Je pensais pouvoir dormir pendant trois jours sans problème. J'étais tombée dans le lit mis à ma disposition pour une famille angesque sitôt ma douche finie, quitte à prendre un rhume en m'endormant avec les cheveux mouillés. Pourtant, j'ouvris les yeux de moi-même, alors que l'aube éclairait Héailleutou timidement, d'une lueur rosissante, comme une donzelle le jour de son mariage à l'idée de se faire trousser la nuit venue. Ma première pensée fut « il faudra changer de nom ; Héailleutou, ça ne va pas le faire », et je sus que ça n'allait pas être sans problème, cette modification administrative. Et si ce qui n'était qu'un détail m'angoissait dès le réveil, ça ne présageait rien de bon pour la suite.
A bord du Ptérodactyle, c'était le calme avant la tempête. Les communications avec Grand Line étaient toujours difficiles, spasmodiques. La tempête qui avait soufflé la veille s'était comme dispersée, à moins qu'elle n'eut été soufflée ailleurs. Bah, j'étais déjà peu douée en météorologie en temps ordinaires, mais là ? C'était, je le réalisais de plus en plus, un monde différent. Un autre plan d'existence.
- « Agent, je ne vous attendais pas si tôt. » Kadren me salua en me tendant une tasse de café. Le signe de la civilisation. Pas le cadeau, le café.
- « J'en suis la première surprise. Un pressentiment, peut-être. Pas de repos pour le soldat. »
- « Hum... Pour le moment, pas de nouvelles précises. Maselfush a passé Jaya en début soirée hier. Si on en croit notre propre voyage sur la Highest Way, il devrait être là vers les 10:00. » Nous étions remontés dans sa cabine tout en parlant.
- « Cela nous laisse que peu de temps. »
- « Nous ? » Il me dévisagea, alors qu'il fermait soigneusement sa porte. Il m'invita à m'asseoir, sans se départir de son calme. « Agent, je dois vous faire part de mes observations : je vous trouve très impliquée sur cette mission. »
- « … trop ? »
- « A mon avis, oui. Agent, je me permets de vous parler ouvertement, profitant non pas de mon rang, mais de mon âge et de mon expérience. J'ai côtoyé souvent de jeunes 'recrues' officiers ou sous-officiers, Marine comme CP. Je sais à quel point vous êtes tous très désireux de faire vos missions bien, et de bien vous faire voir. Je sais à quel point il est facile de se perdre dans la frénésie de l'action. »
- « Oh, je suis bien des choses, mais frénétique ? » Je le vis faire une moue : il n'appréciait pas ma désinvolture. « Je prends vos conseils à cœur, Capitaine. Peut-être que si j'avais rencontré des hommes comme vous plutôt dans ma carrière... Mais ce n'est pas le cas, et je peux vous assurer que je n'ai aucune envie de 'bien me faire voir par la hiérarchie' au prix de tout gâcher. »
- « Des débuts difficiles ? »
- « Peuh ! » Je comptais sur mes doigts. « Jeune. Femme. Jolie. Douée. Tête de pioche. Raven. Cooper. » Autant de points négatifs, dès le premier regard. « J'ai gagné la protection du Contre-Amiral Akbar, j'ai rapidement monté les échelons, à ma manière, et j'ai fait l'entraînement au BAN. » La liste continuait. « Je n'ai jamais caché mon ambition et si je suis actuellement chef d'équipe à 26 ans, je ne le dois qu'à moi. J'ai des appuis, j'ai un réseau – ne serait-ce que ma famille étendue – mais je n'ai jamais fait appel à eux. Alors, me faire bien voir de ma hiérarchie ? C'est bien le dernier de mes soucis. »
- « D'accord. Alors, pourquoi autant d'investissement sur cette mission ? Vous dépassez clairement le cadre donné. »
- « A quel moment, exactement ? Non, je ne fais pas du mauvais esprit. Dites-moi ce que l'on pourrait me reprocher. Faites-vous l'avocat du diable. »
- « Vous me mettez dans une position difficile, là. »
- « Parce que tout dépend du rapport que vous ferez ? Oui, je sais. C'est pour ça que vous demande de voir le verre vide. Donnez-moi votre pire. Et je répondrai de telle façon que vous verrez le verre à demi-plein. Et ça, c'est si je suis mauvaise. »
- « Vous êtes toujours aussi sûre de vous ? Ou c'est juste une apparence ? »
- « Je ne serai pas chef d'équipe CP sans avoir confiance en moi. Et les apparences, c'est un mal nécessaire. Sur mon couteau suisse de survie, j'ai une lame, une lime et des apparences.
Pour devancer vos remarques, je vais vous avouer : j'ai en effet bien conscience d'avoir pris une part active à cette mission. Nous étions là pour répondre à l'appel d'Héailleutou, et voir si le Gouvernement avait un intérêt à nouer des relations plus poussées avec ce gouvernement local.
Sauf que... ça, c'est sur le papier. Nous avons tous les deux eu des ordres oraux. Que nous ne répéterons pas ici. Je n'ai pas à contester les ordres. Et vous ne l'avez pas fait non plus. 'voir si le GM avec un intérêt à nouer des relations avec Héailleutou'. Avons-nous, vous ou moi, fait une quelconque enquête sur ce sujet ? Je suis partie parler à celui qui se faisait appeler Dieu avec votre bénédiction, mais à part ça ? »
- « Je pourrais dire que vous êtes partie pour mener justement cette enquête. »
- « Seule ? Sans escorte ? Tsk, tsk, ça ne prendrait pas.
Je vais vous dire, Capitaine, j'ai tout simplement envie d'aider ces gens. De bien faire ET de faire bien. Pourquoi est-ce que ça semble si difficile à trouver cela compatible avec notre mission ? Je vais mettre dire, n'est-ce pas là notre raison d'être ? Entre combattre des pirates et aider des tribus sœurs à faire la paix ? Même danger. » Mes différents ecchymoses et bandages prouvaient que ma démarche sur Vearth n'avait pas été une promenade de santé, loin de là. « Pourtant, je trouve bien plus de satisfaction à réussir la deuxième. Et quelque chose me dit que vous aussi. »
- « Hum. » Ouais, surtout, ne te mouille pas.
- « Je repose donc ma question, comment allons-nous procéder, face à son Illuminance ? »
- « Nous ? L'accueillir, lui réserver notre meilleur accueil. Quelque part, nous sommes autant des invités que lui, ici. »
- « Et les Skypiéens ? »
- « Ils sont grands, non ? Ils se débrouillent. »
- « Grands ? Ils sont nés hier soir ! Ils n'ont aucune idée de ce qui les attend ! »
- « Mais que croyez-vous qui les attend ? » Je lui dédiai une œillade torve. Vraiment ? Il se la jouait comme ça ? L'avocat du diable, c'était avant.
- « Et que ferions-nous si Maselfush débarque avec son armée ? »
- « Agent, que les choses soient bien claires. Deux poids, deux mesures. Les Dragons Célestes sont la clé de voûte du Gouvernement. Les Skypéiens sont juste des 'amis' du Gouvernent. Notre loyauté va son Illuminance. »
- « Et sa loyauté à lui ? »
- « Ah, il faudra peut-être la lui rappeler. Discrètement. Diplomatiquement. »
- « Et si ça ne fonctionne pas ? S'il attaque Skypiéa ? »
Voilà, c'était dit. Il pouvait m'en vouloir. Dire le nom du mal. L'obliger à regarder en face le futur possible. Et le mettre face à ses responsabilités. Mais ce jeu, il se jouait à deux. Et Kadren me l'avait dit : cela faisait des années qu'il bourlinguait.
- « Dois-je comprendre que vous vous opposerez à son Illuminance ? Corps et âme ? Corps, surtout ? »
Oui. Totalement. S'il le fallait, je mènerai le combat contre lui. Je le savais avant même de poser le pied sur Héailleutou.
- « Je m'opposerai à lui. Pacifiquement. Il devra littéralement me passer sur le corps, s'il devait chercher à nuire à une nation amie du Gouvernement Mondial. »
- « Si je comprends bien... » Si sa voix était toujours calme, elle avait des accents d'iceberg. « … vous vous opposeriez, en toute connaissance de cause, aux ordres ? »
- « Quels ordres ? Où y a-t-il écrit que je dois obéissance à Son Illuminance ? C'est un citoyen respecté de notre gouvernement, mais il n'est qu'un citoyen. »
- « Ne vous faîtes pas plus bête que vous ne voulez le faire paraître ! Ce genre de petit jeu, ça ne prend pas avec moi ! Je devrai vous mettre aux arrêts, si vous faites ça ! »
- « Hé bien, vous m’arrêterez, si vous jugez que c'est là votre devoir.
