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Le Mâle


   
C'était une belle journée d'été, loin des neiges éternelles de Boréa. Je me reposais à l'ombre de la grande voile de ce navire, que dis-je, de cette épave que j'avais récupérée, je ne sais trop comment. Cet interlude marquait une pause dans mes activités sur Boréa. Après la chasse aux Lunes, j'avais besoin de repos et peut-être de renouer avec des affaires plus conventionnelles. Peut-être.

Plus tard dans l'après-midi de cette journée-là, un de mes fidèles intermédiaires m'escargophona. Le  timbre de sa voix indiquait clairement qu'il avait mis la main sur un gros filon. Et fort de notre expérience commune à tous les deux, je savais qu'il ne pouvait en être autrement, ce type était doué pour sentir les bons coups. Un peu comme-moi, sauf que lui se limitait uniquement à la revente d'infos. il préférait ne jamais se mouiller.
Lui, c'était Clyde, plus connu sous le sobriquet du "Condor".

- Ça faisait longtemps, Lothy. Des bruits courent sur toi, ce que tu fais à Boréa ne passe pas inaperçu. On parle même de Red ? Héhéhéhé !

- Parlons peu, Condor. T'as un truc pour moi ? Je suis désœuvré là.

- Ouais, disons ça. Un marché en or. 'fin, peut-être pas de l'or mais en tout cas, c'est jaune. Huhuhuhu. T'as déjà entendu parler de Than Zhé ?

- Celui qui se fait appeler "Le Généralissime" ? L'empereur autoproclamé de la République Très Très Démocratique de Mevers ?

- Lui-même. Il a offert 30 millions de Berry à celui qui lui fournira un peu, mais juste un peu, de Mâle.

- Que se passe-t-il avec le Mâle ? Je sais que c'est très rare comme essence, mais à Roserance et avec son pouvoir, il devait en trouver non ?

- T'imagines bien que si c'était aussi simple, il n'allait pas lancer cette espèce d'appel d'offre, mon pote, huhuhuhu. Le truc c'est que, du Mâle, on en trouve plus ! Pas une goutte, depuis plus d'un semestre. Nadaa ! C'est la crise, les prix atteignent des sommes mirobolantes !
On dit que les Nez de Roserance n'en fabriquent plus. On dit qu'il y a une mystérieuse maladie qui décime les Cerfroussards. On dit que le plus grand Nez est mort dans la Forêt Noire en cherchant la source du mal, ou devrais-je dire, du Mâle. On dit qu'une dizaine de grands Morves l'ont suivi dans la mort en cherchant à démystifier les événements. On dit beaucoup de choses, mais on en sait très peu...
Je me disais que ça pourrait t'intéresser...


- Aquilin est mort ? répétai-je d'une voix sans timbre.

L'image du vieil homme centenaire aussi fragile que du verre flotta dans ma mémoire, l'espace d'un instant. C'était le plus grand Nez qu'ait jamais connu Roserance. Pour moi, c'était un vieux et honnête fournisseur du temps où je trempais dans ce commerce. L'un des seuls légaux qu'il m'ait été donné de pratiquer.
Des infos, je n'en avais pas des masses mais en fin de compte, cette affaire m'intéressa beaucoup. Parce que non seulement, une connaissance à moi avait trouvé la mort, mais que j'étais comme toujours, autant attiré par les mystères qu'un papillon l'est par une source de chaleur. Curiosité qui m'avait joué plus d'un mauvais tour, plus d'une fois.
Mais au diable toute pensée de repos et de vacances à bronzer au soleil ou à vendre des chaussettes.
Le danger, c'était le sel de ma vie.

Sans autre forme de préambule, j'acceptai de tirer cette affaire au clair. La fierté de beaucoup d'hommes dans le monde en dépendait.
Juré, le Mâle revivra.  

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Roserance, le village caché des effluves.
Des endroits comme celui-ci, il y en avait très peu dans le monde. C'était un de ces villages pittoresques de pêcheur blotti en bord de mer. Le lever de soleil sur Roserance était un spectacle à admirer au moins une fois dans sa vie. Moi je le vivais pour la seconde fois en quatre ans.
La traversée, des mers territoriales de Boréa à l'île de Roserance, n'avait duré que deux jours. Je débarquai à la faveur d'une puissante brise qui fit échouer mon petit radeau -l'épave de l'avant veille avait coulé- sur le sable granulé de Roserance. A grand pas, je traversai le village et me dirigeai vers le Siheyuan -une maison à cour carrée- qui fut autrefois celle du Nez Aquilin. Aujourd'hui, sa famille devait occuper les lieux.
J'y trouverai les réponses aux questions qui me tourmentent.

Mais déjà, en traversant le village, je commençai à prendre la mesure de quelque chose. Abstraction faite de l'heure très matinale, les quelques habitants que je croisais me dardaient de regards hagards, souffreteux. Pas le genre qui reflétait une souffrance physique mais qui trahissait une torture morale, sentimentale. Une profonde dépression. Et tous semblaient concernés, adultes comme jeunes.
Les grandes distilleries et parfumeries artisanales chauffées au charbon qui avaient fait la renommée de l'île ne crachaient plus dans l’atmosphère leur fumée enivrante, les grandes verreries et forges du village ne produisaient plus des conteneurs stylisés et personnalisés pour les parfums produits. Quelque chose ou quelqu'un avait enlevé toute joie de vivre dans ce village.
Je croisai aussi quelques étrangers aux airs de marchands itinérants ou de chasseurs de primes, surement attirés par l’appât du gain. Comme moi, mais sans la curiosité en plus.

Je toquai à la porte de la famille d'Aquilin et ce fut son fils aîné qui m'ouvrit. Grand, dégingandé, avec de grands membres de gorilles, de gros yeux en prime, il semblait avoir été conçu par un enfant à l'imagination trop fertile. Il me reconnut immédiatement et hocha la tête d'un air entendu comme s'il attendait ma venue. Les premières salutations usuelles et les condoléances présentées, je m'attaquai à l'essentiel.

- Que se passe-t-il ici, pourquoi toutes les parfumeries de l'île semblent arrêtées ? Du moins, pourquoi ne produisez-vous plus de Mâle ?

- Le Mâle... répéta-t-il d'une voix blanche et chagrinée comme si le seul fait d'énoncer ce mot le torturait. Plus de Mâle, qui l'eut cru... C'était le parfum le plus célèbre de l'île, celui qui avait fait sa renommée à travers et au delà des mers. Celle dont s'embaumaient tous les jeunes et vieux loups séducteurs du monde entier...

- Tous les libidineux et pervers à travers le monde, ouais. Le Mâle est peut-être le parfum artisanal le plus concentré en phéromone au monde. Il a un effet détonnant et fait s'écrouler la vierge et la nonne, pensai-je, amusé. Inutile de blesser davantage mon interlocuteur en diffamant une fierté de son terroir.
Par nature, le Mâle était rare. Je crois qu'il n'en était produit que 15 à 25 litres annuellement, non ? Et que la liste d'attente pour s'en procurer était de plus de cinq ans. Comment êtes-vous passés du stade "y en a peu" à "c'est fini" ?
demandai-je, intelligiblement cette fois-ci.

