Les nombres s'alignent et avancent au garde-à-vous, ils me font chacun leur rapport sur la situation. Beaucoup de paramètres. Très peu de temps. Plus que jamais, le temps se fait ressource rare. Optimiser. Calculer. Frapper. Comprimer en cinq secondes l'oeuvre d'une journée de réflexion entière. Mon cortex est taillé pour ça. Je suis là pour ça. Ils comptent sur moi pour ça. Ils n'en sont pas capables, moi si. Je suis un ordinateur doté de nageoires. Mon intelligence est une munition comme une autre dans le chargeur de la Marine, mais son calibre est très supérieur à la force brute du primate simplet qui m'accompagne.
Ils sont en guerre. En plein champ de bataille, un bourbier de sang balayé par un vent putride. L'assaut d'une base. Je me permets de rester assis car j'ai une petite escorte dédiée à ma survie. Un groupuscule de cinq soldats bas gradés, dont un caporal. Ainsi je peux étudier, observer, tester le nouveau prototype du service des Artilleurs en toute tranquillité malgré les frasques bruyantes des... des... qui sont-ils déjà, eux ? Déjà oublié. Sans importance.
Qui sont-ils ?
Hein ? Des révolutionnaires ! Leur base est de l'autre côté de la vallée ! On vous l'a répété cent fois ! Ça vous arrive de nous écouter ?!
Reste à ce que tu fais, James.
Faut qu'on décampe ! J'en vois là-bas, ils pourraient décider d'venir s'embusquer par ici ! Leur patron doit pas être loin !
J'ai pas fini. Le caporal est parti trouver les débris de la précédente bombe.
Mais pourquoi ?!
Je pourrais vous l'expliquer mais vous ne comprendriez pas.
Magnez vous !
Vous devez me protéger.
Bordel...
L'idéal serait que je leur fasse installer la mine au plus près des pieds ennemis, devant la base. Mais ce serait une mission suicide, ils n'accepteraient pas. Et je crois que le paramétrage de ce petit bijou de technologie qui sert à tuer des gens échapperait totalement à leurs cervelles d'oiseaux. Il faut tout faire soi-même, et je m'en contente volontiers. Je sais que le travail sera bien fait, au moins. Mes palmes enfoncées dans la terre disséminent ces ingénieux dispositifs comme des graines. Nous sommes à l'écart de la bataille, au pied d'une colline qui domine le peloton sanglant. Un lieu ma foi tranquille en comparaison du chaos roulant à quelques centaines de mètres d'ici. Malgré les faibles probabilités de nous recevoir une balle perdue grâce aux arbres environnants, mon escorte stationne en état de stress intense. Mon escorte ! J'avais demandé une escorte ! Pas une classe de débutants...
Oh putain ! Y en a qui approchent ! Ils nous ont vu !
Ne paniquez pas. J'ai piégé no-notre flanc Est.
Mais ils ont des flingues !
A leur distance, et avec le brouillard, leurs chances de nous toucher sont négligeables. Et je comptais vous demander d'en attirer par ici, de toute faç-çon.
P-Pourquoi ?!
Ben. Pour qu'ils marchent sur les mines. Euh.
Je suis ici pour ça. Test de prototype sur cobayes involontaires en situation réelle. Pas moi qui l'ait conçu, mais je me suis porté volontaire pour son essai. Les explosifs exotiques me sont amicaux. Celui-ci n'est pas original pour un sou, une simple mine à clous avec un détonateur à compression. Si on fait plus de soixante kilogrammes et qu'on la piétine, boum, une explosion assortie d'une gerbe de clous. Très simple. Mais je tenais en plus à stimuler mon intellect sur le terrain. A étudier mes propres réactions face aux chaos des guerres, aux balles errantes, aux fumées bouffantes et aux explosions anarchiques, à la mort de masse. Et j'ai été assez déçu de comprendre à quel point il était aisé d'exploiter la rage aveugle des guerriers pour échapper à leurs sens et se faufiler jusqu'aux oasis de paix. Et s'y embusquer.
Bref. Tout va bien. Je perçois des silhouettes progressant vers nous à travers le brouillard épais qui nous sert de murs contre le champ de bataille. Le type qui en avait fait la remarque -lequel c'était, déjà ?- était dans le vrai. Ils nous ont vu. A travers la brume fraîche et les arbres morts. Parfait. Le poisson est ferré. Nous devons avoir une poignée de minutes pour exécuter les derniers contrôles et nous mettre à l'abri.
Romanov...
Ah. Parfait². Le caporal est de retour. Juste à temps. Encore un peu et j'aurais peut-être du le rayer des paramètres à considérer.
C'là... Tout c'que j'ai pu récupérer.
Oh. Vous avez trouvé le boîtier principal, c'est bien. J'espère que votre sang n'est pas allé s'infiltrer dans ses rou-rouages.
Tu voulais un papier cadeau, ducon ?