Mais je vous pose la question : parce que Maselfush est puissant, il faut le laisser faire à sa guise ? Mais en quoi est-ce une preuve de respect ? C'est le desservir complètement ! C'est comme passer les caprices à un gosse sous prétexte qu'on ne veut pas le voir pleurer !! Ça n'a jamais fait de mal à quiconque, de se voir refuser un caprice ! C'est pour son bien ! »
- « Oh, donc, vous prétendez agir pour le bien du Dragon Céleste ? » Je haussai les épaules.
- « Si c'est ce qui vous permet d'avoir la conscience en paix, je vais dire 'oui'. Mais encore une fois, pourquoi est-ce que ça semble vous surprendre ? Le serment que j'ai prêté, il dit bien « protéger la population de tous les dangers ». Ça inclut autant les Skypiéens que les Dragons Célestes. C'est peut-être naïf de croire pouvoir sauver tout le monde, mais c'est notre job, d'être naïf. »
- « Si vous me permettez... c'n'est pas gagné... J'espère que les Skypéiens ont une meilleure idée que vous. »
En odeur de Sainteté
J'étais déçue. Une demi-victoire, c'était encore une demi-défaite. J'avais attendu de Kadren une attitude plus ferme sur le dossier. J'aurais souhaité qu'il s'impliquât plus encore. Au moins avais-je obtenu, par défaut, qu'il ne contrecarrât pas mon action. J'aimais à croire que je l'avais impressionné, par ma détermination, et je croisais les doigts qu'au moment T, il allait retrouver un peu de courage, et qu'il se tiendrait à mes côtés.
En attendant, je ne pouvais que superviser les préparatifs de la petite fête d'accueil que Héailleutou préparait pour Maselfush. Une initiative née de l'annonce de Gisèle la veille. Personnellement, ce n'était pas du tout comme ça que je l'aurais joué, mais qui étais-je pour m’immiscer ainsi dans leur façon de traiter le problème ? Oui, bon, j'étais Shaïness Raven-Cooper et ce n'était pas la gêne qui m'étouffait. Quelque chose me disait que c'était peut-être la meilleure solution : prouver à Maselfush à quel point les anges étaient niais, béas, absolument pas dégourdis et capables de faire honneur aux cours et aux palais de Marie-Joie. A mon avis, les notions de « mensonge diplomatique » et « demi-vérité » n'allaient pas au teint des ailés. Quant au sous-groupe Shandia ? Ah, Manguélita au bal d'un Contre-Amiral, en robe et talons et sourire de circonstances. Ah, ah, ah. Je me gaussais.
Vint le moment que nous attendions tous : le yacht de Maselfush avait été repéré à la sortie de la Highest Way. D'un commun accord, Kadren et moi nous portâmes à sa rencontre, à bord du Ptérodactyle.
- « Sa Sainteté Votre Illuminance. » le Capitaine fit un salut impeccable.
- « Ah, mais que fait la Marine dans le coin ? » grommela ladite Illuminance, nous foudroyant du regard. Enfin, Kadren. Moi, j'étais comme transparente à ses yeux. Même pas une servante. Il avait sans même un geste, dénigré jusqu'à mon existence même.
Un misogyne. Comme si être un dragon céleste ne suffisait pas, il avait ajouté à sa liste de péchés le fait d'être partial vis à vis des femmes. Encore une fois, je m'imaginais sa rencontre avec Manguélita. Et je remarquai alors que les Skypiéens n'avaient pas encore montré le bout de leur museau, à part les anciens Héailleutoutiens, qui vivaient sur leur nuage. Mais que fabriquaient-ils ? Si leur guerre était à l'image de leur potentiel, je ne pouvais que frémir en imaginant ce qu'ils pouvaient faire ensemble ! Un truc débile, bien entendu, mais dans le genre violemment débile.
Maselfush ne ressemblait en rien à ce que je m'étais imaginée ; pourtant, j'avais l'imagination fertile. Si je devais le résumer, je dirais qu'il avait l'air bien ordinaire, avec sa bulle. Quitte à être un dragon céleste, autant être beau, excentrique. Hors norme quoi. Elzékior était de taille moyenne, rendue encore plus réduite par des épaules trapues, et pour ne rien arranger, légèrement voûtées en avant. Il avait beau être d'un naturel sec, nerveux, il affichait une bouée de celui qui mangeait trop, et trop gras. Môssieur était peut-être un esthète des belles choses, il n'était pas un moine bouddhique en pleine méditation transcendantale. Les choses de la vie, les belles ET bonnes choses cela s'entend, il connaissait. Dragon Céleste Bidonchon, donc.
Ce qui était ironique, c'était que sans sa bulle, il en imposerait. Son Illuminance n'était pas un dragon céleste comme les autres. Bien qu'il ne fît rien de bien utile pour le reste du monde avec ses dix doigts, il ne restait pas assis dessus pour autant. Sa quête du beau l'avait amené à bourlinguer, et il en était devenu un homme du monde. De par sa naissance, il était insensible. De par son éducation, suave. De par son expérience, sournois. Une sainte trinité redoutable.
Cela se voyait à ses yeux, cernés de fatigue mais aussi de stress. Aux rides qui accentuaient son regard, des pattes d'oies qui trahissaient son âge tout autant que sa suspicion inhérente. Preuve de ses abus et de son âge. On n'apprenait pas aux vieux singes à faire la grimace, et il ne faisait pas bon croiser son regard profondément dédaigneux, cupide et acéré. Son corps était vieux, son âme non. Il était le vieux loup à qui on ne la mettait pas à l'envers, avec l'ambition du jeune à la recherche de sa place, au sommet de la meute.
- « Le Ptérodactyle est là pour récupérer l'Agent Raven-Cooper de sa mission. » improvisa Kadren en me désignant. Ainsi contraint et forcé de reconnaître ma présence, Maselfush laissa tomber :
- « Ah. Sale engeance que ces Cipher Pol. J'ai toujours dit que le Conseil devrait éliminer les Bureaux. » Misogyne et pro-Marine. Tout ce que j'aimais. « Que faisait-elle là, celle-ci ? »
- « Euh.... » Mal à l'aise, Kadren se dandinait un peu. Cela ne lui plaisait pas de parler de moi comme si je n'étais pas là. « L'Agent Raven-Cooper finissait une mission de reconnaissance diplomatique. »
- «Hein ? Depuis quand ? » couina Son Illuminance, d'un air de plus en plus mauvais. Il réalisait que le GM lui avait coupé l'herbe sous le pied, contrecarrant ainsi ses projets, et il n'aimait pas ça.
En mon fort intérieur, je bouillonnais de colère, mais je me tint coite. J'aurais présenté la chose bien autrement, si j'avais eu droit à la parole. Là, Kadren était trop franc, trop brut de vérité, bien que je lui décernais une médaille pour ses efforts louables dans l'art de noyer le poisson.
- « Oh, quelques temps, déjà. Et euh... »
- « J'ai eu l'occasion de rencontrer plusieurs Anges au cours de différences missions, votre Sainteté. » Malgré moi, je volais à l'aide de mon compagnon de route. Il était en train de se rapetisser devant le regard fourbe du noble, et ce n'était qu'une question de temps, de secondes, avant qu'il ne dît une bêtise. « C'est en faisant mes rapports que je me suis rendue compte que le Gouvernement n'avait finalement que très peu de contacts avec les îles célestes, qui sont un monde à part. J'ai donc suggéré qu'on y remédie, car qui pourrait savoir quels avantages nous pourrions tirer d'un commerce, ou toute forme d'échanges, avec la Mer Blanche ? Un concours de circonstances fit que cette mission me revint, à moi, son instigatrice. »
Aux mots « commerce » et « échange », j'avais appâté l'avidité de ma cible. Je l'avais dis devant l'assemblée réunifiée des Skypéiens la veille : il fallait jouer avec les quelques atouts que nous avions en main. Les faiblesses de l'ennemi constituaient autant de ressources à ne pas négliger. D'un geste nonchalant, il me fit signe de continuer. Mais je n'allais pas me plier à ses désirs aussi facilement.
