-Alors expliquez moi... qu'est ce que vous venez faire ici, vous? Vous vous êtes enfin décidés à nous rejoindre?
-Certainement pas, alors bas les pattes, espèce de parasite suceur de sang, réagit Dogaku.
-Parasite?
-Ouais. Y'a cinq mois, je croyais que les révos étaient des aventuriers indépendants sans le sous, qui voyageaient un peu comme ils pouvaient, complètement à l'arrache, en crèchant sous les ponts et en mangeant... très bonne question. Ce qu'ils pouvaient?
-C'est une vision complètement ridicule de...
-Ouaaaaaaais, je sais. Depuis que je suis sur Luvneel, je suis maintenant convaincu qu'en fait, vous êtes de gros squatters qui crèchent chez l'habitant, qui faites vos courses dans nos frigos, et qui pieutez dans nos canap' quand vous le pouvez. Parasite, donc.
Le formateur sous couvert de la section de Guerre de ce quartier de Norland n'en croyait pas ses oreilles. Ni ses yeux, d'ailleurs. Dans sa communauté, il devenait de plus en plus certain que les Chevaliers de Nowel n'étaient pas favorables à une implantation révolutionnaire dans ce pays, qu'ils ne se gênaient pas de le faire savoir, et qu'ils trouvaient bien plus d'écho au sein de Norland que ce que les gris auraient souhaité. À écouter les deux civils, c'était très simple: eux n'avaient aucunement besoin de révolutionnaires. Ils n'étaient pas opprimés par quoi que ce soit, même si le niveau de la piraterie était insupportable et que les impôts du gouvernement mondial ne se privaient pas de frapper allègrement dans les recettes du pays. Mais ils allaient très bien, et prospéraient, et n'avaient aucunement besoin de la révolution pour quoi que ce soit. Et dans une telle situation, la dernière des choses dont le peuple avait besoin, c'était bien que les gris viennent vivre à leurs dépends dans tout le pays.
Un discours absolument abject et nombriliste, sans aucune solidarité pour la détresse du monde, et ironiquement contraire aux prétentions de ce que les deux civils appelaient l'Esprit de Nowel.
Un point de vue très subjectif, là encore.
Et pourtant, on les avait laissé venir ici, dans le gymnase urbain utilisé discrètement par les révolutionnaires pour s'entraîner dans le secret, à leur demande. C'était bien simple, et bien étrange: les deux Nowel avaient dit vouloir apprendre à se battre, à se défendre, et s'étaient tout naturellement tournés vers les gris pour ça.
-Rappellez moi pourquoi je devrais faire ça?, gromela le combattant dans sa barbe.
Parce qu'ils sont utiles, avait mollement répondu son valet avant de se retirer en lui laissant les deux civils.
Parce qu'ils étaient beaucoup plus utiles aux révolutionnaires qu'eux mêmes ne l'étaient pour les civils, avait précisé Dogaku. Sans sourire, pour changer. Le jeune homme avait l'air d'être convaincu que si la présence des révolutionnaires devenait dangereuse ou ne serait-ce qu'handicapante pour la cité maritime de Norland, il pourrait décider de les expulser.
Ce qui semblait vraiment idiot. Ça n'était qu'un civil. Et pourtant, on avait quelques doutes. Même s'il n'avait jamais déclaré expressément ce genre de plans, même s'il surestimait largement -ou pas- son influence dans la cité, Sigurd pouvait devenir une véritable guigne pour leurs projets.
Et ça, on n'en avait pas du tout envie. Alors, on le brossait dans le sens du poil. C'était la base de la négociation.
-Donc, commeça-t-il enfin. C'est quoi votre problème? Pourquoi vouloir apprendre à vous défendre?
-Parce que chuis sûr qu'un jour, vous me trouverez assez chiant dans vos projets pour envoyer une bande d'assassins me tuer dans mon lit, répliqua Sigurd en pince-sans-rire. Ou sous la douche. Ou aux toilettes. On est pas difficiles, hein. Et donc, je veux me préparer à réagir en conséquence.