Il y a un sourire dont je ne saisis pas l'origine. Probablement un sarcasme, la plupart des sourires en sont. Je passe outre son visage, bien moins intéressant que ce qu'il tient entre ses deux mains délivrant leurs cascades d'hémoglobine : un nouveau gâchis, le sang des êtres vivants est trop précieux pour le laisser couler ainsi sans penser à fermer le robinet. Avant toute chose, je lui en fais la remarque.
Soignez vous. Si vous mourrez, un outil indispensable sera cassé.
Quoi ? Lequel ?
Vous.
Connard.
Et ma division de soldats est une boîte à outils. Et le champ de bataille mon atelier d'expérimentation. Et le monde entier un laboratoire où la science pioche au hasard ses portes-paroles. Je m'assure en premier lieu que la bombe, ou plutôt, ce qu'il en reste, est totalement neutralisée, mais si mon troufion a pu l'apporter ici sans finir en pièces, c'est que toute la poudre s'en est allée. Alors je lui arrache le boîtier des mains et plonge mon regard à l'intérieur. Il ne reste plus grand chose. De l'acier calciné et muté en un gruyère sombre sentant le brûlé. Oh, bonne surprise ! Des engrenages noircis mais quasiment intacts. Bien. Ils pourront être recyclés.
Elles font quoi, vos putains de bombes ?
C'sont pas les miennes.
Mais elles font quoi ?
Ah. Oh. Oula. Je vais essayer de vulgariser rapidement.
Bombe à fragmentation qui distribue de façon homogène 200 clous de 5 centimètres de diamètre dans un rayon de 360° à l'explosion. Rentabilité optimisée : chaque clou projeté à plusieurs centaines de km/h peut voyager à travers des brochettes de trois ou quatre hommes avant de voir sa vitesse décliner. Un bijou de technologie au service d'une justice très sincère dans ses désirs de domination. Un fort rendement argent investi/victimes. En sculptant les aiguilles en forme de vrilles, on aurait pu augmenter encore le taux de pénétration, mais de nouveaux frais de fonte se seraient incrustés dans l'addition déjà salée de cet épatant jouet de mort, et risqueraient de passer pour gadget superflu, se démener à améliorer la perfection comprend le risque de la détériorer. Ce prototype devient donc mûr pour la grande production. Que nos soldats considéreront vite comme leurs nouveaux doudous qui les préserveront de leurs cauchemars nocturnes. Ces mines feront barrage aux enfers durant leur sommeil, une muraille vindicative autour de leur campement. C'est très bien.
Euh...
C'est une bombe à fragmentation qui...
L'avez déjà dit !
Oui. Ai-je précisé que c'était un p-prototype ?
Aussi.
Plein de fois...
Sinon, nous ne serions pas là pour le tester. C'est vr-vrai. Bon.
L'heure palpitante approche ! Le champ miné est en place. Il ne manque que des gazelles pour le parcourir. Elles ne devraient pas être bien difficiles à dénicher. Comme le soulignait le caporal dont j'ai oublié le nom, un petit détachement nous a aperçu. Ils étaient loin tout à l'heure. Et maintenant, leur curiosité, ou leur soif de sang, les ont conduits devant nos arbres.
C-Camouflez vous.
Ouais c'est ça, apprends moi mon job aussi...
Ils sont trois. Quatre. Cinq. Des silhouettes élancées. Une sixième, toute à l'arrière, de grandes structures cubiques sur ses épaules, probablement un officier qui promène ses galons. Bien. Ce sera l'occasion de mettre en valeur la faiblesse récurrente de ce style d'armements. Une mine peut aussi tuer des alliés. Une mine n'a pas d'esprit d'équipe. Une mine ne sait pas collaborer. Une mine n'est qu'un monticule mécanique au ventre rempli de poudre et d'autres ingrédients, selon sa recette. J'aime pas les mines. Une grenade s'esquive, se voit arriver. Une mine n'attend qu'un pied suffisamment lourd pour la déclencher. Peu importe quel individu porte ce pied. Ce qui nous conduit à de grands gâchis.
Comme celui-ci. Les cinq sujets révolutionnaires poussent un à un de brefs cris face à l'horreur inévitable et inexorable qui leur bondit au corps. Des hurlements distordus puis étouffés en une fraction de seconde par les multiples perforations de leurs poumons. Leurs torses ne sont rapidement plus que confettis. Leurs crânes sautent, comme des oeufs oubliés au micro-onde. En l'espace de cinq secondes, il ne reste plus qu'un puissant silence entrecoupé des palpitations du coeur de la bataille, plus loin vers l'Est. Plaisante science. Mais j'espérais plus impressionnant. Probablement mes goûts de chimistes qui m'empêchent d'apprécier le spectacle. J'ai les clés de l'efficacité, moi, les gaz de combats. Meurtriers inodores. Bien plus propre et élégant que cette boucherie. Bien moins cher, également.