- « Et maintenant, cette mission prend fin. Le Colonel Kadren, Capitaine du Ptérodactyle..., » et je glissai ainsi le titre du Marine, chose que Maselfush n'avait jamais considérée comme importante, « … est venu me chercher. »
- « .... et ? » Je papillonnai des cils, l'air faussement perdu. « Alors, quelles conclusions ? »
- « Ah, mais je n'ai pas encore mis mes notes au propre. Et je dois faire mon rapport à ma hiérarchie, qui transmettra ensuite, et ainsi de suite. C'est encore secret défense, à ce niveau de la mission. »
- « JE M'EN FOUS ! LE GOUVERNEMENT, C'EST MOI ! » rugit-il. L'espace d'un instant, j'ai cru qu'il allait m'en retourner une. Il se reprit avec un frémissement. « Du coup, si vous me faites votre rapport, c'est comme si vous le faisiez à votre hiérarchie. »
- « Bien entendu, votre Sainteté. C'est juste que... je n'ai pas l'habitude de me passer du blabla administratif. Vous êtes un homme d'action, un vrai. Les on-dits ne sont pas que des rumeurs. »
Je ne pensais pas que Maselfush serait aussi facile à flatter. J'avais lancé ma ligne un peu au hasard, pour taquiner la surface. A ma grande surprise, il se rengorgea. Ma première réaction fut donc de tabler sur le fait qu'il me jouait un tour de pendard. Mais à ce jeu là, j'étais l'experte. Moi, et personne d'autre. Et sûrement pas un pov' mec qui ne savait pas faire ses lacets tout seul. Puisqu'il me prenait pour une quantité négligeable, laissons-le me sous-estimer. J'avais construit toute mon ascension professionnelle sur le fait qu'on ne me prît que pour une poupée. Cependant, il n'y avait aucune malice autre qu'un égo surdimensionné. Quelque part, né de l'habitude de s'entendre être encensé à tous les instants. Peut-être que je ne vais avec eu mon petit commentaire, il aurait trouvé ça louche.
Maselfush était submergé quotidiennement de compliments. Ça lui était aussi normal que le fait de respirer l'était pour moi. On aurait pu croire qu'il serait immunisé, mais non. Cela ne servait qu'à entretenir le cycle vicieux qui pousser Maselfush à croire, encore et encore, qu'il méritait toutes ses louanges.
Je souris bêtement, me trémoussais et repris :
- « A part peut-être les dials, l'environnement local ne présente pas un intérêt quelconque. Par contre, c'est un emplacement stratégique de premier choix. Un premier pas sur la Mer Blanche, la porte d'un monde encore inexploré. C'est pour cela que nous avons verrouillé l'endroit avec un traité d'amitié. Hors de question de voir les Skypéiens s'allier avec quelqu'un d'autre. »
- « MAIS QUELLE IDIOTE !!! AVEC QUI D'AUTRE VOULEZ-VOUS QU'ILS SIGNENT ? »
- « Je-je... je ne comprends pas... » fis-je en larmoyant un peu. « … c'est la procédure standard... au cas où.... »
- « Ou quoi ? Les sauvages locaux s'allient avec des pirates, c'est ça ? »
- « Ils pourraient s'ériger en gouvernement local indépendant, et fermer leur frontière. » Je feintais une petite moue tremblotante. « Et là, que faire ? Le Gouvernement ne peut pas attaquer une nation comme ça. C'est... mal. »
Ah la la, heureusement que j'étais entraînée. Sinon, j'aurais ricané comme le possesseur du zoan de la hyène. Le Mal et moi. Un ami, presque un vieil oncle.
- « Ah, oui, forcément, si c'est « mal »... Je vois que les CP sont à la hauteur de leur réputation. »
- « Je pense que les Skypéiens seront heureux de vous recevoir, Votre Illuminance. Vous représentez, comme vous l'avez dit, le Gouvernement Mondial. Une chance inespérée pour eux de voir ce que la civilisation a à offrir de meilleur. Leur montrer le chemin vers la modernité. J'espère que vous accepterez de devenir leur guide spirituel, Votre Sainteté. »
Avais-je mentionné que j'étais douée, à ce petit jeu ?
Le temps de revenir à Héailleutou, j'avais réussis à convaincre Maselfush qu'il avait eu, tout seul comme un grand, l'idée de s'intéresser au devenir de Skypiea, en lieu et place du Gouvernement Mondial. Une idée à lui, rien qu'à lui. Son Illuminance n'avait pas besoin d'une CP de femme pour penser à sa place, n'est-ce pas ?
Il fallait dire que je n'avais fait que pointer du doigt les faiblesses du système. Un simple accord d'amitié pour protéger les intérêts du Gouvernement. Mais quels intérêts ? Skypiea n'offrait rien, et cela n'allait absolument pas changer dans un futur immédiat. Il n'y avait rien à protéger, donc rien à « voler » en s'interposant.
Je n'avais fait qu'évoquer les potentialités au-delà des frontières de Skypiéa. La Mer Blanche, et ses innombrables îles célestes à découvrir. Les Anges n'étaient pas un peuple d'explorateurs, ni même de voyageurs. En tous les cas, de ce côté-ci de la Mer Blanche. On connaissait Weatheria, et c'était à peu près tout. Les voisins les plus proches de Skypiéa avaient été les habitants de Bilca, l'île natale d'Ener que ce dernier avait détruite. Autant dire que c'était l'autarcie, dans le coin. J'avais évoqué, d'un air béat de la gamine qui croit aux licornes – je pouvais, mon chef en était une – des caravelles lancées depuis Skypiéa, vers le grand large, à l'assaut du mundo incognito, le cœur gonflé par l'esprit d'aventures, et ce désir d'être pionnier. Le premier à poser le pied, à découvrir, à voir. Être celui qui donnerait le diapason à ce Nouveau Monde Séraphique.
Et la seule chose entre tout ça et son Illuminance, le simple obstacle, restait ce traité d'amitié. Un 'simple' traité d'amitié. Même pas un accord commercial. Ce n'était rien. Un pet de moucheron. Rien que Maselfush ne pourrait écraser ou dévoyer, à son profit. Il avait des appuis haut placés, et puis d'abord, il faisait bien comme il le voulait.
Du coup, j'avais mis en marche les rouages dragoniques célestiques, et il en frétillait presque, l'Elzékior. On avait beau dire, les cours de psychologie appliquée et réversible, c'était un module intéressant. L'EGLISE avait fait de moi une fervente adepte et je répandais la bonne parole à foison. Au pays des Anges, je trouvais ça particulièrement approprié. Et pour rester dans le thème, voilà qu'Alincourt nous honorait de sa présence. Il attendait, au pied de la passerelle, et lorsqu'il vit Maselfush, il agit comme s'il venait d'avoir une Apparition.
- « Votre Illuminescence !! » Il se précipita vers le visiteur du jour, le saluant avec moult moulinets de poignets. « Nous sommes ab-so-lu-ment enchantés, honorés, ravis, de vous recevoir ici. Votre Éclatance est comme un phare dans la noirceur de notre nuit, et nous ne pourrons jamais exprimer toute la reconnaissance que nous éprouvons. Venir ainsi nous aider. Non ! Nous Illuminer !! »
Tout en parlant, l'Ange tentait de saisir la main de Maselfush, dans le but de la lui serrer, et son adversaire faisait tout pour échapper au contact. Je savais au moins où voulait en venir l'ancien chef du GUANO, et je m'en voulus de ma stupidité. Comment avais-je pu oublier le pouvoir de cet empaffé !? Bon, il avait en face de lui son ennemi naturel : celui qui ne voulait pas se faire toucher.
- « Oui, oui. » marmottait Sa Sainteté, très mal à l'aise devant cette invasion de son espace personnel. Petit à petit, le mécontentement grandissait. « Mais vous êtes qui, d'abord ? »
- « Moi ? Dieu, bien entendu. »
- « Pardon ? »
- « Nous étions destinés à nous rencontrer. Je suis Dieu, et je suis à votre service. » Et là, il se pencha et déposa un baise-main furtif sur le bout des doigts d'un dragon céleste bien mystifié.
Ce n'avait été qu'un contact furtif, sûrement pas assez prolongé pour que Dieu eusse pu déployer son pouvoir à son intensité maximale. Cela suffit cependant pour amadouer Maselfush, le prédisposant à de meilleurs sentiments.
- « Oh. … » Il resta interdit une poignée de secondes, puis se reprit, clignant des yeux comme s'il émergeait d'un rêve éveillé. « Bien entendu que vous êtes à mon service. »
- « En effet. Qui d'autre pourrait se voir ainsi accompagné de Dieu, si ce n'est son Illuminescence ? »
- « C'est Son Illuminance, Sa Saintet---. » tenta de corriger Kadren, complètement perdu pour le coup.