- Parceque les Cerfroussards sont morts. Décimés. Tous.

Sa voix se brisa en de véritables sanglots que, nullement, je ne tentai de réconforter. Je me demandais plutôt pourquoi n'y avais-je pas pensé plus tôt.
Bien que la formule du Mâle soit détenue par une seule famille du village -celle d'Aquilin-, malgré que son secret n'ait jamais été divulgué même quand le village fut ravagé par des pirates à sa recherche, un ingrédient cependant demeurait essentiel et connu dans sa fabrication : du musc de Cerfroussard, un petit herbivore de la famille des cervidés.


Cerfroussard

Trois mois par an, durant la période de rut, une glande spéciale située sur les testicules des mâles se remplissait du précieux liquide ambré hyper concentré en phéromones. Durant ce laps de temps, des chasseurs spécialisés du village appelés Morves se lançaient dans le recueil du musc. Une technique ancestrale nécessitant une décennie d'apprentissage permettait d'inciser la poche -sans causer de dommage à l'animal- et de recueillir le musc, si toutefois on parvenait à attraper un Cerfroussard... Ces créatures étaient très peureuses et plus rapides que des guépards. Elles pointaient facilement à 200 km/h en 5 secondes. Tous cela rendait le Mâle bien rare.
C'est seulement après la collecte du musc, qu'entraient en jeu, les Nez, des parfumeurs hyper spécialisés détenant des siècles de savoir-faire dans la préparation du Mâle.
Les Cerfroussards étaient donc l’atout principal mais aussi le tendon d’Achille de cette industrie séculaire. L'espèce était endémique de Roserance et selon de rares archives, leur population n'aurait jamais excédé les deux cents individus. Un nombre déjà prometteur d'une extinction prochaine, je l'avais pensé à l'époque, mais sans plus. Alors apprendre que le Mâle ne se fabriquait plus parce que les Cerfroussards avaient disparu ne me surprit donc pas plus que cela.
La seule question était désormais :

- Qu'est-ce qui a décimé les Cerfroussards ? Une maladie ?

- Nous, nous, ne l'ignorons. Ce qu'on sait, c'est qu'ils ont subitement disparu il y a quelque mois au tout début du rut. Comme jamais auparavant dans notre histoire, des Morves se sont enfoncés dans la Forêt Noire à leur recherche et en n'en sont jamais revenus. De terribles créatures hantent ces contrées sombres.
Il en bégayait, il en frissonnait.

- La Forêt Noire. Vous parlez de cette immense forêt qui s'étend sur la moitié de l'île de Roserance ? Même votre père n'en est pas revenu ?

- Si justement. Il fut le seul. C'est lui qui nous révéla, aux portes de la mort, qu'il avait vu es Cerfroussards morts. Tout un troupeau. Il nous conseilla de ne jamais nous rendre au cœur de la forêt, que là-bas, le mal avait tissé ses toiles. Que les cerfs avaient été décimés, charcutés. C'étaient ses dernières paroles.

- Donc depuis tout ce temps vous avez vu votre économie s'éteindre à petit feu ? Vous vous abstenus d'aller dans la forêt depuis lors ?

- Les autres ont pensé que ce serait une bonne idée d'engager des aventuriers, des chasseurs de primes. Ceux qui ont réussi à revenir de la forêt étaient comme mon père, à l'orée de la mort. Après ces échecs successifs, la peur a corrompu le cœur des habitants, plus personne ne voulait risquer sa vie ou celle d'un tiers dans ce qu'ils acceptaient désormais comme une malédiction, une fatalité, finit-il avec hargne et haine. Mais moi non ! Jamais ! Je prépare une expédition, je compte bien aller voir de mes yeux et trouver la source de cette calamité, même si tous les poltrons du village tentent de m'en dissuader. Quand ils me voient, ils parlent à voix basse, ils susurrent comme si j'étais déjà mort.
Mon père, son père avant lui, le père de celui-ci, et tous mes aïeux avant moi ont préparé du Mâle. Ce parfum, c'est plus qu'une marque, c'est héritage, la pierre angulaire de mon histoire familiale. Je fabriquerai du Mâle ou mourrai en essayant !


Il termina sa phrase par une rafale impressionnante de toux. Il voulait se gonfler puisqu'il n'en était capable mais tout compte fait, je m'apercevais qu'il ne serait jamais revenu de cette forêt, quoiqu'elle pût cacher. Une maladie rendait le fils d'Aquilin incapable d'entreprendre de gros efforts physique.
Soudain, un sanglot étouffé retentit dans une pièce de la maison trahissant la présence de la femme d'Aquilin, la mère de mon interlocuteur.

- Rassurez-vous madame, dis-je en m'adressant à la femme invisible à mes yeux. Votre fils reviendra de son expédition, il faudra bien que quelqu'un compose le Mâle pour moi, quand je ramènerais du musc de Cerfroussard.
C'est quoi ton nom, l'ami ?


- Quilian. Tu... tu viens avec moi ?

- Oui. Cette tragédie m'inquiète et m'exalte à la fois. Elle a comme un parfum de... mal. 

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La Forêt Noire portait bien son nom. Voilà plus de cinq heures que nous marchions, Quilian et moi et je pouvais compter sur deux doigts le nombre de fois que nous avons entraperçu le soleil à travers la dense canopée. La forêt était du type équatoriale, très dense donc, très humide. La visibilité était à moins d'un mètre et les puissances torches que nous avions apporté avec nous, nous aidaient à peine à ne pas rentrer par maladresse dans un arbre. Nous étions armés de machettes pour éclaircir notre chemin et nous frayer un passage à travers les enchevêtrements de lianes tissés dans la forêt par qui dirait une araignée cauchemardesque.

Les monstres... C'était l'obsession de Quilian depuis que nous avons fait route vers le cœur de la Forêt Noire à la recherche du moindre signe de Cerfroussards. Ses ancêtres avaient sciemment évité cette région de la jungle depuis qu'ils s'étaient installés sur l'île et pour cause, les Cerfroussards n'étaient pas les seuls exotismes du règne animal présents sur l'île. Selon leurs croyances, ces lieux regorgeaient de serpents géants, de scorpions géants, de milles-pattes géants... A croire que le commun des animaux avait été frappé de gigantisme.
Mais tout ce qu'on croisât de géant depuis cinq heures, étaient les arbres dont les cimes s'épanouissaient à plus de trente mètres au dessus du sol humide et tapissé de feuilles mortes. Quant aux animaux, nous n'en avions pas rencontrés qui sorte de la norme.
Pas encore.