Les soldats de seconde classe sont les premiers à sortir de leurs cachettes. Ils semblent en état de choc. Dévoilent quelques symptômes similaires à la catatonie. Rien d'alarmant. S'ils avaient marché sur ces mines, oui, ce serait inquiétant, ils en seraient morts. Mais ils se sont contentés d'en observer les effets. Tout va bien. Ils se rassemblent en pâté devant le terrain de test, chacun contemplant bien soigneusement où il arrête ses semelles. Bonne initiative, ce serait bête de perdre un autre marine : il n'y a rien de plus insupportable que le gaspillage. D'hommes, et de temps. Parmi les lambeaux de tissus éparpillés parmi les restes organiques, une minuscule mouette bleue ravagée, et quelques débris dorés qui devaient être ses gallons.
Résultats concluants.
"Concluants" ? Il en reste que du hachis !
Auraient été pleinement satisfaisants si aucun soldat marine n'avait été pris dans la détonation.
Que... Quoi ?!
Vous voulez dire que...
Il attend que je lui répète. Qu'il ne se fasse pas plus bête qu'il ne l'est en réalité ! Pas le temps de l'aider à digérer cette information. J'ai un rapport à faire.
Putain...
C'est ce gars qui courrait derrière les révos', c'était...
Un marine.
PUTAIN !
J'aurai pas de mal à traduire cette erreur sur le rapport. "Dommage collatéral mineur" suffira amplement.
Mais pourquoi vous avez rien dit... Vous auriez pu stopper les... le...
Vrai ça. Pourquoi, salopard de poiscaille ?
Parce que c'est une donnée de l'expérience. Une m-mine ne fait pas la différence entre un allié et un ennemi.
Il avait p'tete une famille...
S-Ses victimes aussi. Passons à la suite.
Non. Ça, j'peux pas. Fumier !
Son fusil, ma tempe, le canon froid de son arme m'embrasse le crâne. C'est un bleu, je m'en doutais. Un simplet tout juste sorti de son école de troufion. Un émotif. Un coeur dangereusement trop mou pour supporter les réalités du travail. Je me glace, me tétanise. Puis tremblote. Puis bégaie.
C'C'est une faut-te. Faites pas ça.
Non ! Non ! Déconnez pas, caporal Mash !
Tu vas t'faire radier d'la marine !
D'une marine qui pourrait me foutre ses propres mines sous les pieds ?! Qu'est-ce que j'en ai à cirer ?
On... On est juste tombés sur leur psychopathe de service, c'est tout...
Le lieutenant-colonel...
Je lui dirai ce qu'il a fait. J'suis sûr qu'il comprendra.
Ap-près une telle traîtrise, vous n'auriez p-pas plus de 3% de chance-ces de vous en tirer.
3% ? C'est à tenter !
La moindre des cellules port-teuses de mon ADN vaut des millions de-de fois ton salaire an-annuel.
Il crisse des dents, son fusil s'affaisse. Je crois pas que l'argument ait pu avoir des chances de toucher ce primate. Trop logique. Trop cartésien. Si la logique avait été capable de le faire changer d'avis tout de suite, il n'aurait même pas pointé cette arme sur moi. Pourquoi fait-il ça, encore ? Ah oui ! Le marine pris dans l'explosion. Dommage collatéral mineur. Drame anonyme.
Non. Tu sais quoi ? C'est trop facile. C'que tu vas faire, poiscaille, c'est marcher sur ta mine.
J-je ne crois pas que...
J'AI LE FUSIL ! VAS-Y !
Merde ! Merde ! Ça va trop loin ! Mash !
Il a laissé la rage l'aspirer comme un trou noir et maintenant, il atteint l'horizon des événements, le point de non-retour. Je m'en fais pas pour moi, je m'en fais pour lui. Il finira à l'ombre des prisons du QG des menottes aux poignets et criblé d'hématomes. Mais j'aurais tant voulu le revoir en laboratoire. Habillé du gris poisseux des cobayes. Son nom oubliable ne me revient pas... Je l'appellerai Sujet 8 intérieurement. Sujet 8 s'emploie à convaincre ses amis qu'envoyer un scientifique surdoué affronter les mines qu'il teste est une hypothèse viable, qui satisfera ses désirs de vengeance. Nous perdons tous de précieuses minutes en palabres. Si j'ai été effrayé, si la peur m'a rendu irrationnel durant un minuscule laps du temps, il n'en n'est plus rien maintenant. L'impatience a dilué mes frayeurs. Hâte que ça se finisse et que nous repassions au constructif.
On dira que l'une de leur merde était moins fiable que les autres hein ? Voire que toutes étaient des saloperies susceptibles de nous péter entre les doigts n'importe quand, comme ça ils arrêteront d'en produire !
Il a raison. Je leur ai vendu cette bombe comme étant une technologie révolutionnaire, mais je sais que c'est de la camelote pondue par un collègue bas de gamme qui a géré son budget de manière calamiteuse : il a tout misé sur le taux de perforation des projectiles, mais seulement le strict minimum sur le déclencheur. Le détonateur à compression a besoin de 60 kg pour se déclencher. J'en pèse 56.