- « Tut tut tut. C'est MON Illuminescence, à moi. Ce n'est pas vous qui décidez comment j'appelle mon Lumignon Exalté. Il est ici pour moi, pour ME guider. Vous n'avez pas besoin de guidance, vous. Allez, zou, une-deux, une-deux, homme de guerre. Ici, c'est une terre de haute spiritualité, que Son Eclairanticissime Vitale va bénir. Ma Terre, Ma Spiritualité, Mon Guide, Mon Illuminescence ! » Pour un peu, il en aurait fait le dos rond en crachant des boules de poils, l'Alincourt.
- « Enfin, enfin, Capitaine. Ça ira comme ça. Laissons ce brave homme en paix. Illuminescence a un certain cachet, je dois l'avouer. »
- « Ah, Ma Félicité Absolue, c'est que j'ai bon goût. »
- « Très. »
Oh mon Dieu.
Et c'est le cas de le dire.
Je venais de trouver mon maître en psychologie inversée.
À partir de ce moment, ce fut une promenade de santé. Maselfush visita Héailleutou avec un sentiment de condescendance paternaliste, pendant que les anges défaillaient à son approche. Les Bérets Blancs lui firent une haie d'honneur et lui remirent un Béret Symbolique, faisant ici de sa Sainteté un membre honoraire de la clique. Pas certaine que Sa Sainteté s'en tapasse l'oreille avec une babouche, mais l'essentiel était qu'il était content. Il souriait. Ça n'avait pas dû lui arriver depuis une décennie, à mon avis. Il fallait dire qu'Alincourt se répandait en sémantiques dithyrambiques qui auraient pu en devenir pathétiques, si elles n'avaient pas été juste admirables. Tant d'imagination, pour un seul homme. Ah, qu'on ne vint pas me dire qu'il ne donnait pas de sa personne.
- « Mais enfin, mon cher.... » Je m'y attendais, mais je m'étouffais avec mon jus de citrouille. Mon cher? Mince, Alincourt avait dû le tripatouiller plus encore que je ne l'avais remarqué. « Vous ne pouvez pas réellement vous appeler 'Dieu'. »
- « C'est vrai, Ma Clarté Infinie. Je suis un très humble Ange. Alincourt Ephraam de Bergerac. »
- « Et donc, Dieu, c'est quoi ? Un titre de noblesse locale ? »
- « Hum.... » Alincourt se gratta la joue d'un air songeur. Personnellement, je ne voyais pas pourquoi, mais je n'étais pas au courant des plans des Skypéiens. « Nous n'avons pas de noblesse ici. « Dieu » est le nom qui était donné au leader spirituel de ma tribu. Dieu avait des Disciples et choisissait son successeur parmi eux. Le rôle consistait à guider la tribu dans ses choix de vie. Pour avoir étudier la sagesse au lieu de toute autre chose, un disciple, et Dieu encore plus, était toujours de bon conseil. »
- « Vous parlez au passé. »
- « Oui, Ma Sainteté. Ma tribu n'existe plus vraiment. Elle a été intégrée dans un collectif de tribus. »
- « Et vous n'en êtes plus le chef ? » Attention, Alincourt. La pente était glissante à partir de là. Malsefush ne parlait qu'à la crème de la crème. S'il avait accepté la présence de l'Ange à ses côtés, c'était parce que l’appellation de « Dieu » l'avait intrigué. Il pensait que derrière ce titre, se cachait l'homme de pouvoir. Qu'Alincourt avouât qu'il n'en était rien, je n'en donnais pas cher, de sa tête. « Cette nouvelle tribu, elle n'a pas besoin d'un chef spirituel, peut-être ? »
- « Mais bien sûr que oui. Mais je ne peux me réclamer de ce poste, quand tout naturellement, il vous revient de droit. Vous êtes un Dragon Céleste. Question Guidance, vous êtes ce qui se fait de mieux. Nous serions trop bête de me laisser en place, moi, alors que nous pouvions bénéficier de vos leçons et de vos conseils. »
Finement joué, mais il y avait un hic.
- « Je ne comprends pas. » lâcha Maselfush en s'arrêtant de marcher, pour regarder tout autour de lui avec un visage soudainement lisse de toute émotion.
- « Ah ? Je pensais que notre volonté était claire: les Skypéiens désirent vous offrir le poste, le titre de Dieu. » Ça aurait pu fonctionner. Ça aurait dû, d'ailleurs. Alincourt avait assez patafiolé les sentiments de Maselfush à ce moment pour lui faire croire ce qu'il voulait ; mais ça c'était la théorie. La pratique voulut que les soupçons firent voler en éclat la fine couche de fasse bienveillance instillée par l'ange.
- « Merci, j'avais compris. Je ne suis pas idiot. Et c'est parce que je ne suis pas idiot que je trouve très, TRES étonnant, que vous sachiez que j'allais venir ici. » Horreur ! Je savais ce qu'Alincourt allait dire, et je n'avais aucun moyen de l'arrêter. Pas sans perdre définitivement le peu de crédibilité qu'il allait nous rester.
- « Mais... nous avons été prévenus, bien entendu. » L'ange nous désigna, Kadren et moi, une lueur affolée dans les pupilles. Lui aussi avait conscience d'avoir fait une boulette, mais ne savait pas laquelle. Ainsi, il ne pouvait même pas tenter de redresser le cap, car cela pourrait risquer d'aggraver la situation encore plus.
- « Ah oui ? Ils vous ont prévenus ? Ils étaient donc au courant, hum... » La colère du Dragon. Expression qui m'avait toujours faite rigoler. Surtout appliquée à un homme au physique de Maselfush. Mais il y avait quelque chose d'insidieux dans son attitude qui faisait froid dans le dos, à tel point que le Colonel et moi étions rendus muets et incapables de bouger. « Et qu'en est-il donc de cette mission de récupération d'un Agent en mission, hum ? Une mission de reconnaissance diplomatique qui arrive juste au moment où je prévois un déplacement top secret ? Mais vous me prenez pour qui ? »
Ben, un dragon céleste.
Une espèce nuisible.
Mais je n'allais pas forcément dire ça comme ça.
- « Ça ne va pas se passer comme ça !! » Sa Sainteté Son Illuminance Elzékior Maselfush tempêtait. Elle fulminait. Elle écumait de rage. Elle nous voyait à tous les diables : Alincourt, Kadren, moi, les Skypéiens, la Marine et le Gouvernement. Tout ça au pays de Dieu.
Délit d’insubordination, voilà ce qui nous pendait au nez. Nous ? Tous les gradés, sous-offs, agents et péquins qui avaient eu affaire, de loin comme de près, à cette mission sur Skypiéa. Notre présence ici était, aux yeux de son Illuminance, la preuve que le Gouvernement Mondial commençait à se rebeller contre la main mise des Dragons Célestes.
Pour Maselfush, nous avions été envoyés pour contre-carrer ses plans. Il n'avait absolument pas tort. Mais il surestimait la puissance de l’insurrection administrative. Nous n'étions qu'une poignée de soldats, un seul bâtiment de petite taille. Nous étions à peine un hoquet. Moins que nous, c'était rien. Si la hiérarchie n'avait été ne serait-ce qu'un peu plus faible, Maselfush aurait eu les coudées franches.
Cependant, en bon tyran qu'il était, c'était déjà un hoquet de trop.
- « Je vais vous faire regretter ce petit jeu. Vous tous, autant que vous êtes ! Comment osez-vous penser pouvoir vous opposer à moi ? Je SUIS le Gouvernement ! Est-ce que le chien mord la main qui le nourrit ? Non. Et apparemment, il est temps que je vous le rappelle. Et que cette fois, le commandant de l’État-major à intérêt à s'en rappeler pour de bon ! »
Nous n'étions rien. Nous ne pouvions rien. Sa colère était illégitime, mais ses actions punitives seraient acceptées comme justice. Pire encore, la hiérarchie le remerciera de n'avoir exercé son courroux que sur Skypiéa et les gens s'y trouvant, le remerciera de les avoir épargnés. Dans sa grande bonté.
Finalement, nous n'étions ici que pour soulager la conscience d'un haut gradé, qui pouvait se dire « j'ai envoyé quelqu'un, j'ai essayé de faire quelque chose. » Ouais, un peu facile. Si le Gouvernement avait voulu, il aurait envoyé deux galions et établi la loi martiale sur Skypiéa, au diable la liberté des populations et l'avarice d'un dragon céleste. Nan, nous n'étions que les pions sacrifiables : si Maselfush voulait passer outre notre présence, il le pouvait.
