de-coeur. Des soubresauts dans les entrailles qui deviennent angoissante jungle. On piétine jamais totalement sa vraie nature, même si on peut au moins bien l'aplatir pour éviter qu'elle se fasse visible...

Modo pose ses yeux sur mon bras, plutôt qu'sur ma palme. Probablement qu'il comprend que l'important chez un chef d'orchestre n'est pas son bâton, mais ses gestes, et qu'il surveille donc uniquement mes mouvements voire s'ils ne risquent pas d'déborder : il sait que j'ai déjà la précision chirurgicale, et qu'il ne me manque, entre autres, que savoir séquestrer mes sentiments le temps de l'opération pour les empêcher de m'embrumer les mirettes.

J'fais le tour, ça se passe bien. La cervelle évite de trop penser pour ne pas déconcentrer les palmes dans leur oeuvre. C'est faire du spirographe avec du cuir humain, sauf qu'on a pas l'droit d'se planter, autrement ça risque non seulement d'être moche et raté mais aussi très saignant. Et les reliefs n'aident pas, faut suivre le menton comme une falaise dont la roche est creuse, et bien sûr, faut surtout pas la percer. Faut remonter le long d'la tempe, là aussi avec un doigté léger mais ferme pour trancher sans déchiqueter.

Bien. Plus qu'à dégager le surplus et à aider notre ami à joindre les deux bouts.

La couture fait partie de mes grands dadas, parce que les occasions de tricoter dans les plaies ont jamais manqué en chirurgie de bataille, où il est aisé de s'faire déchirer l'chiffon. Les pinces et les aiguilles sont mes douzième et treizième doigts, derrière mon scalpel, dont j'me sers désormais comme si j'étais nés avec eux scotchés aux palmes. Alors j'me revêt d'encore plus d'assurance, comme si j'en venais au coeur de mon one man show -avec supplément de blagues douteuses sur la bidoche-.

Et j'commence à suturer le nouveau masque à l'ancien, en pensant qu'un beau jour, j'serai à sa place, tout en étant à la mienne aussi, à demander frénétiquement à un miroir à quel point j'suis beau, tandis je me découperai précautieusement le museau d'un bout à l'autre qui sera devenu vide et flasque alors que ma vraie bouche sera pulpeuse en contrebas, camouflée sous l'horreur, forte de gencives saines et de p'tites dents discrètes et carrelées, un carrelage, ouais, d'ivoire impeccable, en opposition parfaite avec l'ignoble rangée d'pieux dont j'me farde actuellement et qui donne à ma mâchoire une allure de château impénétrable, que jamais le moindre baiser franc n'osera affronter et ravager ses défenses.

Reste concentré. Ton trait se fait plus irrégulier. Ne resserre pas trop les fils, l'objectif et d'accompagner le corps dans le processus de fusion, pas de le marier de force à son nouvel amant.

Jusque là, c'était parfait. Ne te relâche pas.

Tu y es presque.

Oui... Voilà.

Nous avons réussi.

D'ici quelques jours, Paolo ne sera plus confronté aux fantômes de la guerre à chaque fois qu'il croise une glace.


La vieille carne séchée qu'on lui a retiré comme un vulgaire parasite pourra être roulée en boule et balancée à la corbeille, à moins qu'il ne veuille l'exposer chez lui dans un cadre en trophée, mais, euh, cette horreur aurait plus sa place dans la benne. Quand même.

J'ai réussi. M'permet un sourire, un pavillon qu'je hisse pour prévenir au large que la fierté m'a conquise, elle qui avait tant d'mal à me regagner depuis des années.
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Jour 5

Paolo est toujours une momie, pour l'instant, il n'pourra se séparer d'ses bandages qu'une fois qu'on sera tous sûrs que ce qu'on a collé en-dessous ne partira pas avec. En attendant, j'peux lui rendre visite, recevoir ses mercis à volonté par l'intermédiaire de Modo, mais les refuser parce qu'on peut jamais savoir si une intervention a foiré avant quelques jours, mois, voire années, on implante parfois des bombes à retardement dans les gens sans l'remarquer et subitement elles font boum longtemps après, sans qu'on ait entendu l'tic tac.