Tu joues leur jeu !
Non ! J'fais mon BOULOT ! J'dézingue les pourritures ! J'aurais clairement plus de remords à cogner sur des révo' que sur...
Son regard teinté de dédain s'écrase sur moi. Sujet 8 vibre de colère. La colère le vide du peu de raison qu'il devait posséder. L'équation en devient simplifiée : rage + x = grave bavure. J'ai peut-être déjà calculé l'inconnue précédemment... ou bien tout les termes m'étaient évidents il y a quelques secondes. En tout cas, j'ai oublié l'essentiel : le facteur de la rage. Dommage.
... ce monstre à nageoires. Et binoclard.
Tu n'es toi-même pas très agréable à regarder.
Principalement parce que sa blessure, deux lèvres béates en-dessous de son épaule, continue à baver de l'hémoglobine calleuse sur son torse. Le rendant hideux à la vue et initialisant la réaction de dégoût propre à la contemplation de chair à vif. Mais sa réaction suggère qu'il n'a pas correctement interprété mon commentaire. Son poing télescope ma joue, je m'en vais rouler par terre, dans la fange ! L'ignare ! Le rat écervelé ! Mes neurones, merde ! Pas de collision avec mes lobes et pourtant, je sens que j'en ai perdu des dizaines de milliers à cause de son horrible poing boursouflé d'hématomes ! L'a aucune idée de ce qu'il arrache à l'humanité sur ce pauvre coup de sang ! Il érode impunément un QI DE 180 !
Je m'écrase dans la terre sous une pluie de jurons ! ... et mes os décalcifiés s'apeurent. Corps mal entretenu. Faille de prévoyance.
'chier !
Calmez vous !
J'en ai pas fini avec toi. Déjà, tu vas te relever.
La tenaille qui lui sert de main s'enroule autour de mon avant-bras, et me tire. Mon équilibre précaire, ma mémoire fluctuante. Mon cerveau endommagé. Je ne comprends déjà même plus ce qui m'a amené à me faire relever par ce dégénéré.
Vas-y, marche. Là-bas. T'y avais foutu une de tes saloperies, j't'ai vu l'enterrer.
D'accord.
P'tain... Mash...
A couvert, vous autres ! Toi, si tu recules, j'te plombe !
Bah.
Je conchie ma mémoire défaillante. Poisson rouge par ci, poisson rouge par là. Les trente secondes de bande se sont déroulés, mes souvenirs se sont réinitialisés. Je me contente d'avancer, comme il me le demande. Puisqu'il a le fusil. La présence de mines que j'ai moi-même enterré ici, je me souviens. Des mines à détonateur à compression médiocre, oui oui, 60 kg minimum. Un pas après l'autre, je me dirige vers le champ de mines sous leurs yeux hagards. Si j'en juge par les matériaux organiques déchiquetés répandus autour de moi, j'avais déjà fait les tests. Mais ils ne m'ont pas laissé noter, pourquoi ? Trop de questions puériles. Inutiles. Perte de temps. Berk.
Ça... pète pas ?
Quels étaient les résultats de la dernière session de test ?
Il se fout de nous !
Me souviens pas.
Certaines mines doivent être daubées...
Tu sais pas ce que tu dis.
Je suis sûr que je me serais souvenu d'un échec complet. Pas le temps de creuser. Le caporal lève son fusil. Qui crache une balle qui vient murmurer des menaces à mes oreilles sifflantes. Peu importe ce qui a pu se passer de si grave entre nous : maintenant, je dois fuir. J'entends la culasse de son arme coulisser. Il va tirer... Il veut me chasser comme du gibier... Il halète comme le clébard infidèle qu'il est.
OUAIS, C'EST CA ! COURS !
ARRÊTE ! PITIÉ MASH, MERDE !
Avancez pas dans les...
Un nouveau tir, une vive douleur, une épine enflammée glissée sous le biceps. Ses cris qui me déchirent les tympans. Je les ai déjà entendus, oui oui. Probablement des échos des premiers tests. De brusques sons de déchirures. Par chance, j'ai pu courir hors de portée de la mine, mais...
... mais je m'écroule. Mon bras me fait mal. Me tiraille, comme s'il essayait de ramener tous les nerfs de mon corps à lui. Mes nocicepteurs s'accaparent toutes mes pensées. Et je les maudits, et je maudits mon corps pour oser me détourner de mes objectifs. Même si pour l'instant, niveau buts : survivre arrive en tout premier dans la file d'attente. L'adrénaline secrétée par mon cerveau ne parvient pas à compenser les ravages de la peur. Je réfléchis pas aussi vite que je le voudrais. Pas aussi. Vite. Comme si j'avais perdu des points de QI. Mon QI... C'est tout ce que j'ai.
Alors une fois atteint le champ de bataille, le vrai, alors que devant moi s'étend la boucherie des troufions et derrière moi le néant, je ne vois qu'un seul moyen de passer inaperçu. J'arrache la broche qui trahit mon camp. Et me glisse sous un cadavre. Un grand cadavre. D'un guerrier aux muscles suffisamment saillant pour empêcher même les rayons du soleil de m'atteindre une fois terré dessous.