-...
-Humour. Humour, bon sang. Vous deviez rire.
-Personne n'a envie de rire à ça, Sigurd.
-Rhooooo, vous aussi?
-Il ne va pas se battre. Il s'agit de moi, reprit Haylor.
-Oh?
-Oui. Mon partenaire préfère se cacher derrière les femmes.
-Ou engager de vrais gardiens dont c'est le boulot plutôt que de me tuer à faire un truc où chuis mauvais. Ce que vous devriez faire aussi, miss.
-Vous?, s'étonna le gris.
-Tout à fait.
-Mais... vous savez très bien vous défendre, vous, remarqua le révolutionnaire à l'adresse de la Nowel.
C'était un fait: presque personne dans tout Norland n'ignorait ce que pouvait faire Evangeline avec ses petits talents particuliers. Celle qui s'était faîte apprentie sorcière sur un simple coup de tête était maintenant connue comme la personne la plus dangereuse de toute la ville. C'était une chose d'être fort, puissant, et assez expérimenté pour pouvoir remporter un duel à mort contre un ennemi de haut niveau. Mais c'en était une autre d'être capable d'anéantir des bâtiments et des quartiers entiers sur un coup de tête en les forant littéralement à coups de boules de feu, ou de paralyser des vingtaines ou des centaines de personnes sans se fatiguer, par pur caprice.
Et ça, c'était des tours de force que la frêle Evangeline réalisait à tour de bras depuis que les Nowel s'étaient implantés là. Cela faisait quatre, peut être six mois que c'était le cas, et qu'elle s'illustrait régulièrement dans les ragots. Sans avoir rien détruit parmi les biens publics, fort heureusement.
-Je peux faire largement plus que me défendre, souligna la concernée. C'est ce que je me suis tuée à lui répéter, mais il n'en démord pas.
-J'en démords pas du tout.
Le révolutionnaire ne répondit pas. Il commençait à regretter de perdre son temps. Il n'aimait pas le rôle que se donnaient les deux Nowel au sein de la ville, et détestait qu'on se fiche de lui. C'était une terrible corvée, et il avait bien mieux à faire de son temps libre.
Pourtant, Evangeline retint son attention.
-En fait, je ne serais pas venue s'il n'avait pas raison. J'ai besoin de vous. Il faut que quelqu'un me guide.
-Qu'est ce que vous racontez? Vous êtes vingt fois plus capable de vous battre que moi.
-Pas le moins du monde. Malheureusement... il a raison. Je ne sais vraiment pas me battre.
-Quoi?
-Je suis particulièrement douée pour tout détruire, mais me défendre... non. Ça ne me rend pas moins dangereuse, surtout. Mais comme je reste... vulnérable... c'est aussi très dangereux pour moi.
-C'est surtout que...
-Et il se trouve, interrompit Haylor, que je n'arrête pas de me retrouver dans des situations dangereuses, ces derniers temps.
-Vous n'arrêtez pas de vous jeter dedans tête la première, surtout.
-Silence et laissez moi parler.
-Naaaan. Son gros problème, renchérit Dogaku, c'est une question de mentalité et d'attitude. Vous comprendrez très vite en essayant. Elle ne sait pas faire.
Moins d'une minute plus tard, les voilà qui se trouvaient tous deux au centre du gymnase, sur un grand tapis vert. Plantée comme une fleur devant l'instructeur.
-Bon. On va voir ce que ça donne. Frappez moi.
-Oh?
-Faites.
La demoiselle s'exécuta. Avec la force et l'énergie d'une enfant apeurée qui redoutrait d'effaroucher un chat, rien que ça. Ça n'était pas frapper, lui signala le gris.
-Frappez moi vraiment. Avec énergie. Attaquez moi.
Nouvel essai. Mais même avec le poing fermé, la miss se contenta tout juste de plaquer ses phalanges dans la garde de l'entraîneur. Rien de probant.