C'était bien connu que le centre d'une galaxie concentrait plus d'étoiles que ses périphéries.
Ce même phénomène semblait avoir cours dans la Forêt Noire, je le remarquai instantanément dès que mon silencieux compagnon et moi pénétrâmes dans ce qui était connu comme le Cœur de la jungle. L’atmosphère elle-même s'était faite plus lourde, les ténèbres plus épais. De nombreux yeux étaient soudain apparus dans les ténèbres, décuplant nos sens déjà aux aguets qui transformait d'inoffensifs piaillements d'oiseaux en hurlements de monstres informes.
Ce n'était pas la première fois que je m'aventurais dans une jungle hostile, aussi gardai-je mon calme naturel, à contrario de mon camarade qui tremblait comme un oisillon mordu par le froid. Son illustre père, le Nez Aquilin était le seul du village à avoir exercé à la fois en tant que Nez et comme Morve. Un peu comme un taxidermiste qui aurait été un chasseur.
Lui, Quilian, avait uniquement été formé à l'art de préparer les parfums. C'était un Nez, pas une Morve. Je me demandai fugacement comment avait-il eu la bêtise de préparer tout seul une expédition en ces lieux...

C'est alors que m'arrachèrent à mes pensées, deux gros yeux jaunes plus insistants que les autres qui gardaient leur distance depuis une demi-heure. Nous les avions remarqués, nous suivant pas à pas dans les ténèbres. Un monstre affamé depuis des lustres et qui rêvait de faire de nous son casse-croûte ? Peut-être bien. D'ailleurs, affamés, nous l'étions aussi...
Un cri étouffé dans la gorge de Quilian auréola l'apparition de la créature.  

- Woh woh woh woh, c'est bien un casoar Légionnaire ? murmurai-je en reconnaissant les traits du volatile au plumage écarlate qui nous défiait de son mètre quatre-vingt de hauteur.

Instinctivement, je dardai mon regard vers ses pattes terminées par trois redoutables doigts aux griffes aussi grands que des poignards. Quilian, frappé de mutisme par la terreur, se colla contre moi et serra sa machette aussi fort que le lui permettait ses bras tremblants. Le casoar était un oiseau très dangereux pour l'humain moyen. Il faisait plusieurs dizaines morts par an dans les zones où il cohabitait avec des masses importantes de populations. Le casoar était aussi connu pour sa solitude, grand bien lui fasse. Du moins, toutes les espèces membres de cette famille étaient solitaires, sauf une. Et cela présageait de biens sombres avenirs pour nous...

- Okey. Voilà le plan. Un seul casoar, ça va, c'est gérable. Mais tu sais quoi, Quilian ? Un SEUL casoar Légionnaire, ça n'existe pas... murmurai-je alors que d’innombrables yeux perçaient les ténèbres en se rapprochant. Nous avons dû tomber en plein milieu de leur zone de nidification et pour être saufs, nous devons nous en dégager, ce sont des animaux très territoriaux. Regarde à six heures. Tu vois ce petit sentier éclairé par ma lampe ? A trois, tu passes par là et tu cours comme un damné. Sans te retourner. Moi, je protégerai tes arrières...
COURS !



Les héros mourraient toujours avant les lâches, c'était bien connu. Et depuis longtemps j'avais décidé que seuls les imbéciles continuaient un combat déjà perdu. Alors, à cet instant, j'étais un bien sombre imbécile. Ma machette scinda obliquement les ténèbres et trancha une masse sur son chemin. Un piaillement suraigu trahissant la souffrance infligée secoua les ténèbres. D'autres vociférations indiquant la rage cette fois-ci emplissaient la forêt. Quilian et moi courrions pour sauver nos vies. Enfin, lui courrait, moi je me battais. Comme un imbécile, contre une horde d'une centaine de casoars. Pas tous à la fois, encore heureux... Mais à trois ou quatre contre un dans ces ténèbres, la balance était en ma défaveur. Mon kimono tout lacéré de griffures, ma peau constellée de blessures en témoignaient. Je me battais pour ma vie et celle de Quilian contre ses oiseaux haineux, tailladant, tranchant, dardant, abattant sans cesse ma machette qui en était devenue aussi écarlate que le plumage de mes assaillants emplumés. A la faveur d'un assaut coordonné d'un commando de quatre casoars plus teigneux que les autres, je fus désarmé et projeté à terre pendant qu'un volatile me balafrait le torse de son dard pédestre. Je m'écrasai à terre, les muscles endoloris et douloureux, crachant du sang. Maudites créatures.
Et comble de l'humiliation, elles semblaient ricaner à présent que j'étais sans armes et que je courrais de plus belle, dans le sillage de Quilian.
Mais sans arme, je ne l'étais vraiment jamais, un dur entraînement de sept longues années m'avait conféré des capacités et un savoir-faire... animal. Mon art martial s'inspirait des déplacements et des mouvements des animaux et les reproduisaient dans des versions mortelles. Quel animal dans ma panoplie d'imitation pouvais-je alors invoquer pour me sortir de cette situation ? Nous étions la proie et les casoars, les chasseurs. Ce qu'il me fallait, c'était inverser la position pyramidale de cette chaîne alimentaire et justement, j'avais en bandoulière une créature qui trônait au sommet...

- Lordly Tiger, Rugissement d'outre-tombe !

Jamais dans ma vie, je n'avais autant vociféré. Je détestais avoir recours au Style du Tigre parce qu'il exigeait la puissance et la brutalité. Mais je détestais encore plus cette technique particulière qui usait mes cordes vocales à les casser dans une tentative de reproduire le rugissement du prédateur. Cela exigeait un souffle conséquent -que j'avais perdu en courant- ainsi qu'une bonne dose de concentration. Aussi mon résultat fut-il plus proche du cri d'un chat de gouttière agonisant que de la noble voix du seigneur des félins. Je continuai ainsi pendant une dizaine de minute, mon ton devenant de plus en plus aiguë. Si aiguë que je vins à penser que bientôt, seule les chauves souris pourraient m'entendre...
Je m'arrêtai, essoufflé, un genou à terre, constatant que mon entreprise avait réussi. Dès les premières notes, les casoars s'étaient stoppés puis dissipés à tire d'aile. La loi de la jungle avait opéré, j'étais au sommet de la chaîne alimentaire. D'ailleurs, pour le prouver, je me dirigeai vers la carcasse du dernier casoar que j'avais tranché, un barbecue riche en protéines étant fortement conseillé après cette débauche d'énergie.

- Quoi ? lançai-je d'une voix cassée et rauque à Quilian qui me tirait les manches depuis quelques minutes.

Je lui consentis un regard, puis un autre dans la direction qu'indiquait son index gondolé. Nous étions dans une espèce de vaste clairière où les arbres s'étaient faits très épars. Je remarquai d'abord une espèce d'enclos rudimentaire, puis, comme si je prenais conscience de la situation et que tous mes sens me revenaient, une puissante odeur attaqua mon odorat. Des relents de pourriture, cette odeur caractéristique de la mort...
Dans l'enclos construit dans la clairière, gisaient pèle-mêle, à même le sol, les carcasses en décomposition d'une centaine de Cerfroussards.
Grâce à la course que nous avaient donnée les casoars, nous avions finalement trouvé nos Cerfroussards.
Trop tard.  

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- Non, non, non, non ! hurla Quilian en promenant la lumière de sa torche sur le macabre spectacle.