- « Je m'en vais vous éclairer, moi. Vous allez voir comment je vais vous guider. » tonna-t-il en faisant un geste envers le capitaine de son propre navire. « Appliquez le plan A. On capture tout le monde, et on tue ceux qui résistent. Y compris ces deux-là. »
A mon avis, le Colonel Kadren n'avait jamais réellement perçu à quel point cette mission était peu valorisante pour lui. Déjà, rien que la mission stricto sensus : accompagner une CP dans une tentative de diplomatie, ce n'était pas le genre de tâche pour laquelle les gradés se battaient. Mais là, il venait de réaliser qu'il avait été choisi parce qu'il ne comptait pas. Qu'on préférait garder en vie d'autres de ses petits copains. Qu'il était le pion sacrifiable, et sacrifié, pour tenter de faire échec au roi, dans une tentative molle à laquelle personne ne croyait. Nous valions moins qu'une poignée d'inconnus, lui et moi valeureux et obéissants soldats. Faire tomber Skypiéa dans les mains de Maselfush n'était acceptable que si on montrait un peu de détermination à s'opposer à ce personnage, mais faire tomber Kadren et Raven-Cooper ? Aucun problème. Il n'y avait pas de Ptérodactyle bis pour nous récupérer, nous.
Le visage du bonhomme s'était assombri. Je le sentais partagé. Entre sa loyauté de toujours envers le Gouvernement, et l'indignation que cette situation provoquait en lui. Une partie de lui voulait rabrouer Maselfush, l'autre n'avait qu'une idée : obéir.
J'allais devoir agir, seule, et vite.
- « NON VOUS NE PASSEREZ PAS ! »
- Spoiler:
Ma voix retentit comme mille tonnerres, alors que je me dressai, les bras ouverts en croix devant la passerelle menant au navire du Dragon Céleste.
- « Je ne vous laisserai pas vous en prendre à des populations innocentes, qui nous accueillent les bras ouverts, vous le premier, Maselfush ! Je ne vous laisserai pas plus devenir un tyran ! »
J'aurais pu le scotcher sur place, avec ma tirade. Lui n'entendit que son nom vilipendé, et sa volonté, contestée.
- « De quel droit vous opposez-vous à moi ? » Les yeux exorbités, il était furieux.
- « Du droit qu'à n'importe quel être vivant et intelligent à s'opposer à une injustice ! Pourquoi vouloir attaquer une population innocente ? »
- « Innocente ? Ben voyons ! Vous avez comploté tous ensemble, contre moi ! »
- « Ah oui ? Comploter contre vous en faisant quoi ? »
- « Vous avez cherché à m'empêcher d'agir. Vous m'avez menti, vous avez voulu me tromper. »
- « Sur quel point ? » lui demandai-je d'un voix très froide, très calme. « Je vous ai dit que les Skypéiens étaient un peuple avec peu de ressources, si ce n'était les dials. Je vous ai dit qu'ils étaient contents de vous recevoir, pour ce que vous étiez. Ils ont accepté et reconnu votre statut d'homme important du monde de Grand Line. Ils veulent que vous deveniez leur leader spirituel. Où est le mensonge dans tout ça ? »
- « Le mensonge, c'est qu'ils disent vouloir de moi comme leur soit disant leader spirituel, parce que vous leur avez dit que je venais et que je voulais prendre possession de leur île. »
- « Ah ? Vous voulez dominer cette île ? Mettre Alincourt au fer ? Le battre comme plâtre ? Utiliser ces gamins qui vous ont salué comme pages, boulet au pied ? Vendre Anaréis qui vous a fait goûter son flan à la citrouille à un autre dragon céleste, contre une faveur ? »
- « Et pourquoi pas !? Qu'est-ce qui m'en empêcherait, de toutes les façons ? Je fais ce que je veux ! »
- « Ce qui vous en empêcherait ? Mais vous-même, votre Sainteté. » Je baissai les bras. Non seulement parce que je fatiguais, mais aussi parce qu'il était temps d'en finir avec la posture agressive, et de mettre en place un zeste de diplomatie. « Vous pouvez agir comme je l'ai décrit. Personne n'a la force de vous arrêter. Mais vous savez que de tels agissements vont à l'encontre des lois du Gouvernement Mondial, Gouvernement que vos ancêtres ont fondé. Vous seriez donc prêts à renier ce qui fait votre héritage, votre Sainteté. Tout le bien fait depuis ce moment, toute cette attention que vos grand-grand-parents et les générations depuis, tout ça jeté aux orties, comme ça. »
- « Justement, » ronchonna Maselfush, « ma famille en a suffisamment fait pour les autres. Il est temps de penser à peu à soi. J'exige qu'on pense à moi. »
- « Mais je pense à vous, Votre Illuminance. Je mets votre bien-être en priorité, avant tout autre chose. Je ne peux pas vous laisser faire preuve de faiblesse de caractère. Vous êtes un Dragon Céleste, vous êtes un homme de pouvoir, de savoir. Vous n'êtes en rien différent de vos ancêtres. Vous êtes né bon. Vous êtes bon. Vous êtes né pour être bon, et faire le bien. C'est autant votre destinée que votre être véritable. Cela ne sert à rien de fuir cette vérité.
Or, venir sur Skypiea avec pour seule idée de... de quoi en fait ? Quelles étaient vos intentions, exactement ? » Je lui offris là la chance de changer de fusil d'épaule, de faire une pirouette. De se dédire des plans monstrueux qu'il avait mijoté en son for intérieur. Cependant, on ne changeait pas cent ans et plus de dragon-célestitude comme ça, pas plus qu'on éteignait les braises d'une guerre civile en deux jours.
- « …... » L'air renfrogné, il boudait. Oh, il voyait parfaitement où je voulais en venir. Le pire dans tout ça, il aimait bien, au son plus grand dépit, les compliments que je lui sortais.
- « … Voilà, vous vous êtes laissé emporté par vos ardeurs. Tout le monde sait que vous êtes un grand aventurier. Et j'avoue que le déballage sur la férocité des guerriers Shandias n'aide pas à visualiser Skypiea comme un monde en paix. » Alincourt dissimula son rire dans une quinte de toux.
- « Oui, voilà, parfaitement. Je m'attendais à trouver des primitifs quasi cannibales, moi ! Il y avait une guerre civile, non, encore pas longtemps ? » L'art de se contredire en une phrase. Maselfush ne savait pas grand chose de la situation, mais il s'engouffrait dans cette petite opportunité que je lui offrais.
- « Et donc, moi, tout ce que je vois, c'est que Votre Sainteté allait pêcher par excès de confiance en ses ouï-dire. Qu'elle allait attaquer des civils pacifiés. Des civils qui ont justement besoin de la main ferme mais douce d'un guide, pour sortir de la guerre civile et entrer dans l'âge d'or, comme les îles de Grand Line et des Blues l'ont fait en rejoignant le Gouvernement Mondial.
Vous alliez salir votre âme, votre honneur, en agissant ainsi. Vous alliez chuter, vous, l'homme bon. Et je ne pouvais pas laisser ça arriver. Je devais vous sauver de votre bon cœur, qui avait eu confiance en ce qu'on vous avait raconté. »
- « C'est exactement ça. J'ai fait confiance aux rapports. On ne m'avait pas du tout parlé de ce statut de Dieu et d'une tentative de rapprochement. C'est de la faute de ce système administratif ! »
- « … j'en ferai mention dans mon rapport, votre Sainteté. »
- « Au diable vos rapports. Si ça servait à quelque chose, ça se saurait. Surtout un rapport CP. À part dire des méchancetés, je ne vois pas à quoi vous servez. » Je crois que j'étais censée dire merci, là. Ça a dû se voir à ma tête, que quelque chose n'allait pas. Mais Malsefush continua sur sa lancée : « D'ailleurs, c'est la dernière fois que vous m'interrompez. Je déteste qu'on me dise non, est-ce que c'est clair ? »
- « Oui, votre Sainteté. J'essayais juste de rectifier, comme je pouvais, une erreur commise par le système, dont je fais partie. C'était... mon rôle, ma responsabilité. »
- « Ôtez-vous donc de l'esprit que vous pouvez quoi que ce soit, ça ira plus vite. Bon, du coup, j'ai quoi d'intéressant, ici ? »
Il se tourna vers Kadren et Alincourt. Aucun des deux ne pouvait cependant répondre, le premier n'ayant pas la moindre idée de comment agir dans une telle situation, le second n'en sachant pas assez pour agir avec efficacité.
- « Eux, Votre Sainteté. » finis-je par dire en désigner les Anges autour de nous. Essentiellement des Bérets Blancs, les civils ayant fui dès les premiers signes de la colère de Maselfush.