-Bon, technique d'enseignement révo numéro 94. Imaginez que je suis le marine qui a tué votre père. Attaquez moi.
-Mon père est toujours vivant.
-Votre mère, dans ce cas?
-Ma mère est morte dans un naufrage vers mes douze ans, commenta la miss. Personne ne l'a tuée.
-Vous en êtes sûre? Ça aurait pu être un naufrage provoqué par des marines, vous savez. Ils détestent les révos!
-Laissez la marine et mes parents hors de tout ça, merci.
-Mmmh. Je vois.
Alors, le formateur passa à l'attaque. Soudainement, sans crier gare, d'un vif mouvement par lequel toute sa masse bascula droit sur la demoiselle, prêt à frapper.
Haylor roula par terre en lâchant un long cri strident, les bras plaqués contre son visage, yeux fermés. Quand bien même on n'avait fait que la pousser à hauteur des épaules.
Et là, le formateur comprit que les civils avaient raison. Quelques essais et exercices supplémentaires lui permirent de confirmer leurs dires.
Elle ne savait vraiment pas se battre. Tout se tenait sur une valeur qui lui tenait à coeur, et qu'il appelait l'esprit combatif. Dont elle était totalement dépourvue. Quand il frappait, elle ne cessait de fermer les yeux en se rétractant. Et malgré cela, elle restait désespérément passive, ni proactive, ni réactive. Quoi qu'il fasse, quoi qu'il essaie de lui faire faire. Elle ne faisait rien. Ses réflexes étaient beaucoup trop lent, elle n'anticipait rien, et ne disposait d'aucune réponse à tout ce qu'il lui proposait.
Avec ou sans ses chaînes et ses boules de feu, cela ne changerait rien. La qualité qui lui manquait, c'était la volonté et la confiance de s'investir dans un combat. De prendre le risque d'être blessée ou pire, et d'en faire de même avec quelqu'un.
Elle était molle.
C'était une citadine.
-Qu'est ce qu'on vous avait dit?, s'amusa Sigurd.
-Je crois qu'il va y avoir beaucoup de travail à faire. Vous avez... tout à apprendre. Ça fait peur.
-Pardon?
-Oh, non non, je ne cherche pas à vous faire peur ou vous décourager, pardon. Juste à vous faire comprendre que tout le monde doit commencer un jour, et que vous avez énormément de retard... même par rapport à des personnes beaucoup moins...
-Beaucoup moins dangereuses que moi?, compléta la miss.
-Ouais. Va falloir que vous soyez prête à faire des efforts. Ça sera pas facile. Vous risquez de progresser très rapidement après les premières semaines. Une fois que vous aurez assimilé les bases, tout ira beaucoup plus lentement pour progresser, par contre. Mais il n'y a pas de secret. À force d'en faire, on s'améliore.
-Je comprends.
-Je ne donne pas de cours particuliers, par contre. Je suis instructeur dans le civil et dans le... privé, si vous voyez ce que je veux dire. Deux types de sessions, du coup. Les publiques sont plus fréquentes, et ont l'avantage d'être régulières. Quant aux spéciales révos... c'est en plus petit comité, et on met davantage l'accent sur les applications pratiques. N'hésitez pas à rejoindre celles que vous voulez, en tout cas. Ça vous fera du bien.
-Je vois.
-Et vous, alors?, adressa le gris à Dogaku, qui paressait dans les gradins.
-Ben ça m'amuserait beaucoup de voir Haylor se rouler par terre en criant à force de se bagarrer avec des inconnus, mais...
Sigurd s'interrompit en ricanant mollement, face au regard mi-assassin, mi-amusé que lui décocha la miss.
-Naaaan, pas pour moi ces trucs, j'ai déjà donné dans la milice, merci. Promis je fais un truc intelligent pendant ce temps. J'me suis acheté deux bouquins sur l'agriculture et tout, ça me motivera à les finir. Santagricole, toussa.
