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Cette petite île.





Quelque part en mer.


C’était un village des plus tranquilles, il ne se passait jamais rien. Sur une petite île cachée de North Blue, nous n’avions que très rarement des visiteurs, quelques personnes de temps à autre. L’avantage de vivre dans un petit endroit comme celui-ci était que tout le monde se connaissait. Avec cinq cent habitants tout au plus, il était difficile de s’ignorer. Même s’il fallait aux habitants s’approvisionner dans une grande ville, il y avait ici  chaque commerce nécessaire. Une épicerie, un cordonnier, une école, le village ne manquait de rien. Mes parents étaient plutôt connus sur l’île et étaient vus comme étant les héros du village. Deux soldats de la Marine, voilà qui était relativement rassurant pour la sécurité de la population. Une fois tombée enceinte,  ma mère s’était retirée du service pour prendre à  la fois soin de sa santé, mais aussi de la mienne. Quand à mon père, lui, continuait d’aller travailler jour après jour dans le but de subvenir correctement à nos besoins.  Et puis, il gagnait suffisamment de Berries pour toute sa famille, nous ne manquions de rien. Pour passer le temps, ma mère passait ses journées à aider les gens du village dans les différents travaux quotidiens, et ce jusqu’à son sixième mois de grossesse. Tous étaient ravis, elle s’entendait parfaitement avec chacun de ses voisins.

Cependant, Quelques semaines avant ma naissance, une lettre lui fut parvenue de la part d’un haut gradé de la Marine de North Blue.

« Madame,

Nous venons d’apprendre avec consternation et une très vive émotion, le décès de plusieurs officiers de la marine de North Blue lors d’une bataille navale entre la Base G-6 et Boréa. Suite à cette dangereuse mission au court de laquelle votre mari fut envoyé porter secours à une escouade en  difficulté, j’ai le malheur de vous annoncer qu’il fait partie de nos pertes.

C’est avec la plus grande tristesse que je vous fais parvenir ces mots. Ces officiers en mission devaient assurer l’encadrement d’une unité spéciale de nos forces d’attaque prise au conflit par une flotte ignoble de pirates dans la région, causant 6 morts.

Au nom du QG général de la marine de North Blue, j’adresse, en ces circonstances particulièrement douloureuses et pénibles, mes sincères condoléances et ma très profonde compassion à toutes les familles des victimes. J’adresse donc aux familles durement éprouvées ma solidarité à cette terrible épreuve qui les frappe et endeuille le monde.

Votre mari était et restera un héros pour notre base, mais aussi pour le monde. Nous saluons la bravoure et la vaillance dont il a fait preuve en venant en aide à ses camarades. Votre mari est mort au combat, nous permettant de sauver la vie de plusieurs soldats. Votre mari a donné sa vie pour sauver ses compagnons, c’est pourquoi il restera à jamais dans les mémoires.

Un officier se rendra à votre domicile prochainement afin de vous ramener ses effets personnels ainsi qu’une caution pour votre famille.

Madame, veuillez croire en la sincérité de mes profondes condoléances. »

Les mots furent comme des pierres pour ma mère, précipitant son cœur avec lourdeur dans des abîmes de souffrance. Elle ne put les supporter, mais si au fond d’elle, cette crainte était présente chaque jour. Elle espérait que cela n’arriverait jamais, mais elle savait parfaitement que la possibilité était belle et bien existante.






    Pas un seul mot.


    Un peu plus d’un mois plus tard, j’étais né. La seule chose qui redonna le sourire à ma mère. Ma première vision de ce monde, sa chevelure dorée. Ma première sensation, la douceur de ses mains caressant mon visage, me tenant entre ses bras. Son parfum naturel effleurait mes premières sensations en ce monde. Evidemment, je ne pouvais comprendre, je ne pouvais me souvenir, mais c’était comme ça, le genre de sensation qui ne s’en va jamais, qui vous garde enivré pour toujours. Le genre à vous rappeler la seule chose importante en ce monde, à vous rappeler la seule personne qui à jamais vous a aimé. Aussi loin que je me souvienne, je ne garde que des souvenirs chaleureux et ce sont ces pensées qui me permettent de rester debout, poursuivant mon chemin.

