[Précédemment : Courage, fuyons !]
Ce matin, l’air est empreint d’une douce odeur iodée, plus forte qu’à son habitude. Ah, le fumet de la mer, il n’y a que ça de vraiment captivant sur cette terre. Ça, et le contact frais de l’eau qui ruisselle contre la peau verdâtre de la tortue. Comme chaque matin depuis trois semaines, Alrahyr est affalé, à moitié évanoui, dans une sorte de grosse passoire en bois, attachée au château arrière du Reconquista et flottant entre deux eaux. C’est son petit bonheur. Les aléas de la volonté d’une tortue de mer, qui malheureusement trouve sa joie dans un plaisir qui lui cause une perte quasi-totale de ses forces.
Lui, le Capitaine de ce navire, leader d’un groupe de révolutionnaire, guide spirituel d’une troupe de ninjas, se retrouve à comater comme une larve dans son petit bain improvisé d’eau salée. Si vous cherchiez où pouvait bien se trouver la limite entre l’étonnant et le pathétique, vous l’avez sous les yeux.
Trois semaines de mer, c’est long. C’est chiant. Et ça sera bien de ne pas en rajouter une de plus. Mais voilà, traverser tout Grand Line dans sa largeur, c’est pas un petit voyage. Départ, Drum, arrivée, Royaume de Doscar.
Pourquoi ? C’est simple : nouvelle mission, nouvel endroit.
Il y a trois semaines, Clotho et ses hommes faisaient encore partie de l’équipage, et tous avaient débarqué à Drum. Plusieurs choses les poussaient à aller de l’avant : leur mission, consistant à rattraper un équipage pirate que la marine n’avait pas pris en charge mais qu’il fallait arrêter, pour protéger les populations d’une part, et d’autre part un contre-amiral et sa flotte qui arrivaient par derrière à fond de train pour les détruire.
Mais voilà qu’arrivés sur Drum, ils se sont fait interpelés par l’une des cellules révolutionnaires du coin. La mission de poursuite des pirates ? Plus d’actualité, ils se sont fait arrêtés plus loin par la Marine. Pas si inutile cette armée. Du coup, il a été demandé à Clotho et ses hommes de rester sur l’île pour s’occuper de certaines choses, Alrahyr n’a pas trop bien compris de quoi… Mais ça n’était pas cette partie qui l’intéressait.
En effet, voici ce qu’on lui a proposé – ou plutôt forcé à accepter – comme mission. Loin de Drum, sur la cinquième voie de Grand Line, il y a une île particulière, un Royaume désireux de conserver son indépendance vis-à-vis du Gouvernement Mondial, un Royaume fortifié, muni de gigantesques murailles, armé d’effroyables canons, dirigés vers la mer et capables de détruire en un clin d’œil n’importe quelle flotte militaire. En bref, un Rempart d’Acier. Mais ce Royaume, dans toute sa puissance et sa splendeur, a une faiblesse : n’ayant aucune terre cultivable, il ne peut que compter sur l’importation de nourriture pour parvenir à subsister. Et comme la majeure partie du monde est sous l’influence du Gouvernement Mondial, ce Royaume ne peut pas commercer sans l’accord de cette Toute-Puissance.
Et pour avoir cet accord, il faut des relations diplomatiques. Et une ambassade. Et donc, des potentiels agents du Gouvernement qui ont accès à l’île. Et c’est là que tout se corse.
Ce Royaume, c’est le Royaume Doscar. Et à Doscar, les rôles sont inversés. Les agents du Gouvernement sont infiltrés et tentent de jouer des coups bas au Royaume pour menacer la légitimité de la famille Royale, tandis que les révolutionnaires s’épuisent dans une chasse à l’homme, une traque visant à débusquer les agents problématiques. C’est le monde à l’envers.
Selon Adam Lame, c’est tout à fait normal. Quand la révolution est proche d’un royaume indépendant du Gouvernement Mondial, tout devient le contraire du reste du monde. Les agents gouvernementaux deviennent une sorte de révolutionnaires, tandis que la révolution se transforme en une sorte de police secrète à la solde du royaume en question. Pour lui, le monde a toujours été et sera toujours comme ça, un cercle vicieux, une alternance entre pouvoir en place et révolution. Quand l’un prend la place de l’autre, l’autre prend également la place du premier, et ainsi de suite.
Doscar… Ce qui intéresse la révolution dans l’équipage de Kaltershaft, c’est notamment la présence de ce fameux Adam Lame, ancien agent du Cipher Pol, passé révolutionnaire il y a quelques années et ayant accompli suffisamment d’actions importantes pour gagner la confiance des têtes de la Cause. Et cette fois, les projecteurs seront tournés vers lui.
A Doscar, les docks portuaires sont étroitement surveillés par le Royaume. Mais il semblerait que certains échappent à son contrôle, et qu’en certains points, des individus peu recommandables parviennent à pénétrer sur l’île, y semant des problèmes. De quoi perturber les rues et le quotidien de la population, même si elle est exceptionnellement combative. Selon la cellule sur place, ce sont les agents gouvernementaux, infiltrés grâce à l’ambassade, qui sont à l’origine de ces docks « fantômes ».
Le but ? S’appuyer sur les connaissances en matière d’agent d’Adam Lame, rentrer dans le vif du sujet, et débusquer les infiltrés. C’est une demande du Royaume auprès de la révolution, et c’est un plaisir pour les activistes gris.
Et c’est donc sans information supplémentaire, équipé d’un éternal pose fourni pour l’occasion, que le Reconquista a quitté Drum droit vers le Royaume Doscar, les cales remplies de vivres pour la route.
Et la route, elle est longue.
Trois semaines, et toujours pas de terre en vue.