-Sigurd. Qu’est-ce que vous dîtes de ça ?
-Chais pas. Juste pour rire, combien ça coute ?
-Assez pour que je ne comprenne même pas comment un tel prix puisse exister, hihi.
Aujourd’hui, c’était grand luxe. Aujourd’hui, c’était le quartier libre. Ces derniers temps, les deux chevaliers de Nowel parcouraient régulièrement les différentes échoppes présentes sur tout Norland, à la recherche de tenues professionnelles qui auraient pu rendre Sigurd présentable. Car contrairement à l’image que l’on avait souvent de lui, il ne portait que très rarement sa fière tenue de la milice. Et les occasions de le faire légitimement se réduisaient toujours de plus en plus. Mais dans le même temps, l’état de leurs négoces était tel que Sigurd n’avait plus d’autre choix que de se plier aux conventions sociales, qui attendaient de lui qu’il devienne quelqu’un de respectable et respecté, un homme ayant de la prestance ainsi que de la présence. Il lui fallait avoir l’allure d’un digne entrepreneur à succès, capable de représenter avec fierté les noms de la Santagricole et d’HSBC auprès de leurs partenaires. Car déjà, au sein de ces affaires, de plus en plus d’avis se faisaient entendre quant au laisser-aller flagrant dont faisait preuve Sigurd au quotidien. Et plus la taille de ces structures progresserait, plus ces voix prendraient de l’importance.
Et dans ces conditions, Sigurd lui-même reconnaissait qu’il fallait faire quelque chose. Ce qui commencerait évidemment à s’armer de patience pour écumer les magasins à la recherche de quoi s’équiper convenablement. Le plus naturellement du monde, il se tourna vers miss Haylor, qui accueillit sa décision avec un soulagement évocateur. Depuis le temps que sa partenaire le pressait sur ce sujet, elle avait complètement perdu espoir. Mais maintenant, Dogaku avait finalement décidé de renouveler sa garde-robe.
Tout ça en évitant de payer trop cher pour des costumes idiots et inconfortables qu’il ne mettrait jamais parce qu’il détestait ça, bien sûr.
Du moins, c’était ce qu’ils s’étaient dits à leurs débuts. Dans la pratique, pourtant…
-Aaaah, vous aussi ? C’est dingue. En l’espace de deux pulls, je lâche plus que TOUT CE QUE JE GAGNAIS COMME SALAIRE ET AVANTAGES SUR UN MOIS quand je commençais dans la marine marchande. On sous-paie totalement les marins nous aussi, ou bien ?
-Je ne sais pas, mais… oh, j’ai été stagiaire aussi, et… hihihi… regardez-moi ces chaussures.
-Ouais, ouais. J’adore carrément. C’est quoi ?
-Cuir de buffleau tressé. J’hésite aussi pour ces bottines en galuchat de dragon azur… mais elles iraient très bien avec ce sac à main… et ce portefeuille, aussi. Et ce bracelet… et cette ceinture… et ce serre-tête et… pitié, je deviens folle. Arrêtez-moi. Vraiment s’il vous plait.
-Galuchat ?
-Du cuir de requin. Ou de raie. Des poissons.
Cela faisait maintenant près de neuf mois qu’Haylor et Dogaku avaient commencé leur petite collaboration entrepreneuriale. Neuf mois pendant lesquels ils avaient remis à flot les finances désastreuses de la Santagricole, développé divers nouveaux sites de production, renoué avec les partenaires traditionnels de Santa Klaus pour faire rentrer autant de contrats que possible dans cette affaire. Neuf mois au cours desquels ils avaient monté HSBC en partant d’absolument rien, et qu’ils avaient multiplié les actions similaires pour transformer leur affaire en l’égal de ce qu’était désormais le négoce de Santa. C’était un projet qui les avait amenés à se tisser leur propre réseau de partenaires, et à s’implanter tout particulièrement sur Luvneel, au sein de la cité maritime du port de Norland où ils résidaient à titre principal depuis maintenant cinq mois.
-J’me demande si ça m’irait, un costume trois-pièces, tiens. Donc faut pas mettre des ceintures avec ? Ah oui, y’a des bretelles pour ça. J’ai l’air de quoi ?
-Horrible. Essayez plutôt celui-ci, tant qu’à faire.
-Et si je mets le monocle qui va avec, tiens ?
-Hihihi…
-Mwarharharh…
Neuf mois pendant lesquels ils s’étaient serrés la ceinture, avaient travaillé d’arrache-pied –et même Sigurd, oui- et avaient sans cesse réinvesti dans leur négoce au lieu de consommer immédiatement le fruit de leur labeur. Et on pouvait bien voir que, là où d’autres s’illustraient par un talent pour le combat ou la violence, eux venaient de frapper fort dans le domaine marchand et commercial.