Voilà. J'attendrai patiemment sous lui... et ordonnerai à mon bras d'arrêter de saigner autant ! Foutu enveloppe charnelle ! Si vulnérable !
Ils sont en guerre. En plein champ de bataille, un bourbier de sang balayé par un vent putride. L'assaut d'une base. Je me permets de rester assis car j'ai une petite escorte dédiée à ma survie. Un groupuscule de cinq soldats bas gradés, dont un caporal. Ainsi je peux étudier, observer, tester le nouveau prototype du service des Artilleurs en toute tranquillité malgré les frasques bruyantes des... des... qui sont-ils déjà, eux ? Déjà oublié. Sans importance.
Qui sont-ils ?
Hein ? Des révolutionnaires ! Leur base est de l'autre côté de la vallée ! On vous l'a répété cent fois ! Ça vous arrive de nous écouter ?!
Reste à ce que tu fais, James.
Faut qu'on décampe ! J'en vois là-bas, ils pourraient décider d'venir s'embusquer par ici ! Leur patron doit pas être loin !
J'ai pas fini. Le caporal est parti trouver les débris de la précédente bombe.
Mais pourquoi ?!
Je pourrais vous l'expliquer mais vous ne comprendriez pas.
Magnez vous !
Vous devez me protéger.
Bordel...
L'idéal serait que je leur fasse installer la mine au plus près des pieds ennemis, devant la base. Mais ce serait une mission suicide, ils n'accepteraient pas. Et je crois que le paramétrage de ce petit bijou de technologie qui sert à tuer des gens échapperait totalement à leurs cervelles d'oiseaux. Il faut tout faire soi-même, et je m'en contente volontiers. Je sais que le travail sera bien fait, au moins. Mes palmes enfoncées dans la terre disséminent ces ingénieux dispositifs comme des graines. Nous sommes à l'écart de la bataille, au pied d'une colline qui domine le peloton sanglant. Un lieu ma foi tranquille en comparaison du chaos roulant à quelques centaines de mètres d'ici. Malgré les faibles probabilités de nous recevoir une balle perdue grâce aux arbres environnants, mon escorte stationne en état de stress intense. Mon escorte ! J'avais demandé une escorte ! Pas une classe de débutants...
Oh putain ! Y en a qui approchent ! Ils nous ont vu !
Ne paniquez pas. J'ai piégé no-notre flanc Est.
Mais ils ont des flingues !
A leur distance, et avec le brouillard, leurs chances de nous toucher sont négligeables. Et je comptais vous demander d'en attirer par ici, de toute faç-çon.
P-Pourquoi ?!
Ben. Pour qu'ils marchent sur les mines. Euh.
Je suis ici pour ça. Test de prototype sur cobayes involontaires en situation réelle. Pas moi qui l'ait conçu, mais je me suis porté volontaire pour son essai. Les explosifs exotiques me sont amicaux. Celui-ci n'est pas original pour un sou, une simple mine à clous avec un détonateur à compression. Si on fait plus de soixante kilogrammes et qu'on la piétine, boum, une explosion assortie d'une gerbe de clous. Très simple. Mais je tenais en plus à stimuler mon intellect sur le terrain. A étudier mes propres réactions face aux chaos des guerres, aux balles errantes, aux fumées bouffantes et aux explosions anarchiques, à la mort de masse. Et j'ai été assez déçu de comprendre à quel point il était aisé d'exploiter la rage aveugle des guerriers pour échapper à leurs sens et se faufiler jusqu'aux oasis de paix. Et s'y embusquer.
Bref. Tout va bien. Je perçois des silhouettes progressant vers nous à travers le brouillard épais qui nous sert de murs contre le champ de bataille. Le type qui en avait fait la remarque -lequel c'était, déjà ?- était dans le vrai. Ils nous ont vu. A travers la brume fraîche et les arbres morts. Parfait. Le poisson est ferré. Nous devons avoir une poignée de minutes pour exécuter les derniers contrôles et nous mettre à l'abri.
Romanov...
Ah. Parfait². Le caporal est de retour. Juste à temps. Encore un peu et j'aurais peut-être du le rayer des paramètres à considérer.
C'là... Tout c'que j'ai pu récupérer.
Oh. Vous avez trouvé le boîtier principal, c'est bien. J'espère que votre sang n'est pas allé s'infiltrer dans ses rou-rouages.
Tu voulais un papier cadeau, ducon ?
Il y a un sourire dont je ne saisis pas l'origine. Probablement un sarcasme, la plupart des sourires en sont. Je passe outre son visage, bien moins intéressant que ce qu'il tient entre ses deux mains délivrant leurs cascades d'hémoglobine : un nouveau gâchis, le sang des êtres vivants est trop précieux pour le laisser couler ainsi sans penser à fermer le robinet. Avant toute chose, je lui en fais la remarque.