-Certainement pas, alors bas les pattes, espèce de parasite suceur de sang, réagit Dogaku.
-Parasite?
-Ouais. Y'a cinq mois, je croyais que les révos étaient des aventuriers indépendants sans le sous, qui voyageaient un peu comme ils pouvaient, complètement à l'arrache, en crèchant sous les ponts et en mangeant... très bonne question. Ce qu'ils pouvaient?
-C'est une vision complètement ridicule de...
-Ouaaaaaaais, je sais. Depuis que je suis sur Luvneel, je suis maintenant convaincu qu'en fait, vous êtes de gros squatters qui crèchent chez l'habitant, qui faites vos courses dans nos frigos, et qui pieutez dans nos canap' quand vous le pouvez. Parasite, donc.
Le formateur sous couvert de la section de Guerre de ce quartier de Norland n'en croyait pas ses oreilles. Ni ses yeux, d'ailleurs. Dans sa communauté, il devenait de plus en plus certain que les Chevaliers de Nowel n'étaient pas favorables à une implantation révolutionnaire dans ce pays, qu'ils ne se gênaient pas de le faire savoir, et qu'ils trouvaient bien plus d'écho au sein de Norland que ce que les gris auraient souhaité. À écouter les deux civils, c'était très simple: eux n'avaient aucunement besoin de révolutionnaires. Ils n'étaient pas opprimés par quoi que ce soit, même si le niveau de la piraterie était insupportable et que les impôts du gouvernement mondial ne se privaient pas de frapper allègrement dans les recettes du pays. Mais ils allaient très bien, et prospéraient, et n'avaient aucunement besoin de la révolution pour quoi que ce soit. Et dans une telle situation, la dernière des choses dont le peuple avait besoin, c'était bien que les gris viennent vivre à leurs dépends dans tout le pays.
Un discours absolument abject et nombriliste, sans aucune solidarité pour la détresse du monde, et ironiquement contraire aux prétentions de ce que les deux civils appelaient l'Esprit de Nowel.
Un point de vue très subjectif, là encore.
Et pourtant, on les avait laissé venir ici, dans le gymnase urbain utilisé discrètement par les révolutionnaires pour s'entraîner dans le secret, à leur demande. C'était bien simple, et bien étrange: les deux Nowel avaient dit vouloir apprendre à se battre, à se défendre, et s'étaient tout naturellement tournés vers les gris pour ça.
-Rappellez moi pourquoi je devrais faire ça?, gromela le combattant dans sa barbe.
Parce qu'ils sont utiles, avait mollement répondu son valet avant de se retirer en lui laissant les deux civils.
Parce qu'ils étaient beaucoup plus utiles aux révolutionnaires qu'eux mêmes ne l'étaient pour les civils, avait précisé Dogaku. Sans sourire, pour changer. Le jeune homme avait l'air d'être convaincu que si la présence des révolutionnaires devenait dangereuse ou ne serait-ce qu'handicapante pour la cité maritime de Norland, il pourrait décider de les expulser.
Ce qui semblait vraiment idiot. Ça n'était qu'un civil. Et pourtant, on avait quelques doutes. Même s'il n'avait jamais déclaré expressément ce genre de plans, même s'il surestimait largement -ou pas- son influence dans la cité, Sigurd pouvait devenir une véritable guigne pour leurs projets.
Et ça, on n'en avait pas du tout envie. Alors, on le brossait dans le sens du poil. C'était la base de la négociation.
-Donc, commeça-t-il enfin. C'est quoi votre problème? Pourquoi vouloir apprendre à vous défendre?
-Parce que chuis sûr qu'un jour, vous me trouverez assez chiant dans vos projets pour envoyer une bande d'assassins me tuer dans mon lit, répliqua Sigurd en pince-sans-rire. Ou sous la douche. Ou aux toilettes. On est pas difficiles, hein. Et donc, je veux me préparer à réagir en conséquence.