Et aujourd’hui, les choses se déroulaient naturellement. De la même manière qu’un petit pirate voguant au gré de son log pouvait devenir une grande menace et décider de se comporter comme tel, eux n’étaient plus de banals commerçants qui devaient guerroyer au quotidien pour maintenir leur grande boutique à flot.
Ils étaient riches.
C’était un fait. Et il aurait été idiot de ne pas se permettre de vivre comme tel. A quoi bon se fatiguer à écumer les magasins à la recherche de vêtements de qualité, et à perdre des tranches d’heures incompressibles sans jamais avoir la certitude d’être à l’abri d’un escroc ou de mauvaises affaires, quand on pouvait avoir ce qui se faisait de mieux sans perdre de temps ?
Quand on avait beaucoup d’argent, on finissait par découvrir une chose. On avait plus d’argent qu’on n’avait de temps. Et à ce stade, utiliser de l’argent pour s’épargner de perdre du temps était tout indiqué.
Quand en plus on pouvait s’amuser à essayer des choses qu’on n’avait même pas pris la peine d’envisager, cela en devenait ludique. Et agréable.
-J’ai l’impression d’être un pur débile à me saper comme un pingouin comme ça. J’veux dire, regardez. Même ces chaussettes coûtent plus cher que l’ensemble des fringues que je portais sur moi quand… bon, chaussures non-incluses en fait… mais quand même !
-Vous êtes très élégant. Ca change. Agréablement.
-Et vous, vous êtes absolument splendide avec cette robe. Et cette tunique déchire. Remettez le serre-tête, pour voir ? Rhololo, chuis fan !
Des nouveaux riches. Des parvenus. Littéralement, car cette insulte désignait typiquement des personnages particulièrement aisés qui ne disposaient pas du background, des manières et du bagage culturel attendu dans ce milieu.
-A votre avis, si on se balade en ville comme ça, ou sur le port, tous les pirates du coin vont se jeter sur nous ?
-Ca nous épargnera la peine d’aller vers eux, non ?
-Mwarharh. Clair que vu comme ça…
Ils s’amusaient énormément, ça ne faisait aucun doute. Les différents employés de l’établissement de renom qu’ils visitaient actuellement –le terme piller aurait pu être plus approprié, cela dit- les avaient vite aiguillés sur ce qui leur conviendrait le mieux, et se pliaient maintenant en quatre tandis qu’ils butinaient joyeusement au gré de leurs lubies dans la boutique. Ca n’était pas un souci, ils avaient les moyens : leur train de vie correspondrait maintenant à trente fois ce sur quoi ils vivaient jusque là.
-Chais pas. Juste pour rire, combien ça coute ?
-Assez pour que je ne comprenne même pas comment un tel prix puisse exister, hihi.
Aujourd’hui, c’était grand luxe. Aujourd’hui, c’était le quartier libre. Ces derniers temps, les deux chevaliers de Nowel parcouraient régulièrement les différentes échoppes présentes sur tout Norland, à la recherche de tenues professionnelles qui auraient pu rendre Sigurd présentable. Car contrairement à l’image que l’on avait souvent de lui, il ne portait que très rarement sa fière tenue de la milice. Et les occasions de le faire légitimement se réduisaient toujours de plus en plus. Mais dans le même temps, l’état de leurs négoces était tel que Sigurd n’avait plus d’autre choix que de se plier aux conventions sociales, qui attendaient de lui qu’il devienne quelqu’un de respectable et respecté, un homme ayant de la prestance ainsi que de la présence. Il lui fallait avoir l’allure d’un digne entrepreneur à succès, capable de représenter avec fierté les noms de la Santagricole et d’HSBC auprès de leurs partenaires. Car déjà, au sein de ces affaires, de plus en plus d’avis se faisaient entendre quant au laisser-aller flagrant dont faisait preuve Sigurd au quotidien. Et plus la taille de ces structures progresserait, plus ces voix prendraient de l’importance.
Et dans ces conditions, Sigurd lui-même reconnaissait qu’il fallait faire quelque chose. Ce qui commencerait évidemment à s’armer de patience pour écumer les magasins à la recherche de quoi s’équiper convenablement. Le plus naturellement du monde, il se tourna vers miss Haylor, qui accueillit sa décision avec un soulagement évocateur. Depuis le temps que sa partenaire le pressait sur ce sujet, elle avait complètement perdu espoir. Mais maintenant, Dogaku avait finalement décidé de renouveler sa garde-robe.
Tout ça en évitant de payer trop cher pour des costumes idiots et inconfortables qu’il ne mettrait jamais parce qu’il détestait ça, bien sûr.
Du moins, c’était ce qu’ils s’étaient dits à leurs débuts. Dans la pratique, pourtant…
-Aaaah, vous aussi ? C’est dingue. En l’espace de deux pulls, je lâche plus que TOUT CE QUE JE GAGNAIS COMME SALAIRE ET AVANTAGES SUR UN MOIS quand je commençais dans la marine marchande. On sous-paie totalement les marins nous aussi, ou bien ?
