Precedently, in Sharks Mind
La neige là-dehors forme une piscine de croûte glaciale, chaque jour alimentée par les blizzards joggant matinalement entre les sapins. Et les sapins, ces fourbasses, servent de perchoirs parfois à suffisamment de poudreuse pour servir de tombeau à un gars poissard qui se la prendrait sur la tronche un jour où le vent veut sa mort. Les alentours d'mon cabinet demandent pas mal d'entretien, histoire de pas devenir un cimetière pour patients, que les gens qui viennent se faire redessiner leurs corps n'amènent pas en promo une vilaine hypothermie. Le froid est le caïd de Drum, et les touristes payent souvent leur tribut en engelures.
La faune locale, dont j'ai investi l'territoire, se pare de plus en plus d'affreux lapins carnivores que j'dois dissuader de venir à la ceuillette autour de chez moi. Alors j'suis allé chopper une hache au village d'à côté, et j'ai commencé à découper leurs portées en fines lamelles. Hihi. Non, en fait, j'ai juste abattu des arbres, les mêmes vicelards qui stockaient une tonne de neige sur leurs branches. Avec le bois, et une patience qui m'a rudement assoupli les nerfs, j'ai élevé des p'tites barrières autour de "mon" domaine, puis ait tacheté la forêt de flaques de marais en appétit. Les jours ont alors appris aux sales bestioles mon concept de la propriété privée : mon cabinet n'est PAS un putain d'garde-manger.
La marine m'a surtout appris à distribuer des pains en vrai petit boulanger aux palmes sales, ainsi que tout un tas d'astuces qu'agissent comme les aiguilles d'une boussole en pleine jungle : reconnaître le danger, l'identifier, l'éliminer -ou le fuir-. J'dois lui reconnaître qu'après m'avoir amené à traîner avec des ordures, j'sais maintenant en distinguer les relents à des kilomètres. Et la nature à côté, soit disant indomptable, me paraît être un minou boiteux déguisé en lion alpha, et elle miaule faiblement en cette sortie d'hiver, comme émergeante d'une hibernation qui lui a sapé toute sa virulence.
Ouaip. La forêt plie sous mes bottes, aussi friable qu'une pâquerette, aussi jolie également. Elle m'a paru intimidante jusqu'à c'que j'découvre qu'elle est vachement moins organisée que moi, et à partir de là elle n'a pu que m'observer passivement désamorcer un à un ses pièges, et piller son frigo. J'équarrisse ses pions fraîchement morts, affalés sur le plancher froid de ce frigidaire à ciel ouvert, des carcasses de bestioles tièdes que l'hiver, dans sa grande miséricorde, a préféré achever plutôt que leur permettre d'atteindre le printemps pour s'y faire boulotter vivants. J'revends la bidoche au village, pour aiguiser mes fins d'mois. Et j'bouffe assez de fruits, de baies et de fougères pour transformer mes intestins en sentier rupestre.
Sur le pallier d'mon repaire, la bouche de mon antre encore bien aphteuse à l'haleine frétillante mais pas avenante, j'accueille cette silhouette qu'ondule au bout du sentier, noircie par les ombres des rangs de sapins au garde-à-vous ; car même si ces cons pointus transforment la forêt en un genre de tapis fakir épineux, on peut leur concéder qu'ils font d'sacrés parasols, c'qui sera pas d'trop face à un Soleil hargneux bien décidé à déchiqueter ces nuages qui lui masquaient la vue sur son jardin de cerisiers endormis.
Bienvenue ! ...
Quoi ?
Je disais BIENVENUE !
Mais oui, attendez. Je viens.
... j'vais attendre qu'il s'approche. J'sais déjà pas articuler à voix basse, alors en hurlant, autant demander à un clebs d'aboyer la gueule pleine de glue. Quand il parvient à s'arracher aux ombres, et qu'les rayons de ma bonne vieille boule de feu descendent féconder la planète, j'aperçois sa face. Carrée, géométrique. Né avec des équerres sous les fronts et une grande règle dans le fion.
Il a l'autorité greffée sous le visage. Et quand il devient à portée de murmures, il se force à sourire, bien qu'ça me paraît évident qu'il risque le claquage facial à tout moment. Des grandes balafres lui barrent la face, comme des ratures, des gribouillages d'un môme qui a raté son dessin, difficile d'être secret quand on a son histoire personnelle écrite au surin sur son corps. J'entrevois c'qu'il me veut avant même que ses lèvres ne remuent.
Bonjour, docteur Kamina. Mes cicatrices, mon visage, une autre identité. Que me proposez-vous ?
Je vous fais un prix à dix millions pour la totale ?