    Elle était à nouveau heureuse. Heureuse d’avoir mis au monde, de pouvoir regarder et élever l’enfant de son amour disparu. Le plus merveilleux des cadeaux de sa part venaient de lui être offerts et cela suffisait amplement à lui redonner cette joie de vivre d’antan. Tout juste sur pied, elle ne put s’empêcher de parcourir tout le village pour me faire découvrir  la compagnie de ses amies, des enfants, des champs, arbres.  Elle me fit très vite découvrir tout un monde empli de merveilleuses couleurs. Depuis ce moment-là, elle me consacra son temps, ses émotions, sa vie. J’étais devenu une seconde partie d’elle-même, j’étais sa priorité, son nouvel amour.

    Même si les premières années furent les plus faciles, les choses se compliquèrent relativement rapidement. En effet, à l’âge de cinq ans, je n’avais toujours pas prononcé mon premier mot, ni à six ans, d’ailleurs. La première constatation fut simple : j’étais muet. Une incapacité à parler, chose qui perdurerait toute ma vie, selon le médecin de l’île. Je comprenais les choses, je pouvais écrire, lire, entendre, mais la parole ne me fut pas accordé lors de ma naissance. Cela perturba ma mère pendant de longues semaines, se demandant alors comment gérer ma vie. Elle ne se laissa cependant pas aller pour autant, décidant de m’élever comme j’étais. Elle prit ce mal pour un bien et essaya de son mieux de construire un garçon selon l’image qu’elle avait, selon ses convictions.

    Cependant, très jeune, je me suis intéressé à la découverte de nouvelles choses, à la découverte du monde, de mon monde.  La poésie. La première ligne de poésie que j’eu l’occasion de lire devait être aux alentours de mes cinq ans. Evidemment, même si je ne comprenais pas forcément les mots retranscrits, il  était indéniable que j’aimais cela. A partir de cet âge, je pouvais passer des heures entière à lire des vers, à les relire encore et toujours, même s’il s’agissait des mêmes, peu m’importait. A chaque relecture, j’avais l’impression de poser mes yeux pour la première fois sur chacune des lignes, c’était là un délice que je ne me lassais jamais de goûter. J’avais pris une habitude. Après chaque poème que je pouvais lire, j’essayai de l’imaginer. Mon imagination prenait le dessus, tentant de former des images à partir des mots, dans le but de créer un nouveau monde régit par une seule et unique loi, la limitation de mes capacités intellectuelles. Aussi, il m’arrivait très souvent de lire un livre entier, sur plusieurs semaines, et d’en créer tout un univers, univers dans lequel j’étais roi. Ces univers permettaient de m’évader, de me faire ma propre idées de tout ce qu’il y avait en dehors de l’île, de tout ce que ce vaste monde pouvait me réserver.

    Après plusieurs mois, voire quelques années, je me mis moi-même à écrire. Je pouvais ainsi partager ma propre vision du monde à travers cette même poésie qui me permettait de m’évader. Pouvant écrire toute la journée, vers sur vers, jusqu’à ce que je ressente cette sensation de fatigue qui nous empêche de rester éveillé ne serait-ce qu’une minute de plus. Mon temps libre était en grande partie consacré à la lecture et à l’écriture de cette poésie qui prit très vite une grande place dans ma vie.

    Cependant, un jour, ma mère décida de faire revenir le médecin de l’île pour s’entretenir avec moi. Elle voulait une nouvelle analyse, un nouveau diagnostic quand à mon incapacité à parler. Après avoir procédé à de nouvelles vérifications, le médecin n’en revenait pas. Mon acuité à prononcer des sons, et donc à parler était présente. Il l’affirmait, je pouvais parler, je pouvais m’exprimer. Après plusieurs heures à s’entretenir avec moi, il put en tirer une conclusion. Le problème n’était pas que je ne pouvais pas parler, mais que je me le refusais. Pourquoi ? Il n’en avait pas la moindre idée, la solitude ? Le fait de ne pas avoir de père ? Une défaillance mentale ou neuronale ? La question soulevée ne trouvait nulle réponse. Et je n’en avais pas non plus à leur fournir. Peut-être savais-je que si je parlais, je ne ferais que poser les questions m’amenant à découvrir un monde imparfait et beaucoup moins beau que dans mon imagination.