Je comprenais son épouvante. Une fois passé le premier choc, on ressentait la tristesse qui alourdissait ces lieux. La tristesse de voir morts ces animaux paisibles ayant pour seule défense leur vitesse. Les plus anciens gisaient là depuis plusieurs mois vu leur état très avancé de décomposition. Le plus récent que je pus trouver en fouinant dans l'enclos devait dater de moins de deux jours. J'avais à mon compte une expérience d’ornithologue amateur amassé sur l'île de Craie où j'avais été élevé par les moines mendiants. Bien sûr, ces cervidés n'étaient pas des oiseaux mais j'avais étudié, expérimenté et m'étais acclimaté au processus de décomposition dans plusieurs environnements différents. Tout ça pour percer dans le domaine des sciences criminelles, une de mes passions.

- Ce...ce... sont les casoars qui ont f...fait ça ? demanda Quilian, horrifié, des larmes silencieuses dégoulinant sur ses joues.

Sa question était rhétorique. Il savait pertinemment que les casoars étaient trop lents pour s'attaquer à des Cerfroussards. Et en outre, les casoars ne construisaient pas d'enclos avec des fils barbelés alimentés au Thunder dial... Ce carnage était l'oeuvre d'une créature intelligente, d'un humain.  
Et comme le bipède commun était impliqué dans cette affaire, je coiffai mon chapeau d'enquêteur et me mis à la recherche d'indices pendant que Quilian dépérissait sur place. Je le comprenais, il devait y avoir là tout le troupeau de Cerfroussards de l'île. Une espèce quasi éteinte... Pour quelle raison ? Je l'ignorais sur le moment mais mon self-control apathique menaçait de céder sous une vague de haine qui s'insinuait dans mes veines comme un lent poison. S'il y avait bien une chose que je détestais plus au monde que l'ingratitude et l'esclavagisme, c'était le gâchis.

- Des bra...braconniers... Ce sont des braconniers.

Il avait raison. Ces animaux avaient été victimes de braconnage, ou devrais-je dire, d'une sorte de braconnage. On les avait chassé jusqu'à l'extinction pour leur musc comme le prouvait les entailles sur leurs testicules. La position précaire de la glande à musc rendait le recueil du précieux liquide très délicat et potentiellement émasculant voir mortel pour le mâle. Aussi, ne devenaient des Morves que les chasseurs ayant passé une décennie à parfaire leurs adresses et leurs connaissances de l'anatomie de cette frêle créature. Ceux qui avaient fait ça avaient agi comme des bouchers, allant jusqu'à trancher purement et simplement les roubignoles des cervidés. Aucun tact, aucune grâce. Je commençai vraiment à m'énerver devant tant de gauchisme.

- Était-ce ça que ton père avait découvert ? Je veux dire, l'endroit est bien isolé, au cœur du territoire des casoars. Même un Morve expérimenté aurait du mal à passer mais je ne doute pas que ton père le pût. Quel genre de blessure lui avait été fatal ? Les entailles d'un casoar ou le plomb d'un Colt ? demandai-je en ramassant par terre un revolver rouillé par l'eau de ruissellement.

Pure rhétorique là aussi. Aquilin était revenu de la forêt constellé de blessures en tout genre et les campagnards qu'étaient les Roserans n'avaient pas cherché plus loin. Moi, j'aurais tâté de ce mystère et cherché la cause réelle de la mort. Une chose m'était certaine cependant, c'étaient que ces gens devaient être prêts à tout et sûrement très dangereux pour s'être lancés dans une telle entreprise. Éliminer un gêneur ne leur aurait pas semblé un handicap.
Je reportai mon attention sur l'enclos, les ténèbres ambiants ne facilitant pas ma tâche. L'entreprise durait depuis des mois, mes constations me le confirmaient. De nouveaux Cerfrousses s'étaient au fil du temps ajoutés à la masse déjà retenue à l'intérieur des grilles barbelées et à certains endroits, je pouvais voir les anciennes limites de l'enclos. Les piquets n'avaient pas été enlevés, d'autres avaient été plantés plus loin, puis le grillage déplacé. On aurait presque dit que leurs ravisseurs les élevaient. Sauf qu'ils s'étaient montrés si peu compatissants avec eux qu'ils avaient pitoyablement laissé gésir et se décomposer les Cerfroussards morts, côtoyant sans pudeur ceux qui étaient encore en vie.
C'est alors que je remarquai quelque chose à la faveur d'un énième passage parmi les carcasses.

- Attends... Mais, ce ne sont pas que des mâles là... Regarde Quilian, ici, c'est une femelle, ici aussi.  Ils les ont capturés sans distinction de sexe !

- Et ? demanda-t-il, hagard.

- Allons, fais fonctionner tes méninges mon pote, tu vas finir par marcher à reculons, autrement ! Si c'est uniquement le musc qu'ils veulent, pourquoi capturer des femelles ? La plupart des mâles semblent être mort des suites de l'opération ratée pour récolter leur musc. Mais les femelles... Attends, ce n'est pas croyable, celle-là a le flanc perforé par une lance qui s'y est cassée. Regarde, la pointe !

- Peut-être qu'ils se servaient des femelles comme appât ?

- Ouais, possible. Dans ce cas, les éliminer n'a aucun sens... Elles ont plus de valeur en vie. Je crains que ces gens n'aient eu des desseins plus obscurs que la simple récolte de musc... C'est comme s'ils s'étaient lancés dans une extermination méthodique de l'espèce... Mais pourquoi, et qui sont-ils ? Votre village a-t-il des ennemis ? Sur l'île voisine par exemple, et qui voudraient couler votre commerce ?

- Non, aucun ennemi. Je suis encore plus désemparé que vous. Mais, j'y pense, où sont les faons ? Vous avez vu des petits ?

Non, aucun faon en effet. Tous les cadavres étaient des adultes, mais il devait forcément y avoir des petits, quelque part. Ces braconniers purifiaient peut-être l'espèce de tout instinct sauvage ? J'avais déjà lu des récits comme semblables sur des plans d'envergures de domestication de certaines espèces animales qu'on ne souhaitait plus voir à l'état sauvage. Éliminer les plus anciennes générations et habituer la nouvelle à la présence humaine. Au bout de trois ou quatre générations, ne restait de l'instinct sauvage qu'un résidu de velléité...  
Un bruit sec, semblable à un talon qui écrasait une branche brisa le silence mortuaire. Depuis les casoars, mes sens étaient décuplés et depuis la découverte de ce carnage, j'étais belliqueux à souhait. Aussi, criblai-je de couteaux de jets l'endroit d'où était provenu le son. Un cri étouffé indiqua que j'avais fait mouche et sans en démordre, je me jetai dans la haie de plantes sauvages pour en ressortir manu militari un homme de taille moyenne coiffé d'une crête iroquoise. J'ignorais pourquoi sa tête de punk avait décuplé ma rage mais je lui administrai sans sommation un puissant coup de paume au buffet qui l'envoya percuter un arbre. Je fonçai ensuite sur lui alors qu'il tentait de reprendre son souffle, et le crucifiai au tronc épais de l'arbre en lui plantant un couteau dans chaque main.
Machinalement, surpris par ma propre violence, je remontai mes lunettes maculées de sang pendant que mon adversaire hurlait sa douleur.