- « Ben quoi eux ? Vous voulez que j'en fasse quoi ? » Quelle mauvaise foi ! Venant d'un type qui voulait mettre tout un peuple aux fers il n'y a pas cinq minutes !
- « Les Skypéiens sont prêts à vous écouter. Ils se tournent actuellement vers vous, en quête de conseil. Quelque part, vous avez la possibilité de faire comme vos ancêtres. Sûrement mieux d'ailleurs. Unir des peuples, les mener vers un objectif commun. Un mini Gouvernement Mondial ici, sur la Mer Blanche. A la seule différence que vous serez seul aux commandes, et pas vingt Dragons agissant ensemble. »
J'étais sournoise. Parfois, si je ne m'avais pas, je me créerai. Alincourt hocha de la tête, appréciant mon doigté sur la question. Nous en étions revenus à notre point de départ : offrir à Maselfush l'impression d'être un grand meneur.
- « Votre Sainteté, vous allez avoir des hommes et des femmes, tout un peuple, qui ne parlera que de vous, qui ne pensera que comme vous. Vous serez comme un père pour eux. Et tout le monde sait que la famille, c'est très important. »
- « Bof, c'est surtout très encombrant. Les dîners de fête, les anniversaires. Et puis, un frère fait un excellent traître. On ne se méfie jamais de sa famille. »
- « Il ne tiendra qu'à vous à devenir le Pater Familia idéal. C'est une lourde responsabilité, j'en ai conscience. Le Gouvernement a été crée par vingt personnes, après tout, alors que vous seriez seul... »
- « Balivernes ! Cette île est autrement plus paisible que le monde au moment de de sa naissance. Mais j'imagine que l'Histoire et vous, ça fait deux. » Encore une fois, venant de la bouche d'un type qui avait complètement fait disparaître cent ans d'histoire...
- « Il est vrai que je ne me rends pas forcément compte de la proportion des choses. Alors que clairement, vous, oui. »
- « M'enfin, j'ai autre chose de plus important que de rester ici et donner des leçons ou distribuer des fessés ! »
- « Je suis sûre que Votre Sainteté Son Illuminance va trouver une solution. »
- « Mais si je pars, comment pourrais-je savoir que mon autorité ne va pas être remise en cause, oui ? Les fils rebelles, l'Histoire en compte pleins. »
- « Hum, par le pouvoir de l'amour... ? »
- « Vous vous moquez de moi, c'est ça ? » Ce qu'il pouvait être soupe au lait !
- « Aucunement, Votre Sainteté. Voyez-vous, la différence entre un robot et un être humain, c'est que l'être humain éprouve des sentiments. Il reconnaît la bonté, la générosité. Un homme qui est traité avec bonté, justice et respect, n'ira jamais chercher plus là, car il sera heureux déjà. L'Histoire regorge de mouvements populaires en faveur d'un homme considéré comme un Juste, protégé par les siens contre les manigances d'un tyran ou d'une tentative de corruption.
Je vous l'ai dit : les Skypéiens aspirent réellement à vivre en paix, à connaître un âge d'or. Montrez-leur le chemin, montrez-leur qu'ils n'ont aucune raison d'avoir peur... peur du futur, peur de vous. Que tel un père, s'ils trébuchent, vous serez là pour les rattraper ou les remettre sur pieds, que tel un père, vous leur faites confiance pour se montrer à la hauteur des valeurs transmises.
Aimez quelqu'un, et ce quelqu'un vous aimera en retour. Enseignez-lui la confiance en soi, le respect d'autrui, le goût du travail bien fait, la droiture d'esprit et l'honneur, fixez-lui comme objectif d'être en tout point aussi bon que vous, menez-le par l'exemple, et vous aurez un homme fort et « noble », d'âme si ce n'est de naissance. C'est bien ainsi que vous avez reçu votre propre Noblesse. Ce n'est pas juste un titre, c'est le signe de la reconnaissance de toutes vos qualités. »
Flatter quelqu'un, faites-lui croire qu'il est un chic type, qu'il peut faire des trucs formidables... Rajoutez une pincée d'égo, l'idée d'être seul au pouvoir, d'être l'unique, le vrai et l'ultime. L'Alpha et l’Oméga. Vendez-lui des possibilités de découvertes, d'aventures... et de profits.
Et vous aviez un Dragon Céleste convaincu.
Elzekior Maselfush n'était pas né de la dernière pluie. Il se targuait de savoir distinguer le vrai du faux, le bon du mal, et tutti quanti. A la différence de beaucoup de ses congénères, il avait voyagé, il avait mis à l'épreuve ce sens stratégique du discernement. En vérité, il était assez expérimenté. Il serait bon s'il n'était pas aussi mauvais.
Ainsi savait-il parfaitement qu'on tentait de l'emberlificoter. Surtout cette fille, avec ces cheveux de couleur criarde, et peut-être même l'Ange. Il hésitait en fait entre l'option 1, dans laquelle la fille et l'Ange bossaient ensemble, avec la CP qui en faisait « trop » pour couvrir l'Ange, ou l'option 2, où la fille était juste débile et l'Ange en train de mijoter quelque chose. Ou alors, une option 3 : tout ce beau monde était crétin.
Pourtant, il ne voyait pas où était le piège. Piège qui était là, il le savait. Il y avait quelque chose de pourri dans le Royaume de Danemark. Cet Amaury qu'il avait récupéré agonisant et à qui il avait soutiré les informations qui l'avaient conduit jusqu'ici. Encore et encore, Maselfush se repassait l'ensemble des données, récentes ou non, cherchant à trouver la faille. Se faisant, il se mâchouillait la lèvre inférieure, un tic chez lui trahissant sa profonde perplexité.
- « Si-- » commença la donzelle. Oh, elle commençait à lui casser les oreilles, celle-ci. Toujours à parler, et à grandes vannes. C'était lassant, à la fin.
- « Non, taisez-vous ! Je ne veux plus vous entendre ! Votre voix m’insupporte. Comment font les autres pour vous supporter ? On devrait lui couper la langue. » Devançant ses désirs, le chef de sa garde fit un signe pour s'emparer de la jeune femme. S'il était à ce poste et qu'il l'avait gardé, c'était parce qu'il avait appris à lire entre les lignes et à faire la différence entre les mots lancés en l'air, et ceux qui cachaient le caprice à venir. Dans le cas présent, c'était une menace pas si vaine que ça.
- « Non mais lâchez-moi ! Vous n'avez pas le droit ! » Elle gesticulait.
- « OH QUE SI ! J'AI TOUS LES DROITS ! FAUT-IL QUE VOUS SOYEZ IDIOTE POUR NE PAS AVOIR ENCORE COMPRIS ÇA !! JE SUIS LE DRAGON CELESTE MASELFUSH ET JE SUIS LA LOI, JE SUIS L'ORDRE ET C'EST COMME ÇA ! »
Généralement, la vision de Maselfush rouge de colère, avec sa garde dressée derrière lui, suffisait à calmer les ardeurs de la plupart des gueulards. Mais le capitaine apprit ce jour là que Shaïness Raven-Cooper n'était pas une gueuleuse. Ce qu'elle était restait encore à découvrir. Sûrement suicidaire.