      Qu’est-ce qu’un ami ?


      Les  autres enfants du village avaient environ le même âge que moi, quoique presque tous un peu plus âgés. A de nombreuses reprises ma mère m’envoya jouer avec eux, roder dans le village pour m’amuser avec les autres. Cependant, je n’ai jamais réellement réussi à m’entendre avec eux. Cela venait-il d’eux ou bien de moi ? Je pense que la réponse était un peu des deux. Puisque je ne parlais pas, il m’était difficile de jouer, rigoler avec eux. Je me retrouvais toujours être le laissé pour compte, celui que l’on avait l’habitude de choisir en dernier et de laisser derrière soi. Au début, même si j’essayai de m’intégrer au mieux, tout était plus difficile. Lorsque nous partions à l’aventure aux travers de l’île, je n’avais jamais le courage de franchir les limites habitables, de peur de ne pas pouvoir appeler à l’aide ni même d’empêcher mes camarades d’avancer sans moi. Du coup, je me  contentai de m’asseoir sous un arbre et de regarder les nuages. J’attendais simplement leur retour, même si c’était pendant plusieurs heures.

      Après quelques temps, très rapidement en réalité,  je n’allais plus vraiment vers eux, ils n’allaient pas vers moi non plus. Ma présence avec eux ne se remarquait qu’à peine, aussi bien de leur côté que du miens.  Très vite, je n’éprouvais plus aucun envie pour la vie en communauté. Je pouvais énumérer certains sons, mais la parole me manquant pour avoir un réel lien ou une attache, cela n’était pas possible. J’avais pris cette habitude de m’immerger dans mon propre monde, créant ainsi mes propres amis et mes propres personnages. Très vite, je n’éprouvais plus aucun intérêt pour les autres enfants, n’éprouvant nullement ce besoin d’avoir des amis.

      La solitude me convenait parfaitement, et j’y avais pris goût. Ma mère étant toujours à mes côtés, c’est pour elle que je travaillais et que je faisais de mon mieux. Elle se trouvait être ma principale lectrice, mais également ma principale source d’inspiration, un  peu comme une muse. J’étais fière de lui faire lire mes écrits, et j’étais heureux de percevoir sa fierté à elle dans son doux regard. Je l’avais, elle, et je n’avais besoin de personne d’autre. Il m’arrivait bien sûr d’aller rendre visite aux gens du village, pour aller acheter du pain, chercher le courrier, me promener. Les amies de maman venaient très souvent à la maison, elles m’aimaient beaucoup, et je les appréciais également en retour.


      C’était une vie paisible, tranquille, nous étions encrés dans cette routine journalière  qui nous convenait à tous. Malheureusement, cela ne dura pas bien longtemps.






        Cette nuit.


        Ce fut cette nuit. Elle était encore encrée dans ma tête comme si c’était hier. Chaque détail dont je me souvenais, je ne pus l’oublier. Jamais. Cette nuit-là on me l’avait prise, la chose la plus importante à mes yeux sur cette terre.

        Ce matin-là, relativement tôt, je vis ma mère sortir de la maison, l’air anxieux. Seulement quelques minutes plus tard, on toquait à la porte. Lorsque la poignée s’abaissa, je pu entre-apercevoir ce qui se passait. Elle avait un couteau sous la gorge, un homme se tenait derrière elle. Il semblait à la fois paniqué et terrifié, mais ne s’empêchait pas pour autant de donner des ordres à ma mère, l’obligeant à entrer puis à refermer la porte. C’était un pirate. A peine la porte refermée, il n’eut pas le temps de prononcer se prochaines paroles. D’un geste vif, elle plaça son index entre le manche du couteau et son cou, donna un violent coup de tête en arrière. Le pirate, désorienté, retira sa lame et fit quelques pas en arrière. Elle lui saisit le bras, le désarma avant de passer derrière lui, lui tranchant la gorge d’un geste sec et assuré. Le corps s’effondra alors au sol, laissant le sang encore chaud se glisser entre les lattes du plancher.