- Parlons, peu. Qui es-tu et qu'as-tu glandé ici ?  


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Il gémissait, geignait sous la douleur de ses blessures. Pas uniquement de celles que je lui avais infligées. Une profonde estafilade lui ensanglantait le côté droit du visage. Il avait perdu un œil dans l'histoire et par endroit, les serres des casoars s'étaient si profondément enfoncés dans sa chair qu'on pouvait voir des bouts de côtes. Bref, il avait fait son temps et mes menaces de mort n'auraient rien changé. C'était alors d'autant plus urgent pour moi de lui soutirer une info viable avant qu'il ne trépasse.
Sans préliminaire, je le tâtai, le tripotai carrément à la recherche d'un quelconque indice qui pourrait capter son attention. Dans une poche intérieure de sa veste déchiquetée pendait un mouchoir. Du moins, c'était ce que je pensais avant l'extirper entièrement. C'était un foulard bandana, dans le même genre que les cow-boys portaient autour du cou. Il aurait pu paraître anodin s'il n'était pas frappé d'un certain emblème.



- Parles pas de malheur... murmurai-je de consternation en reconnaissant le Jolly Roger.  

- C'est un drapeau pirate ? C'est de qui ? demanda Quilian.

- Heureux les simples d'esprits, car le royaume des cieux est à eux... pensai-je en fixant son exaspérante candeur enfantine. Ce drapeau est celui de Ravrak, dit L'immortel. Un des quatre Empereurs Pirates. Ça te dit quelque chose ?

Il nia du chef et je me surpris à le prendre encore plus en pitié tout en me demandant comment serait ma vie sans toutes ses informations archivées par ma mémoire eidétique. Quelqu'un n'ayant jamais entendu parler des Yonkous. Fascinant. Je lui expliquai qui étaient ces gens et à quel point, ils étaient semble-t-il terrifiant. Parce que moi-même, je n'en savais rien au final, ne les ayant jamais rencontré.
Mais la question à savoir si l’Empereur Ravrak était sur West Blue, à extraire du jus de couille -je m'étais laissé aller à un moment de vulgarité- d'un cervidé... la réponse était bien évidemment non. Mais rien n'empêchait qu'il ait délégué quelqu'un, ayant entendu parler du Mâle. Quoique j'avais franchement du mal à imaginer qu'un homme aussi puissant que lui ait besoin de telles artifices pour séduire les femmes.

- Peut-être qu'il veut séduire l'autre Yonkou ? Cette Kyoshi ?

- Kyoshi est une enfant. Enfin, adolescente maintenant. Peut-être est-il du genre à aimer les fruits non murs... Bref peut importe, on s'en fou, ce n'est pas là la question. Si cette expédition a été ordonnée par Ravrak, je crains qu'il ne reste plus qu'à évacuer votre village avant qu'il ne décide d'y mettre le feu.  

- Señor Lud...

- Quoi ? Qu'est-ce que t'as dit ? demandai-je avec empressement au Punk qui marmonnait à si basse voix que je dus coller mon oreille contre sa bouche pour comprendre.

- Perdón Señor Ludwig. J'ai échoué...

Puis il rendit l'âme, s'affalant de tout son long sur le sol.
Ludwig... Bien sûr, il voulait parler de Ludwig Van Ghost, le bras droit de L'immortel. Je reportai automatiquement mon attention sur le bandana et vit un "L" dans l'une des orbites du crane. Un drapeau personnalisé... Ma petite théorie se retrouvait confirmée. Ludwig, le vrai, ne personnaliserait pas le sacro-saint Jolly Roger de son capitaine, à moins d'être complètement fêlé. Et pour être fêlé, il avait de l'expérience dans ce domaine. En début d'année, des Ludwig loufoques avaient été aperçus un peu partout dans le monde et une double prime avait été mise sur leur tête. Un million pour chaque clone tué de la part de l'Original, cinq cent mille berry de plus pour les capturer vivant de la part de la marine. Si ces clones cherchaient à réaliser leurs propres rêves, celui qui était derrière l'extermination des Cerfroussards voulait peut-être devenir parfumeur.

- Bon, je crois que tout est clair maintenant, un clone fou est derrière ce gâchis. La bonne nouvelle c'est que nous, je en fait, puis m'en débarrasser, ces clones ne sont pas très forts. La mauvaise nouvelle c'est qu'il faut se dépêcher de le trouver, parce qu'il est réellement à fond dans son rêve et il peut être en ce moment entrain de tuer les faons.

- Où peut-on les trouver ?

- Bonne question ? Où, dans cette forêt pourrait-on retenir des faons ? Le Grand Maître de l'ordre de moines mendiants qui m'a élevé me disait toujours que les petits étaient indisciplinés. Ludwig a tenu les adultes en respect grâce à la douleur des fils électrifiés, mais cet artifice n'aurait pas été efficace contre les jeunes qui gambadent partout et qui n'apprennent pas de leurs erreurs ? Tu me suis ? Il lui faut une sorte de conteneur peut-être ou...

- Ou du mielait. C'est une substance laiteuse dont raffolent les Cerfroussards. Elle est produite par un l'arbrabeille. Les Morves se servent du mielait comme appât.  

- C'est parfait ça, où peut-on trouver un arbre de cet type ?

- Il n'y a pas plusieurs arbrabeille, il n'y en a qu'un, et il se trouve sur la côte, en lisière de forêt, côté Ouest. Notre village se trouve du côté Est, aussi pour recueillir le mielait, les Morves sont obligé de prendre la mer et de contourner l'île.

- Nous allons couper tout droit. Nous sommes au centre de la jungle, il ne nous reste que l'autre moitié vers le soleil alors. Et si nous traversons encore le territoire des casoars, je suis plus reposé maintenant pour émettre un rugissement encore plus féroce. Haut les cœurs, on y va !
Et j'emporte un casse-croûte casoar avec moi.


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Il n'y avait pas à dire, c'était bon le casoar grillé au feu de bois. Je m'en étais fait une grillage au bénéfice d'une pause après quatre heures de marche à travers la jungle. Plus nous avancions vers les périphéries, plus la canopée devenait légère et la lumière plus insistante. Bientôt, nous n'eûmes plus besoin de nos torches. Au cœur de la forêt, Quilian avait la hantise de voir surgir une monstrueuse bestiole. Ici, à l'approche des côtes, c'était bien la crainte de tomber sur les auteurs de ce galimatias qui l'épouvantait. Mais comme moi, il était résolu à en découdre, pour venger les cervidés massacrés et récupérer les faons. Pour perpétuer l'espèce, si c'était encore possible.
Nous ne tardâmes pas à les trouver et un "waouh !" suivit notre découverte de ce qui se dressait en lisière de forêt comme un véritable complexe industriel miniature en préfabriqué. Il y avait des cabanes partout, certaines expulsant des fumées colorées par leur cheminée, de grandes cuves noires contenant probablement du solvant, d'autres cuves géantes en verre cette fois-ci faisant partie d'un système de distillerie qui prenait sa source dans la plus imposante bâtisse haute d'un étage. Au loin sur la côte, nous aperçûmes l'ombre d'un imposant navire qui mouillait, ancré à une jetée.