Pour ça que j'ai tendance à repousser les bouquets de remerciements qu'ils veulent me refiler. J'fais que mon boulot et y a une facette égoïste à mes sentiments au terme d'un succès. J'les soigne pour eux, mais aussi pour moi, ça m'confère la précieuse impression d'avoir une clé à molette pour arranger les mécaniques parfois vicieuses du hasard, et y a bien peu d'monde qui peut prétendre trimbaler un tel outil sur lui. Et c'est un jouet dont j'abuse pour m'sentir plus fort : parce que c'est toujours dans la faiblesse qu'on développe nos plus grandes forces, observer impuissant tant d'petits soldats tomber comme des pions sur un plateau d'échec m'a donné envie d'apprendre à les relever, à les ramener en jeu. A enrayer la souffrance et carrer des bâtons dans les roues des cercles vicieux, car on ne récolte que ce que l'on sème. Qui sème le vent récolte les tempêtes, qui sème le sang récolte la mort, qui sème l'espoir récolte un monde meilleur. Ouais, c'est mielleux. C'est ainsi que le Petit Moi raisonnait, et ce con n'avait pas si tort que ça. Mieux vaut le miel que le fiel, de toute façon, et j'suis fier d'être une ruche à bon sentiments -même si ces derniers temps, elle s'est gonflée d'insecticide-.

J'me suis emballé dans une vie monastique par procuration. La solitude en unique comparse, très longtemps, parce que la haine gravitera toujours autour de ma race sans qu'je puisse l'éjecter. L'humilité qui m'est tombée dessus tout jeune, car mon âme jumelle, mon frangin, rayonne tant qu'elle m'a aveuglée, qu'aujourd'hui je n'sais plus voir mes propres talents. Ouais Tark, t'es la preuve qu'il est très dangereux de mirer le Soleil trop longtemps : tu crames la rétine, malgré ta splendeur, et j'en suis venu à plonger dans les ombres parce qu'elles me ressemblaient : discrètes, en arrière-plan, fidèles, sombres, et malgré tout, elles ont besoin de lumière pour exister. Mais je suis seul, maintenant. Qui fait la lumière ?

J'me suis brûlé de nombreuses fois sur des sentiments qu'je connaissais pas, mais que j'rêvais quand même d'approcher. L'Amour est le dernier d'entre eux. L'Amour m'est tombé dessus comme la plus implacable des malédictions, et a transformé ma cervelle qu'était déjà bien douillée en usine à idées noires, dont les vapeurs contaminent tout le corps, dont la pression le fait enfler. Ma vie entière a bâti ma modestie, mais c'est l'Amour qui en a érigé l'plafond. Parce qu'il est pas fait pour moi, parce qu'aimer une humaine est aussi pertinent qu'un dauphin maqué avec n'importe quel primate, parce que la vie ne marche pas comme ça, elle a besoin de sens. Et pour un homme-écailles, aimer une humaine n'a aucun sens. Il fait devenir paratonnerre, les foudres de tous les cieux nous rentrent dedans. Il rend malléable, pâte à modeler collante entre les mains des humains comme des poiscailles, qui font de toi leur chose à tripoter, dont ils peuvent se moquer car ça n'peut pas avoir de conscience, c'est une aberration aux émotions polluées, corrompues, par des déviances honteuses.

C'est moi.
Au moins, je sais sauver des morts, et améliorer des vies.

Toc toc toc, mes phalanges sur sa porte. Modo doit être à son chevet. Va être temps qu'il nous dévoile sa nouvelle bouille d'amour, notre chasseur de soucis. En espérant qu'elle ressemble pas à la même pastèque mâchouillée que mes chers mannequins d'entraînement. J'ai vite un Entrez ! vigoureux qui m'invite à... entrer. Et j'entre, la boule au ventre.

Pas de quoi pourtant. J'ai tout fait comme il faut. J'ai porté mon art avec honneur et l'ai hissé au sommet. Mais j'ai besoin d'me le répéter encore et encore pour espérer un jour m'en convaincre.

Bonjour.
Voilà le docteur Kamina, Paolo. Mon co-chirurgien.

Vous l'aviez pas prévenu, hein ? Que j'étais un squale à pattes. Il ferait pas cette drôle de moue sous ses pansements, sinon. Oui oui, j'entends ses muscles faciaux me dévisager d'en-dessous. Mais ça dure pas long.