        -Ecoute, mon chéri. Des pirates ont pris la ville en otage, ils étaient visiblement suivis par des navires de la marine. Il faut que tu m’écoutes, j’ai besoin que tu  comprennes ce que je dis, c’est très important. Tu vas aller te cacher dans le placard et y rester jusqu’à ce que je te donne la permission d’en sortir. Tu ne dois pas en sortir avant ! Tu comprends, mon amour ?

        J’avais les larmes aux yeux, je ne comprenais pas la moitié de ce qui était en train de se passer. Mais je comprenais ses paroles à elle. Je lui répondis en hochant favorablement la tête, ne pouvant stopper les larmes qui coulaient le long de mon visage.

        -Maman va rester ici pour te protéger, tu n’as pas à avoir peur, d’accord ? Va simplement te cacher. Une fois qu’il fera nuit, j’irai aider les autres habitants du village pour les mettre en sécurité. Tu ne devras surtout pas bouger d’ici.

        A peine la nuit était-elle tombée que j’entendais des grondements venir de dehors. Des coups de feu, des cris, des explosions. Je ne savais pas ce qui était en  train de se passer, mais j’avais peur, je ne savais pas quoi faire. Ma mère, qui avait pris place sur une chaise devant la porte d’entrée, tenait un fusil entre ses mains. Quand les bruits retentirent, elle se leva, posa les yeux une dernière fois sur moi, me demandant à nouveau de ne pas bouger. « Je t’aime, mon chéri. » Ce fut ses derniers mots avant de franchir la porte. Les tirs ne cessaient pas, une vraie bataille était en train de se dérouler à l’extérieur de la maison. Les gens criaient, ils étaient tous terrifié, beaucoup tombèrent. Cette nuit-là, je ne sentais que l’odeur du sang et de la mort partout autour de moi. Posant mes mains sur les oreilles, je n’arrivais plus à supporter tous ces cris, je ne supportais plus l’odeur ambiante, je ne… je ne sais plus.

        Lorsque mes yeux s’ouvrirent, je reprenais connaissance. Je me trouvais devant la maison, les mains pleines de sang, j’étais allongé sur quelque chose, sur quelqu’un. Lorsque je compris qu’il s’agissait du corps sans vie de ma mère, la terreur et la pétrification s’emparèrent de chacun de mes membres. Il n’y avait plus un bruit autour de moi, et je ne comprenais pas ce qui venait de se passer. Prenant son visage encore tiède entre mes mains, je pu constater l’absence de lueur dans ses yeux,  plus aucune vie ne l’habitait. Je ne pouvais arrêter mes larmes, pleurant de toute mon âme. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il s’était passé ? Pourquoi elle ? Elle ne méritait rien de tout cela. Par qui avait-elle été tuée ? Un pirate ? Un marine ? Je ne savais même pas. La marine avait pris d’assaut un village sous otages, ne faisant aucune distinction entre les vies pirates et les autres. Me remettant sur mes pieds avec difficulté, je marchai quelques pas, regardant autour de moi. Des cadavres, du sang, des armes… Une vision d’horreur qui n’avait nullement sa place dans ce village. Mon avancée s’arrêta devant le corps sans vie d’une petite fille, de quelques années plus jeune que moi.

        C’est cette nuit-là que je compris que l’humanité ne pouvait être sauvée, que l’homme ne méritait en rien la vie qui lui avait été donnée. La part d’humanité qui était en moi disparue en même temps que l’amour qu’elle avait pour moi. L’homme n’est qu’une pourriture de ce monde, qui ne sait que tuer et massacrer ses semblables. Tous ceux qui donnent la mort allaient payer, je me fis la promesse de tous les détruire, un par un.

        «
        L’amour pur est le crépuscule des dieux
        Vision éphémère, perdue en ce lieu
        Dans les larmes ensanglantées et soucieux
        A jamais bannie du monde ténébreux.

        Cœur taché par le sang amoureux
        Ancré dans un cycle bien vertueux
        Défiant ce tragique destin aventureux
        Craignant ainsi le règne du feu.

        Je ne laisse derrière moi que ces jours pluvieux
        Aimer encore ce monde je ne peux
        Misérable vermine, homme disgracieux
        Bientôt, je t'enverrais rejoindre les cieux.
        ».