Soignez vous. Si vous mourrez, un outil indispensable sera cassé.
Quoi ? Lequel ?
Vous.
Connard.
Et ma division de soldats est une boîte à outils. Et le champ de bataille mon atelier d'expérimentation. Et le monde entier un laboratoire où la science pioche au hasard ses portes-paroles. Je m'assure en premier lieu que la bombe, ou plutôt, ce qu'il en reste, est totalement neutralisée, mais si mon troufion a pu l'apporter ici sans finir en pièces, c'est que toute la poudre s'en est allée. Alors je lui arrache le boîtier des mains et plonge mon regard à l'intérieur. Il ne reste plus grand chose. De l'acier calciné et muté en un gruyère sombre sentant le brûlé. Oh, bonne surprise ! Des engrenages noircis mais quasiment intacts. Bien. Ils pourront être recyclés.
Elles font quoi, vos putains de bombes ?
C'sont pas les miennes.
Mais elles font quoi ?
Ah. Oh. Oula. Je vais essayer de vulgariser rapidement.
Bombe à fragmentation qui distribue de façon homogène 200 clous de 5 centimètres de diamètre dans un rayon de 360° à l'explosion. Rentabilité optimisée : chaque clou projeté à plusieurs centaines de km/h peut voyager à travers des brochettes de trois ou quatre hommes avant de voir sa vitesse décliner. Un bijou de technologie au service d'une justice très sincère dans ses désirs de domination. Un fort rendement argent investi/victimes. En sculptant les aiguilles en forme de vrilles, on aurait pu augmenter encore le taux de pénétration, mais de nouveaux frais de fonte se seraient incrustés dans l'addition déjà salée de cet épatant jouet de mort, et risqueraient de passer pour gadget superflu, se démener à améliorer la perfection comprend le risque de la détériorer. Ce prototype devient donc mûr pour la grande production. Que nos soldats considéreront vite comme leurs nouveaux doudous qui les préserveront de leurs cauchemars nocturnes. Ces mines feront barrage aux enfers durant leur sommeil, une muraille vindicative autour de leur campement. C'est très bien.
Euh...
C'est une bombe à fragmentation qui...
L'avez déjà dit !
Oui. Ai-je précisé que c'était un p-prototype ?
Aussi.
Plein de fois...
Sinon, nous ne serions pas là pour le tester. C'est vr-vrai. Bon.
L'heure palpitante approche ! Le champ miné est en place. Il ne manque que des gazelles pour le parcourir. Elles ne devraient pas être bien difficiles à dénicher. Comme le soulignait le caporal dont j'ai oublié le nom, un petit détachement nous a aperçu. Ils étaient loin tout à l'heure. Et maintenant, leur curiosité, ou leur soif de sang, les ont conduits devant nos arbres.
C-Camouflez vous.
Ouais c'est ça, apprends moi mon job aussi...
Ils sont trois. Quatre. Cinq. Des silhouettes élancées. Une sixième, toute à l'arrière, de grandes structures cubiques sur ses épaules, probablement un officier qui promène ses galons. Bien. Ce sera l'occasion de mettre en valeur la faiblesse récurrente de ce style d'armements. Une mine peut aussi tuer des alliés. Une mine n'a pas d'esprit d'équipe. Une mine ne sait pas collaborer. Une mine n'est qu'un monticule mécanique au ventre rempli de poudre et d'autres ingrédients, selon sa recette. J'aime pas les mines. Une grenade s'esquive, se voit arriver. Une mine n'attend qu'un pied suffisamment lourd pour la déclencher. Peu importe quel individu porte ce pied. Ce qui nous conduit à de grands gâchis.
Comme celui-ci. Les cinq sujets révolutionnaires poussent un à un de brefs cris face à l'horreur inévitable et inexorable qui leur bondit au corps. Des hurlements distordus puis étouffés en une fraction de seconde par les multiples perforations de leurs poumons. Leurs torses ne sont rapidement plus que confettis. Leurs crânes sautent, comme des oeufs oubliés au micro-onde. En l'espace de cinq secondes, il ne reste plus qu'un puissant silence entrecoupé des palpitations du coeur de la bataille, plus loin vers l'Est. Plaisante science. Mais j'espérais plus impressionnant. Probablement mes goûts de chimistes qui m'empêchent d'apprécier le spectacle. J'ai les clés de l'efficacité, moi, les gaz de combats. Meurtriers inodores. Bien plus propre et élégant que cette boucherie. Bien moins cher, également.
Les soldats de seconde classe sont les premiers à sortir de leurs cachettes. Ils semblent en état de choc. Dévoilent quelques symptômes similaires à la catatonie. Rien d'alarmant. S'ils avaient marché sur ces mines, oui, ce serait inquiétant, ils en seraient morts. Mais ils se sont contentés d'en observer les effets. Tout va bien. Ils se rassemblent en pâté devant le terrain de test, chacun contemplant bien soigneusement où il arrête ses semelles. Bonne initiative, ce serait bête de perdre un autre marine : il n'y a rien de plus insupportable que le gaspillage. D'hommes, et de temps. Parmi les lambeaux de tissus éparpillés parmi les restes organiques, une minuscule mouette bleue ravagée, et quelques débris dorés qui devaient être ses gallons.