-...
-Humour. Humour, bon sang. Vous deviez rire.
-Personne n'a envie de rire à ça, Sigurd.
-Rhooooo, vous aussi?
-Il ne va pas se battre. Il s'agit de moi, reprit Haylor.
-Oh?
-Oui. Mon partenaire préfère se cacher derrière les femmes.
-Ou engager de vrais gardiens dont c'est le boulot plutôt que de me tuer à faire un truc où chuis mauvais. Ce que vous devriez faire aussi, miss.
-Vous?, s'étonna le gris.
-Tout à fait.
-Mais... vous savez très bien vous défendre, vous, remarqua le révolutionnaire à l'adresse de la Nowel.
C'était un fait: presque personne dans tout Norland n'ignorait ce que pouvait faire Evangeline avec ses petits talents particuliers. Celle qui s'était faîte apprentie sorcière sur un simple coup de tête était maintenant connue comme la personne la plus dangereuse de toute la ville. C'était une chose d'être fort, puissant, et assez expérimenté pour pouvoir remporter un duel à mort contre un ennemi de haut niveau. Mais c'en était une autre d'être capable d'anéantir des bâtiments et des quartiers entiers sur un coup de tête en les forant littéralement à coups de boules de feu, ou de paralyser des vingtaines ou des centaines de personnes sans se fatiguer, par pur caprice.
Et ça, c'était des tours de force que la frêle Evangeline réalisait à tour de bras depuis que les Nowel s'étaient implantés là. Cela faisait quatre, peut être six mois que c'était le cas, et qu'elle s'illustrait régulièrement dans les ragots. Sans avoir rien détruit parmi les biens publics, fort heureusement.
-Je peux faire largement plus que me défendre, souligna la concernée. C'est ce que je me suis tuée à lui répéter, mais il n'en démord pas.
-J'en démords pas du tout.
Le révolutionnaire ne répondit pas. Il commençait à regretter de perdre son temps. Il n'aimait pas le rôle que se donnaient les deux Nowel au sein de la ville, et détestait qu'on se fiche de lui. C'était une terrible corvée, et il avait bien mieux à faire de son temps libre.
Pourtant, Evangeline retint son attention.
-En fait, je ne serais pas venue s'il n'avait pas raison. J'ai besoin de vous. Il faut que quelqu'un me guide.
-Qu'est ce que vous racontez? Vous êtes vingt fois plus capable de vous battre que moi.
-Pas le moins du monde. Malheureusement... il a raison. Je ne sais vraiment pas me battre.
-Quoi?
-Je suis particulièrement douée pour tout détruire, mais me défendre... non. Ça ne me rend pas moins dangereuse, surtout. Mais comme je reste... vulnérable... c'est aussi très dangereux pour moi.
-C'est surtout que...
-Et il se trouve, interrompit Haylor, que je n'arrête pas de me retrouver dans des situations dangereuses, ces derniers temps.
-Vous n'arrêtez pas de vous jeter dedans tête la première, surtout.
-Silence et laissez moi parler.
-Naaaan. Son gros problème, renchérit Dogaku, c'est une question de mentalité et d'attitude. Vous comprendrez très vite en essayant. Elle ne sait pas faire.
Moins d'une minute plus tard, les voilà qui se trouvaient tous deux au centre du gymnase, sur un grand tapis vert. Plantée comme une fleur devant l'instructeur.
-Bon. On va voir ce que ça donne. Frappez moi.
-Oh?
-Faites.
La demoiselle s'exécuta. Avec la force et l'énergie d'une enfant apeurée qui redoutrait d'effaroucher un chat, rien que ça. Ça n'était pas frapper, lui signala le gris.
-Frappez moi vraiment. Avec énergie. Attaquez moi.
Nouvel essai. Mais même avec le poing fermé, la miss se contenta tout juste de plaquer ses phalanges dans la garde de l'entraîneur. Rien de probant.