- Ce ne sont pas des chimistes du dimanche, ces mecs sont là depuis longtemps. Ils sont organisés.

Quilian acquiesça du chef. Il m'indiqua un arbre à l'autre bout du complexe qui ressemblait vaguement à un baobab. Des fruits semblables à de gros ballons de baudruche pendouillaient sur ses branches et aussi loin que je pusse en juger de notre position, une espèce d'enclos était emménagé à sa base. Nous avions trouvé l'arbrabeille.
Furtifs, nous alors traversâmes le camp en direction de l'arbre. C'était l'après-midi et un soleil de plomb frappait l'île de ses rayons. Rares étaient donc les gardes au dehors et quelque part, je me dis que la tranquillité dont ils avaient joui depuis leur arrivée ici devait les avoir ramollis. Tant mieux pour nous.
A quatre pattes à présent, nous empruntions une venelle étroite qui séparait deux gîtes. Soudain, une voix tonna et nous nous arrêtâmes dans notre progression. La voix provenait de la bâtisse à notre gauche et sortait par sa fenêtre ouverte. Elle était verte de colère et ses interlocuteurs n'en menaient pas large, s'exprimant à travers de petits couinements de souris apeurée.

- Six mois, Jack ! Six mois, sans compter le temps qu'il a fallu pour acheter et monter cette usine ! Six mois d'échec !

- Désolé Boss, mais ce n'est pas de ma faute, nous avons été dup...

BAF !

- Ose encore répéter que ce n'est pas de ta faute et tu t'en repentiras ! Si je t'ai recruté, c'est parce qu'on m'avait dit que tu étais le meilleur chasseur de tout West Blue. Foutaises ! Pas même fichu de trouver un stupide herbivore !

- Maître, Señor Ludwig... hésita le dénommé Jack.
Je connaissais ce ton, c'était celui de quelqu'un qui devait avouer une vérité qui, peut-être, lui coûterait la vie dans la seconde qui suivrait. J'aurais été à sa place que je me serais tu.
Je crains que... que les villageois... ces Morves comme ils se dénomment, que nous avons capturés dans la forêt ne nous ait mené en bateau... L'Alpha, n'existe pas...

BAF ! BAF ! BAF ! BAF ! BAF ! BAF ! BANG !
A l’ouïe, je dirais que Ludwig devait l'avoir rossé de coups puis tiré dessus. Une plainte de douleur indiqua qu'il avait visé un endroit non mortel.

- NE ME DIS PAS QUE J'AI PERDU MON TEMPS PENDANT UNE MOITIE D'ANNÉE ! L’ALPHA EXISTE ! JE LE SAIS, J'AI TORTURÉ CES CHASSEURS JUSQU’À CE QU'ILS ME RÉVÈLENT LES SECRETS LES PLUS INTIMES DE LEUR VILLAGE !
QUI A DEVINÉ ET DÉVELOPPÉ LA FORMULE DU MÂLE SI JALOUSEMENT TENUE SECRÈTE ? MOI !
QUI A SYNTHÉTISÉ A FORCE DE TRAVAIL ET DE GÉNIE LE MUSC DE CERFROUSSARD ?  MOI !
VOUS ÊTES VOUS DEMANDÉS POURQUOI JE N'AI PAS RASÉ CE VILLAGE POUR OBTENIR LA FORMULE PLUTÔT QUE D'USER MES NEURONES PENDANT UN AN DANS CE BUT ?
POURQUOI HEIN ? APRES TOUT, JE SUIS LUDWIG LE GRAND ! CE QUE JE DÉSIRE, JE LE PRENDS !
MAIS VOILA, JE VEUX ETRE LE MEILLEUR ! ET CELA PASSE PAR UN AFFINEMENT DE MES TECHNIQUES ! ON NE DEVIENT PAS LE MEILLEUR PARFUMEUR AU MONDE A ÉCRASER LA CONCURRENCE A COUP DE PLOMB DANS LES AILES ! ON LE DEVIENT EN PRÉPARANT LE MEILLEUR DES PARFUMS ET LE MÂLE N'EST LE QUE PREMIER D'UNE LOOOOOONGUE LISTE !
HOMMES DE PEU DE FOI !
LE MONDE EST SI VASTE ET LES ODEURS SI DISPARATES ET EXTRAORDINAIRES ! ALORS, JE N'AI PAS A POUSSER RACINE EN CES LIEUX ! J'AI DÉJÀ PRÉPARÉ LE MÂLE AVEC CE QUI A ÉTÉ EXTRAIT DES CERFROUSSARD. CE QUE JE DÉSIRE POUR MES CLIENTS, POUR MA GLOIRE PERSONNELLE C'EST D'ÊTRE LE PREMIER, LE PREMIER A PRÉPARER LE MÂLE APLHA !
C'EST TROP VOUS DEMANDER ? HEIN ?


BANG ! BANG ! BANG ! BANG ! BANG !
Cette fois-ci, il l'avait troué pour de bon. Les autres qui se trouvaient en la présence du Ludwig s'enfuirent du gîte pour échapper à sa colère meurtrière. Cela sentait mauvais pour nous aussi puisque ces vociférations avaient attiré des gardes curieux. Quilian m'alpagua par le coude et me poussa dans un petit bosquet formé par des pétunias. On s'y tassa le temps que la meute de pirates s'en aille à grand pas vers une destination que nous n'avions pas en visuelle. Ludwig les suivit à grands pas, arme au point, vert de rage. Il hurla un "JE VAIS VOUS MONTRER MOI COMME APPELER L'ALPHA !".

- Okey, il s'est tiré. C'est quoi ce souk ? De quoi parlait-il ? C'est quoi cet Alpha ?

- C'est bien pire que ce que je pensais... marmonna Quilian, pâle et exsangue. Mais c'est insensé, l'Alpha est une légende ! Elle remonte aux premières heures de l'établissement de notre peuple ici, il y a plus de dix siècles. La Forêt était déjà là, et les Cerfroussards aussi. Des peintures rupestres dans quelques grottes tendent à indiquer que nos ancêtres ont cohabité avec une espèce géante de Cerfroussard. Enfin, c'était toujours le même, il était représenté parmi ses semblables plus petits. La légende orale l'a nommé Alpha, le Premier. On en disait que c'était le dieu des Cerfroussards, qu'il était le tout Premier de l'espèce, celui qui a donné naissance aux autres.

- Hmmm, c'est une idée très répandue dans les tribus rurales. Certains auteurs ont même certifié que l’humanité descendrait de 4 femmes et hommes. Donc Ludwig traque cet Alpha problématique pour recueillir son musc et concocter le parfum aphrodisiaque suprême ?

- Oui, mais ce n'est pas aussi simple... Tu te souviens que tu ne comprenais pas pourquoi les femelles dans la forêt avaient également été tuées ? Je viens de comprendre. Ta première idée était la bonne !

- Ma premiè... Attends, ils veulent exterminer l'espèce ? Mais pourquoi ?!