- « NON CE N'EST PAS COMME ÇA ! MAIS POUR QUI VOUS VOUS PRENEZ ? DIEU SUR TERRE ! MÊME LE VRAI DIEU DU COIN NE S'Y TENTE PAS ! LE DERNIER EN DATE QUI A ESSAYÉ, ON LUI A BOTTÉ LE CUL. ICI MÊME. IL S'APPELAIT ENER ET IL A REGRETTÉ SON ESSENCE DIVINE !! » répliqua-t-elle tout aussi véhémente que sa Sainteté. A ce moment, chacun y alla de son petit signe, discret ou non, pour tenter de l'arrêter. Mais elle était aveugle et sourde à tout bon sens. « VOUS N'ÊTES PAS LA LOI, VOUS N'ÊTES PAS L'ORDRE ! VOUS ÊTES LE DESCENDANT D'UN MEC QUI UN JOUR DANS SA VIE A EU UNE IDEE PAS CONNE ! ÇA NE FAIT PAS DE VOUS UN HOMME PARFAIT ! NAN MAIS D'OÙ VOUS PENSEZ QUE VOUS AVEZ LE DROIT DE DECIDER QUI VIT OU PAS ! OU MÊME SI J'AI LE DROIT DE PARLER ? POUR DONNER DES ORDRES, IL FAUT UNE LÉGITIMITÉ, ET VOUS ? BEN VOUS N'EN AVEZ AUCUNE ! RIEN, QUE DALLE ! À PART PROFITER DU FAIT QUE VOUS SOYEZ NÉ RICHE, VOUS N'AVEZ RIEN FAIT DE VOS DIX DOIGTS. NIET NADA ! ALORS QUE MOI, ÇA FAIT DES JOURS QUE JE CASSE LE DOS À AIDER CES GENS. ET VOUS, VOUS PENSEZ ARRIVER ET TOUT FOUTRE EN L'AIR ? MAIS DE QUEL DROIT ? »
- « DU DROIT QUE C'EST COMME ÇA, STUPIDE FEMELLE ! ET SI TU N'ES PAS CONTENTE, C'EST PAREIL ! »
- « OUAIS, C'EST ÇA, REFUGIEZ-VOUS DERRIERE DES MOTS CREUX ! SURTOUT N'AMENEZ PAS D'ARGUMENTS VERITABLES SUR LA TABLE ! »
- « JE N'AI PAS À ME JUSTIFIER DE QUOI QUE CE SOIT ! J'AI RAISON, POINT BARRE. »
- « C'EST ÇA, BOUDEZ ! BOUDEZ DONC DANS VOTRE COIN ! C'EST TOUT CE QUE VOUS SAVEZ FAIRE ! »
- « OH QUE NON ! »
- « OH QUE SI ! »
- « OH QUE NON ! »
- « OH QUE SI ! »
- « NON ! »
- « SI ! »
- « J 'AI DIT NON ! »
- « AH OUAIS ? DONNEZ-MOI UN EXEMPLE, DANS CE CAS ! »
Les deux se regardèrent en chien de faïence, le souffle court, chacun la bave aux lèvres, à la recherche de la faille chez l'autre, essayant de trouver le coup d'avance. Finalement, Maselfush se reprit le premier. Il se redressa, rectifia sa coiffure d'une main tremblotante, et tira sur sa chemise pour se remettre d'aplomb.
- « Sachez, jeune impertinente, que je suis Elzékior Maselfush. J'ai reçu la meilleure éducation des meilleurs maîtres. Vous n'êtes pas digne de ma colère. »
- « Et vous, vous n'êtes même pas digne de mon mépris. » cracha-t-elle.
- « J---Q---M---- MAIS QU'ON LUI COUPE LA TÊTE ! »
- « Ben voilà, on y est. Le petit tyran. Qui ne supporte pas qu'on lui sorte ses quatre vérités. Et dire que ça se veut guide existentiel ! Alincourt, je crois que tu as échappé de peu à un gros, gros faux pas, là. »
- « MAIS JE VOUS INTERDIS ! JE FERAI UN EXCELLENT GUIDE EXISTENTIEL ! »
- « AH OUI ?! ME FAIRE COUPER LA TÊTE, C'EST PEUT-ÊTRE DIGNE DU GRAND MASELFUSH QUI A RECU LA MEILLEURE ÉDUCATION, PEUT-ÊTRE ? ESPÈCE DE.... DE BARBARE !!! »
Allez savoir pourquoi, mais cet argument porta. Maselfush tiqua, et se gratta l'oreille d'un air maussade.
- « Certes, ce n'était pas la meilleure de mes idées. Mais je ne vais pas admettre que vous vous comportiez comme ça ! » La jeune femme haussa les épaules, butée et rebelle.
- « Donc quoi ? Vous allez faire quoi ? »
- « Je vais... je vais... » Le Dragon Céleste regardait autour de lui, à la recherche d'une bonne idée. D'un truc intelligent à dire. … …. …. « Hé bien, je n'ai rien à vous prouver, mais je vais vous montrer ce que c'est que la grandeur d'âme. Je vous pardonne, et là, vous n'aurez pas d'autre fois que reconnaître ma supériorité. Alors ? »
- « Je..... »
- « Hum ? »
- « Mais.... »
- « Et encore ? »
- « .... »
- « …. »
- « Bon d'accord, vous avez gagné. Vous êtes généreux sur ce coup. »
- « Et ? »
- « Et je vous présente mes excuses. »
- « Ben voilà ! Ce n'était pas si difficile que ça. » Le DragonCélestinage, et le triomphe modeste, ça faisait deux. Au temps pour la grandeur d'âme.
- « Bon, où en étais-je ? A oui, lui faire couper la tête... Mettez donc la aux arrêts. » Et le capitaine de garde de claquer des talons et de s'exécuter. La péronnelle se retrouva à genoux, les deux bras en croix, la tête tirée à l'arrière par les cheveux. « Maintenant, finis les petits jeux. Je sais qu'il y a une embrouille, et je sais que votre babillage et cette colère, c'était pour la couvrir. Je ne suis pas seulement magnanime, je suis aussi très intelligent. Donc, si les prochains mots qui sortent de ta bouche, immonde créature, ne sont pas la vérité, je te jure que je te coupe la langue. Et ça, ce n'est pas du flan non plus. »
Après mon coup de rage, j'étais vide, à bout de forces. Je n'allais pas dire que je méritai ce qui me pendait au nez, mais.... Que diable m'avait-il pris de parler comme ça ? Un ras-le-bol, oui, mais ce n'était pas moi. Ou peut-être que si. A force de refouler mes sentiments, et Paranoïa n'aidant pas, j'étais devenu folle. Pour de bon. La seule chose positive de l'histoire, c'était que je n'allais pas le rester longtemps. Folle. Pas plus qu'en vie.
La menace était réelle, ça, c'était sur. Mais je n'arrivais plus à penser. Si je me mettais à parler – et j'allais devoir le faire – j'allais tout sortir. Absolument tout.
- « –-- »
- « Votre Illuminance, si vous le permettez... » Kadren se porta à mes côtés. Alors lui, il avait bien trouvé son moment. Il était sympathique, mais complètement inutile. Il n'avait rien fait jusqu'à présent qui me laissât penser autrement. « Je pense que l'agent Raven-Cooper n'est pas en état de dire quoi que ce soit de sensé. Entre ses nerfs et la chaleur... » Nan mais oh ! Sale traître ! Ah tu crois que je ne te vois pas venir ! Tu vas tout me mettre sur le dos, pour t'en tirer. Finalement, tu ne vaux pas mieux que les autres Marines. Tous des lâches.
- « Non mais quoi encore !? »
- « Si c'est la vérité que vous voulez, je peux vous la donner. Bien plus synthétiquement qu'un CP ne pourra jamais le faire. »
- « Dans ce cas, je vous écoute. » Ce ne fut pas autant que les gardes relâchèrent leur pression sur moi. Je commençais à avoir mal.
- « Il se trouve que l'agent avait bel et bien la mission de voir ce qui se passait ici. Avant votre arrivée. Oui, nous étions au courant que vous désiriez venir sur Skypiéa. Seulement, nous n'avions aucun rapport réellement poussé sur cet endroit. A peine mieux que des oui-dire. Et nous savons ce que cela donne, les oui-dire. »
- « Oui, je sais. » Oui, pas la peine de retourner le couteau dans la plaie. Purée, il était en train de défaire tout mon bon travail. Si seulement je pouvais avoir trois secondes pour reprendre mon souffle. Je vous montrerai le meilleur des pitch marketing, moi. Comme s'il lisait mes pensées, le garde qui tenait mes cheveux me donna un à-coup, et ma nuque craqua. Salopard.
- « Nous sommes venus ici pour voir si la situation n'était pas trop instable pour votre sécurité. Ce n'était pas une mission au dénouement facile, parce que je ne pense pas que nous aurions pu vous convaincre d'un danger. Votre Illuminance est connue pour son caractère d'aventurier, et cela faisait souci au Gouvernement. »
- « Oui, je vois. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas avoir envoyé plus de moyens pour ma protection, hum ? Ce n'est pas très cohérent ! »
- « Déjà, et sans offense, Votre Sainteté... mais vous auriez refusé toute escorte. »
- « Un peu que j'aurais refusé ! »
- « Et si nous étions venus avant vous avec des forces imposantes, cela aurait pu faire fuir les natifs. »
- « Ah ça, je confirme. » Alincourt ajouta son grain de sel, désireux de ne pas se faire oublier... et quelque part, de me faire oublier.
- « Si les populations avaient été très agressives, alors nous aurions été en mesure de rebrousser chemin plus rapidement qu'un escadron complet. Au besoin... les pertes auraient été minimes... » La voix blanche du Colonel prouvait bien à quel point cette perspective ne l'avait pas réjoui. Et ne le réjouissait toujours pas plus. Nous étions loin d'être tirés d'affaire. A cause de moi.