Vendu. Et la discrétion...
Regardez où nous sommes... Nos seuls témoins seront des piafs. Et la saison de la chasse est bientôt ouverte, si vous avez peur qu'ils se fassent trop bavards.
Mon argument hérisse ses sourcils et rend son sourire tout flasque, il dégouline jusque sous son menton. Bah. Au moins, il a l'air convaincu.
J'ai l'argent sur moi.
Une idée de ce que vous souhaitez devenir ?
Une femme.
D'accord.
...
Une ... ?
Une femme. Avec deux seins. Et un organe génital féminin. Une femme.
Ça risque de coûter plus cher...
Mon budget de cinquante millions.
... et de me demander un peu de préparation...
D'accord. Un ou deux jours ?
Disons qu'il suffit pas de s'épiler le maillot pour devenir une femme. Donnez moi une semaine.
Je pourrai rester ici en attendant ?
Ouais, vous êtes recherché à quel point ?
Il y a cinq zéros sur mon avis de recherche.
Ah, cinq, quand même.
Cinq, oui. Cinquante millions commence aussi par un cinq.
Est-ce qu'il me prend pour un suceur de flouze ? Ma microseconde d'hésitation sort de ma faim de solitude. Partager ma piaule avec un croque-mort n'est pas s'engager dans une simple soirée-pyjama, non, c'est avoir une paire d'yeux roulante perpétuellement dans mes affaires. Mais ça reste un client flanqué d'une lourde prime, et même si les primes, c'contagieux, et qu'il y a un nid d'mouettes pas si loin d'ici, j'peux pas couler dans le béton une si belle occasion d'peaufiner les ballets de mes grands doigts griffus dans mon théâtre sanglant.
Puis changer d'sexe, merde ! J'vais faire mes premiers pas là où X et Y sont de pauvres arriérés obsolètes !
On se débrouillera. Essayez juste de pas trop salir le carré d'opérations, j'l'ai rénové y a pas longtemps.
Très bien.
Modo m'a aidé a aménagé un p'tit sanctuaire, recalant toutes les bactéries dans le ghetto miniature qu'est le reste de mon gourbi, qu'est mon vrai de vrai espace privé... la chambre d'un ado qu'a grandi trop vite.
Quelques jours après.
Oui, le décompte bien propre façon journal de bord a pas duré longtemps.
Parce que le calendrier avait la même couleur que la neige.
Oui, le décompte bien propre façon journal de bord a pas duré longtemps.
Parce que le calendrier avait la même couleur que la neige.
La neige là-dehors forme une piscine de croûte glaciale, chaque jour alimentée par les blizzards joggant matinalement entre les sapins. Et les sapins, ces fourbasses, servent de perchoirs parfois à suffisamment de poudreuse pour servir de tombeau à un gars poissard qui se la prendrait sur la tronche un jour où le vent veut sa mort. Les alentours d'mon cabinet demandent pas mal d'entretien, histoire de pas devenir un cimetière pour patients, que les gens qui viennent se faire redessiner leurs corps n'amènent pas en promo une vilaine hypothermie. Le froid est le caïd de Drum, et les touristes payent souvent leur tribut en engelures.
La faune locale, dont j'ai investi l'territoire, se pare de plus en plus d'affreux lapins carnivores que j'dois dissuader de venir à la ceuillette autour de chez moi. Alors j'suis allé chopper une hache au village d'à côté, et j'ai commencé à découper leurs portées en fines lamelles. Hihi. Non, en fait, j'ai juste abattu des arbres, les mêmes vicelards qui stockaient une tonne de neige sur leurs branches. Avec le bois, et une patience qui m'a rudement assoupli les nerfs, j'ai élevé des p'tites barrières autour de "mon" domaine, puis ait tacheté la forêt de flaques de marais en appétit. Les jours ont alors appris aux sales bestioles mon concept de la propriété privée : mon cabinet n'est PAS un putain d'garde-manger.
La marine m'a surtout appris à distribuer des pains en vrai petit boulanger aux palmes sales, ainsi que tout un tas d'astuces qu'agissent comme les aiguilles d'une boussole en pleine jungle : reconnaître le danger, l'identifier, l'éliminer -ou le fuir-. J'dois lui reconnaître qu'après m'avoir amené à traîner avec des ordures, j'sais maintenant en distinguer les relents à des kilomètres. Et la nature à côté, soit disant indomptable, me paraît être un minou boiteux déguisé en lion alpha, et elle miaule faiblement en cette sortie d'hiver, comme émergeante d'une hibernation qui lui a sapé toute sa virulence.