- Parce que notre histoire orale dit que l'Alpha dormirait d'un sommeil millénaire. Et qu'il se réveillerait uniquement pour sauver son peuple de l'extinction. L'histoire confirme que c'est arrivé, trois siècles plus tôt quand le volcan dont tu peux voir la crête vers le Nord a mis feu à toute l’île. Les Morves qu'il a capturé lui ont sans doute raconté cette légende.

- Et il en a conclu qu'il devait éradiquer l'espèce pour forcer l'Alpha à sortir...

- Tu l'as entendu non ? Il a trouvé la formule du Mâle, il a même synthétisé le musc pour se passer des Cerfroussards ! Il n'a plus rien à perdre et tout à gagner. Et tu l'as entendu tout à l'heure non ? Oh non, il se dirigeait vers l'arbrabeille §

- Il doit penser que tant qu'il reste encore des faons pour engendrer une nouvelle génération, l'Alpha se terrera. Merde ! J'espère que tu sais te servir d'une arme à feu ! dis-je à Quilian en lui lançant une carabine à plomb. Un coup, max de dégât.

Il fallait arrêter ce génocide. Nos sangs se glacèrent quand nous entendîmes les premiers coups de feu. Apparemment, Ludwig et ses hommes tiraient maintenant à vue sur ce qui restait des faons. Dans la mêlée d'horreur, j'entendis Ludwig s’esclaffer d'un rime dément et proclamer "JE SERAI LE ROI DES PARFUMEURS !". Mon sang ne fit qu'un tour quand je sortis de l'ombre d'une cabane et commençai à canarder le groupe à mon tour, Quilian sur mes talons. Ils étaient une vingtaine environ et cinq tombèrent dans les premières secondes avant que le reste ne comprenne qu'ils étaient attaqués. Leur attention se détourna des faons, ce que nous voulions? et ils nous prirent en chasse, Ludwig y compris. Nous courûmes sous une pluie de balles pour les éloigner autant que possible des petits, nous retournant de temps à autre pour vérifier que le groupe entier mordait à l'hameçon. Un cri étouffé et une vision périphérique me signalèrent que Quilian avait été touché au mollet. A terre, il refusait se rendre et continuait de tirer, rampant et traînant sa jambe mutilée derrière lui.

- Gruidae, Envol !

La grue était gracieuse. Je m'envolai comme elle, appui pris auparavant sur mes jambes. Concrètement, je fis un quintuple salto arrière en survolant cinq ennemis qui me regardaient passer au dessus d'eux, la bouche ouverte devant cette acrobatie de haut vol. Je profitai de ma position avantageuse et de leur égarement pour les cribler de couteaux de jets. J’atterris lestement aux côtés de Quilian, m'apprêtant à le tirer hors de la trajectoire des balles quand une puissance douleur me parcourut l'échine. Je ne me sentais pas blessé par un projectile, je me sentais engourdi, chacun de mes muscles fourmillant de crispation. Cette sensation, je la connaissais, pour l'avoir déjà subie. Électrocution.
Ludwig, savourant sa victoire, parada devant nous dans son imperméable couleur noisette. Il dégagea une mèche imaginaire sur son front et nous toisa d'une infinie condescendance. Nous étions à terre et lui debout.
A part ça, il commençait vraiment à me courir sur le haricot...

- VOUS ÊTES CEUX QUI ONT TUÉ MON CAPO ? SON CORPS A ÉTÉ RETROUVÉ DANS LA FORÊT !

- Nan, ce n'est pas nous. Mais nous serons ceux qui vous tuerons, vous. En plus, je pourrai empocher un million grâce à ça avec lesquels je pourrai me torcher... Ouais, je n'ai plus de papier toilette.

- FILS D'ENFLURE !

Quilian n'eut pas le même selfcontrol que moi et se précipita sur Ludwig. Une seconde plus tard, il se retrouvait violemment projeté par terre et battu sauvagement. Moi aussi d'ailleurs, pour la bonne mesure. Mais mon esprit était ailleurs, totalement détaché de mon corps qui protestait de douleur. On aurait dit que je planais sous l'effet d'une quelconque substance illicite. Mon attention dirigé vers... la nature en général avait perçu un léger trouble. Comme si l'air abondait en trop mais s'était à la fois raréfié. J'avais le sentiment que quelque chose flottait dans l'air, que quelque chose de gros approchait. Toutes ces années à imiter les animaux m'avait conféré une espèce d'instinct au même titre qu'eux. Bientôt, tous perçurent le même danger que moi et arrêtèrent de nous brutaliser pour pointer leurs armes vers la forêt. Les oiseaux s'échappaient par nuées, des arbres craquaient au loin, la terre tremblait par saccade.
Indubitablement, quelque chose approchait.
La terreur saisit le groupe de pirate et même Ludwig abandonna sa condescendance contre une mine apeurée mais excitée. C'est alors que nous le vîmes, émergeant avec majesté des derniers arbres qu'il n'avait pas déraciné.
Le Mâle, le Vrai.
L'Alpha.


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Cette créature dégageait une espèce d'aura qui exacerbait la peur naturelle enfouie en chaque être humain. Elle était là, nous toisant de sa quinzaine de mètre de hauteur, aussi grande que certains monstres marins que j'avais déjà croisés. La Forêt Noire devait vraiment être impénétrable à bien des endroits pour abriter une telle créature. En bien des points, elle ressemblait à un Cerfroussard mais en même temps, elle était si différente ! Sa majesté en faisait le roi des cervidés à n'en pas douter, mais mon cerveau analytique voulait quand même avoir le fin mot de l'histoire. A savoir si une seule créature comme celle-là avait pu donner naissance à une espèce au génome inférieur ou si ce noble monstre devant nous n'était que la cause d'une certaine dégénérescence des hormones de croissance d'un Cerfroussard commun.
Certains mystères étaient vraiment meilleurs, inexpliqués.

Le respect que j'éprouvais en voyant la royale créature n'avais pas cours chez Ludwig qui ne voyait là que l'objet de son ambition. Aussi, ordonna-t-il à ses hommes de tirer à vue. Ce qu'ils firent. Un torrent de coup de feu fusa vers le monstre à une centaine de mètre de nous. Les plombs touchèrent puis rebondirent sur sa cuirasse sans lui causer le moindre dégât. D'abord décontenancés, les pirates redoublèrent de puissance de feu, sans succès. Cinq minutes plus tard, ils troquèrent leurs revolvers contre un bazooka. La roquette partit dans un bruit sourd pendant que Quilian hurlait de toutes ses forces à l'Alpha de s'enfuir. Moi, j'étais curieux. Et j'avais l'impression que mon sentiment était partagé par le Mâle qui n'avait, jusqu'à présent, pas esquissé le moindre mouvement d'esquive ou d'attaque. On aurait dit qu'il se demandait si ces humains étaient dignes ou non de son courroux.
La roquette se dirigea vers sa tête et au dernier moment, il se baissa promptement en opposant ses bois démesurés et colorés au projectile explosif qui tonna en libérant une puissante déflagration. Le Cerf monumental en sortit encore indemne mais sembla aussi juger que ces humains impertinents devenaient un poil agaçants.
Il passa à l'attaque.