Merci. Content de vous rencontrer.
Vous vous sentez bien ?
Ça m'tiraille un peu à la tempe, mais paraît que ça va s'en aller. J'ai l'impression d'avoir le visage chaud aussi...
Votre corps a travaillé dur pour vous recomposer votre ancien faciès grâce à la matière que nous lui avons fourni, c'est normal. Tu peux attraper le miroir sur la table, Craig ?
Ouais.
Alors c'est bon ?
Oui. L'heure H.

Les roulements d'tambours sont dans nos coeurs, palpitants à s'en déraciner leurs artères. J'reste les deux phares braqués sur lui, comme un mirador fasciné. Tandis que Modo déroule lentement les bandelettes, dévoilant petit à petit la créature toute neuve qui se terre en-dessous, le front bien aligné, les yeux insérés comme il faut dans des orbites toutes propres, le pif sagement à sa place ni trop haut ni trop bas, la bouche correctement cadrée qui sourit toutes-dents dehors à la vue de mon miroir.

Mais c'est parfait !
On dirait. Vous resterez en observation quelques jours pour nous assurer que votre corps a bien acceuilli le greffon. Et vous continuerez à prendre votre traitement au moins deux semaines.
J'suis comme avant !

Il trouve la fougue d'un paraplégique à qui on aurait fourni deux nouvelles jambes. A mon tour, j'enfile encore ce même sourire qui m'enveloppait d'une joie silencieuse à la fin de l'opération, c'genre de joie religieuse qui préfère prier pour sa durée, qu'exploser et crever trop vite. Cette joie qui résonnera, assez puissante pour m'escorter au milieu de toutes mes hontes, mes cauchemars, mes craintes haletantes qu'attendent que je trébuche pour bondir sur moi en choeur, et comparer ma vie à c'qui agonise au fond des chiottes. Et grâce à ce genre de petites victoires, je me hisse en-dehors de la cuvette.

La fierté du toubib est ici, il voit la joie éclore chez son patient et la peur faner, et l'aide à conquérir les contrées pleines de mauvaises herbes et de ronces. Il éloigne les fantômes et la faucheuse. Et même s'ils reviennent tout le temps, il s'acharne à s'interposer entre eux et leurs victimes. Et même si c'est parfois inutile, il s'y acharne quand même. Parce qu'il est le conservateur de la plus belle mais aussi la plus intrigante oeuvre de l'univers, la Vie.
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Cet après-midi, c'sont des lamelles de torse qu'on s'en va joyeusement disséquer ! Et c'est du gros morceau : plus que la tête, c'est bien le corps dont s'extirpe le plus de pulpe quand on commence à creuser dedans.

J'connais mon sujet : sous l'étendard de la mouette, c'était mi-spéléologie dans les corps de marines pour en arracher les tumeurs ou en réparer les parois, mi-forage aux poings, au sabres ou au marteau avec but avoué de transformer la bestiole devant nous en fontaine de sang chialant chaque goutte du puant élixir de son corps de pirate. De la médecine et de la baston. Ma palme droite sauvait et ma palme gauche cognait -tuait-. En cela, c'sera ma palme gauche qui servira d'laboratoire à ma technique, parce qu'elle est imbibée de sang dont elle doit s'purger : elle doit faire pénitence !

J'ai tué. J'ai tué régulièrement. De nombreuses vies se sont éteintes parce que JE les ai débranchées. On pourrait empiler les cadavres que j'ai semé autour de moi qu'on parviendrait à construire une cage suffisamment grande et étanche où je suffoquerais très vite. Je mentais en fait. J'ai pas seulement été une écharde dans la patte osseuse de la faucheuse : des fois, j'ai été la lame de sa faux. J'ai tué. Pour survivre, par rage, par nécessité, à contre-coeur, j'pourrais m'justifier pour chaque fois que je l'ai fais, mais j'ai tué. Au nom de la justice, très souvent, j'ai rempli des fosses communes et des charniers innommables. Bien sûr, la VRAIE justice est trop frileuse pour vraiment accepter d'errer sous les averses de sang, et les supérieurs formatés et le sabre qui avait trop souvent remplacé leur cervelle peinaient à admettre que leur job n'était pas celui d'un juge mais d'un boucher.