- « Mais où voulez-vous en venir ? Où est le piège ? Je SAIS qu'il y a un piège ! »
- « Ce n'est pas tant un piège qu'une tentative pour couvrir... une mission quelque peu... gâchée. »
- « Que voulez-vous dire ? »
- « Entre les conflits entre les tribus locales, les croyances, les caractères des uns et des autres... en un mot comme un autre, cette mission entière a été un fiasco total. C'est un miracle que nous en sommes aujourd'hui où nous en sommes. Je serais d'ailleurs bien en peine de faire un rapport concis sur les événements. »
- « Ooooh, je vois. Et vous travaillez avec eux, pour les couvrir ? » Hargneux, Maselfush apostropha Alincourt.
- « Euh oui, ma Sublime Espérance. »
- « Pourquoi donc ? »
- «Voyez-vous... Le hasard fait bien les choses. A la base, l'agent et moi avons travaillé à unir les tribu pour vous offrir une Skypiea en paix. Nous pensions que c'était ce qui vous ferait le plus plaisir. C'est l'agent elle-même qui a insisté sur le fait que vous étiez un homme bon. Que jamais vous ne détourneriez votre regard d'un peuple à l'aube de la révolution spirituelle . »
- « Elle a dit ça, vraiment ? » Ouais, non, j'suis d'accord, plus suspicieux, tu meurs. Kadren n'était peut-être pas un empaffé de traître, mais il n'était pas doué !
- « Parfaitement. Je crois que c'est pour ça qu'elle a été aussi véhémente. Je crois qu'elle a mal interprété vos volontés et qu'elle a été déçue de voir son... héros... se commettre ainsi dans la bassesse. »
- « Voyez-vous ça ? » Hocher frénétiquement la tête aurait été trop lèche-cul. Alors je le jouai « fan qui ne veut pas l'admettre » et à mon tour, je boudais, refusant de croiser le regard de mon « idole ».
- « Il se trouve que ce qui est bien pour vous, est aussi bien pour nous. Nous avons eu du mal à l'admettre, mais nous voulons être en paix. Nous voulons être un peuple évolué. C'est pour ça que nous sommes ici. Et c'est véritablement, du plus profond de notre cœur, que nous, les Skypéiens, vous demandons votre aide et votre protection. L'agent Raven-Cooper a bien insisté sur le fait qu'obtenir votre soutien était ce qui pouvait nous arriver de mieux. »
- « Ah oui, vraiment ? Elle a dit ça ? Parce que je me souviens clairement des doutes qu'elle a exprimés ici. Des doutes ? Des affirmations... Comme quoi je n'avais jamais rien fait de mes dix doigts... Alors vous m'excuserez, mais je ne gobe pas votre histoire. »
Pourquoi avait-il fallu qu'on tombasse sur le seul dragon céleste qui n'était pas imbu de lui-même au point d'en être crétin ?
- « J'étais en colère... » marmottai-je. « C'était la première que je voyais un Dragon Céleste. Vous en particulier. Je m'attendais à... Je ne sais pas... Et tout de suite, vous avez mis le doigt où il ne fallait pas. Et en plus vous vous êtes énervé, et vous avez menacé de tuer tout le monde. Alors, j'ai été en colère. Je me suis dit que tout ce qu'on m'avait raconté, c'était des salades. » Je jouais un jeu dangereux, mais.... est-ce vraiment le moment pour avouer que là, à cet instant de 'passe ou casse', je ressentis le délicieux frisson de la mort ? Celui qui envoie de l'adrénaline dans vos veines, qui fait que tout devient plus net, plus clair ? Que j'aimais ce sentiment ? Étais-je devenue accro aux sensations fortes ? Aucune idée. Tout ce que je savais, c'était que j'allais finir par le ferrer, une bonne fois pour toute, ce satané Dragon. « Et le pire dans tout ça ? C'est que j'avais raison. Vous n'êtes pas un homme sorti parfait de nulle part. » Devant son air outré, je me dépêchais d'enchaîner. « Vous l'avez dit vous-même : vous avez étudié. Vous êtes devenu ce que vous êtes aujourd'hui. A la base, vous êtes aussi perfectible que lui ou moi. Mais vous, vous n'avez pas reçu qu'une bonne éducation, ou même la meilleure. Vous avez réussi là où généralement, on se plante tous. Vous avez réussi à devenir plus qu'un simple humain. Vous auriez pu rester perfectible, et simplement jouir de votre fortune. Mais vous êtes allé au-delà de ça. Vous m'avez pardonné, vous avez bel et bien montré que vous faisiez des erreurs, mais que vous étiez capables de les corriger. Et ça, je ne sais pas pour les autres, mais pour moi, c'est vraiment la marque d'un homme bien. D'un Dragon Céleste. Ce n'est pas qu'un titre. Vous êtes réellement... …. …. »
- « Notre Illuminescence. » compléta Alincourt.
Jeu, set et match.
- « Bon, bon... » Maselfush grommela des choses d'un ton bourru pour masquer son contentement à se faire brosser dans le sens du poil. Il recommença à mâchonner sa lèvre, le temps de réfléchir à la marche à suivre, pendant que j'étais relâchée et que j'échangeai un regard éreinté, mais soulagé, avec Kadren et de Bergerac. Mais il était trop tôt pour nous réjouir.
- « Certes, certes. Mais je n'admettrai pas ce genre de comportement. Jamais auparavant, et pas plus dans le futur. Clairement, vous êtes faible, Agent Truc-Bidule, et c'est normal, vu que vous êtes une femme, mais c'est encore plus vrai dans votre cas. Je ne sais pas quel abruti à penser que vous pourriez servir à quoi ce que soit. Déjà que les Bureaux, c'est un ramassis de dégénérés... Kadren, vous admettrez qu'on ne peut pas laisser une telle... larve. Oui, voilà, vous êtes une grosse larve. »
- « Hum, on peut difficilement la traiter de grosse. Peut-être aller dans le champ sémantique du vermisseau ? » Merci, Alincourt. Un ami comme toi, on en rêve.
- « C'est exactement. Un vermisseau, qui se tortille au sol. On ne peut laisser un vermisseau au sein du Gouvernement, serait-ce au sein d'un Bureau. C'est mon devoir de protéger le système. »
Le Colonel, pris à partie, ne put qu'acquiescer.
- « Oui, Votre Sainteté. »
- « Machin-Chose, vous êtes donc relevée de vos fonctions. Immédiatement. Je ne veux plus de vous au sein du CP, et qu'importe son chiffre. »
- « Mais... je.... »
- « Quoi encore ? »
- « Mais... vous ne pouvez pas ? » J'en bégayais. « Je ne veux pas, moi ! » J'étais devenue plus blanche que les nuages que nous foulions. Diaphane même. Encore un peu, et je passais au travers. Toute ma carrière, tous les efforts que j'avais fait pour me faire reconnaître non pas en tant que femme ou joli brin, mais simple agent... Sans parler de la perte sèche pour la Révolution qui allait perdre un espion.
- « Mais quand allez-vous vous mettre dans la tête que je peux tout ? » Les mots de Maselfush étaient comme autant de coups de fouet cinglant mes épaules. « C'est juste que moi, je sais faire la différence entre ce que je peux faire – tout – et ce que je vais faire. J'ai un contrôle absolu sur ma volonté. Je ne suis pas hystérique comme vous. » Ouais. Sauf erreur de ma part, pour s'engueuler, il fallait être deux, et celui qui avait fait écho à mes cris n'était nul autre que ce même type... Raaah, je devrais le savoir, à force : ce n'est pas l'intégrité qui étouffait les Dragons Célestes. Vu que j'étais une fervente pratiquante de la mauvaise foi, cette remarque était on ne pouvait plus hypocrite ; mais c'était là la beauté du geste : je m'en foutais, j'étais assez glissante si ce n'était perfide, en tous les cas, malhonnête.
- « Colonel, je compte sur vous pour relayer cet ordre à qui de droit. »
- « Oui, Votre Sainteté. »
- « Mais.... mais je deviens quoi, moi, dans tout ça ? »
- « Ah, voilà enfin une bonne question. Enfin, la réponse est assez évidente, pour quiconque doué d'un peu de logique. Vous êtes clairement un déchet de la société. Qui vous aura mis dans la tête que vous pouvez servir à quelque chose ? Oui, en vérité, vous avez besoin de guidance. Une guidance que je suis prêt à vous donner, au même titre que je vais guider les Skypiéiens vers la civilisation. Vous allez rester ici et méditer. Ça ne peut pas vous faire de mal. Bien au contraire. »