J'ignorai encore si c'était sa taille qui lui octroyait sa foulée impressionnante ou si j'étais déphasé à cause de l'électrocution, mais dans la seconde qui suivit l'explosion de la roquette, l'Alpha était à notre hauteur, avalant la distance qui nous séparait d'un bond. Son sabot impressionnant de la taille d'une maisonnette s’abattit avec fracas déclenchant une onde de choc et de la poussière qui nous envoyèrent valser. Mes lunettes me protégeaient un peu des projections de terre et je pus observer en partie le carnage que causa l'animal. D'un coup de patte, il ratatinait à l'état de bouillie les pauvres pirates qui manquaient encore assez de jugeote pour s'opposer à lui. Ceux qui fuyaient, il les soulevait de terre en expulsant une masse d'air de ses naseaux puis les transperçait de ses bois pendant qu'ils étaient encore en l'air. Ceux qui se cachaient, il les traquait puis les enterrait sous les décombres de leurs abris, le tout dans un beuglement de fureur effrayant. L'Alpha était hors de lui. Après quelques minutes d'enfer, il ne resta bientôt plus que Ludwig, atterré, tremblant, sa superbe évanouie, au milieu des cadavres sanguinolents de ceux qui furent son équipage. D'une manière ou d'une autre, l'Alpha savait qu'il était l'instigateur de tout cela et vu qu'il nous avait épargné Quilian et moi, il devait aussi savoir que nous avions tenté de les mettre hors d'état de nuire.

Ludwig pleura, puis s'écrasa au sol, ses jambes flageolantes incapables de supporter son poids. Il émit de petits cris ridicules, marmonna quelques paroles insensées puis tenta de détaler à quatre pattes. Un courant d'air le propulsa en l'air puis un autre plus violent le fit valdinguer puis cogner l'arbrabeille. Il tomba dans l'enclos où gisaient les faons tués. Je me rapprochai aussi des lieux pour voir qu'aucun des petits n'avait survécu au déluge de coups de feu. Nous avions échoué, notre manœuvre de diversion n'avait eut aucune incidence... Je ressentais de la colère, surtout envers moi-même. Quilian lui, perdit pied sous le désespoir et la tristesse qui l'accablaient. C'en était fini de l'espèce des Cerfroussards.
L'Alpha semblait aussi désespéré que Quilian. Quand il ouvrit la gueule vers le ciel, la complainte qu'il lança nous glaça d'effroi et de peine. On aurait dit une marche funèbre. Tout le monde sur l'île et dans les alentours devait déjà entendre cette lamentation saisissante.
Profitant de cette accalmie, Ludwig, tenta de s'éclipser à plat ventre. Mes muscles à présent dégourdis me fournirent la poussée nécessaire pour me porter à sa hauteur et le rosser d'un coup de pied en pleine tête. D'autres suivirent.

- Ne le tue pas ! lança Quilian, larmoyant. Si l'Alpha ne l'a pas encore tué c'est qu'il y a forcément une raison. Cette complainte, je l'avais déjà entendue une fois quand mon père m'amena dans la forêt. Il m'a dit à l'occasion que c'était une mère Cerfroussard qui appelait son faon perdu. Il reste encore un faon quelque part ? Hein ? Réponds !

Mais Ludwig n'était plus en état de parler, mes coups à la tête l'avaient assommé. Ainsi, il pouvait encore rester un rejeton quelque part ? Nous scrutâmes du regard les environs en cherchant où pouvait être retenu captif le petit. Les Cerfroussards devaient disposer d'un bon odorat mais les relents de parfum dans l'air empêchaient sûrement l'Aplha de suivre la trace olfactive du dernier des Cerfroussards. Je regardai Ludwig à terre en m'imaginant à sa place. Il désirait être unique, et après avoir réussi à, non seulement concocté le Mâle, mais aussi synthétisé en laboratoire le musc de Cerfroussard, il avait ordonné l'extermination de l'espèce. Pour appâter l'Alpha, oui, mais sûrement l'aurait-il fait aussi pour être le seul au monde à pouvoir fabriquer ce parfum. Et quoi de mieux pour un tel collectionneur que conserver un échantillon vivant de ce qu'il avait éliminé ? A sa place, j'aurais agi comme ça. Garder pour moi le dernier des Cerfroussards.

C'est certain de détenir la vérité que je pointai d'un doigt le bateau qui mouillait au loin. Courant comme des déments, Quilian et moi arrivâmes sur la jetée bien après l'Alpha qui s'était déjà débarrassé des trois gorilles qui gardaient le navire. Dans les cales, à l'immense joie de Quilian, nous ne trouvâmes pas un mais deux faons ! Un mâle et une femelle. Ludwig voulait peut-être se constituer un zoo privé ou les vendre à des collectionneurs pour financer son entreprise. Nous libérâmes les craintifs cervidés qui se ruèrent vers le seul parent qui leur restait. Nous nous sentîmes plus légers et infiniment reconnaissants au ciel en les voyant repartir avec le Mâle. A l'orée de la forêt, il se détourna vers nous et inclina la tête dans un salut majestueux que je lui rendis. Quilian, lui, se prosterna carrément, la tête enfouie dans le sable. Il y avait un espoir de voir un jour renaître la race des Cerfroussards mais le mystère sur la nature exacte du Mâle Alpha restait entier.

- Tout est bien, mais ça finit pas bien en tout cas. Cela dit, il me faut toujours une petite cargaison de Mâle. Et il y en a à foison ici, l'Alpha n'a pas détruit l'usine. Mais...

- Mais tu ne vas pas utiliser des produits issus d'un tel carnage, finit Quilian en complétant mes pensées. Brûlons tout ça. Il n'y aura pas de musc naturel disponible pendant une vingtaine d'années au moins, le temps que le troupeau de Cerfroussards se reconstitue.

- Mais pour faire tourner votre commerce en attendant, vous avez quelqu'un qui sait en synthétiser, complétai-je. Va pour cette solution, il me faudrait environ quinze litres en petits flacons de vingt-et-cinq centilitres.  


Deux petites semaines plus tard, je quittai Roserance à bord d'une petite caravelle dont les soutes étaient pleines de Mâle. J'en avais pour près de 30 millions de Berry avec l'assurance d'être en situation de monopole. Je détenais le seul stock disponible et il faudrait encore plus d'une année aux Roserans pour apprendre de Ludwig prisonnier, ses techniques de synthèse du musc en laboratoire. Le Conseil du village avait décidé que c'était le seul moyen d'assurer la pérennité de leur économie en attenant les beaux jours où les Cerfroussards repeupleront à nouveau la Forêt Noire. Malgré l'atrocité de ses crimes, j'avais obtenue la parole du Conseil de relativement bien le traiter. Je haïssais toujours autant l'idée de l'esclavage, même sur mon pire ennemi.
Tout était bien.

- Allô ?! Condor ?

- Ça fait un petit mois là, qu'est-ce que tu glandais ?

- Je jouais aux mâles dominants. J'ai ton parfum, fait péter tes contacts libidineux, nous avons du fric à ramasser.

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