Ouaip. La forêt plie sous mes bottes, aussi friable qu'une pâquerette, aussi jolie également. Elle m'a paru intimidante jusqu'à c'que j'découvre qu'elle est vachement moins organisée que moi, et à partir de là elle n'a pu que m'observer passivement désamorcer un à un ses pièges, et piller son frigo. J'équarrisse ses pions fraîchement morts, affalés sur le plancher froid de ce frigidaire à ciel ouvert, des carcasses de bestioles tièdes que l'hiver, dans sa grande miséricorde, a préféré achever plutôt que leur permettre d'atteindre le printemps pour s'y faire boulotter vivants. J'revends la bidoche au village, pour aiguiser mes fins d'mois. Et j'bouffe assez de fruits, de baies et de fougères pour transformer mes intestins en sentier rupestre.
Sur le pallier d'mon repaire, la bouche de mon antre encore bien aphteuse à l'haleine frétillante mais pas avenante, j'accueille cette silhouette qu'ondule au bout du sentier, noircie par les ombres des rangs de sapins au garde-à-vous ; car même si ces cons pointus transforment la forêt en un genre de tapis fakir épineux, on peut leur concéder qu'ils font d'sacrés parasols, c'qui sera pas d'trop face à un Soleil hargneux bien décidé à déchiqueter ces nuages qui lui masquaient la vue sur son jardin de cerisiers endormis.
Bienvenue ! ...
Quoi ?
Je disais BIENVENUE !
Mais oui, attendez. Je viens.
... j'vais attendre qu'il s'approche. J'sais déjà pas articuler à voix basse, alors en hurlant, autant demander à un clebs d'aboyer la gueule pleine de glue. Quand il parvient à s'arracher aux ombres, et qu'les rayons de ma bonne vieille boule de feu descendent féconder la planète, j'aperçois sa face. Carrée, géométrique. Né avec des équerres sous les fronts et une grande règle dans le fion.
Il a l'autorité greffée sous le visage. Et quand il devient à portée de murmures, il se force à sourire, bien qu'ça me paraît évident qu'il risque le claquage facial à tout moment. Des grandes balafres lui barrent la face, comme des ratures, des gribouillages d'un môme qui a raté son dessin, difficile d'être secret quand on a son histoire personnelle écrite au surin sur son corps. J'entrevois c'qu'il me veut avant même que ses lèvres ne remuent.
Bonjour, docteur Kamina. Mes cicatrices, mon visage, une autre identité. Que me proposez-vous ?
Je vous fais un prix à dix millions pour la totale ?
Vendu. Et la discrétion...
Regardez où nous sommes... Nos seuls témoins seront des piafs. Et la saison de la chasse est bientôt ouverte, si vous avez peur qu'ils se fassent trop bavards.
Mon argument hérisse ses sourcils et rend son sourire tout flasque, il dégouline jusque sous son menton. Bah. Au moins, il a l'air convaincu.
J'ai l'argent sur moi.
Une idée de ce que vous souhaitez devenir ?
Une femme.
D'accord.
...
Une ... ?
Une femme. Avec deux seins. Et un organe génital féminin. Une femme.
Ça risque de coûter plus cher...
Mon budget de cinquante millions.
... et de me demander un peu de préparation...
D'accord. Un ou deux jours ?
Disons qu'il suffit pas de s'épiler le maillot pour devenir une femme. Donnez moi une semaine.
Je pourrai rester ici en attendant ?
Ouais, vous êtes recherché à quel point ?
Il y a cinq zéros sur mon avis de recherche.
Ah, cinq, quand même.
Cinq, oui. Cinquante millions commence aussi par un cinq.
Est-ce qu'il me prend pour un suceur de flouze ? Ma microseconde d'hésitation sort de ma faim de solitude. Partager ma piaule avec un croque-mort n'est pas s'engager dans une simple soirée-pyjama, non, c'est avoir une paire d'yeux roulante perpétuellement dans mes affaires. Mais ça reste un client flanqué d'une lourde prime, et même si les primes, c'contagieux, et qu'il y a un nid d'mouettes pas si loin d'ici, j'peux pas couler dans le béton une si belle occasion d'peaufiner les ballets de mes grands doigts griffus dans mon théâtre sanglant.
Puis changer d'sexe, merde ! J'vais faire mes premiers pas là où X et Y sont de pauvres arriérés obsolètes !
On se débrouillera. Essayez juste de pas trop salir le carré d'opérations, j'l'ai rénové y a pas longtemps.
Très bien.
Modo m'a aidé a aménagé un p'tit sanctuaire, recalant toutes les bactéries dans le ghetto miniature qu'est le reste de mon gourbi, qu'est mon vrai de vrai espace privé... la chambre d'un ado qu'a grandi trop vite.