Résultats concluants.
"Concluants" ? Il en reste que du hachis !
Auraient été pleinement satisfaisants si aucun soldat marine n'avait été pris dans la détonation.
Que... Quoi ?!
Vous voulez dire que...
Il attend que je lui répète. Qu'il ne se fasse pas plus bête qu'il ne l'est en réalité ! Pas le temps de l'aider à digérer cette information. J'ai un rapport à faire.
Putain...
C'est ce gars qui courrait derrière les révos', c'était...
Un marine.
PUTAIN !
J'aurai pas de mal à traduire cette erreur sur le rapport. "Dommage collatéral mineur" suffira amplement.
Mais pourquoi vous avez rien dit... Vous auriez pu stopper les... le...
Vrai ça. Pourquoi, salopard de poiscaille ?
Parce que c'est une donnée de l'expérience. Une m-mine ne fait pas la différence entre un allié et un ennemi.
Il avait p'tete une famille...
S-Ses victimes aussi. Passons à la suite.
Non. Ça, j'peux pas. Fumier !
Son fusil, ma tempe, le canon froid de son arme m'embrasse le crâne. C'est un bleu, je m'en doutais. Un simplet tout juste sorti de son école de troufion. Un émotif. Un coeur dangereusement trop mou pour supporter les réalités du travail. Je me glace, me tétanise. Puis tremblote. Puis bégaie.
C'C'est une faut-te. Faites pas ça.
Non ! Non ! Déconnez pas, caporal Mash !
Tu vas t'faire radier d'la marine !
D'une marine qui pourrait me foutre ses propres mines sous les pieds ?! Qu'est-ce que j'en ai à cirer ?
On... On est juste tombés sur leur psychopathe de service, c'est tout...
Le lieutenant-colonel...
Je lui dirai ce qu'il a fait. J'suis sûr qu'il comprendra.
Ap-près une telle traîtrise, vous n'auriez p-pas plus de 3% de chance-ces de vous en tirer.
3% ? C'est à tenter !
La moindre des cellules port-teuses de mon ADN vaut des millions de-de fois ton salaire an-annuel.
Il crisse des dents, son fusil s'affaisse. Je crois pas que l'argument ait pu avoir des chances de toucher ce primate. Trop logique. Trop cartésien. Si la logique avait été capable de le faire changer d'avis tout de suite, il n'aurait même pas pointé cette arme sur moi. Pourquoi fait-il ça, encore ? Ah oui ! Le marine pris dans l'explosion. Dommage collatéral mineur. Drame anonyme.
Non. Tu sais quoi ? C'est trop facile. C'que tu vas faire, poiscaille, c'est marcher sur ta mine.
J-je ne crois pas que...
J'AI LE FUSIL ! VAS-Y !
Merde ! Merde ! Ça va trop loin ! Mash !
Il a laissé la rage l'aspirer comme un trou noir et maintenant, il atteint l'horizon des événements, le point de non-retour. Je m'en fais pas pour moi, je m'en fais pour lui. Il finira à l'ombre des prisons du QG des menottes aux poignets et criblé d'hématomes. Mais j'aurais tant voulu le revoir en laboratoire. Habillé du gris poisseux des cobayes. Son nom oubliable ne me revient pas... Je l'appellerai Sujet 8 intérieurement. Sujet 8 s'emploie à convaincre ses amis qu'envoyer un scientifique surdoué affronter les mines qu'il teste est une hypothèse viable, qui satisfera ses désirs de vengeance. Nous perdons tous de précieuses minutes en palabres. Si j'ai été effrayé, si la peur m'a rendu irrationnel durant un minuscule laps du temps, il n'en n'est plus rien maintenant. L'impatience a dilué mes frayeurs. Hâte que ça se finisse et que nous repassions au constructif.
On dira que l'une de leur merde était moins fiable que les autres hein ? Voire que toutes étaient des saloperies susceptibles de nous péter entre les doigts n'importe quand, comme ça ils arrêteront d'en produire !
Il a raison. Je leur ai vendu cette bombe comme étant une technologie révolutionnaire, mais je sais que c'est de la camelote pondue par un collègue bas de gamme qui a géré son budget de manière calamiteuse : il a tout misé sur le taux de perforation des projectiles, mais seulement le strict minimum sur le déclencheur. Le détonateur à compression a besoin de 60 kg pour se déclencher. J'en pèse 56.
Tu joues leur jeu !
Non ! J'fais mon BOULOT ! J'dézingue les pourritures ! J'aurais clairement plus de remords à cogner sur des révo' que sur...