-Je ne sais pas, mais… oh, j’ai été stagiaire aussi, et… hihihi… regardez-moi ces chaussures.
-Ouais, ouais. J’adore carrément. C’est quoi ?
-Cuir de buffleau tressé. J’hésite aussi pour ces bottines en galuchat de dragon azur… mais elles iraient très bien avec ce sac à main… et ce portefeuille, aussi. Et ce bracelet… et cette ceinture… et ce serre-tête et… pitié, je deviens folle. Arrêtez-moi. Vraiment s’il vous plait.
-Galuchat ?
-Du cuir de requin. Ou de raie. Des poissons.
Cela faisait maintenant près de neuf mois qu’Haylor et Dogaku avaient commencé leur petite collaboration entrepreneuriale. Neuf mois pendant lesquels ils avaient remis à flot les finances désastreuses de la Santagricole, développé divers nouveaux sites de production, renoué avec les partenaires traditionnels de Santa Klaus pour faire rentrer autant de contrats que possible dans cette affaire. Neuf mois au cours desquels ils avaient monté HSBC en partant d’absolument rien, et qu’ils avaient multiplié les actions similaires pour transformer leur affaire en l’égal de ce qu’était désormais le négoce de Santa. C’était un projet qui les avait amenés à se tisser leur propre réseau de partenaires, et à s’implanter tout particulièrement sur Luvneel, au sein de la cité maritime du port de Norland où ils résidaient à titre principal depuis maintenant cinq mois.
-J’me demande si ça m’irait, un costume trois-pièces, tiens. Donc faut pas mettre des ceintures avec ? Ah oui, y’a des bretelles pour ça. J’ai l’air de quoi ?
-Horrible. Essayez plutôt celui-ci, tant qu’à faire.
-Et si je mets le monocle qui va avec, tiens ?
-Hihihi…
-Mwarharharh…
Neuf mois pendant lesquels ils s’étaient serrés la ceinture, avaient travaillé d’arrache-pied –et même Sigurd, oui- et avaient sans cesse réinvesti dans leur négoce au lieu de consommer immédiatement le fruit de leur labeur. Et on pouvait bien voir que, là où d’autres s’illustraient par un talent pour le combat ou la violence, eux venaient de frapper fort dans le domaine marchand et commercial.
Et aujourd’hui, les choses se déroulaient naturellement. De la même manière qu’un petit pirate voguant au gré de son log pouvait devenir une grande menace et décider de se comporter comme tel, eux n’étaient plus de banals commerçants qui devaient guerroyer au quotidien pour maintenir leur grande boutique à flot.
Ils étaient riches.
C’était un fait. Et il aurait été idiot de ne pas se permettre de vivre comme tel. A quoi bon se fatiguer à écumer les magasins à la recherche de vêtements de qualité, et à perdre des tranches d’heures incompressibles sans jamais avoir la certitude d’être à l’abri d’un escroc ou de mauvaises affaires, quand on pouvait avoir ce qui se faisait de mieux sans perdre de temps ?
Quand on avait beaucoup d’argent, on finissait par découvrir une chose. On avait plus d’argent qu’on n’avait de temps. Et à ce stade, utiliser de l’argent pour s’épargner de perdre du temps était tout indiqué.
Quand en plus on pouvait s’amuser à essayer des choses qu’on n’avait même pas pris la peine d’envisager, cela en devenait ludique. Et agréable.
-J’ai l’impression d’être un pur débile à me saper comme un pingouin comme ça. J’veux dire, regardez. Même ces chaussettes coûtent plus cher que l’ensemble des fringues que je portais sur moi quand… bon, chaussures non-incluses en fait… mais quand même !
-Vous êtes très élégant. Ca change. Agréablement.
-Et vous, vous êtes absolument splendide avec cette robe. Et cette tunique déchire. Remettez le serre-tête, pour voir ? Rhololo, chuis fan !
Des nouveaux riches. Des parvenus. Littéralement, car cette insulte désignait typiquement des personnages particulièrement aisés qui ne disposaient pas du background, des manières et du bagage culturel attendu dans ce milieu.
-A votre avis, si on se balade en ville comme ça, ou sur le port, tous les pirates du coin vont se jeter sur nous ?
-Ca nous épargnera la peine d’aller vers eux, non ?
-Mwarharh. Clair que vu comme ça…
Ils s’amusaient énormément, ça ne faisait aucun doute. Les différents employés de l’établissement de renom qu’ils visitaient actuellement –le terme piller aurait pu être plus approprié, cela dit- les avaient vite aiguillés sur ce qui leur conviendrait le mieux, et se pliaient maintenant en quatre tandis qu’ils butinaient joyeusement au gré de leurs lubies dans la boutique. Ca n’était pas un souci, ils avaient les moyens : leur train de vie correspondrait maintenant à trente fois ce sur quoi ils vivaient jusque là.