Mais tout ces traumas n'sont pour moi de toute façon rien de plus que ce que la vérole est au catin : des accidents de travail.
De nobles valeurs, j'en ai été gavé comme une oie et il est naturel qu'aujourd'hui ma chair aide à nourrir les indigents. Protéger l'innocence a un coût, et pourtant ça n'a pas de prix. J'ai rempli des mers de sang pour éviter aux îles de rougir à leurs tours. Je vis cerné de morts, de remords et de rancunes du passé, les derniers instants de certaines de mes victimes s'infiltrent régulièrement jusque dans mes cauchemars, des fois. Les cris des expirants sont étrangement inspirants, ils m'ont rappelé très souvent que la douleur est un doux coloris. Qu'on puise dans la souffrance de quoi étancher notre soif d'expérience, et qu'il n'existe pas de bonnes leçons sans sueur, sans sang, ou sans larmes. La dernière fois que j'avais laissé mon scalpel errer sur ma poisseuse carapace, hésitant à m'ouvrir à vif le bras voire si j'y aurais pas des trésors enfouis, j'avais serré des crocs et sourit comme un môme à qui on fait des guilis. L'idée seule de me déchirer la peau m'empreint d'un bizarre frisson, comme si c'était la clé de ma libération, comme si mes muscles avaient besoin de respirer, et comme si mes os étouffaient sous mes hideuses tropiques écailleuses.

Du coup je vénère la douleur, même si j'la combats. Elle est devenue une soeur ennemi, une affreuse confidente qui ne mâche pas ses mots. J'aime souffrir. Entendre mon coeur rugir, mon âme geindre et sentir les larmes hésiter à jouer au toboggan sur mon museau. Souffrir me rappelle qu'on est toujours vivants, moi et mes sentiments. Que j'suis pas devenu une morgue ambulante qui trimbale las le cadavre de l'enfant aimant, curieux, bon, que j'étais avant. Souffrir est aussi rassurant que les langoureux bips de l'électrocardiogramme d'un comateux : ils martèlent qu'il existe encore de l'espoir.

Un jour, je retournerai tout c'que Modo m'apprend contre moi-même. Et c'est ce jour-là, sûrement, qu'on pourra affirmer que l'élève aura distancé le maître.

Alors là, j'suis retourné dans ma cabane, mon cabinet, ma tanière, la table de bois blanc lustrée plantée en plein milieu est mon billard, la cour de récré de mon scalpel, où il fera connaissance avec les grumeaux juteux du cuir humain, où il apprendra à les domestiquer. Plus tard ils m'appartiendront, nouvelle peau, nouveau moi, un drôle de futur complètement affranchi du passé, une gazelle insouciante qui n'aura plus jamais à craindre d'être traquée par des lions ! Dans quelques éternités, Craig Kamina sera cette gazelle et reviendra ici, transformé en un joli humain -ou une jolie humaine ?- et se souviendra que c'est ici que son talent a pris racines. Et que les fruits savoureux qu'il graille sont ceux d'un très long travail qui l'auront mené aux quatre coins du monde. Tout a commencé quand il s'est ENFIN décidé à chopper la barre de son destin, et à lui donner le cap qu'il désire. Sans plus jamais se satisfaire que les courants ne lui dictent sa voie.

Des mélodies dans ma tête vont-et-viennent, parasites agréables à recevoir,

Salut petit alevin,
Tu vois l'océan d'ici,
Le cimetière des marins,
Il te nargue, l'ahuri,

Il est plus grand que ton papa,
Il est plus méchant que toi,
Il te sourit carnassier,
Tu lui ris au nez !


Poisson d'eau douce,
Ton fleuve manquait de sel ?
Tu effrayes la frousse,
Tu défieras le ciel !

Sous ses noires profondeurs,
Tu vas trouver des épaves,
Tu vas trouver des trésors,
Et tout un tas de cadavres !

Sont charriés dans l'écume,
Des siècles d'amertume,
Des batailles, des vengeances,
Des entailles que personne panse,

L'abîme chante,
Lancinante,
Entends-tu ses jérémiades,
Juste en-dessous de ta balade ?

Pas de fer assez coriace pour semer la rouille,
Tu l'entends te menacer, tu la sens te ronger,
Alors leur enfer t'attire, aux morts qui gargouillent,
C'est enflammé que tu t'offres au danger !

Toi innocent, un hameçon sous la lèvre,
Ferré par l'aventure, embryon mièvre,
Les typhons ne devineront pas
Si tu es prêt, ou si tu l'es pas...

As-tu envie de grandir, alevin ?
Seras-tu plutôt dauphin ou requin ?
Connais-tu le pire monstre de ce grand bain ?
Le plus fameux mangeur de rêves, l'humain ?
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