Son regard teinté de dédain s'écrase sur moi. Sujet 8 vibre de colère. La colère le vide du peu de raison qu'il devait posséder. L'équation en devient simplifiée : rage + x = grave bavure. J'ai peut-être déjà calculé l'inconnue précédemment... ou bien tout les termes m'étaient évidents il y a quelques secondes. En tout cas, j'ai oublié l'essentiel : le facteur de la rage. Dommage.
... ce monstre à nageoires. Et binoclard.
Tu n'es toi-même pas très agréable à regarder.
Principalement parce que sa blessure, deux lèvres béates en-dessous de son épaule, continue à baver de l'hémoglobine calleuse sur son torse. Le rendant hideux à la vue et initialisant la réaction de dégoût propre à la contemplation de chair à vif. Mais sa réaction suggère qu'il n'a pas correctement interprété mon commentaire. Son poing télescope ma joue, je m'en vais rouler par terre, dans la fange ! L'ignare ! Le rat écervelé ! Mes neurones, merde ! Pas de collision avec mes lobes et pourtant, je sens que j'en ai perdu des dizaines de milliers à cause de son horrible poing boursouflé d'hématomes ! L'a aucune idée de ce qu'il arrache à l'humanité sur ce pauvre coup de sang ! Il érode impunément un QI DE 180 !
Je m'écrase dans la terre sous une pluie de jurons ! ... et mes os décalcifiés s'apeurent. Corps mal entretenu. Faille de prévoyance.
'chier !
Calmez vous !
J'en ai pas fini avec toi. Déjà, tu vas te relever.
La tenaille qui lui sert de main s'enroule autour de mon avant-bras, et me tire. Mon équilibre précaire, ma mémoire fluctuante. Mon cerveau endommagé. Je ne comprends déjà même plus ce qui m'a amené à me faire relever par ce dégénéré.
Vas-y, marche. Là-bas. T'y avais foutu une de tes saloperies, j't'ai vu l'enterrer.
D'accord.
P'tain... Mash...
A couvert, vous autres ! Toi, si tu recules, j'te plombe !
Bah.
Je conchie ma mémoire défaillante. Poisson rouge par ci, poisson rouge par là. Les trente secondes de bande se sont déroulés, mes souvenirs se sont réinitialisés. Je me contente d'avancer, comme il me le demande. Puisqu'il a le fusil. La présence de mines que j'ai moi-même enterré ici, je me souviens. Des mines à détonateur à compression médiocre, oui oui, 60 kg minimum. Un pas après l'autre, je me dirige vers le champ de mines sous leurs yeux hagards. Si j'en juge par les matériaux organiques déchiquetés répandus autour de moi, j'avais déjà fait les tests. Mais ils ne m'ont pas laissé noter, pourquoi ? Trop de questions puériles. Inutiles. Perte de temps. Berk.
Ça... pète pas ?
Quels étaient les résultats de la dernière session de test ?
Il se fout de nous !
Me souviens pas.
Certaines mines doivent être daubées...
Tu sais pas ce que tu dis.
Je suis sûr que je me serais souvenu d'un échec complet. Pas le temps de creuser. Le caporal lève son fusil. Qui crache une balle qui vient murmurer des menaces à mes oreilles sifflantes. Peu importe ce qui a pu se passer de si grave entre nous : maintenant, je dois fuir. J'entends la culasse de son arme coulisser. Il va tirer... Il veut me chasser comme du gibier... Il halète comme le clébard infidèle qu'il est.
OUAIS, C'EST CA ! COURS !
ARRÊTE ! PITIÉ MASH, MERDE !
Avancez pas dans les...
Un nouveau tir, une vive douleur, une épine enflammée glissée sous le biceps. Ses cris qui me déchirent les tympans. Je les ai déjà entendus, oui oui. Probablement des échos des premiers tests. De brusques sons de déchirures. Par chance, j'ai pu courir hors de portée de la mine, mais...
... mais je m'écroule. Mon bras me fait mal. Me tiraille, comme s'il essayait de ramener tous les nerfs de mon corps à lui. Mes nocicepteurs s'accaparent toutes mes pensées. Et je les maudits, et je maudits mon corps pour oser me détourner de mes objectifs. Même si pour l'instant, niveau buts : survivre arrive en tout premier dans la file d'attente. L'adrénaline secrétée par mon cerveau ne parvient pas à compenser les ravages de la peur. Je réfléchis pas aussi vite que je le voudrais. Pas aussi. Vite. Comme si j'avais perdu des points de QI. Mon QI... C'est tout ce que j'ai.
Alors une fois atteint le champ de bataille, le vrai, alors que devant moi s'étend la boucherie des troufions et derrière moi le néant, je ne vois qu'un seul moyen de passer inaperçu. J'arrache la broche qui trahit mon camp. Et me glisse sous un cadavre. Un grand cadavre. D'un guerrier aux muscles suffisamment saillant pour empêcher même les rayons du soleil de m'atteindre une fois terré dessous.
Voilà. J'attendrai patiemment sous lui... et ordonnerai à mon bras d'arrêter de saigner autant ! Foutu enveloppe charnelle ! Si vulnérable !