-Bon, technique d'enseignement révo numéro 94. Imaginez que je suis le marine qui a tué votre père. Attaquez moi.
-Mon père est toujours vivant.
-Votre mère, dans ce cas?
-Ma mère est morte dans un naufrage vers mes douze ans, commenta la miss. Personne ne l'a tuée.
-Vous en êtes sûre? Ça aurait pu être un naufrage provoqué par des marines, vous savez. Ils détestent les révos!
-Laissez la marine et mes parents hors de tout ça, merci.
-Mmmh. Je vois.
Alors, le formateur passa à l'attaque. Soudainement, sans crier gare, d'un vif mouvement par lequel toute sa masse bascula droit sur la demoiselle, prêt à frapper.
Haylor roula par terre en lâchant un long cri strident, les bras plaqués contre son visage, yeux fermés. Quand bien même on n'avait fait que la pousser à hauteur des épaules.
Et là, le formateur comprit que les civils avaient raison. Quelques essais et exercices supplémentaires lui permirent de confirmer leurs dires.
Elle ne savait vraiment pas se battre. Tout se tenait sur une valeur qui lui tenait à coeur, et qu'il appelait l'esprit combatif. Dont elle était totalement dépourvue. Quand il frappait, elle ne cessait de fermer les yeux en se rétractant. Et malgré cela, elle restait désespérément passive, ni proactive, ni réactive. Quoi qu'il fasse, quoi qu'il essaie de lui faire faire. Elle ne faisait rien. Ses réflexes étaient beaucoup trop lent, elle n'anticipait rien, et ne disposait d'aucune réponse à tout ce qu'il lui proposait.
Avec ou sans ses chaînes et ses boules de feu, cela ne changerait rien. La qualité qui lui manquait, c'était la volonté et la confiance de s'investir dans un combat. De prendre le risque d'être blessée ou pire, et d'en faire de même avec quelqu'un.
Elle était molle.
C'était une citadine.
-Qu'est ce qu'on vous avait dit?, s'amusa Sigurd.
-Je crois qu'il va y avoir beaucoup de travail à faire. Vous avez... tout à apprendre. Ça fait peur.
-Pardon?
-Oh, non non, je ne cherche pas à vous faire peur ou vous décourager, pardon. Juste à vous faire comprendre que tout le monde doit commencer un jour, et que vous avez énormément de retard... même par rapport à des personnes beaucoup moins...
-Beaucoup moins dangereuses que moi?, compléta la miss.
-Ouais. Va falloir que vous soyez prête à faire des efforts. Ça sera pas facile. Vous risquez de progresser très rapidement après les premières semaines. Une fois que vous aurez assimilé les bases, tout ira beaucoup plus lentement pour progresser, par contre. Mais il n'y a pas de secret. À force d'en faire, on s'améliore.
-Je comprends.
-Je ne donne pas de cours particuliers, par contre. Je suis instructeur dans le civil et dans le... privé, si vous voyez ce que je veux dire. Deux types de sessions, du coup. Les publiques sont plus fréquentes, et ont l'avantage d'être régulières. Quant aux spéciales révos... c'est en plus petit comité, et on met davantage l'accent sur les applications pratiques. N'hésitez pas à rejoindre celles que vous voulez, en tout cas. Ça vous fera du bien.
-Je vois.
-Et vous, alors?, adressa le gris à Dogaku, qui paressait dans les gradins.
-Ben ça m'amuserait beaucoup de voir Haylor se rouler par terre en criant à force de se bagarrer avec des inconnus, mais...
Sigurd s'interrompit en ricanant mollement, face au regard mi-assassin, mi-amusé que lui décocha la miss.
-Naaaan, pas pour moi ces trucs, j'ai déjà donné dans la milice, merci. Promis je fais un truc intelligent pendant ce temps. J'me suis acheté deux bouquins sur l'agriculture et tout, ça me motivera à les finir. Santagricole, toussa.